28/09/2010

Apocalypse bébé / Virginie Despentes

Qu’à voulu dire Hubert Arthus (ou pas) ?

Puisqu’on vous dit que le genre (effet de manche culturel plus ou moins durable et proportionnellement pénible) n’est pas le sexe (donnée fixe purement biologique, et encore, on peut en changer… si si, le perdre, le gagner etc.). Je me souviens d’un sondage rapporté (et moqué) par Philippe Sollers. On demande à des gens s’ils avaient la possibilité de changer de sexe, qui ils aimeraient devenir ; les réponses fusent : un homme ! une femme ! etc. Personne ne met la question en question. Un chat est un chat. Les sondés répondent rarement aux sondages en réfléchissant – plongée immédiate dans le lourd ronron scolaire – ce qu’ils désirent avant tout, c’est prouver par leur réponse qu’ils ont bien compris la question. Examen permanent. J’ignore si Virginie Despentes a été une bonne élève ou non mais j’adore ses propositions de réponses. Je les trouve particulièrement viriles – elle possède une vertu parlante.

J’avais déjà acheté Apocalypse bébé avant de lire l’article – très engageant – d’Hubert Artus : « Avec Apocalypse bébé, Virginie Despentes s’est assagie ». Puis j’ai oublié. J’ai lu le livre. Après quoi m’est revenu le titre de l’article et ce bizarre verbe : s’assagir. Rémanence mémorielle. Quelque chose clochait. Je n’étais pas d’accord. J’ai relu l’article. Positivement positif, à n’en pas douter. Cependant… L’intérêt des puces aux oreilles est que ça démange. Y’a pu qu’à gratter. Merci à Hubert Arthus.

Je cherche dans mon Dictionnaire Historique de la Langue Française, version rouge, à assagir : cf. sage. Bon. J’y suis, page 3354. Je cite : « Le composé préfixé assagir v. a d’abord eu le sens d’ « instruire (quelqu’un) de quelque chose. » (1188, assagir qqn de qqch.). » Je dirais en français d’aujourd’hui comme je le comprends : affranchir (rendre sa liberté ?), déniaiser sans doute (vous entendez bien ce que j’entends aussi, là ?), mettre au parfum (le nez, l’existence concrète olfactive de qqch., faire connaître à qqn qui ou quoi il ne pouvait pas sentir auparavant…), (dé)briefer, pourquoi pas, entre autres… Je continue mon petit voyage dans le temps expressif : « Depuis le moyen français, il signifie « rendre (qqn) sage » (1340-1370) et ne s’emploie qu’au pronominal pour « devenir sage » (1530), alors qu’on disait assagir intransitivement (fin XIVe s.) » Autrement dit, à partir de là : débrouille toi tout seul, aides-toi et le ciel… Enfin : « Une valeur extensive s’applique aux choses pour « rendre moins vif, moins rapide ou incontrôlé ». Oh là ! Comme vous y allez ! Mes yeux suivent les lignes un instant de plus : « Le dérivé assagissement n.m. a désigné (1440-1475) l’action de donner des renseignements ; il ne se dit plus que de l’action d’assagir (1580, Montaigne). »

Loin de moi l’idée que le passé a forcément fait mieux que le présent ; ce n’est pas mon histoire. Toutefois il me semble qu’entendre un mot, ce n’est pas seulement le comprendre étymologiquement (en saisir la racine, qui, comme toutes les racines, n’est pas la partie la plus mobile, et notamment parce qu’un grand vent frais peine à y souffler) mais le percevoir dans ses mouvements balayés par l’histoire, sa vie propre, son balancement via les corps. Je vous renvoie, logiquement, à l’article ibidem portant sur le mot sage. J’ai lu le livre de Virginie Despentes et je m’interroge sur son assagissement, le mien, le nôtre et plus prudemment sur celui d’Hubert Artus.

C’est peu dire que je ne suis pas critique (littéraire). Je suis un lecteur. Je ne parle, au final, que de moi. J’arrête pas. Si par cette pratique de lecture je m’assagis ou pas, l’avenir paraît-il le dira, aux autres, pas à moi, puisqu’alors le voyage en ce qui me concerne aura trouvé son terme. J’avais lu, à sa sortie, King kong théorie. J’en garde le souvenir d’une grande clarté d’esprit, celle d’un esprit agissant, actif, oui, un livre d’écrivain. Je me souviens aussi d’avoir ri par moments, mais moins qu’à la lecture d’Apocalypse bébé, dont j’ai apprécié de bout en bout le caractère vif et rapide. J’étais si content alors que je l’ai prêté à une connaissance, C., chargée de mission pour la promotion de l’égalité homme-femme (si tu me lis, C., d’ailleurs, ce serait bien que tu me le rendes… Oh é bé non, té, garde-le, relis-le à l’occasion, je vais le racheter : je fumerai moins, ou je mangerai moins – le plaisir n’en sera que meilleur). Je ne me souvenais pas, en revanche, que figurait dans le livre le récit de la conversion d’objet sexuel (pour le dire comme ça) de Virginie Despentes. Je suis un piètre lecteur, je l’ai déjà dit. Il semble que le quoi de la sexualité m’interpelle moins que le qui…

J’ai ri à gorge déployée à l’intérieur d’Apocalypse bébé. Despentes est la fille la sœur la mère l’amant secret de Balzac, de la Bruyère et de bien d’autres, sa sexualité la plus évidente est celle du texte. Elle a grand appétit et bon goût. Magnifique Yacine (un personnage de l’Apocalypse selon Virginie, cessez de lire ce petit mot et suivez Despentes, la vôtre, c’est toujours la meilleure !), humanité de la Hyène, vérité de Lucie-Virginie (un chat est un arbre comme un autre, vous me suivez ?) - une Vierge éclairée ? - sensibilité des personnages et de leur Créatrice, truculence des dialogues, pertinence du regard (Virginie Despentes est un rapace sociologique, elle repère, elle fond en piqué, elle vous apporte sa proie, à vous de la dépecer ou pas, vous n’êtes pas innocent, seule l’écrivain l’est), tour à tour femme-la Fontaine et ton poqueliné, beauté précise de certaines descriptions, traversante, son style est percutant, ni contrôlé ni in-, pudique, impudique, délicat, attendri, cynique, enchanté/ désenchanté, vrai, vécu, mesuré, palpé, carné. Un régal ! Intégrés à son écriture les grands tournois sonores d’une foule de gabians sur la cité à fouailler les poubelles. Inquiétude de l’œil et envergure des ailes. Le bec. Les serres. Le plumage. Des individus de sexe féminin, genre bon ou mauvais, baisent-pensent-perçoivent le monde alentour, tout-en-un – je suis personnellement pour que le prix Goncourt soit attribué à Virginie Despentes, non pour le prestige mais pour le mode de diffusion, en douce, à l’étal des supermarchés, pour la pénétration des foyers, le retournement des us et coutumes culturels, cette vaste foutade… Bon, je m’emporte, je ne suis pas sage. Me reste ceci : j’apprécie hautement d’être renseigné-instruit-déniaisé-affranchi par Virginie Despentes. Qui qu’elle soit, elle n’est pas une image.

A garder le genre sollersien de ce petit billet (doux) - eu égard à son élan, hein, pas à sa qualité, bien sûr – je décide de titrer ma contribution : Classique Virginie. Voilà.

Ah, au fait, Torcol est un homme. J’ai la preuve de ce que j’avance. C’est indéniable. Pour autant souvent dénié, il faut bien dire. Drôle d’oiseau, ce Torcol?



Apocalypse bébé, Virginie Despentes, Grasset, 342 p.

22/09/2010

Les Paradis inhabitables 2, Ceux d'en bas / Serge Brussolo

Décidément, rien n'est simple pour Mickie Katz. Il faut dire qu'avec le boulot pour le moins insolite qu'elle exerce, ça ne doit pas être facile tous les jours. Bosser pour un cabinet immobilier en tant que décoratrice, c'est une chose, mais exercer ses talents pour l'agence 13 c'est une autre paire de manches. Surtout quand on sait que cette dernière est spécialisée dans la restauration de sites où se sont déroulés des crimes. Des contrats juteux sont bien sûr à la clé mais à bien y regarder, pas mal de déconvenues aussi, car ces lieux, outre leur caractère particulier, peuvent aussi se révéler le terreau de bien des excentricités. Mickie en a fait les frais lors de sa première mission, relatée dans Dortoir interdit.

Cette fois-ci, les choses ne s'annoncent guère mieux. Envoyée dans un village paumé du Montana, Mickie est chargée de concevoir les plans d'un futur parc de loisirs à l'endroit même où avait été perpétré un génocide sur la population indienne locale. La tâche aurait pu être aisée, enfin, plus facile disons, si les habitants n'avaient pas vécu dans une quasi-autarcie où, sous le masque de la prévenance, de la courtoisie et d'une certaine ouverture d'esprit s'exprimait en fait la peur, la colère, la déraison. Car ce n'est pas rien après tout, si chaque citoyen de cette petite bourgade accepte d'être la cible potentielle d'un archer caché dans la forêt avoisinante, et si shérif et maire ne semblent pas remettre en cause cette tradition, voire même de la cautionner au nom d'une expiation quelconque.

Je n'en dis pas plus. J'en ai peut-être déjà trop dit mais au moins le décor est planté. Juste planté car ce n'est rien en comparaison de l'ampleur que l'histoire va lui octroyer. Sous la plume de Serge Brussolo, on ne sait pas à quoi s'attendre, et s'il y a effectivement chez lui des constantes d'une histoire à l'autre, cela n'enlève en rien à l'originalité de Ceux d'en bas. Car ce décor, cette succession de décors même, qui ponctue le livre, représente à lui seul un personnage, lequel suscite tour à tour la peur, l'angoisse, l'appréhension mais aussi la curiosité et l'émerveillement.

Et les êtres de chair et de sang dans cette histoire ? Ils sont toujours aussi énigmatiques et humains chez Brussolo. C'est à dire qu'ils ne sont jamais ni tout à fait lisses ni tout à fait propres mais en proie à leurs tourments, assujettis à leurs zones d'ombres et à leurs pulsions, qu'elles soient bonnes ou mauvaises. La particularité dans Ceux d'en bas, c'est qu'ils sont aussi soumis au bon vouloir de l'auteur qui les balade en bateau, de faux-semblant en trompe l'œil, et cela contribue grandement au plaisir de lecture.

L'idée des Dortoirs inhabitables n'est pas jeune. Une première édition aurait déjà pu avoir lieu il y a plusieurs années mais, tractations contractuelles obligent entre les éditions Fleuve noir et Serge Brussolo, celle-ci n'avait pu se concrétiser. Mais plutôt que de partir dans d'obscures comparaisons entre ce qui aurait pu être et ce qui est, je me dis que le fruit de mes lectures du premier et deuxième volume de cette série ne laisse en tout cas la place à aucun regret.

Les Dortoirs inhabitables 2, Ceux d'en bas / Serge Brussolo, Fleuve noir, 288 p.
CITRIQ

11/09/2010

Felicidad / Jean Molla

Imaginez un monde où le bonheur est partout, total, plus qu'à portée de mains : dans vos mains. Un monde où le bonheur affleure sans cesse de vos lèvres. Bonheur à toi, ma belle. Un monde merveilleux où les Parhumains, ces organismes issus de la génétique vous exemptent de toutes ces tâches ingrates et avilissantes qui brident encore et toujours la voie de votre épanouissement personnel. Un monde, enfin, où l'on est prêt à vous contenter jusqu'à instituer deux, voire trois, fêtes de Noël par an afin que vous puissiez consommer jusqu'à plus soif. Oui parce qu'acheter, encore et encore, encore et toujours, mes chers amis, c'est se faire plaisir et quand on se fait plaisir c'est... le Bonheur ! N'est-il pas merveilleux ce monde, hein, dites ? Vous l'imaginez ? Non ? Pas assez ? Attendez. Je précise un peu les choses. Sur Terre, il n'existe plus que trois grands Etats-Continents : Les Etats-Unis d'Australamérique, La Chinasie, et la Grande Europe. Dans chacun d'entre eux, vous trouverez un Président à vie. C'est tellement plus simple. Une seule ligne politique s'inscrivant dans la durée, il faut bien se le mettre en tête, cela évite bien des désagréments. N'ayez crainte toutefois, ces bouleversements ne se sont opérés que pour votre bien. Ce n'est pas pour rien, après tout si un ministère du Bonheur obligatoire a vu le jour.

L'Etat est le garant du Bonheur individuel. Il peut avoir recours à tous les moyens, y compris les plus définitifs, pour en faire bénéficier les citoyens.
Article 3 de la Constitution

Pour la plupart des analystes, le sentiment amoureux pour un parhumain est à placer sur le même plan que les pratiques fétichistes. On l'interprète généralement comme un signe d'immaturité. Le sujet, inapte; à diriger son désir sur un être réel, le projette sur un objet qui imite et contrefait l'humain et dont la charge fantasmatique est, à ce titre, considérable. Cette confusion – éminemment pathologique – entre l'original et sa copie doit être l'objet de toute l'attention du praticien et suppose une thérapie adaptée.
Traité de psychiatrie clinique, Dr Alain Cardon, Editions des GMR

Alors, quand je vous disais que ce monde là avait tout pour plaire ! Seulement, cet avis ne fait pas l'unanimité : un scientifique s'est amusé à jouer à Dieu le Père en trafiquant la dernière génération de parhumain, les Delta 5. La fonction de ces derniers était à la base de se transformer en Père Noël et de faire une surprise de choc à nos chères têtes blondes en passant par la cheminée ou tout autre passage un peu... étroit. Dorénavant, libérés de leurs mouchards, dotés de capacités physiques incroyables et à même de se transformer en ce que bon leur semble, l'équilibre des Grandes Nations est mis en péril. Heureusement, le ministère de la Sûreté intérieure qui a pour charge de veiller par tous les moyens à la préservation du Bonheur, dispose d'un agent redoutable, Alexis Decked. Ses états de service parlent pour lui. Il ne faut donc pas s'inquiéter.

Faites tourner, faites passer. C'est l'envie que l'on a en refermant ce livre qui mériterait une bonne tartine de superlatifs. Il me faudra pourtant résister à les utiliser car ils risqueraient alors de perdre de leur impact. Aussi je ne vais m'attarder que sur la mécanique de Felicidad, l'un des romans inaugurant la nouvelle collection poche pour ados des éditions Gallimard jeunesse, Pôle fiction (le livre étant initialement paru ici).

Il n'y a aucune difficulté à immerger dans la société dépeinte par Jean Molla. Le saut dans le futur qu'il exécute n'est pas vertigineux et les éléments qu'il apporte pour familiariser le lecteur avec celui-ci évoluent de concert avec l'histoire elle-même. De fait, je n'ai jamais eu l'impression d'avoir à subir une construction trop hachée, avec un discours descriptif d'un côté et, de l'autre, la fiction. Tous ces éléments s'imbriquent aisément, de manière à vous emporter très vite. Où ? Je ne vous l'ai pas dit ? Dans un monde mervei... effroyable – je reprends mes esprits - qui n'est pas sans rappeler ces dictatures où, pour le bien du Peuple, on a pu l'endormir puis véhiculer, voire appliquer, les idéologies les plus nauséabondes. Ici, les Bonheur à vous, lancés de manière mécanique résonnent comme des saluts d'un autre temps et dans lesquels résonnaient l'omnipotence d'un Pouvoir. Le Pouvoir, la marche du Pouvoir, ses rouages, ses dérives, la place de chacun dans la société, la vision de l'autre et l'accpetation de ses différences, Jean Molla aborde toutes ces thématiques sans céder à la simplicité ou à l'angélisme. Sous couvert de polar science-fictif, qui bien sûr fait penser à Blade runner (mais aussi, en ce qui me concerne à un vieux jeu sur amiga dont je ne parviens plus à me souvenir du nom...), l'auteur décrit un monde sous lequel on devine l'impact du passé, la marche du présent et une interrogation légitime pour un futur en gestation. Qui plus est, il le fait avec une histoire bien ficelée et des personnages aux apparences... trompeuses. Comme quoi, il faut toujours se méfier de tout, non ?

Merci une fois de plus à Brize pour m'avoir fait découvrir ce livre. Sa chronique est par là.

Faites passer, faites tourner !
CITRIQ

06/09/2010

may le monde / Michel Jeury

J’ai immédiatement répondu un oui de principe à la proposition de Biblioman(u) d’écrire ici, à l’occasion, quand le cœur m’en dirait. J’y avais pensé de mon côté. Puis, je crains de le dire, j’ai un peu dit non. Je lis beaucoup, ce qui ne signifie pas grand chose quant à la capacité de mes lectures. Particulièrement s’agissant de SF : je suis un dévoreur de mondes. Je crois sincèrement qu’alors je lis pour oublier. Un roman de SF est une branche d’où ululer dans mon coin à la lune. Je ne suis pas un lecteur éclairé de SF, je suis une sorte de taupe, j’y creuse mes obscurités. Entendons-nous : rien de plus facile que l’obscurité ; c’est la lumière qui est complexe. Je lis comme un ogre, un rien me guide vers mes cavernes aveugles – devine et songe. Ce qui à mes yeux me disqualifie complètement en tant qu’exégète. Je ne compte plus les chiteries que j’ai lues, soyons franc, aussi. Il me paraitrait fort peu élégant de commenter ces mésamours passagères ; on se trompe souvent quand on n’aime pas inconditionnellement. J’avais d’abord dit oui puis j’avais reculé. Ce n’est pas rare dans mon cas. Le ventre plus gros que les yeux. Je préférais me taire. J’avais connu certains petits mondo paradisio tout au long de l’été mais j’avais manqué de coup de foudre. On ne le dit pas assez : il arrive souvent que le plus gros travail soit celui du lecteur… Difficile toutefois de résister n’est-ce pas à un super héraut. D’autant qu’il est patient, attentif et toujours prêt à vous faire découvrir un nouveau livre, c’est-à-dire vous-même, cet autre ; sa sélection se fait de plus en plus serrée, il a ajusté ses antennes, il vous empathe pour finir tout entier ; à la fin de l’envoi il touche.

Animé d’une grande gaité de cœur, après que Livre-Homme-(Main), héraut aux supers pouvoirs, me l’a si justement et amicalement proposé à la lecture, je viens donc vous parler, à ma façon (désolé le cas échéant) de may le monde, de Michel Jeury, qui sort aujourd’hui, le zéro six zéro neuf deux zéro un zéro, en France, un peu partout. N’oubliez pas cette combinaison, elle pourrait bien vous ouvrir l’insoupçonné de votre propre monde.

M’est avis qu’existent autant de lectures d’un seul livre qu’il y aurait de mondes parallèles. Non. Qu’il y a de mondes parallèles. A la physique propre, la même une autre. Par exemple l'œuf monde Grandora où s’échangent des rires air-eau, tout gloutants. Où les apprentis-vivants nagent-volent à la rencontre du Mal, la foire aux proies. Les mondes 1 et 2 et celui de la lunatic fringe, marge et théâtre, hors du temps… Ces mondes ont l’air inventé, ce pourrait être ceux des rêves, dont on sait formellement qu’ils sont réels. Je vous les laisse découvrir par vous-même de la façon qu’il vous plaira. La particularité des parallèles est qu’elles ne se croisent pas. On passe de l’une à l’autre en sautant. Sautons à une autre lecture, voulez-vous ?

may le monde à n’en pas douter est un livre de SF. Il est une œuvre d’anticipation. Sa langue est déjà la nôtre, celle de nos enfants, de nos petits enfants, qui sait ? On pourrait la croire décalée, elle est logiquement (et joyeusement) futuriste. C’est dire si elle est attentive, ici et maintenant, à ce qui se dit dans le monde bonobo et alentour. Je ne vais pas vous la faire bonzarchic, voyez par vous-même.

may le monde à n’en pas douter est un livre de SF. Il est une œuvre d’imagination. De toute évidence ses personnages sont tous vrais, ils sont attachants, on les aime aussitôt. Pour autant ils changent d’identité tout le temps, font des sauts de côté, se forment puis se déforment dans un miroitement infini, de monde en monde. Changer/ ne pas est la grande affaire humaine, vous n’êtes pas d’accord ? Nous sommes ici en plein tourbillon. Qui est qui, on ne sait plus qui l’on suit. Filez les personnages, vous comprendrez.

may le monde à n’en pas douter est un livre de SF. Il est une œuvre d’idées. Sur le(s) monde(s), l’humanité, la vie et la mort, les êtres, tous les êtres, homme femme enfant, plantes et bêtes. Il est une œuvre de forêt, de foisonnement, d’ensemencement.

may le monde à n’en pas douter est une œuvre de Science-Fiction. Un auteur, Michel Jeury, y joue de tout son savoir, qui n’est pas mince, pour vous transporter de l’intérieur de votre quotidien vers la fiction. Rien ici n’est bizarre mais tout est étrange. Il tient du Docteur Goldberg autant que de Panthéra la panthère.

Autant de lectures que de mondes parallèles. Il y aurait tant et tant à dire. Lisez, à vous de jouer, à vous de sauter. Dans may le monde, bien sûr, il y a may. Comme joli mois de. Comme peut-être. Peut être, je devrais dire. Une fillette charmante, vivante à un point. C’est une autre lecture ici tout à coup, faite par un homme à une fillette malade, délicatement, chaleureusement, une lecture de chevet, un souffle dans la nuit, un espoir et une élévation, un calme et une rage, une réinvention… Et vice et versa.
On nous dit que Michel Jeury, auteur prolixe, fait retour à la Science-Fiction. Il me semble moi bien plutôt qu’il ouvre des perspectives le long desquelles j’espère me laisser changer à nouveau. Le plus tôt sera le mieux.

Merci aux éditions Robert Laffont et à Blog-O-Book pour cette lecture.

Torcol


may le monde, Michel Jeury, éditions Robert Laffont (Ailleurs et demain), 403 p.

02/09/2010

Une Brune aux yeux bleus / Charles Exbrayat

En ces temps de rentrée littéraire où, comme chacun sait maintenant, il faudra frayer son chemin à travers tables surchargées des libraires et les multitudes d'articles qui vont fleurir ici ou là. On aura l'impression que l'on parle toujours des mêmes livres jusqu'à l'indigestion. On aura notre petite polémique de l'année, les mêmes discussions sans fin à propos des livres qui seront noyés dans la masse, de ceux qui, si ça se trouve, ne seront même pas sortis des cartons dans l'optique des retours chez l'éditeur. En ces temps de remous répétitifs auxquels tous ceux qui attachent de l'importance à cette rentrée littéraire sont habitués, j'ai pour ma part décidé de parler d'un livre épuisé. Il se la raconte, là, le BiblioMan(u) hein ? Quel culot tout de même ! Il est là, bien au chaud derrière son petit écran à tapoter du clavier. Et vas-y que j'emprunte volontairement le Contre-Courant. Et vas-y que je surfe sur la vague snoboboïste !... pfff, franchement, c'est, c'est...

Frein aux ardeurs. Je n'exclus pas dans les jours ou les semaines à venir de parler des livres appartenant à cette rentrée littéraire. A vrai dire, certains me font déjà de l'œil, comme Corpus delicitis de Julie Zeh (qu'on m'a conseillé de lire à tout prix), L'Employé modèle de Paul Cleave ou même Les Artères souterraines de Warren Ellis. On verra. Rien n'est certain, hormis le fait que ce sont toujours les envies du moment, comme pour beaucoup, qui me guident.

Cette année, il aura fallu l'adaptation cinématographique de Ne vous fâchez pas Imogène pour que l'on reparle un peu de Charles Exbrayat, auteur ayant connu son heure de gloire pour ses romans policiers parus entre les années 50 et 80, ainsi que pour avoir dirigé la collection Le Club du Masque. Bien souvent quand on en l'évoque aujourd'hui, c'est par le biais de grands-parents ou de parents ayant conservé ses livres dans leur cave ou dans leur mémoire, livres qui, dans les deux cas, n'ont pas toujours pris la poussière. Cela peut paraître bizarre, mais je vous assure que lancer une discussion sur Chianti et Coca-Cola ou Les Blondes et papa peut engendrer des mines réjouies à leur seul souvenir de lecture.

Aujourd'hui, la plupart des livres d'Exbrayat sont épuisés. Si on veut en trouver il faut se tourner vers les bouquinistes, à moins de leur préférer les vides-greniers, où comme dans certaines attractions de fêtes foraines, à tous les coups on gagne. C'est à l'occasion de l'un d'eux que j'ai dégotté Une brune aux yeux bleus.

Dans les années 60, Deborah est une jeune bergère à qui père et frères ont appris à se défendre en toutes circonstances. La vie dans les Cévennes, entre Alès et Nîmes n'est pas faite pour lui déplaire mais certaines obligations l'obligent à se rendre à Annecy pour officier en tant que femme de chambre auprès des Nantilly, une famille appartenant à la haute-bourgeoisie savoyarde. Très vite mise au parfum par les autres domestiques, Deborah constate que derrière les artifices du prestige et de la bonne éducation se cachent en réalité les pires travers. Tous les membres de la famille convoitent en effet la fortune de l'Oncle Jérôme dont la mort tarde à venir... jusqu'à ce que quelqu'un se décide enfin à la provoquer.

A la lecture d'Une Brune aux yeux bleus, on ne peut que constater combien cette histoire a mal vieillie, combien l'écart entre cette société qui nous est dépeinte est la nôtre s'est irrémédiablement creusée, même si des constantes perdurent forcément. C'est en tout cas ce décalage qui surprend au début de la lecture. Le tout, en fin de compte, est de se laisser aller et de faire abstraction de ce dépaysement temporel. Si on y parvient on ne pourra qu'être enthousiasmé par le personnage de Déborah, la sublime Deborah, qui cogne à tout va en citant les Ecritures dès qu'on l'approche de trop près. On pourra aussi être sensible au comique des situations – bon, certaines scènes sont un peu trop grosses, je m'en voudrais de ne pas vous avoir avertis - et aux dialogues savoureux dans lesquels Exbrayat sait donner la part belle à chacun de ses personnages d'une manière si particulière, si vivante. Qu'importe alors si les noeuds de l'intrigue se dénouent trop facilement – les indices sautent aux pages comme des gyrophares dans la nuit –, on ressort de cette lecture avec un léger sourire aux lèvres, tout en comprenant pourquoi il est épuisé aujourd'hui.

Je ne saurais terminer ce billet sans vous inviter à traquer quelques titres d'Exbrayat dans les vide-greniers que vous rencontrerez sur votre route : Amour et sparadrap (l'art de la castagne entre irlandais et anglais), Tu n'aurais pas dû Marguerite, ainsi que ceux que j'ai cités plus haut, entre autres... La traque est lancée !

Pour finir, comme je n'aime pas partager mes lectures sans que les autres puissent en profiter sous prétexte qu'on ne peut plus les trouver, j'envoie Une Brune aux yeux bleus à la première personne qui me le demande. Et comme on me l'a bien fait remarquer, je ne suis certes pas un super-héros sachant voler dans les airs, mais je connais certaines formes de téléportation qui ne fonctionnent pas trop mal...

Une Brune aux yeux bleux, Charles Exbrayat, Club des Masques, 220 p.