29/12/2010

Un Aller simple / Carlos Salem

Faire un résumé de ce livre se révèle un exercice impossible. Il faut y plonger et se laisser porter par la loufoquerie et l'absurdité régnantes. Si l'on voulait pourtant se rompre à l'exercice, il faudrait parler en premier lieu de la mort de la femme d'Ottavio, un décès brutal qui provoque chez lui un immense sentiment de soulagement et de liberté. Il s'ensuit alors une fuite en avant, une sorte de road movie hilarant en compagnie d'un vendeur de glaces dans le désert, et surtout, surtout, en compagnie de Carlos Gardel (ressuscité) dont le but ultime est d'assassiner Julio Iglesias, coupable à ses yeux d'avoir lui-même assassiné ses tangos en les interprétant de façon excessivement mièvre.

Ce trio entraîne le lecteur de rebondissements en coups de théâtre, tâchant de faire de cet Aller simple qu'est la vie, une véritable destinée, car « être malheureux c'est aussi un choix mais un choix de merde ». Alors autant tout faire pour être heureux. Pour résumer le résumé, citons enfin un des dialogues du livre : C'est un historie de dingues et personne n'y croira, mais c'est génial!

Gilles Moraton

Un aller simple, Carlos Salem, traduit de l'espagnol (Argentine) par Danielle Schramm, Moisson rouge, 265 p.

21/12/2010

Les Fils de l'air / Johan Heliot

Et si...

Et si Louis XVI n'avait pas été arrêté à Varennes le 21 juin 1791 ? S'il était parvenu à s'enfuir, à quitter la France, quelle aurait alors été la marche de l'Histoire ? A cette question qui brûle toujours les lèvres des passionnés, Johan Heliot a pour sa part décidé de lui consacrer un roman, Les Fils de l'air. L'occasion pour lui de laisser libre court une nouvelle fois à une imagination loin de se démentir, elle-même associée à un plaisir évident de jouer avec les personnages, célèbres ou non, et de les mettre en branle avec ce matériau inépuisable qu'est l'Histoire. Et quand bien même le roman est clairement estampillé jeunesse, tout lecteur pourra y trouver son compte tant son intérêt se révèle à travers des approches variées et complémentaires, qu'il s'agisse de l'Histoire (évidemment...), de l'Aventure ou bien même de l'ébullition scientifique.

Après avoir fui le palais des Tuileries, la famille royale s'est retranchée au château de Versailles pour un court répit, car la révolution gronde toujours. En conséquence de quoi Louis XVI, Marie-Antoinette, leurs enfants et quelques uns de leurs proches, dont le marquis de La Fayette et le scientifique Jacques Charles sont contraints de s'enfuir. Loin d'eux l'envie de finir à la prison du Temple ou de perdre la tête sous la lame affûtée de la guillotine... Aussi, sous le coup d'une attaque les empêchant de prendre la route, les voici qui empruntent la voie des airs à bord d'un ballon mis au point par Jacques Charles. Cette envolée, marquant le départ d'une longue traversée ponctuée par bien des remous, les mènera jusqu'aux Etats-Unis où, à l'aide de Benjamin Franklin et de George Washington naîtra une compagnie de transport aérien à même de créer une révolution d'un tout autre acabit que celle ayant ébranlé la France.

Les Fils de l'air est une lecture dont on aurait tort de ne retenir que son aspect divertissant. Car même si les perspectives uchroniques qui sont dévoilées ici ne s'étendent pas sur une durée excessivement longue qui aurait permis de noter toutes les incidences d'une évasion réussie de Louis XVI, elles séduisent justement par les altérations subtiles qu'elles engendrent inévitablement. Ainsi, on apprend que la Terreur a bien eu lieu en France, que Napoléon Bonaparte est bel et bien devenu un empereur avide de conquête et de puissance. Donc si changement notable il doit y avoir, celui-ci sera progressif, et Johan Heliot nous permet ici d'en apprécier les germes, d'en deviner l'impact à travers la construction d'une flotte de l'air, sous-tendant elle-même une variation clé dans l'occupation des territoires et de leur gestion. Une sorte de nouvelle donne géopolitique où le lecteur voit l'Histoire se transformer petit à petit sous ses yeux, dans le sillage d'une invention colossale pour l'époque. Certains pourront regretter que l'approche uchronique ne soit pas plus prononcée. Pour ma part, la subtilité proposée ici m'a parue plus crédible, plus juste dans sa vision et son appréhension d'un avenir qui aurait pu être...

Enfin, même si la plupart du roman se fait par le prisme de Charlotte, la fille du roi en exil et de Marie-Antoinette, Les Fils de l'air propose un rééquilibrage de la vision habituellement véhiculée autour de Louis XVI, faisant de lui un roi désintéressé par le sort du peuple, en plus d'être un traître à sa patrie. La démarche est ici de le présenter comme un être curieux, soucieux des mutations de la société et réceptif à ses changements, sans avoir toutefois les épaules d'un bon roi. Les éclairages réalisés autour des autres figures emblématiques sur l'échiquier de l'Histoire m'ont aussi paru réussis, qui plus est lorsqu'ils sont ponctués par de menus détails leur conférant une authenticité étonnante.

Une fois de plus, Johan Heliot a fait mouche en ce qui me concerne, d'autant que cette période de l'Histoire n'est pas celle que j'affectionne en particulier. Lecture agréable, donc, et qui a par ailleurs piqué ma curiosité au point d'ouvrir mes dictionnaires et de consulter divers articles sur internet concernant certains épisodes marquants de la construction des Etats-Unis ainsi que sur Robert Surcouf, figure marquante de la marine apparaissant aussi dans cette histoire. Qu'une uchronie parvienne à ce résultat, non pas pour vérifier la véracité de ce qui est avancé, je vous assure, ça a de quoi vous donner des ailes. En tout cas, après une telle lecture, c'est sûr, on aimerait bien faire un petit tour en ballon. Même si ça ne doit pas durer longtemps, hein. Faudrait pas non plus penser que je vais soigner mon vertige d'un simple claquement de doigts. Non mais quand même !


Les Fils de l'air, Johan Heliot, Flammarion (Ukronie), 302 p.

CITRIQ

12/12/2010

Trouvaille dans les décombres d'une ville dévastée

Journal relatif au rapport 67#25Azref/TIGLy/ :

Trouvé cette image dans les décombres.




Conformément à la clause 623b de la Charte des Néoresc, j'ai suivi la procédure habituelle consistant à transmettre le document au Mis'roy Detenko, qui a seul pouvoir de décision quant aux reliques trouvées sur l'AT, l'ancien territoire. Mis'Roy Detenko m'a sommé de ne rien dire de ma trouvaille. Louche.

Plus le temps d'écrire. Approchent pour me capturer. envoie image passé à Tiger Lilly initiatrice challenge... fin monde. suivre

11/12/2010

La Princesse des glaces / Camilla Läckberg, lu par Christine Pâris

Eh oui, je viens à mon tour rajouter une pierre à l'édifice déjà bien élevé autour de ce livre qu'on ne présente plus tant les échos ont été nombreux à son sujet. Mais comme je n'aime pas parler d'un bouquin sans l'avoir déjà lu et comme je suis amené à le prêter quand je suis à la ville, qu'on me demande régulièrement ce que j'en pense, j'ai sauté le pas. Je ne me suis pas vraiment forcé non plus, faut pas croire, d'autant que j'avais la possibilité de le découvrir dans sa version audio.

Pour expliquer les raisons d'un tel succès autour de La Princesse des Glaces et des autres titres de Camilla Läckberg qui lui ont succédé, j'aurais pu emprunter le raccourci très utile et un peu facile, c'est vrai, consistant à dire que la vague suédoise insufflée par le succès de la série Millénium n'y était pas étrangère. D'autant que certains aspects du livre pourraient inciter à le prendre, ce raccourci. Je ne vais pas vous dire l'inverse non plus. La percée de Stieg Larsson - pour lequel mon engouement s'est limité au premier tome – y a certes contribué mais ce serait vraiment réducteur de lui attribuer tout le mérite. Après tout, si ça avait été aussi nul que ça, il n'aurait jamais été édité, ce livre.

-Hé...
La petite voix – tiens, elle est de retour celle-là, ça faisait longtemps. Ne m'en veuillez pas pour la rupture momentanée de cette chronique, un petit dialogue intérieur s'impose.

- C'est bon je peux y aller, là, tu ne vas plus m'interrompre ?
- Non, non c'est bon.
- Bien, je voulais donc dire, d'après toi, Manu, tu t'imagin...
- BiblioMan(u), s'il te plaît.
- Hein ?
- Manu, c'est quand on est en dehors du blog, là c'est BiblioMan(u)

-… … … Mouais, passons, je disais alors comme ça tu t'imagines que parce qu'un livre a du succès, il est forcément bon. Toi même n'as-tu pas laissé entendre, ici même, que grosses ventes n'était pas synonyme de qualité ? Hein ?
-Oui, oui, sans doute... tu dois avoir raison... Et je le maintiens, mais à l'inverse ça ne veut pas dire non plus qu'un succès n'est pas mérité. On est bien d'accord ?
-Mh...tu devrais revenir à la Princesse des glaces, t'es en train de bassiner les lecteurs.


Bon, j'en étais où ? Oui, La Princesse des glaces a donc été édité. Pour des raisons évidentes. Ce n'est certainement pas le chef-d'oeuvre qui va révolutionner le monde du polar, mais là où c'est assez étonnant c'est qu'avec des côtés vraiment (vraiment!) exaspérants, eh bien on termine le livre avec une envie de retrouver les personnages. En espérant, deuxième roman oblige, que les défauts du premier auront été gommés.

Allez, à force de parler des défauts, je vous les expose. A commencer par une mièvrevrie dégoulinante qui nous ferait presque penser qu'on est dans de la chic... je ne vais pas plus loin, de toute façon Manu va m'arrêter.

-BiblioMan(u)
-Hein ?
-Ici c'est BiblioMan(u), tu as dit, pas Manu.
-Ah, non là, je parle de Manu qui a elle même écouté La Princesse des glaces dernièrement, ça n'a rien à voir.


J'ai soufflé de consternation à plusieurs reprises en écoutant le livre. J'ai eu l'impression d'être dans un roman à l'eau de rose dans lequel on ne m'a rien épargné, de la préoccupation du tour de taille à la tempête de neige qui bat son plein au dehors tandis que les deux amoureux se découvrent... Camilla Läckberg ne fait pas dans l'originalité non plus dans ses descriptions mais ce qui m'a aussi agacé, ce sont les petites invraisemblances qui jalonnent le récit. Jugez plutôt : on a une héroïne dont les parents sont morts il y a peu de temps, elle doit faire face à l'animosité d'un beau-frère bien déterminé à vendre la maison familiale quand il ne tape pas sur sa femme, elle découvre le corps d'une de ses amies d'enfance qui a été assassinée, elle vient d'obtenir une révélation de taille qui pourrait faire avancer l'enquête de façon déterminante et quelle est la question qu'elle se pose le matin en se levant ? Des idées, des suggestions ? Elle se pèse dans la perspective du rendez-vous avec l'inspecteur, fiancé en devenir, et se demande quelle incidence aura le retrait de sa petite culotte sur le chiffre de la balance...

Pour ne rien arranger, je n'ai pas non plus été réceptif à la voix de Christine Pâris qui empruntait l'intonation d'un ogre dans une histoire pour gamin pour les personnages masculins et surrenchérissait sur l'aspect mièvre et gnagnan.

Et pourtant. Et pourtant, tout ceci n'est en réalité que peu de choses si l'on y regarde bien. Car il y a une véritable fraîcheur là-dessous, une véritable énergie aussi et, ne l'oublions pas, ce serait dommage, une enquête tout à fait prenante. Le sort des personnages ne m'a pas laissé indifférent, aussi bizarre que ça puisse paraître au regard de ce que j'ai mentionné un peu plus haut. A tel point même, que j'ai enchaîné avec le deuxième ouvrage de Camilla Läckberg, toujours en livre audio. Après dix pistes, force est de constater que la voix de Eric Herson-Macarel me convient mieux et que le côté chick... sentimentalo-romantique a été épuré. Et si j'en crois une libraire de très bon conseil, le troisième ouvrage, le Tailleur de pierre, enfoncera le clou. J'ai bien fait de ne pas remballer les écouteurs au premier "nous étions destinés l'un à l'autre."

La Princesse des glaces, Camilla Läckberg, traduit du suédois par Lena Grumbach et Marc de Gouvenain, Audiolib, 14 h 15 mn

06/12/2010

Winter time travel

Durant la période d'hiver, il est fort probable que vous voyiez fleurir cette image sur certains blogs:






Celle-ci sera accompagnée de chroniques autour de livres, Bd, films ayant l'uchronie pour thème. Pour plus d'informations, voire même pour vous inscrire, je vous invite à visiter le blog des Lhisbeï qui sont à l'origine de ce challenge bien sympathique auquel je vais pour ma part participer. Une première en ce qui me concerne mais l'uchronie est un genre qui m'intéresse par bien des aspects. Il est fort probable que je commence d'ailleurs avec un livre signé Johan Heliot, intitulé Les Fils de l'air. Rendez-vous donc aux alentours du 21 décembre...

30/11/2010

Un employé modèle / Paul Cleave

C'est l'overdose. L'Overdose, plutôt, avec une belle majuscule. Le thriller a ses modes, celle du tueur en série pour lequel on voudrait nous faire éprouver de l'empathie en est une. C'est parfois réussi, pas toujours, loin s'en faut. Thomas Harris a ouvert la voie avec Hannibal Lecter, et certains ont vite fait de s'engouffrer dans la brèche au vu de son succès. Vous me direz, d'autres ont fait pareil en éclaboussant leurs pages de templiers détenteurs de secrets (sa)christiques ou en faisant bourgeonner des magiciens à tout bout de champs. On ne va pas y revenir, c'est comme ça et ce n'est certainement pas un super-héros qui va y super-changer super-grand chose. Faudrait voir à pas trop s'y croire non plus.

Sauf qu'à un moment donné, à force, il faut que ça sorte. Ça fait du bien. Après je passerai à autre chose, parce que là, je le vois bien, c'est la troisième fois en peu de temps que je viens faire part de déceptions de lecture. Si ça continue, je vais finir par croire que je ne sais plus lire ou qu'à force de tout décortiquer, j'ai oublié le goût des couleuvres qu'un auteur aurait pu me faire avaler sans même que je m'en rende compte.

Le problème avec Un employé modèle ainsi qu'avec pas mal d'autres thrillers qui nous servent un tueur en série sur un plateau, c'est que les auteurs ont tendance à confondre inventivité et originalité – ce serait ballot de faire comme les autres, hein – avec surenchère. Surenchère de glauque, de violence, de gore, de complexité des personnages. Si vous voulez, c'est un peu comme s'il fallait jouer à celui qui dégoûtera le plus son lecteur, qui le mettra le plus mal à l'aise, quitte pour cela à employer les grands moyens. Comme par exemple d'écrire le récit d'un meurtrier à la première personne et de nous faire assister, à travers son prisme à lui, à un premier crime, puis à d'autres. Pas question pour moi d'être bégueule. Ça aurait pu fonctionner. Mais là trop, c'est trop, et pas forcément dans l'horreur non plus. Parce qu'au final la vraie surenchère de pas mal de ces bouquins, c'est celle du ridicule. Voyez plutôt : dans ce livre de Paul Cleave, le boucher de Christchurch fait gonfler à lui tout seul les statistiques de voitures volés, qu'il remplit de cadavres sans aucun, mais alors aucun souci. A ce rythme là, on a l'impression qu'il s'entraîne à un contre-la-montre pour la prochaine olympiade de tueurs en série ; rajoutez à ceci qu'en suivant les méandres de sa pensée on a l'impression d'avoir ouvert le Manuel de psychologie élémentaire des détraqués pour les nuls, qu'à un moment de l'histoire – ne m'en voulez pas trop si je vous dévoile certains éléments clés de cette intrigue trépidante – manque de pot, il sort un soir en ville et voilà-t-y pas que la fille qu'il avait prévu de tuer se révèle elle-même une tueuse dont la psychologie est – ô miracle – comparable à la sienne ; et je ne pourrai terminer sans parler de l'évitable mais apparemment incontournable triturage de chair fraîchement offerte, et vas-y que je m'en lèche les doigts au passage.

Et après on voudrait nous faire éprouver de l'empathie pour un tel personnage sous un prétexte quelconque que, je l'avoue, j'ai bien du mal à déterminer. Prendre connaissance de la folie d'un monstre qui n'en reste pas moins un homme ? Comprendre ses mécanismes dans une société débordée par ses excès ? Je n'ai rien vu de tout cela. Je n'ai en fait retenu qu'une espèce de banalisation gratuite de la violence, et du crime par extension. Preuve suprême que le ridicule tue... même sur le papier.

Un employé modèle, Paul Cleave, traduit de l'anglais (Nouvelle-Zélande), Sonatine, 421 p.

22/11/2010

La Musique du sang / Greg Bear

La hard science, en ce qui me concerne, c'est un peu comme le bricolage. Quand cela fait longtemps, très longtemps que je n'y ai pas goûté et que l'occasion m'est enfin donnée de m'investir à nouveau dedans, j'y vais le cœur léger, de l'enthousiasme plein les ballons. Cette fois-ci, me dis-je, je vais m'accrocher, faire face aux écueils qui, c'est inévitable, jailliront en travers de ma route. Je ne vais pas faillir. Pas comme les autres fois. Sous prétexte que non, décidément, les voies de l'un et de l'autre sont irrémédiablement impénétrables. En guise de preuve, je pourrais citer tous les ouvrages de hard science que j'ai laissé tomber en cours de route, ceux où je n'y ai compris goutte, ceux qui m'ont laissé de marbre ; je pourrais dresser l'inventaire de mes étagères de guingois, des trous dans les murs bien plus gros que n'importe quelle mèche de perceuse, des tringles qui sans signe avant-coureur succombent tous les trois mois environ aux lois de la gravité.

Avec La Musique de sang qui a paraît-il révélé Greg Bear, je pensais enfin avoir effectué une percée concluante dans le domaine de la hard science. Seulement, après avoir franchi un premier mur, voici que c'est un autre, insurmontable cette fois, qui m'a barré la route.

Explication.

J'avais ce préjugé de croire que les auteurs faisant de la science la matière première de leur récit ne parvenaient jamais à donner de l'envergure à leurs personnages. Ceux-ci n'étant en fin de compte que des faire-valoir, des pions, des balises, des prétextes dans le cadre d'une démonstration inscrite elle-même dans un roman. La question qui me turlupinait - et me turlupine encore - était de savoir comment pouvait-on finalement prétendre parler de l'Humain si les personnages étaient justement si dénués d'humanité, si on ne parvenait jamais à croire en eux, et si ne serait-ce qu'une étincelle d'empathie ne brillait que par son absence ?

Malgré un jargon scientifique assez pointu

"Tout d'abord, il faut trouver un segment d'ADN viral qui code pour les topoïsomérases et les gyrases. Tu l'attaches à ton ADN cible et tu l'aides à diminuer le nombre d'attaches... pour hyper-enrouler négativement la molécule cible. Dans mes premières expériences, je me suis servi d'éthidium, mais..."

que certains auront heureusement le plaisir d'apprécier, Greg Bear m'a convaincu que je me trompais... jusqu'à la moitié du roman où j'ai retrouvé les travers que j'impute à la hard science - et encore une fois, je ne demande pas mieux qu'on me démontre combien j'ai tout faux.

Vergil Ulam est un beau personnage, complexe et déroutant. Contraint de quitter en urgence le laboratoire pour lequel il travaillait, il s'injecte les cellules intelligentes dont il faisait la culture. Le résultat ne se fait pas attendre, le corps de Vergil connaît des transformations physiques mélioratives.

Cette partie du roman est la plus prenante. Parce que l'on avance en territoire inconnu sans jamais appréhender la capacité évolutive des cellules dans son ensemble, tout en devinant que leurs intentions ne sont pas mauvaises. Mais aussi parce que Vergil interpelle et subjugue dans son oscillation entre fascination, répulsion et acceptation autour d'un phénomène artificiel, marquant la fin d'une ère et le début d'un nouveau jalon dans la marche de l'évolution.

La seconde partie du roman, même si Greg Bear fait toujours preuve d'une bien belle imagination, marque tout de même le pas et se révèle nettement moins intéressante. La faute à des personnages carton-pâte dont on se fout complètement et qui arrivent à point nommé pour soulever la grande question du Choix, ou pour démontrer que les hommes ont toujours redouté toute forme de changement.

Pour finir, le côté nous ne faisons qu'Un, l'information à tous pour tous et par tous dans une communion salutaire, je l'avoue, très peu pour moi. Je préfère de loin me taper sur le doigt avec un marteau et en assumer la douleur tout seul sans en faire profiter les autres.

La Musique du sang, Greg Bear, traduit de l'américain par Monique Labailly, Gallimard (Folio SF), 345 p.
CITRIQ

12/11/2010

Le Poulpe. 2030 : l'Odyssée de la poisse / Antoine Chainas

Après le désastre nommé MACNO, je pensais que les éditions Baleine avaient définitivement tiré un trait sur leurs prétentions à éditer de la science-fiction. Jusqu'à ce jour du mois de septembre où le 269ème Poulpe, signé Antoine Chainas, est paru.

Poulpe ? Chainas ? Hum... tout ceci sonne plutôt polar à première vue mais vous l'aurez maintenant deviné, 2030 : l'Odyssée de la poisse est un livre qui mêle les deux genres.

Gabriel Lecouvreur a soixante-dix piges. Ça fait belle lurette qu'il ne s'immisce plus dans les faits divers qui gangrènent notre monde. Son corps le lâche petit à petit, la vieillesse le poursuit de ses tourments. A la rigueur, le seul plaisir qu'il s'octroie encore, c'est de se rendre au Pied de Porc à la Sainte Scolasse même si le lieu n'est plus aussi authentique qu'auparavant. Maria est décédée, Vlad a été expulsé, Gérard n'a pas perdu de son bas-goût mais il roule en fauteuil et de Léon le chien, il ne reste que son hologramme. La clientèle se tâte le nombril, s'écoute parler, ne manque pas de lâcher son fiel – il y a malheureusement des choses qui ont la peau dure - sur certains parasites qui leur polluent l'existence : les Omnimorphes, ces clones dénués d'émotions et de sentiments. Les humains ont la possibilité de s'incarner en eux s'ils ont un jour la chance de gagner à la Loterie Nationale Obligatoire dont le prix des billets est directement prélevé sur les fiches de paie. Dans la plupart des cas, leur utilisation revêt un caractère pornographique.

Depuis quelque temps, les Omnimorphes sont apparemment la cible d'un déséquilibré qui s'amuse à les rayer de la surface de la Terre. Beaucoup se désintéressent de leur sort quand ils ne s'en réjouissent pas. C'est vrai, après tout ils sont trop nombreux, ils piquent le boulot des autres, des vrais humains... vous aurez compris le discours pour l'avoir déjà subi un jour ou l'autre, si ce n'est régulièrement.

Il n'en faut pas plus que la photo de la dernière Omnimorphe exécutée pour que Gabriel reparte sur les sentiers de l'investigation. Cette femme, il l'a vue quelques instant plus tôt à travers le corps d'emprunt qu'il utilisait lors de sa séance de Porn-incarnation avec Cheryl. Sa dulcinée aux cheveux devenus blancs avait finalement réussi à le convaincre de renouer avec les plaisirs de la chair quand bien même ceux-ci devaient passer par l'intermédiaire de clones. On ne gagne pas tous les jours à la loterie...

... comme on n'a pas toujours la chance de lire un bon Poulpe. Comment dire ? Les éléments relevant de la science-fiction n'ont rien de novateur, sentent même un peu le réchauffé. J'ai plutôt eu l'impression qu'Antoine Chainas - une fois n'est pas coutume en ce qui concerne les auteurs qui se sont frottés au Poulpe – faisait dans l'exercice de style, qu'il s'amusait. Alors je n'ai à priori rien contre ça mais j'aurais au moins souhaité que l'histoire repose sur quelque chose de solide, qu'elle ne soit pas aussi translucide que du papier à cigarettes mouillé. Dans cette aventure du Poulpe, tout arrive sans qu'on sache trop pourquoi, les raccourcis sont faciles, abrupts.

Chose étrange, c'est le deuxième livre de commande d'Antoine Chainas que je lis, après Six pieds sous les vivants – vraiment bien, celui-ci – et j'ai à nouveau trouvé un personnage de libraire qui n'en était pas réellement un. Bizarre, non ? Ne comptez pas sur moi pour dire qu'Antoine Chainas manque d'imagination, je n'y crois pas une seconde au regard de ses autres livres mais le parallèle m'a paru si flagrant que je ne manque pas de m'interroger. Les vrais libraires sont-ils une espèce en voie de disparition ? Allez savoir...

Avec une bonne idée de départ, 2030 l'Odyssée de la Poisse n'est finalement rien d'autre qu'une soupe de clins d'œil. Certains d'entre eux m'ont fait rire, d'autres me sont certainement passés au dessus de la tête. Tous en revanche ont fait en sorte d'enlever la saveur qu'on aurait été en droit d'attendre de cette aventure du célèbre octopode.

La science-fiction chez Baleine, c'est décidément pas encore ça...

11/11/2010

Rouge abattoir / Gilda Piersanti, texte lu par Hélène Lausseur

A l'instar de la plupart des films, les livres sonores s'ouvrent eux aussi sur une musique de générique. Titre, auteur, nom du lecteur, avec l'aimable autorisation de tel ou tel éditeur... En règle générale, cette musique est plutôt douce, puisant sa source dans un registre plus ou moins classique voire même new-age tendance feng_shui. Quel que soit le type de livre, le genre auquel il appartient, c'est à peu près toujours la même... musique. Aussi ai-je été très assez surpris, à peine le bouton play enclenché, d'entendre guitare et batterie emplir mes oreilles sur un rythme pop-rock assez plaisant. Pour avoir déjà entendu parler des goûts musicaux plutôt punchy de Gilda Piersanti et dont les références ne manquent pas de jalonner ses livres -Muse, Radiohead... -, je me suis dit qu'il y avait peut-être de sa griffe là-dessous. A moins que ce ne soit le simple choix des éditions Sixtrid dont c'était le premier disque que j'écoutais.

Enfin, bref, j'étais parti dans ce questionnement solitaire au point de ne pas faire très attention aux premières paroles du roman. Ça commençait bien niveau concentration. Bon, je me suis rattrapé par la suite. Madame Piersanti a en effet les mots, le style et une réelle qualité de conteuse pour à la fois capter votre attention et rendre ses personnages vivants et attachants, qu'ils soient secondaires ou non. Du coup, un petit retour en arrière et c'était parti pour le premier tome des Saisons meurtrières, Rouge abattoir, dont l'action se situe entre le Noël et jour de l'an. En hiver, donc.

« Mercredi 26 décembre, 5 heures du matin.Un morceau de la troisième victime fut retrouvé le lendemain de noël devant le kiosque à journaux. »

Le morceau en question est une main. Le corps sera découvert un peu plus tard dans la matinée. Dans un sale état, découpé en plusieurs morceaux à l'aide d'un couteau électrique.

Hep, hep, hep... bon à ceux qui tournent de l'œil, je ne peux plus rien dire, peut-être liront-ils ces lignes un peu plus tard, une fois remis de leur trop forte émotivité. Pour les autres, ceux qui seraient tentés de passer leur chemin sous prétexte qu'un auteur, dans le seul but de ravir un public avide de sensations fortes, aurait une nouvelle fois surfé sur la vague du gore à tout va, restez. Restez parce qu'il serait dommage de se fier à une première impression. Surtout si elle est fausse. Car Rouge abattoir ne s'inscrit pas, mais alors pas du tout, dans ce créneau.

Qui dit troisième meurtre, exécuté selon un même modus operandi, dans un même quartier de la capitale, le Testaccio, suppose naturellement un tueur en série. C'est en tout cas ce que tout le monde pense, hormis le commissaire D'Innocenzo qui ne veut pas envisager un tel cas de figure. Lui reste persuadé que les meurtres des trois jeunes filles sont à mettre sur le compte d'une logique meurtrière dont il lui reste à démêler l'écheveau et à trouver le mobile. Il est aidé en cela par une inspectrice, Mariela De Luca, qui a spécialement demandé à rejoindre son service. Pas facile de tout mener de front entre l'enquête, problèmes personnels et gestion de la brigade avec l'arrivée de cette inspectrice opiniâtre, volontaire, mystérieuse et surprenante par bien des aspects.

C'est d'ailleurs cette Mariella De Luca qui tient le devant de la scène dans Rouge abattoir, et que l'on retrouvera dans les autres tomes dans les trois autres romans des Saisons meurtrières, ainsi que dans les tomes suivants, à savoir Vengeances Romaines et Roma Enigma. Ce n'est certes pas une nouveauté qu'un auteur se prenne d'affection pour ses personnages et en fasse en sorte qu'ils deviennent récurrents. Certains nous touchent plus que d'autres, nous semblent plus proches, font résonner en nous la corde vibrante du lecteur. Mariella De Luca est de ceux-là. Parce qu'elle ne ressemble à aucune autre, qu'elle est forte et sensible à la fois, bien ancrée dans son époque. L'Italie dans laquelle Gilda Piersanti la fait évoluer ainsi, il est vrai, que la voix de Hélène Lausseur, participent bien sûr de ce plaisir que l'on a à la suivre. Si l'enquête est en elle-même assez classique – aficionados des rebondissements à chaque fin de phrase ou de chapitre, passez votre chemin – elle n'en reste pas moins prenante, ne serait-ce que pour comprendre si c'est dans la folie, le hasard, la passion ou l'Histoire que l'on trouvera la source des meurtres hivernaux de Rouge abattoir.

Pour info, les Saisons meurtrières devraient bientôt voir le jour sur les écrans de télévision. Xavier Duringer est à la réalisation, Gilda Piersanti au scénario. Même si l'action se passera en France, au moins l'esprit des livres devrait-il être respecté. En tout cas, j'en suis ! - comme spectateur, cela va de soi...

Vert Palatino est également paru il y a peu en livre sonore dans la même maison d'édition. Il passera sous peu dans les écouteurs, sous la cagoule.

Les Saisons meurtrières:

Rouge abattoir – Hiver
Vert Palatino – Printemps
Bleu catacombes – Eté ; cet ouvrage a reçu le prix du polar SNCF et celui du Festival de polar Méditerranéen de Villeneuve lèz-Avignon (parenthèse : si vous avez l'occasion de vous y rendre, n'hésitez pas un seul instant!)
Jaune Caravage – Automne

Hors saison:

Vengeances romaines
Roma enigma

Rouge abattoir, Gilda Piersanti, livre lu par Hélène Lausseur, éditions Sixtrid, 1 CD Mp3, 6 h10

02/11/2010

Requiem pour un poisson / Christine Adamo

Alors là, mes amis, pas question d'y aller par quatre chemins : Requiem pour un poisson est un roman passionnant. Voilà, c'est dit. Je pourrais me contenter de cette affirmation, avoir foi en ma force de persuasion, en la confiance que vous me témoignez, et en ces petits octets subliminaux que je glisse en filigrane dans mes chroniques pour appuyer mes dires, faire en sorte que vous succombiez vous aussi aux charmes des livres m'ayant amené bien au-delà du simple plaisir de lecture. Comme cela a par exemple été le cas pour le titre présenté aujourd'hui.

En 1938, au large de l'Afrique du Sud, un navire de pêche ramène à son bord un poisson pour le moins atypique : ses écailles semblent être d'un autre temps, sa mâchoire est gigantesque et ses nageoires ressemblent à des pattes. Très vite, Hélène Arundel qui travaille au museum d'histoire naturelle d'East London sait qu'elle tient là un Cœlacanthe, une espèce que tout le monde croyait disparue depuis plusieurs siècles. La question qui se pose alors est de savoir si d'autres spécimens sont toujours en circulation. Une étude plus approfondie permettrait peut-être en effet de combler les trous qui égrènent la cartographie du cycle de l'évolution.

En 1997, Marie apprend la mort d'un père qu'elle croyait déjà disparu de ce monde au lendemain de sa naissance. Ce père, biologiste de métier n'avait pas voulu s'embarrasser d'une famille. C'est cependant bien à Marie qu'il lègue l'intégralité de ses recherches, toutes portant sur l'étude du Cœlacanthe. Marie se prend au jeu, lit les carnets de son géniteur, s'intéresse de près à ses travaux et réalise que quelqu'un, quelque part, est déterminé à éliminer toute personne s'intéressant de trop près à cet animal hors du commun. Des meurtres qui font écho à ceux perpétrés près de quarante ans plus tôt.

Comment faire reposer l'intégralité d'un roman policier sur la découverte d'un poisson, fût-il rare ? La question effleure l'esprit bien sûr, mais juste le temps d'un revers de neurones. Le livre est là, les pages remplies de mots ne demandant d'ailleurs rien de mieux que de délivrer leur essence. Et quelle essence !

J'ai dit que Requiem pour un poisson était un livre passionnant. Cela se confirme, se vit même, dans la reconstitution que réalise Christine Adamo de la fin des années 30 et au-delà, que ce soit à travers l'évocation de l'Afrique du sud avec l'émergence de l'apartheid, du milieu scientifique gangrené par des questions d'ordre politiques, financières et humaines, de la passion scientifique elle-même, des pratiques et des enjeux de la pêche, ou bien même dans l'évocation du rôle et de la place de la femme au cours des sept dernières décennies.

Que ce soit par petites touches ou par le biais de descriptions ou de données plus générales, plus étoffées, sur la Recherche notamment, l'ensemble est impressionnant. Et ce, jusque dans la construction même du bouquin qui suscite quant à elle rien de moins que de l''admiration. Oui msieurs dames ! Vous avez bien lu. Parce que des histoires échafaudées de la sorte, agencées comme ici, ça vous arrache un lot d'onomatopées laudatives valant bien des discours. Difficile de ne pas penser au boulot colossal que ça a dû représenter, si colossal qu'on s'en voudrait presque de lire le bouquin en deux temps trois mouvements. En attendant le résultat est là, incontestable, servi par le style raffiné de Christine Adamo.

Cette construction, donc, pour en revenir à elle, s'articule autour d'une alternance temps anciens / temps moderne où pour chacun d'entre eux, le focus est mis tour à tour sur une quantité non négligeable de personnages - poisson compris - certains ne devant même apparaître qu'une seule fois. Et aussi bizarre que cela puisse paraître, malgré ce foisonnement de points de vue, ce va et vient permanent dans le temps, le lecteur n'est jamais perdu. Il laisse venir à lui le souffle de la découverte, se dit que sur l'échelle de la vie il n'est tout compte fait que peu de chose. Il progresse en eaux profondes sans coup férir, quand bien même il est pris dans les filets d'une histoire dont il ne voudrait presque pas se dépêtrer. Je dis presque parce que Requiem pour un poisson fait partie des livres dans lequel on se fond avec plaisir. Pour sa richesse, pour son érudition qui a le mérite de n'exclure personne, mais aussi pour la curiosité qu'ils suscite alors même qu'on veut connaître le fin mot de l'histoire avec avidité. Si tout ça, ce n'est pas la marque d'un très bon roman, alors je ne sais pas ce que c'est.

Ah, pour info, je n'ai pas mis les petits octets subliminaux dont je parlais en début de chronique. Je me suis dit que ce n'était pas forcément nécessaire, non ?

Et puis j'ai la flemme.

26/10/2010

Docteur à tuer / Josh Bazell

La mode est aux bandes-annonces de livres.




Sympathique.

"En me rendant au boulot, je m'arrête pour regarder un pigeon se battre contre un rat dans la neige, et c'est là qu'un connard essaie de me braquer. Bien évidemment, ce crétin a un flingue qu'il me colle derrière le crâne. C'est froid mais pas désagréable, comme un massage shiatsu."

Ainsi débute Docteur à tuer, roman surprenant et bizarre, mais pas dans le bon sens des termes. Peter Brown est un ancien tueur à gages ayant loué ses services à la mafia et plus particulièrement aux Locano, la famille qui l'avait pris sous son aile dès son adolescence. Après avoir voulu quitter le milieu, après avoir bénéficié d'une nouvelle identité grâce au programme fédéral de protection des témoins, et après avoir repris ses études, Brown est devenu médecin dans un hôpital minable. Il coule des jours paisibles. Hormis bien sûr quand un petit malin s'amuse à le masser avec son flingue dès le matin. Mais ceci n'est après tout que de la roupie de sansonnet en comparaison de ce qui l'attend un jour à son travail : une vieille connaissance atteinte d'un cancer à qui on donne peu de chances d'en réchapper mais cependant assez valide pour contacter et informer qui de droit qu'il a remis la main sur Peter Brown, plus connu dans le milieu sous le nom de Griffe d'Ours.

Si l'on prend en compte cette présentation du livre, sa couverture, la bande-annonce et ne serait-ce que le premier paragraphe cité plus haut, on est en droit de se dire que Docteur à tuer relève de la comédie policière. Passé les premières pages, cela se confirme. On serait même dans une comédie policière relevant des codes de l'absurde. C'est original, un peu déstabilisant, mais pourquoi pas. Certaines situations sont franchement drôles, tout comme les notes de bas de page du narrateur, qui n'hésite pas au passage à égratigner allègrement le milieu hospitalier. Josh Bazell, lui-même docteur, s'en donne à cœur joie.

Seulement ça se complique très vite - et j'en reviens par là au "surprenant" et "étrange" du début de chronique - avec la construction et le découpage de l'intrigue. Bazell alterne en effet les épisodes à l'hôpital, le présent de Brown, avec la narration des faits qui l'ont amené à changer d'identité. Et là, on est tout à fait dans un autre livre. Le registre n'est plus le même, le ton est plus grave et l'humour réduit à l'état de peau de chagrin. Cette partie est intéressante en soi mais elle est en tel décalage avec le reste qu'au final, on se retrouve avec un polar hybride, pas franchement déplaisant mais pas franchement concluant non plus. Il faut dire qu'après Vendetta de Roger Jon Ellory, les atermoiements de ce Griffe d'Ours paraissent légers et bien fades. Je peux très bien me tromper mais je doute que son empreinte laisse des traces dans la durée... et ce, quelles que soient les bandes-annonces qu'on pourra toujours nous pondre pour allécher le lecteur.

Docteur à tuer / Josh Bazell, traduit de l'américain par Denise Beaulieu, JC Lattès, 305 p.

22/10/2010

Mille sabords !



La Planète SF est toujours en pleine expansion et après le millième article posté il y a quelques jours à peine, tout porte à croire qu'elle n' est pas prête de s'arrêter de tourner en si bon chemin. Les moussaillons de l'imaginaire s'en donnent à coeur joie d'explorer encore et encore les territoires de la Science-fiction, de la Fantasy, du Steampunk, des univers parallèles, du Cyberpunk et que sais-je encore...

Pour les rejoindre, participer au forum, il suffit de cliquer ici. L'équipage de ce navire flottant sera toujours prêt à vous accueillir. N'ayez crainte. A aucun moment vous ne serez ligoté au bout d'une planche, prêt à tomber dans un espace abyssal et insondable fourmillant de créatures... inquiétantes.

20/10/2010

La Première pierre / Ursula Le Guin

Il y a des auteurs que l'on connaît juste de nom, dont on serait même capable de citer les titres sans pour autant les avoir lus. Sans pour autant les lire un jour. C'est un peu comme s'ils faisaient partie des meubles. On sait qu'ils sont là et puis on ne leur prête aucune attention. A tort.

Fort heureusement, on croise parfois des personnes qui favorisent les découvertes. Grâce à Lhisbei (un grand merci à elle), j'ai en effet comblé un manque. J'ai enfin lu Ursula Le Guin ! Avec une nouvelle très courte certes, mais une bien belle, tout en finesse, où il est question de pierres comme le titre l'indique, de mosaïques de pierres qui délivrent des messages, d'individus qui doivent faire face à l'obscurantisme pour exprimer leur soif de liberté.

L'ouvrage est complété par une postface de l'auteur qui situe dans quel contexte elle a été écrite.

Ce fut là la découverte d'un auteur sur lequel je reviendrai certainement (j'ai depuis fait l'acquisition de Dons aux éditions de l'Atalante) mais aussi celle d'un petit éditeur, Le Souffle du Rêve. A suivre, en tout cas.

La Première pierre, Ursula Le Guin, nouvelle traduite de l'américain par Anne-Judith Descombey, éditions Souffle de rêve (Exoterre), 27 p.

19/10/2010

Juste avant le crépuscule / Stephen King, nouvelles lues par Michel Raimbault

Il est enfin fini le temps où l'on ne trouvait que des classiques et des romans du terroir en livre audio. Fini aussi celui des boîtiers de huit, neuf, dix CD pour un bouquin avoisinant les 350/400 pages dans sa version papier. La dématérialisation des supports est passée par là, le MP3 aussi. Aujourd'hui, l'offre s'est considérablement étoffée, s'est ouverte à tous les genres, et rencontre même un certain succès. J'ai d'ailleurs été surpris de voir l'espace et le nombre de titres qui lui était dédiée dans des librairies. En me procurant Juste avant le crépuscule, le dernier recueil de nouvelles de Stephen King, j'ai même été étonné que le lecteur, Michel Raimbault, ait rempilé après avoir déjà assuré le boulot pour Duma Key, livre audio paru dans la même collection. Le succès serait tel que, comme au cinéma ou à la télévision, les auteurs se voient attribués une voix ? Je me suis renseigné, j'ai fureté de droite à gauche. Le cas est encore isolé, hormis pour certaines maisons d'édition audio qui procèdent de la sorte, plus par nécessité en raison de la taille de leur structure et sans doute aussi de leur portefeuille, qui ne leur permet pas forcément d' acheter des voix.

Quoi qu'il en soit, il m'a fallu un certain temps pour me défaire d'une sorte de gêne en entamant Juste avant le crépuscule et ce, pour deux raisons. La première étant que j'ai immédiatement rattaché la voix à celle du narrateur de Duma Key. Le livre était assez long, j'avais eu le temps de m'y habituer. Ensuite, s'agissant de nouvelles, il m'a semblé que la tonalité grave et rocailleuse de Michel Raimbault ne correspondait pas toujours à l'âge ou au sexe des personnages, surtout lorsque les textes étaient à la première personne. Puis j'ai passé outre et me suis laissé emporter par les histoires... quand je n'ai pas littéralement décroché.

Le credo de Stephen King en matière de création, c'est de dire que "la vérité est dans les détails". On ne peut effectivement pas lui enlever de s'appuyer sur les petits riens du quotidien ou même d'évoquer un objet de façon si particulière pour aussitôt susciter une ambiance, voire même donner une authenticité à son récit. C'est dans l'équilibre des détails que ses histoires me semblent plus ou moins réussies.

Dans Juste avant le crépuscule, certaines nouvelles sont longues, trop longues et ne m'ont présenté du coup que peu d'intérêt. Dans le cas de celles-ci, ça n'a pas fait un pli, à chaque fois, j'ai perdu le fil de ma concentration, je n'écoutais plus.

En revanche, ce sont les nouvelles les plus courtes que j'ai trouvées particulièrement percutantes, à l'image de Fête de diplôme, récit de fin du monde, ou bien encore Le Rêve d'Harvey que je vous invite chaudement à découvrir. Il y a trois autres très bons textes dans le lot et où ne s'applique pas systématiquement le sceau de l'angoisse ou de la terreur. Petites mentions personnelles spéciales à Laissés pour compte, sa manière à lui d'évoquer le 11 septembre, Muet, où un représentant profite d'avoir pris un auto-stoppeur sourd et muet pour lui raconter les frasques de sa femme, et enfin, Ayana, histoire dans laquelle le narrateur est confronté à des miracles. Je n'en dis pas trop volontairement afin de ne pas gâcher votre plaisir à la lecture, si vous décidez de vous y plonger.

Sur douze nouvelles, seulement cinq sortent vraiment du lot. C'est, je crois, le problème avec ce genre de recueils, où l'on croise du bon et du moins bon.

Juste avant le crépuscule, Stephen King, traduit de l'américain par William Olivier Desmond, lu par Michel Raimbault, audiolib, 2 CD MP3, 18 h 35 mn

12/10/2010

Tokyo ville occupée / David Peace

26 janvier 1948. Tokyo vit sous l'occupation américaine. Dans un établissement bancaire de la ville, un homme fait son entrée, un brassard du ministère de la santé au bras. Prétextant une possible épidémie de dysenterie, l'homme enjoint aux membres du personnel d'ingérer le contenu de flacons qu'il a en sa possession. Les seize employés présents le croient et s'exécutent. Douze d'entre eux décèdent. Les quatre autres seront évacués et hospitalisés.

Pour le deuxième ouvrage de sa trilogie consacrée à Tokyo, David Peace a une nouvelle fois tissé la toile de son récit autour d'un fait divers ancré dans l'histoire du Japon. Il aurait très bien pu le faire de manière tout à fait linéaire, rapporter les faits les uns après les autres en les nourrissant de son souffle romanesque. Tokyo ville occupée n'aurait pas été la première ni sûrement la dernière transposition d'une affaire criminelle à être traitée de la sorte. La recette a déjà fait ses preuves. Les exemples ne manquent pas.

Mais David Peace a tenu quant à lui à rendre état de la complexité de ce massacre jusque dans la forme du roman, jusque dans le style. Tokyo ville occupée s'articule en effet autour de douze voix : celle des victimes, des policiers, d'une rescapée, d'un journaliste, d'un scientifique américain... toutes étant liées de près ou de loin à l'affaire. Et quand je parle de voix, c'est pour aller au plus simple car il s'agit en fait de pensées, d'articles, de carnets ou de lettres. Et c'est là tout le noeud du problème en ce qui me concerne. Non pas que je ne reconnaisse pas la prouesse stylistique de David Peace - c'est diablement écrit - ni l'envergure qu'elle apporte à Tokyo ville occupée. Seulement la dimension réelle du bouquin n'est à mon avis pas accessible si on ne se laisse pas prendre par le ryhtme, par la virevolte des mots ou des groupes de phrase parfois répétés, scandés, rabâchés et qui sont déversés sur les pages, dans la tête.

Je ne me suis pas laissé prendre par la mélopée.

Au regard de toutes les éloges que j'ai lues sur ce livre, de toutes les pistes de lecture qu'il induit, j'ai plutôt l'impression d'avoir été abandonné sur le bord d'une route... pas très fréquentée. De n'avoir jamais non plus été en mesure de déceler toutes les subtilités qu'il porte en lui. Je suis allé au bout parce que je sais que certains bouquins révèlent leur essence quelque temps après les avoir refermés. Cela n'a pas été le cas. Il a bien fallu me résoudre.

Tokyo ville occupée est un roman exigeant, qui demande des efforts. Ceux-là même que je n'ai pas été capable de fournir. David Peace a placé la barre très haut. Trop haut pour moi en tout cas qui, je le rappelle, suis un super-héros qui ne sait pas voler. Sinon...

Tokyo ville occupée, David Peace, traduit de l'anglais par Jean-Paul Gratias, Rivages (Rivages/Thriller), 352 p.


07/10/2010

L'Amour est une île / Claudie Gallay + interview de l'auteure.

Claudie Gallay signe une nouvelle fois un roman de grande qualité. Je me doute pourtant qu’elle était attendu après le succès des Déferlantes, d’ailleurs, moi, je l’attendais le roman suivant.

Et je ne suis pas déçue.

Contrairement à Carlos Ruiz Zafon qui après l’énorme buzz créé par l’Ombre du vent, nous avait resservi de l’Ombre du vent dans le Jeu de l’ange, Claudie Gallay, elle, a su s’extraire totalement de ses déferlantes, voire même de l’intégralité de son œuvre, pour nous convaincre encore du fait qu’elle est une grande, une très grande écrivain.

Avignon, l’été de la grève des intermittents du spectacle. Avignon caniculaire, Avignon qui saigne. Notez tout de suite qu’il s’agit là, de la première fois, que l’auteur intègre aussi concrètement son texte dans une époque.

Odon Schnadel possède un théâtre, le Chien fou, dans lequel cette année, il présente la Nuit rouge, pièce écrite par Paul Selliès, jeune auteur mort sans avoir été reconnu par le public. Sans même savoir que son texte serait publié. Marie, Marie l’écorchée vive, l’enfant de la trainée, la fille de Marie-Madeleine, la sœur de Paul Selliès, vient à la rencontre d’Odon, pour essayer de comprendre son frère, mort.

Et puis il y a Mathilde, dite, la jogar. La comédienne avignonaise reconnue internationalement qui revient au pays, après des années d’absence, alors qu’elle est au sommet de sa beauté, de son succès et de sa carrière. Mathilde l’ancienne maîtresse d’Odon. Mathilde est revenue....

Autour du texte de Paul Selliès va s’ouvrir une pièce, un lien, une intrigue entre Odon, Marie et Mathilde, dont l’issue retentit encore sous mes cellules mais dont je ne peux absolument rien vous dévoiler.


Une fois de plus, Claudie Gallay a réussi à m’extraire totalement de la surface de la terre pour quelques heures... et je n’aurai pas les mots pour la reconnaissance, m’entendez vous.

Bien au delà d’un simple roman, elle déroule sous nos yeux et entre nos mains, une tragédie contemporaine au cœur de son texte. Tout y est.

Le Choeur, porté par les intermittents en grève, qui hurle à la trahison, les héroïnes, la jalousie, les rapports frère/sœurs (récurrents dans toute l’ œuvre de l’auteur), la religion, le sacrifice, la vengeance, l’amour, la filiation, l’amitié, le théâtre.

Le tout dans une ambiance caniculaire, dans cette ville dont je reconnais au fil des pages les moindres recoins, qui n’est autre d’ailleurs que la ville de l’auteur elle-même. Avec jusqu’au bord des narines, les odeurs de cuisine, les lumières, le fleuve, la péniche.

Et puis, et puis il y a aussi, les personnages secondaires, capitaux. Ceux là même qui avaient contribué à la force ravageuse des Déferlantes, qui avaient aidé l’auteur a tout balayer sous le passage de sa plume.

Il y a Odile, la sœur de Jeff, enfermée avec ses 4 fils solaires et nus, il y a Jeff, l’homme à tout faire, du théâtre et de la péniche d’Odon, Julie la fille de Nathalie et d’Odon, les acteurs de la troupe d’Odon, et Isabelle. Isabelle reine magnifique à la peau usée par les ans, pilier du festival, amoureuse transie de la vie et de la jeunesse, des arts, ayant côtoyé chez elle les plus grands de Gérard Philippe à Calder en passant par Willy Ronis. Isabelle la reine, dont l’appartement servira de refuge à Marie loin de chez elle.

Et on retrouve toute la force physique de l’écriture de Claudie Gallay. Le rythme du roman est guidé par la mise en page. Une page et demie grand format de chez actes sud, jusqu’à trois maximum, et on reprend son souffle, on plisse les yeux, et on repart. Sous le soleil de plomb au cœur de cette tragédie aux symptômes modernes de l’auto mutilation par exemple ou de l’anorexie.

Et on tremble avec Marie qui porte sa fragilité avec une grâce vulgaire, on tombe amoureuse de la force et de la générosité d’Odon, on irait bien manger avec Odile et se faire raconter des histoires du temps d’avant chez Isabelle. Et on observe de loin, la beauté arrogante de Mathilde, on lorgne du côté de son succès et on ressent pour quelques secondes, ce pouvoir immense donné par un public, celui de la reconnaissance.

Et on comprend avec une force qui a à voir avec nos intimités que chaque chose porte en elle son contraire, que de l’amour naît la mort, et que nous n’y pourrons jamais rien. Que rêver et faire naitre la poésie reste une arme, puissante et si belle contre les fragilités de nos vies qui ne tiennent qu’à un souffle.

Gallay râpe nos peaux avec des phrases sans verbes. Courtes pour la plupart. Elle fait siffler à nos oreilles des phrases qui tombent comme des couperets. Elle invoque aussi pour nos esprits et contre leurs formatages à la chaîne, les contes et légendes, ou l’ancien testament, le requiem de Mozart, la poésie de Pessoa, les photos de Nan Goldin, et celle de la misère qui naît partout, même au fond des bouges.

Claudie Gallay réécrit pour nous, pour nos mémoires et nos épidermes, pour nos souffles et nos vies, une Antigone à faire pâlir Anouilh, et moi, je retiens mon souffle, jusqu’au jour où je pourrai à nouveau l’interviewer pour vous.


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03/10/2010

Les Royaumes crépusculaires / Mathieu Gaborit

Parmi les lecteurs de Fantasy ou de Science-Fiction, genres où les cycles à rallonge ont pignon sur étagères ou sur présentoirs, il y a principalement deux écoles dans lesquelles vous trouverez:

* ceux qui lisent les préquelles ou les nouvelles se situant dans l'univers d'un cycle pour se donner une idée avant de tenter le grand plongeon. Ceux là sont plutôt rares : bien souvent la parution de tels volumes s'effectue une fois que la série a connu un certain succès, ce qui suppose un nombre déjà important de titres.

* ceux qui lisent les tomes au fur et à mesure de leur parution, quitte à relire le ou les volumes précédents pour chacune d'entre elles, histoire de tout se remettre en tête.

* ceux qui attendent qu'un cycle soit terminé pour entamer sa lecture tout en ayant conscience qu'on n'est jamais à l'abri d'un phénomène de lassitude en cours de route ou de la parution post-mortem d'un manuscrit oublié au fond d'un tiroir et miraculeusement retrouvé.

Je fais pour ma part partie de la dernière catégorie, tout en ayant pratiqué la deuxième pendant un certain temps. Après tout, avec une intégrale, on est en droit de se dire que l'histoire est terminée, que l'on aura son début, son milieu, sa fin, et point barre. Quoique je dis ça, je dis ça, et le dernier volume du Trône de Fer de George R.R. Martin n'est toujours pas paru en langue originale tandis que les premiers tomes de son intégrale sont déjà sortis. Mais peut-être faut-il y voir là le signe de l'exception qui confirme la règle...

Enfin bref, quand est enfin venue l'heure de réunir l'ensemble des œuvres de Mathieu Gaborit gravitant autour des Royaumes crépusculaires, j'ai été plutôt enthousiaste. De cet auteur, je n'avais lu que les [réussies] Confessions d'un automate mangeur d'opium, écrites conjointement avec Fabrice Colin. Avec cette intégrale, c'était donc pour moi l'occasion de découvrir un univers dont je ne savais rien, sinon qu'il avait déjà rencontré un succès certain lors de ses premières éditions.

Seulement, je n'ai pas été emporté aussi loin que ce que j'aurais pu imaginer de prime abord même si le début était plus que prometteur. Le père d'Agone vient de mourir. A cette occasion, le jeune homme revient à la baronnie de Rochronde où l'accueil qui lui est réservé est à la hauteur de ses attentes : glacial. Agone avait depuis longtemps signifié sa volonté de ne jamais succéder à son père. Il avait préféré rejoindre la fraternité de Préceptorale, devenir itinérant et enseigner la lecture et l'écriture dans les campagnes. Autrement dit, il avait choisi la voie diamétralement opposée à celle que son père lui destinait. Cependant, en guise de testament, aux allures de dernière volonté, ce dernier l'enjoint de rejoindre le collège de Souffre-jour. Au bout de six journées d'enseignement, Agone sera libre de choisir entre la baronie ou Préceptorale, sans que personne ne puisse revenir sur sa décision.

Les Royaumes crépusculaires est un ouvrage original par bien des aspects. Mathieu Gaborit est parvenu à créer un univers à part entière, à la fois fouillé et intrigant. Malheureusement, je n'ai pas été transporté. Ce n'est pas ce monde si particulier et si riche qui m'a rebuté mais bien le style de l'auteur que j'ai trouvé trop descriptif, trop chargé. A tel point que j'ai eu l'impression de ne jamais vraiment avancer dans ma lecture, comme si chaque action était par trop décomposée et, paradoxalement, empêchait mon cerveau de générer des images précises, celles que cet univers méritait sans doute et que d'autres ont par ailleurs su puiser. De même, je n'ai pas été sensible à la psychologie d'Agone, tantôt très maître de lui, tantôt d'une naïveté désarmante, ce qui lui a fait perdre de la crédibilité à mes yeux. Certes un personnage n'a pas à être trop tranché, mais quand sa psychologie est à ce point si disparate, cela a tout de même de quoi décontenancer.

Néanmoins, ne lisez ici qu'un avis de lecteur rencontrant en général bien des difficultés avec la Fantasy. Je suis sûr que les Royaumes crépusculaires trouveront un lectorat bien plus... éclairé ?


Petit rajout de dernière minute suite au commentaire d'Efelle. L'intégrale des Royaumes crépusculaires est composé des ouvrages suivants :

Les Chroniques crépusculaires : Souffre-Jour ; Les Danseurs de Lorgol ; Agone.
Abyme : Aux ombres d'Abyme ; Renaissances ; La Romance du démiurge.

Les Royaumes crépusculaires, l'intégrale, Mathieu Gaborit, Mnémos (Icares), 484 p.

28/09/2010

Apocalypse bébé / Virginie Despentes

Qu’à voulu dire Hubert Arthus (ou pas) ?

Puisqu’on vous dit que le genre (effet de manche culturel plus ou moins durable et proportionnellement pénible) n’est pas le sexe (donnée fixe purement biologique, et encore, on peut en changer… si si, le perdre, le gagner etc.). Je me souviens d’un sondage rapporté (et moqué) par Philippe Sollers. On demande à des gens s’ils avaient la possibilité de changer de sexe, qui ils aimeraient devenir ; les réponses fusent : un homme ! une femme ! etc. Personne ne met la question en question. Un chat est un chat. Les sondés répondent rarement aux sondages en réfléchissant – plongée immédiate dans le lourd ronron scolaire – ce qu’ils désirent avant tout, c’est prouver par leur réponse qu’ils ont bien compris la question. Examen permanent. J’ignore si Virginie Despentes a été une bonne élève ou non mais j’adore ses propositions de réponses. Je les trouve particulièrement viriles – elle possède une vertu parlante.

J’avais déjà acheté Apocalypse bébé avant de lire l’article – très engageant – d’Hubert Artus : « Avec Apocalypse bébé, Virginie Despentes s’est assagie ». Puis j’ai oublié. J’ai lu le livre. Après quoi m’est revenu le titre de l’article et ce bizarre verbe : s’assagir. Rémanence mémorielle. Quelque chose clochait. Je n’étais pas d’accord. J’ai relu l’article. Positivement positif, à n’en pas douter. Cependant… L’intérêt des puces aux oreilles est que ça démange. Y’a pu qu’à gratter. Merci à Hubert Arthus.

Je cherche dans mon Dictionnaire Historique de la Langue Française, version rouge, à assagir : cf. sage. Bon. J’y suis, page 3354. Je cite : « Le composé préfixé assagir v. a d’abord eu le sens d’ « instruire (quelqu’un) de quelque chose. » (1188, assagir qqn de qqch.). » Je dirais en français d’aujourd’hui comme je le comprends : affranchir (rendre sa liberté ?), déniaiser sans doute (vous entendez bien ce que j’entends aussi, là ?), mettre au parfum (le nez, l’existence concrète olfactive de qqch., faire connaître à qqn qui ou quoi il ne pouvait pas sentir auparavant…), (dé)briefer, pourquoi pas, entre autres… Je continue mon petit voyage dans le temps expressif : « Depuis le moyen français, il signifie « rendre (qqn) sage » (1340-1370) et ne s’emploie qu’au pronominal pour « devenir sage » (1530), alors qu’on disait assagir intransitivement (fin XIVe s.) » Autrement dit, à partir de là : débrouille toi tout seul, aides-toi et le ciel… Enfin : « Une valeur extensive s’applique aux choses pour « rendre moins vif, moins rapide ou incontrôlé ». Oh là ! Comme vous y allez ! Mes yeux suivent les lignes un instant de plus : « Le dérivé assagissement n.m. a désigné (1440-1475) l’action de donner des renseignements ; il ne se dit plus que de l’action d’assagir (1580, Montaigne). »

Loin de moi l’idée que le passé a forcément fait mieux que le présent ; ce n’est pas mon histoire. Toutefois il me semble qu’entendre un mot, ce n’est pas seulement le comprendre étymologiquement (en saisir la racine, qui, comme toutes les racines, n’est pas la partie la plus mobile, et notamment parce qu’un grand vent frais peine à y souffler) mais le percevoir dans ses mouvements balayés par l’histoire, sa vie propre, son balancement via les corps. Je vous renvoie, logiquement, à l’article ibidem portant sur le mot sage. J’ai lu le livre de Virginie Despentes et je m’interroge sur son assagissement, le mien, le nôtre et plus prudemment sur celui d’Hubert Artus.

C’est peu dire que je ne suis pas critique (littéraire). Je suis un lecteur. Je ne parle, au final, que de moi. J’arrête pas. Si par cette pratique de lecture je m’assagis ou pas, l’avenir paraît-il le dira, aux autres, pas à moi, puisqu’alors le voyage en ce qui me concerne aura trouvé son terme. J’avais lu, à sa sortie, King kong théorie. J’en garde le souvenir d’une grande clarté d’esprit, celle d’un esprit agissant, actif, oui, un livre d’écrivain. Je me souviens aussi d’avoir ri par moments, mais moins qu’à la lecture d’Apocalypse bébé, dont j’ai apprécié de bout en bout le caractère vif et rapide. J’étais si content alors que je l’ai prêté à une connaissance, C., chargée de mission pour la promotion de l’égalité homme-femme (si tu me lis, C., d’ailleurs, ce serait bien que tu me le rendes… Oh é bé non, té, garde-le, relis-le à l’occasion, je vais le racheter : je fumerai moins, ou je mangerai moins – le plaisir n’en sera que meilleur). Je ne me souvenais pas, en revanche, que figurait dans le livre le récit de la conversion d’objet sexuel (pour le dire comme ça) de Virginie Despentes. Je suis un piètre lecteur, je l’ai déjà dit. Il semble que le quoi de la sexualité m’interpelle moins que le qui…

J’ai ri à gorge déployée à l’intérieur d’Apocalypse bébé. Despentes est la fille la sœur la mère l’amant secret de Balzac, de la Bruyère et de bien d’autres, sa sexualité la plus évidente est celle du texte. Elle a grand appétit et bon goût. Magnifique Yacine (un personnage de l’Apocalypse selon Virginie, cessez de lire ce petit mot et suivez Despentes, la vôtre, c’est toujours la meilleure !), humanité de la Hyène, vérité de Lucie-Virginie (un chat est un arbre comme un autre, vous me suivez ?) - une Vierge éclairée ? - sensibilité des personnages et de leur Créatrice, truculence des dialogues, pertinence du regard (Virginie Despentes est un rapace sociologique, elle repère, elle fond en piqué, elle vous apporte sa proie, à vous de la dépecer ou pas, vous n’êtes pas innocent, seule l’écrivain l’est), tour à tour femme-la Fontaine et ton poqueliné, beauté précise de certaines descriptions, traversante, son style est percutant, ni contrôlé ni in-, pudique, impudique, délicat, attendri, cynique, enchanté/ désenchanté, vrai, vécu, mesuré, palpé, carné. Un régal ! Intégrés à son écriture les grands tournois sonores d’une foule de gabians sur la cité à fouailler les poubelles. Inquiétude de l’œil et envergure des ailes. Le bec. Les serres. Le plumage. Des individus de sexe féminin, genre bon ou mauvais, baisent-pensent-perçoivent le monde alentour, tout-en-un – je suis personnellement pour que le prix Goncourt soit attribué à Virginie Despentes, non pour le prestige mais pour le mode de diffusion, en douce, à l’étal des supermarchés, pour la pénétration des foyers, le retournement des us et coutumes culturels, cette vaste foutade… Bon, je m’emporte, je ne suis pas sage. Me reste ceci : j’apprécie hautement d’être renseigné-instruit-déniaisé-affranchi par Virginie Despentes. Qui qu’elle soit, elle n’est pas une image.

A garder le genre sollersien de ce petit billet (doux) - eu égard à son élan, hein, pas à sa qualité, bien sûr – je décide de titrer ma contribution : Classique Virginie. Voilà.

Ah, au fait, Torcol est un homme. J’ai la preuve de ce que j’avance. C’est indéniable. Pour autant souvent dénié, il faut bien dire. Drôle d’oiseau, ce Torcol?



Apocalypse bébé, Virginie Despentes, Grasset, 342 p.

22/09/2010

Les Paradis inhabitables 2, Ceux d'en bas / Serge Brussolo

Décidément, rien n'est simple pour Mickie Katz. Il faut dire qu'avec le boulot pour le moins insolite qu'elle exerce, ça ne doit pas être facile tous les jours. Bosser pour un cabinet immobilier en tant que décoratrice, c'est une chose, mais exercer ses talents pour l'agence 13 c'est une autre paire de manches. Surtout quand on sait que cette dernière est spécialisée dans la restauration de sites où se sont déroulés des crimes. Des contrats juteux sont bien sûr à la clé mais à bien y regarder, pas mal de déconvenues aussi, car ces lieux, outre leur caractère particulier, peuvent aussi se révéler le terreau de bien des excentricités. Mickie en a fait les frais lors de sa première mission, relatée dans Dortoir interdit.

Cette fois-ci, les choses ne s'annoncent guère mieux. Envoyée dans un village paumé du Montana, Mickie est chargée de concevoir les plans d'un futur parc de loisirs à l'endroit même où avait été perpétré un génocide sur la population indienne locale. La tâche aurait pu être aisée, enfin, plus facile disons, si les habitants n'avaient pas vécu dans une quasi-autarcie où, sous le masque de la prévenance, de la courtoisie et d'une certaine ouverture d'esprit s'exprimait en fait la peur, la colère, la déraison. Car ce n'est pas rien après tout, si chaque citoyen de cette petite bourgade accepte d'être la cible potentielle d'un archer caché dans la forêt avoisinante, et si shérif et maire ne semblent pas remettre en cause cette tradition, voire même de la cautionner au nom d'une expiation quelconque.

Je n'en dis pas plus. J'en ai peut-être déjà trop dit mais au moins le décor est planté. Juste planté car ce n'est rien en comparaison de l'ampleur que l'histoire va lui octroyer. Sous la plume de Serge Brussolo, on ne sait pas à quoi s'attendre, et s'il y a effectivement chez lui des constantes d'une histoire à l'autre, cela n'enlève en rien à l'originalité de Ceux d'en bas. Car ce décor, cette succession de décors même, qui ponctue le livre, représente à lui seul un personnage, lequel suscite tour à tour la peur, l'angoisse, l'appréhension mais aussi la curiosité et l'émerveillement.

Et les êtres de chair et de sang dans cette histoire ? Ils sont toujours aussi énigmatiques et humains chez Brussolo. C'est à dire qu'ils ne sont jamais ni tout à fait lisses ni tout à fait propres mais en proie à leurs tourments, assujettis à leurs zones d'ombres et à leurs pulsions, qu'elles soient bonnes ou mauvaises. La particularité dans Ceux d'en bas, c'est qu'ils sont aussi soumis au bon vouloir de l'auteur qui les balade en bateau, de faux-semblant en trompe l'œil, et cela contribue grandement au plaisir de lecture.

L'idée des Dortoirs inhabitables n'est pas jeune. Une première édition aurait déjà pu avoir lieu il y a plusieurs années mais, tractations contractuelles obligent entre les éditions Fleuve noir et Serge Brussolo, celle-ci n'avait pu se concrétiser. Mais plutôt que de partir dans d'obscures comparaisons entre ce qui aurait pu être et ce qui est, je me dis que le fruit de mes lectures du premier et deuxième volume de cette série ne laisse en tout cas la place à aucun regret.

Les Dortoirs inhabitables 2, Ceux d'en bas / Serge Brussolo, Fleuve noir, 288 p.
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