31/10/2012

Haka / Caryl Férey

Les personnages torturés, rongés, écorchés par l'existence, violents, alcooliques, morts avant de l'être, ne manquent pas dans le polar. Impossible de les compter sur les doigts d'... de bien des mains. Si les clichés ont la peau dure, à l'image de ces héros accablés par le sort, bon nombre d'auteurs ont pourtant su les déjouer ou se les approprier pour mieux les contourner. Ils arrivent à emporter le lecteur sur des sentiers non balisés à la seule force de l'histoire, de l'intrigue, du style, de cet univers, aussi noir soit-il, dans lequel évoluent les personnages. Et, avec Haka, Caryl Férey a démontré combien il savait y faire pour déjouer les pièges de la clich'attitude.

Le pari n'était pourtant pas gagné si l'on en juge l'état dans lequel l'auteur balance son personnage dans les cordes dès les premières pages, avant de le blackbouler sur le ring de l'histoire, avec le lecteur en guise de caméra embarquée.

Nouvelle-Zélande. Jack Fitzgerald est un flic métisse. Désabusé, violent, dépressif, alcoolique. Depuis 25 ans, depuis la disparition de sa femme et de sa fille, il voit dans chaque affaire la possibilité de remonter à la source de ce drame personnel. Il met donc du cœur à l'ouvrage dans chacune d'entre elles quitte, parfois, à dépasser les bornes, franchir la ligne jaune. Jack nourrit des certitudes contradictoires quant au sort réservé à ses chères disparues : vivantes, mortes, vivantes, mortes... L'absence de corps et du moindre indice l'ont toujours fait vaciller entre l'assurance de leur trépas et l'espoir, même si le temps a eu la fâcheuse tendance à y aller de son travail de sape.
Lorsqu'on découvre sur une plage le corps d'une jeune fille le sexe scalpé, Jack s'investit une fois de plus dans cette enquête avec la conviction qu'il connaîtra le fin mot de son histoire après toutes ces années. Seule ombre au tableau, ses supérieurs, peut-être pour le canaliser, lui ont adjoint une jeune criminologue diablement efficace...

Par bien des aspects, Haka n'est pas sans rappeler Les Soldats de l'aube d'un certain Deon Meyer. Il faut sans doute imputer cette impression à la nature du personnage à sa propension à la violence, à sa déchéance morale, ainsi qu'au dépaysement suscité par le lieu, la Nouvelle-Zélande pour l'un, l'Afrique du Sud pour l'autre, chacun identifiable par sa culture et son milieu sociétal respectifs.

La comparaison s'arrête là car Haka possède son identité propre, servie par une belle galerie de personnages évoluant en parallèle de la ligne narrative dévolue à Jack et à son enquête. Ceux-ci ne sont pas uniquement des faire-valoir, ne sont pas seulement des éléments constitutifs de la mécanique d'un récit servant – peut-être – à brouiller les pistes, ils s'avèrent aussi des êtres à part entière qui, dans leur marge émotionnelle, intérieure, se révèlent d'une fulgurance redoutable (entendez par là qu'ils sont foutrement beaux !).

Sombre, noir, glauque, oppressant - ne rayez aucune mention inutile - Haka ne manque pas de l'être. Le lyrisme dont fait preuve l'auteur dans l'utilisation de ses métaphores n'atténue en rien la sensation de fuite  en avant, de déliquescence généralisée.

Et si la quatrième de couverture promet que « Jack Fitzgerald  mènera l'enquête jusqu'au chaos final », on ne peut que se réjouir, d'une certaine façon, qu'elle dise vrai. Ça dézingue à tous les étages. Caryl Férey tranche dans le vif et laisse la caméra embarquée dont je parlais plus haut, dans... dans un triste état. Forcément. 

Haka de Caryl Férey, Baleine (Instantanés de polar), 1998, 448 p. / Folio policier, 448 p., 2003

2 commentaires:

Guillaume a dit…

je garde un bon souvenir de lecture. Tu me donnes envie de relire ce roman. Merci!!!

BiblioMan(u) a dit…

Avec plaisir ;) Tu avais lu Utu aussi ? (je me le garde sous le coude pour le moment...)