29/09/2012

Les Voleurs de Manhattan / Adam Langer

Ian Minot aspire à devenir écrivain. A être publié. La mince affaire... Ian essuie refus sur refus pour des nouvelles qu'on lui reproche d'être sans surprises, sans saveur, désincarnées. Anya, sa petite amie roumaine dont il doute qu'elle restera longtemps avec lui, écrit aussi. Remarquablement. Au point de se faire repérer par un agent lors d'une soirée-lecture réputée pour dénicher les talents de la littérature contemporaine.

Chaque jour qui passe renvoie Ian à son échec, à la vacuité de son existence, alors que partout s'affiche la nouvelle coqueluche très tendance de la littérature nord-américaine, Blade Markham. L'homme s'invite partout : des plateaux télé aux affiches dans le métro jusqu'au Morningside Coffee, lieu de travail de Ian. C'est là, que Jed Roth, un homme au pourboire généreux, lui met tous les jours l'ouvrage de Markham l'usurpateur sous le nez. Car il ne fait aucun doute pour Ian que le bonhomme n'est pas un vrai écrivain, qu'on ne peut qualifier ainsi une personne mettant des «yo » en début et en fin de chaque phrase. Ce sentiment, Jed Roth le partage. Et la venue de cet ancien éditeur au Morningside Coffee, avec le livre tant plébiscité toujours en évidence, n'est pas innocente.

Il a un marché à proposer à Ian : s'approprier un roman que Jed a rédigé des années auparavant, le réécrire, faire croire qu'il s'agit de mémoires pour ensuite annoncer la supercherie. Ian pourrait faire ainsi une entrée fracassante dans le monde de l'édition et vendre alors ses nouvelles comme jamais il n'aurait osé l'imaginer. Sur le papier, l'affaire paraît simple. Dans la réalité, les choses seront un tantinet plus compliquées. Reste à savoir sur quel pan de la réalité Ian se situe, de quelle vérité il se fait l'intermédiaire.

Les Voleurs de Manhattan est une œuvre dans l'œuvre d'une œuvre. Adam Langer fait dans la mise en abyme et celle-ci lui réussit, comme elle réussit à son lecteur. Première petite touche, la page de titre avec la mention « mémoires » biffée à la main, remplacée par « roman ». Lui succède une dédicace un peu obscure qui ne prendra sa signification qu'après la page 191, aussi bien pour la personne initialement nommée que, une fois encore, pour le lecteur. Si ces éléments surprennent et intriguent à l'entame du roman, ils contribuent néanmoins à donner une dimension réellement surprenante, vertigineusement fascinante, une fois le livre refermé. Chaque chapitre correspond à un titre ou à la référence d'une œuvre ayant défrayé la chronique pour la supercherie dont elle a fait l'objet. La liste n'est pas exhaustive...

La mise en abyme se révèle aussi dans le format du livre. Les Voleurs de Mahnattan fait près de 260 pages. Tout comme le roman de Jed Roth, au titre similaire, dont Ian Minot sera finalement l'auteur. Adam Langer sème faussement le trouble. Personne n'est dupe mais cela se révèle bien habile pour aborder le mensonge, la supercherie, qu'elle soit littéraire ou humaine. Et de remettre en cause la sincérité, l'authenticité d'un certain milieu éditorial américain où le succès importe plus que la qualité d'un ouvrage, d'une société où il devient primordial d'être connu, reconnu pour avoir la sensation d'exister vraiment. A l'image d'un Ian Minot, personnage ô combien attachant, ou de ses comparses du Morningside Cofee, l'une exerçant la peinture, l'autre la comédie. Créer pour exister. Mentir, parfois, omettre, pour créer.

Adam Langer conclut son livre en beauté dans un pastiche de polar où les rebondissements savamment orchestrées se succèdent, où l'humour transpire de chaque paragraphe, où les personnages éclatent dans leur transgression à exister entre les lignes et bien plus encore, dénués de toute superficialité. Des êtres qui ne sonnent pas faux au service d'un roman authentique !

Les Voleurs de Manhattan, de Adam Langer, traduit de l'américain par Laura Derajinsky, Gallmeister (Americana), 264 p.

19/09/2012

Les Faucheurs sont les anges / Alden Bell

Pour tout roman post-apocalyptique – post apo pour les intimes - où les zombies ont pignon sur rue, il ne suffit pas de charger la mule pour emporter l'adhésion du lectorat. Comprenez par là que la surenchère de scènes sanglantes avec tripatouillages de viscères en veux-tu en voilà, agrémentés d'explosions de cervelles en bonne et due forme (sinon, ces chers défunts conservent la dent dure...) ne garantit en rien la qualité de l'œuvre. Si World War Z de Max Brooks est devenu, à juste titre, une référence du genre, et si Un Horizon de cendres de Jean-Pierre Andrevon ne démérite pas non plus, à l'inverse, la novélisation de la bande dessinée Walking Dead visant à mettre le projecteur sur l'un de ses personnages énigmatiques est un navet du genre : je marche, je fracasse, je marche, je dépèce avant qu'on ne me dépèce, je prends une voiture parce que sinon ça va traîner en longueur, et vas-y que l'autre bouffon il est passé à deux centimètres de m'arracher le nez, mais heureusement je suis plein de ressources et je vais en faire baver à tout le monde, zombies et humains compris... à tout le moins, on peut concéder un bénéfice au livre, un seul, le style a des airs de berceuse et pourrait même vous faire économiser une prise de somnifère...

Aussi pour ne pas rester sur cette impression négative sur ce genre de romans, il convient parfois d'aller voir ailleurs, et pourquoi pas du côté de Les Faucheurs sont les anges, un très bon roman signé Alden Bell. Ici, contrairement à L'Ascension du gouverneur auquel je faisais allusion, c'est bien le style qui fait toute la différence. Le style au service de l'histoire, bien entendu.

Temple a quinze ans et pour elle, le monde d'avant n'existe que par ce qu'on a pu lui en dire et les vestiges d'une civilisation à jamais révolue. On sait très peu de choses sur elle. Tout au plus qu'elle a eu un temps deux compagnons de route et de survie : l'oncle Jackson, pas vraiment son oncle, et le petit Malcolm, peut-être son frère mais rien n'est moins sûr, elle-même ne le sait plus très bien. S'ils ne sont plus avec elle aujourd'hui, on devine néanmoins très vite les raisons de leur disparition, à défaut d'en connaître les circonstances. Temple évolue dans son monde avec une relative assurance, elle en connait les codes, les dangers. Elle ne s'en laisse pas compter. Elle a quinze ans, peut-être, mais les événements ont forgé son caractère, favorisé une maturité d'un autre âge. Armée de sa machette, elle vient facilement à bout des morts-vivants, les limaces comme elle les appelle. Elle doit parfois faire face aux survivants, nombreux, qui sillonnent les routes ou vivent en reclus dans des forteresses érigées sur les décombres des villes ou des villages. A l'occasion d'une halte dans l'une d'elles, elle se défend contre un homme qui tente de la violer. Elle tue l'homme sans l'avoir prémédité avant de sciemment l'empêcher de se transformer en zombie. Son geste la renvoie sur les routes, pourchassée par le frère de sa victime. 
 
D'emblée, Alden Bell écarte toutes les craintes que l'on aurait pu avoir eu égard à toutes les héroïnes bêtifiantes de Bit-Lit qui pullulent ici ou là. Pas de côté gnagnan, pas de mélo ni de mièvrerie. L'histoire et le monde décrits dans ces pages ne le permettent pas. Les Faucheurs sont les anges séduit donc avant tout par la crédibilité que l'auteur a su donner à une Terre dévastée par un fléau qui la dépasse.. Les descriptions ne s'apesantissent jamais sur les aspects les plus gore ni les plus scabreux. Ils ont le mérite de la simplicité et de l'efficacité, ce qui leur donne paradoxalement un impact bien plus retentissant.

Qui plus est, et n'en déplaise à ceux qui dénigrent le genre, la poésie n'est pas absente de ce livre. Elle se révèle dans le regard que portent les protagonistes sur leur monde, leur environnement, leur devenir aussi, aussi sombre soit-il... En parcourant ces pages, je n'ai pu m'empêcher de penser à Des souris dt des hommes de John Steinbeck, notamment dans le lien tissé entre Temple et Maury, l'idiot qu'elle a croisé sur sa route et pris sous son aile.

Les raisons de se plonger dans la lecture de Les Faucheurs sont les anges ne manquent pas. Il y a là du style, je l'ai dit, des personnages forts et intrigants, de très bonnes idées qui éclairent le genre d'un jour nouveau, une ambiance saisissante... et encore, tout ceci ne donne qu'un maigre aperçu de l'ouvrage, celui-ci ne se révélant entièrement qu'en suivant Temple pas à pas. Pour le meilleur et peut-être pour le pire... 
 
Et l'espoir dans tout ça, me direz-vous ? Voilà une question que l'on serait en droit de se poser en refermant le livre. La réponse réside peut-être dans les instants volés où la beauté s'offre de manière inopinée, pépites aux allures de bouffées d'air, dans la continuité d'une quête, différente pour tout un chacun, et néanmoins synonyme de sens.

Ils m'ont donné envie de le lire : Quoi de neuf sur ma pile ?, From the avenue

Les Faucheurs sont les anges, de Alden Bell, traduit de l'américain par Tristan Lathière, Bragelonne, 2012, 288 p.
CITRIQ

15/09/2012

Cal de Ter, intégrale 1 / Paul-Jean Hérault


La rencontre avec Cal de Ter aurait pu se produire plus tôt. Je veux dire, en 1975, quand le premier titre de la série est paru dans la mythique collection Anticipation chez Fleuve noir. Seulement voilà, en 1975, je baignais encore dans mes langes...

Malgré le travail remarquable de La Rivière Blanche où figurent plusieurs titres de Paul-Jean Hérault à leur catalogue et malgré aussi une tentative ratée avec Millecrabe (paru aux éditions Interkeltia), titre pour lequel le manque de relecture éditoriale et une typographie calamiteuse avaient eu raison de ma patience, malgré tout ceci, donc, il m'aura fallu attendre 2012 pour succomber à la curiosité. Le début d'année a en effet vu refleurir un peu partout le nom de l'auteur en librairie, à travers plusieurs rééditions dignes d'intérêts : Gurvan aux éditions Critic et Cal de Ter, donc, chez Milady, qui regroupe pas moins de trois romans : Le Rescapé de la Terre, Les Bâtisseurs du monde et La planète folle.

Après que les humains ont finalement trouvé le moyen de mettre définitivement la Terre en péril, un certain Guise installe Cal en état d'hibernation dans la capsule d'un vaisseau spatial, lequel Cal se réveille quelques milliers d'années plus tard aux abords d'une planète s'avérant habitable. Il s'installe, planque ses affaires – mieux vaut être prudent – et commence son exploration. Assez rapidement, il découvre un peuple pacifique fascinant, les Vahussis. Bien décidé à s'intégrer auprès de ces personnes qu'il prend en affection, Cal ne peut néanmoins s'empêcher de contribuer à leur bien-être en leur délivrant le fruit de ses connaissances terriennes. Mais à trop vouloir jouer les bons samaritains, cela peut entraîner quelques... menus problèmes, surtout quand s'offre à vous la possibilité de mesurer l'ampleur d'une évolution à l'échelle de plusieurs siècles.

L'histoire de Cal est du genre tumultueuse, exotique, aventureuse... multiple. Et ça ne fait pas de mal de goûter à de la Science-fiction de cette trempe là. Il y a bien là-dedans un petit côté suranné – ça sent bon la SF à papa – mais cela n'enlève en rien le plaisir que l'on en retire à la lecture, bien au contraire. C'est d'ailleurs en lisant cet ouvrage que j'ai d'une certaine façon pu imaginer la passion qui anime Laurent Genefort autour de cette science-fiction d'une autre époque, dont il n'a de cesse de favoriser à nouveau la lecture en travaillant à sa réédition auprès de différents éditeurs.

Peu importe ici la véracité scientifique – j'imagine que les dents de certains doivent grincer –, ce qui retient surtout l'attention, ce sont les situations rencontrées par Cal dès son entrée en piste sur cette planète sensiblement proche de la nôtre. Ce personnage livré à lui-même – un peu à la manière de Adam Reith dans le cycle de Tschaï de Jack Vance – confronté à toutes sortes d'aventures dont il se fera le fer de lance, impose la figure d'un Héros fort, inébranlable, intrépide et armé de bonnes intentions, qu'on croirait tout droit sorti d'un pulp.

De fait, si cette image est intéressante et donne sa tonalité au livre, Cal n'est pas sans agacer parfois, notamment dans son manie de vouloir jouer au Dieu (avis aux nostalgiques, le récit, allez savoir comment, m'a rappelé le jeu Populous sur Amiga) : je sais ce qui est bon pour vous, je m'institue maître de votre destin, je connais la voie de la sagesse même si mes frères terriens et moi avons contribué à notre perte, mais après tout peu importe. Première leçon pour favoriser l'esprit d'équipe et aller ensemble de l'avant, je vais vous apprendre à jouer au football (!).

Cal comme facteur d'évolution ? Cela prête à sourire mais cet aspect des choses, face à la richesse du livre et des péripéties dont il se fait l'écho dans ce premier tome, ne représente pas un frein à la lecture.

Entre Planet opera, Ethno-fiction, Aventure et Fantasy, le mélange aurait facilement pu s'avérer indigeste, il ne fait que mettre en appétit. Ça tombe bien, l'intégrale tome 2 est déjà parue. Quant à la troisième, elle devrait voir le jour au premier trimestre 2013. Dans l'intervalle, les lectures ne manqueront pas pour patienter...

Les premières lignes, celles qui, en librairie, ont motivé mon acquisition :

Dans l'espèce de tube transparent où il repose, nu, le corps de l'homme est impressionnant de blancheur. Celle des cadavres. Ses cheveux, châtain très clair, presque blonds, ont poussé, mais leur éclat est tout de même encore trop vif pour être ceux d'un mort.
Le bruit d'un déclic vient rompre le silence pesant. Pas un bruit sec de machine bien entretenue, plutôt celui, hésitant, d'un appareillage qui fonctionne toujours, certes, mais avec un poil de retard. Dans une armoire murale un bourdonnement naît et, peu à peu, une horlogerie étonnante met en œuvre une multitude de cadrans qui s'éclairent.
Une sorte de gelée verdâtre glisse dans le tube transparent et vient recouvrir les pieds de l'homme, montant peu à peu vers son visage d'où s'échappent des dizaines de fils collés à la peau par une goutte d'un liquide durci. Insensiblement, comme la marée d'un océan, la gelée s'anime d'un mouvement de flux et de reflux qui s'accélère jusqu'à devenir nettement perceptible à l'œil.
Les heures passent...

Cal de Ter. Intégrale 1, de Paul-Jean Hérault, Milady, 2012, 593 p.
CITRIQ

11/09/2012

Désaccords imparfaits / Jonathan Coe


Certains, en apprenant que la dernière parution française de Jonathan Coe n'était autre qu'un receuil de nouvelles, auront peut-être éprouvé un soupçon de déception. Les short stories n'ont pas toujours bonne presse auprès du public. On reproche à cet exercice littéraire de pêcher par sa brièveté, de générer une frustration quant à l'impossibilité de suivre sur le long terme des personnages auxquels on s'est attachés, quand on ne lui reproche pas non plus de n'être, justement, qu'un exercice.

Si on aurait apprécié sans peine de voir évoluer les différents protagonistes des nouvelles qui composent ces Désaccords imparfaits, de les voir s'étoffer dans un cadre romanesque, le recueil s'avère réussi, comme si la double négation induite par le titre avait révélé la positivité du texte. Mais, bien plus que dans une règle mathématique, c'est dans la musicalité si chère à Jonathan Coe que celle-ci s'affirme plutôt. Musicalité des textes – aucune fausse note dans la traduction –, musicalité des êtres, pris dans la ronde de l'existence, soumis à ces temps morts où tout est encore possible.

Souvenirs et nostalgie dans Ivy et ses bêtises où un frère et une sœur reviennent sur la tombe de leurs-grands-parents avant de faire un crochet par leur ancienne demeure. Une belle histoire tout en délicatesse où Jonathan Coe, comme il l'indique dans l'introduction à l'œuvre, rend hommage à son grand-père...

9e et 13e, angle de deux rues où réside le narrateur, mais aussi deux notes de musique, des étapes dans la marche du temps. Que se serait-il passé si ? C'est la question explorée ici par cet artiste auquel une jeune femme demande s'il sait où est-ce qu'il y aurait un coin pour dormir dans les parages... Une histoire séduisante où la passivité le dispute à l'indécision, où le champ des possibles se révèle dans la suspension des évènements, entre deux battements.

Version originale raconte la dérive sentimentale d'un membre du jury d'un festival de films d'horreur et de fantasy. L'un d'entre eux a été écrit par une de ses anciennes amies, amoureuse de lui. Le rire n'est jamais loin dans cette nouvelle, aussi bien dans sa description du petit monde du cinéma de genre que dans l'évocation des regrets et, là encore, dans l'indécision...

Journal d'une obsession, pour finir, récit autobiographique, retrace la fascination de Jonathan Coe pour le film méconnu, ou peu reconnu, La Vie privée de Sherlock Holmes avec Billy Wilder. Ici, outre l'hommage évident à l'acteur pour lequel Coe voue une certaine fascination, ce sont la quête et le mystère, la préservation de ce dernier, qui tissent la trame de cette histoire. Comme si tout savoir de tout faisait perdre de la saveur aux choses. Comme si les désaccords imparfaits éparpillés au cœur de ces nouvelles étaient à laisser à l'appréciation de chacun, dans la part intime des sentiments qu'elles recèlent...

Nouvelles, romans, peu importe donc en ce qui concerne Jonathan Coe, la magie des mots et des sensations opère toujours.


Désaccords imparfaits, de Jonathan Coe, traduit de l'anglais par Josée Kamoun, Gallimard, 2012, 104p.

Chronique initialement parue dans Blabla

04/09/2012

La Cité des jarres / Arnaldur Indridason

Pour prendre la mesure d'une œuvre et de son évolution, voire de sa maturation, il convient parfois de revenir aux sources de celle-ci. En règle générale, je commence toujours un cycle romanesque par le premier tome qui le constitue. Cependant, ma première rencontre avec le sombre inspecteur Erlendur ne s'étant pas pas faite avec son enquête initiale mais avec Hiver Arctique (avant de continuer avec l'écoute de Hypothermie, puis avec La Rivière noire, même si Erlendur en est absent), il me semblait important de combler les trous, tant pour les enquêtes en elles-mêmes que pour l'histoire personnelle tourmentée du personnage, pour laquelle l'auteur use d'un saupoudrage méticuleux dans la succession des ouvrages.

L'hiver est aux portes de l'Islande. La pluie s'invite, la température baisse. C'est dans ce climat pas encore franchement hostile qu'un homme est retrouvé mort dans son appartement. N'était ce message laissé sur le corps du défunt, la police aurait pu conclure à un accident domestique. Erlendur, accompagné des inspecteurs Elinborg et Sigurdur Oli entament l'enquête selon les procédures classiques. Très vite, la nature de l'homme qu'ils ont découvert se révèle et oriente les investigations vers des faits perpétrés il y a plus de quarante ans. A cette époque, Holberg, la victime du meurtre, aurait violé une jeune femme. Celle-ci serait tombée enceinte, aurait mis au monde une petite fille qui devait périr quelques années plus tard à la suite d'une tumeur au cerveau.

Tout comme dans La Rivière noire, La Cité des Jarres soulève le problème du viol fait aux femmes, de la reconnaissance d'un tel acte aux yeux de la justice et de la société. Si le premier roman fait état de l'utilisation du Rohypnol, la drogue du viol, les circonstances de ceux perpétrés dans La Cité des jarres – le cas n'étant pas isolé – remonte à bien plus longtemps, comme si d'une manière implicite, au fil de ses ouvrages, Arnaldur Indridason avait voulu montrer que la problématique n'avait pas changé, les femmes redoutant toujours d'être considérées comme coupables quand elles ne sont que victimes, au point de ne pas déclarer les violences qu'elles ont subies.

Autre point soulevé dans la Cité des Jarres, et pas des moindre, le programme de fichage génétique entrepris - et abandonné depuis 2003 - en raison d'une homogénéité ethnique issue de son Histoire. Entre Recherche et affaire de gros sous, Arnaldur Indridason frappe tout droit entre ces deux approches, avec l'éthique comme cœur de cible, quand bien même le fichage incriminé n'est pas sans importance dans le résolution et l'explication de l'affaire.

A la lecture de La Cité des Jarres, on comprend aisément pourquoi le livre a remporté le succès qui fut le sien à sa parution. Outre le « dépaysement » qu'il suscite, aussi bien par les lieux et les noms des personnages que par des codes comportementaux qui peuvent parfois sembler atypiques, notamment dans les dialogues, La Cité des jarres comblera le lecteur de polar par la qualité de son intrigue et la richesse de ses personnages. Ça fait un peu cliché de dire ça, mais rassurez-vous, le livre lui, en est dénué (de clichés!) et par les temps qui courent, par les livres qui paraissent, ça mérite d'être souligné.

Pour finir, une petite précision quand même, La Cité des Jarres pourrait très bien combler aussi ceux que le polar rend frileux...

La Cité des jarres, Arnaldur Indridason, traduit de l'islandais par Eric Boury, Seuil (Points), 330 p.