28/04/2008

Les Mille et une vies de Billy Milligan / Daniel Keyes VS La Proie des âmes / Matt Ruff




A ma gauche, mesdames et messieurs, un véritable poids lourd de la littérature de l'imaginaire, l'incrrrrro-ya-ble conteur du maintenant classique Des fleurs pour Algernon. J'ai nommé : Daniel Keyes ! A ma droite, le non moins prrrrrr-es-ti-gieux Matt Ruff, qui en l'espace de trois romans a su imposer une griffe originale et déjantée dans le paysage de la littérature étrangère.


S'ils sont réunis aujourd'hui sur cette modeste page, c'est parce qu'ils ont en commun d'avoir chacun écrit un livre sur le phénomène des personnalités multiples, et qu'ils l'ont fait de manière fort différentes. Comme son nom l'indique, ce syndrôme se manifeste par l'apparition d'une palette de personnalités, de sexes et de caractères parfois opposés, se succédant aux commandes d'un seul corps, sans que chacune n'ait connaissance de l'existence des autres. On imagine alors sans mal les désordres qu'une telle pathologie peut occasionner, aussi bien pour le sujet lui-même que pour son entourage. Les cas répertoriés jusqu'à présent prouvent que les personnes atteintes de ce mal ont toutes été confrontées à un choc traumatique vraiment important.


Rédigé à partir de ses entretiens avec Billy Milligan dont le cas avait défrayé la chronique à la fin des années 70, Daniel Keyes relate la découverte et le cheminement de ce cas en particulier. Pour ce faire, il s'inscrit malheureusement dans le registre du docu/fiction, ce qui donne au récit une lourdeur certaine. L'approche est trop clinique (la succession des dates y contribue allègrement), trop mécanique et l'histoire ne suscite pas l'empathie à laquelle on aurait pu s'attendre avec un tel sujet. Même si le phénomène intrigue et passionne, Keyes ne parvient qu'à faire bouger les cordes de la curiosité et de l'emballement quand il aurait pu les faire vibrer. Il est vrai que je suis pour ma part toujours réfractaire à ces récits qui prêtent des intentions et des paroles à des personnes ayant réellement existées. Quelle est la part du réel ? Celle de l'invention ? A faire ainsi osciller la balance du documentaire et de la fiction, ne risque-t-on pas de dénaturer la réalité des faits ? Autant de choses qui m'empêchent d'adhérer complètement à ce type d'ouvrages.


Matt Ruff, lui, a choisi le traitement romanesque pour aborder le problème des personnalités multiples. Clair, passionnant, instructif, aussi, le résultat est là : jubilation assurée. (je ne sais pas si vous avez remarqué mais la mention de jubilation est plus qu'à son tour utilisé dans les chroniques ou les critiques de tous poils. Mais il est vrai qu'il est difficile de rendre autrement cette fièvre qui nous étreint dans ces moments de lecture et qui se caractérise bien souvent par un "Oh, mon dieu, Oh mon Dieu !", accessoirement un "C'est pas vrai ! C'est pas vrai!" ou en québécois "C'est capotant ! C'est capotant!, surtout quand on se trouve obligé d'interrompre sa lecture parce que le voisin du dessous vient vous signaler un dégât des eaux, ou que votre belle-mère a eu la bonne idée de venir faire visiter votre maison à son amie d'enfance... En gros, là, le terme est véritablement adapté. Jubilatoire, donc!)


Les personnages (multiples à plus d'un titre, cela va de soi) en décalage complet avec le monde qui les entoure, sont au service d'une histoire remarquable, pleine de surprises et de rebondissements. La révélation au milieu du livre est stupéfiante. J'ai déjà eu l'occasion de l'évoquer dans ces pages, j'ai tellement eu l'impression de m'être fait avoir que j'ai failli lâcher le bouquin. Heureusement, je n'ai pas cédé à cette fugace impulsion, pour mon plus grand plaisir, qui j'espère sera votre.


Vous l'aurez compris, si vous vous intéressez aux personnalités multiples et que vous voulez lire une histoire captivante, je ne saurais trop vous conseiller la lecture de la Proie des âmes. Une fois de plus, je sais, je sais. Mais on ne se refait pas...

20/04/2008

Un Scanner à la morgue / Claude Broussouloux


Par une matinée du mois de novembre identique à bien d'autres, il a suffi que le transporteur frappe trois fois au rideau des livraisons pour raviver une certitude jusque là en sommeil : j'allais faire plusieurs rencontres et j'éprouvais l'amère frustration de ne pouvoir les apprécier toutes dans l'instant. C'est ainsi à chaque fois que je reçois des livres. Il y a ceux que j'attends, dont les auteurs me sont connus et...les autres. Ceux qui promettent et dont je ne sais au final que peu de choses.

C'était le cas de Un scanner à la morgue. Je ne connaissais ni l'auteur ni l'éditeur. On le sait, avec aussi peu d'éléments, la surprise peut-être totale, dans le pire comme dans le meilleur.

Quand, au moment du pointage, je tombai sur ce livre, je procédai comme à mon habitude. Je parcourus les premières lignes. Et sans même que je m'en rende compte, la première page défila, puis le premier chapitre. J'étais conquis. Par l'ambiance, l'histoire. Etant donné que j'étais au boulot, je ne me suis quand même pas étendu. Je notai les références et continuai de traiter les livres, me disant : "mon coco, la prochaine fois, je te louperai pas. Au retour de l'équipement, tu seras mien."

Il aura fallu plus de temps que prévu mais à son retour, quelques mois plus tard, je lui remis en effet le grappin dessus et ne le lâchai plus. La première ligne, la première page, le premier chapitre, c'était comme si je les avais lus la veille.

Je retrouvai Jacques, jeune médecin loin d'être passionné par son boulot. Le genre de gars égoïste, pas franchement sympathique. Pour ne pas avoir à supporter les jérémiades de patients plaintifs, il s'est spécialisé en radiographie. Pas besoin de s'épandre. On se positionne, clic, clac, merci bien, au revoir, emballé c'est pesé.

Puis Jacques est contacté par un de ses anciens profs pour un boulot complémentaire qui consiste à effectuer des radios aux cadavres de la morgue, occasionnellement. Louche mais Jacques accepte.

De ce roman assez court, je restai surpris par son côté mystérieux, intrigant. Cela ne tenait pas spécialement à la morgue et à son lot de cadavres que l'on cotoyait assez peu mais à cette incertitude qui planait sur les personnages et leurs intentions respectives. Oh, il y eut bien des moments où je me serais volontairement imposé écrivain pour secouer ce bougre de Jacques, faire en sorte qu'il se décide à ruer dans les brancards au lieu de subir la pression de ses mystérieux commanditaires, de se terrer chez lui, d'attendre.

Une fois le livre fini, je le refermai, un peu déçu par un dénouement suscitant le doute sur la crédibilité d'une telle histoire. Mais le temps passait et je gardai en moi son atmosphère si particulière et si prenante, alors... Déjà, j'étais sur une nouvelle piste de lecture et je me promis de garder un oeil et sur l'auteur, et sur l'éditeur.

14/04/2008

Le Vieil homme et la guerre / John Scalzi


Effectivement, à la lecture du Vieil homme et la guerre, on ne peut que penser à Etoiles gardes à vous ! (Starship troopers) de Robert A. Heinlein et à la guerre éternelle de Joe Haldeman. Cela tient essentiellement à son appartenance à une veine spécifique du space opéra que l'on qualifie, à tort ou à raison, de militariste.

Le canevas en est le suivant : les humains sont lancés dans une guerre universelle contre une ou plusieurs civilisations extra-terrestres. Enjeux économiques, planétaires, méconnaissance de l'autre (donc crainte), les raisons ne manquent pas pour envoyer des unités de combat se faire charcuter menu, selon les us et coutumes d'aliens contrariés. Cette trame est justement l'occasion de suivre le parcours d'un héros et de son groupe, de son enrôlement à la situation de combat, en passant par l'entraînement. Après, libre à l'auteur d'exprimer ses points de vue...

Alors ? Militariste ou pas militariste, le Vieil homme et la guerre ? Aborder ainsi l'ouvrage de John Scalzi est certes un peu réducteur mais c'est typiquement le genre de question que l'on se pose avec ce genre de bouquin, sans parler de ce que cela implique.

A ce propos, et quels que soient les sons de cloche que j'ai pu rassembler où l'on s'amuse à trouver du deuxième, voire du troisième degré là où il n'y en a aucun (mais ça rassure, c'est vrai...), le Etoiles, garde à vous ! de Heinlein est un must en matière de militarisme et de patriotisme dangereux. C'est dégoulinant, non pas de bave arachnide, mais de propos fallacieux pas très jolis jolis, pour rester poli.

En ce qui concerne le Vieil Homme et la guerre, car c'est de lui qu'il s'agit après tout, on ne se situe pas sur le même plan. L'ensemble est d'ailleurs assez rondement mené.

A soixante quinze ans, John Perry rejoint les Forces de Défense Coloniale (hum...) et quitte la Terre à jamais. Il n'a que deux certitudes sur ce qui l'attend : la guerre et le rajeunissement. Sur le déroulement de l'un et de l'autre, il ne sait absolument rien.

En plus du ton, de la voix du personnage, héros presque malgré lui et en proie au doute, Scalzi distille des trouvailles savoureuses qui donnent un intérêt certain à l'action et au récit. Qu'il s'agisse du processus de rajeunissement en lui-même, des brigades fantômes ou du bestiaire extra-terrestre, le lecteur y trouve son compte.

Tout juste peut-on regretter un certain flou autour des relations humains/aliens. Le contexte des guerres exposées et l'implication des forces en action et des institutions manquent de contours structurants. Mais j'ai cru comprendre que tout ceci allait s'étoffer au cours du deuxième ouvrage (il y en a trois en tout) : les Brigades fantômes. Rendez-vous est pris !

07/04/2008

Onze jours / Donald Harstad


Une nuit du mois d’avril, alors que le dégel n’a pas encore eu lieu, un patelin du cœur de l’Iowa va perdre de sa tranquillité. Il aura suffi pour cela d’un seul appel anonyme. Mais pas des moindres.
Une voix féminine, paniquée, affirme qu’il y a eu un meurtre dans une ferme des environs. Le shérif Carl Houseman et les membres de son unité se rendent sur les lieux. Un mort, étendu derrière la porte, la main coupée. De la personne qui a appelé, aucune trace. L’horreur ne s’arrête pourtant pas là. Quelques heures plus tard, on découvre trois autres corps atrocement mutilés dans une ferme voisine. Vengeance ? Folie ? Secrets enfouis ? Crimes satanistes ? L’investigation commence…
…sur un rythme endiablé. Il est vrai, le début est quelque peu déroutant. Le lecteur assiste aux communications des forces de police ponctuées de leurs codes de transmissions. Des chiffres, des chiffres, et encore des chiffres qui correspondent à la nature d’un délit, ou qui servent à confirmer ou infirmer les échanges, ect… Les agents eux-mêmes ne s’appellent pas par leurs prénoms mais par des nombres que l’on suppose hiérarchiques. Etonnant quand on sait qu’ils se connaissent tous, qu’ils n’évoluent après tout que dans un village où les inconnus ne sont pas monnaie courante. Application des procédures oblige, bien sûr, les communications étant toutes enregistrées à des fins d’exploitation potentielles. Harstad décrit une scène d’intervention sur une scène de crime telle qu’elle se déroule dans la réalité, le monsieur ayant appartenu lui-même aux forces de l’ordre.
Déjà, pourtant, le lecteur sent qu’il ne lit pas une intrigue policière classique ; que l’auteur n’a pas pour seule ambition d’apporter un coupable à un crime donné tout en maniant avec habileté l’art du rebondissement. Tout cela il le fait effectivement. Mais il ne s’en tient pas là. Il associe habilement à son histoire une description de la vie d’une unité de police rurale, de ses difficultés humaines et financières, des luttes de pouvoir et des jalousies qu’elle implique. La dimension du récit devient alors tout à fait saisissante.
Harstad ne s’embarrasse pas de descriptions superflues et on lui en sait gré. Il va à l’essentiel et, autant le dire tout de go, l’essentiel vaut vraiment le détour.

03/04/2008

Le Jeu de Cuse / Wolfgang Jeschke


Nous sommes en 2052. L'Europe peine à se relever d'une guerre nucléaire qui l'a en partie ravagée. Les problèmes écologiques ont gagné en puissance. Selon les zones, les hommes survivent tant bien que mal dans des immeubles quasiment abandonnés, soumis à l'assaut de bandes barbares à qui il ne reste que la violence pour s'exprimer.

Mais le cataclysme n'est pas total et la reconstruction s'amorce. C'est dans ce contexte périlleux que Domenica Ligrina termine ses études de botanique. Très vite, elle reçoit une réponse favorable au poste un peu obscur auquel elle avait postulé quelques mois plus tôt. Elle rejoint alors le projet "Renaissance de la Création" mis au point par le Vatican. Son but: sauver le monde traversant le temps, rien que ça.

Pour ceux qui apprécient les histoires d'exploration temporelle, cette histoire est des plus attrayantes. Le livre lui-même l'est malheureusement moins.

Je dis malheureusement parce que ça commençait plutôt bien, même très bien. La description que fait Wolfgang Jeschke de l'Europe dévastée est on ne peut plus réussie. Le décor et les personnages y sont bien campés et l'on se plaît à imaginer la suite, quand le voyage dans le temps va peu à peu s'annoncer, puis se concrétiser.

C'est là que le bât blesse. La transition n'est à mon sens pas bien amenée. A partir du moment où Domenica rejoint les rangs des scientifiques du Vatican avec quelques uns de ses collègues étudiants, on se perd dans des longueurs inutiles et l'on voit trop vite et trop bien les paradoxes qu'impliquent ce genre de récits. Ici, les ficelles sont trop grosses. J'en veux pour exemple sa première rencontre avec Frans. Celui-ci l'aborde avec une familiarité troublante, comme s'il la connaissait déjà. Eh bien oui, c'est le cas et l'on devine vite pourquoi. Ensuite, il y a cette histoire de femme qui la reconnaît lorsqu'elle était petite dans une galerie de peinture, ou de cette femme sur le bûcher. Non, nous ne sommes pas dans la galerie des surprises, bien au contraire.

Car, je vous fiche mon billet, là, maintenant, que si l'on vous annonçait que demain, oui, demain, ou la semaine prochaine si vous préférez (le temps de vous faire à l'idée...), vous alliez voyager dans le temps, vous seriez pour le moins surpris ! Domenica, elle, ne l'est pas, ou si peu. Elle ne s'attache qu'à la manière dont le transfert temporel s'éxécute. Et là encore, ce n'est pas très bien amené ni vraiment convaincant. Pour le dire simplement, c'est plutôt compliqué. Le soliton, moi, je n'ai compris qu'en surface.

Dès lors, j'ai quand même assisté au premier voyage qui ne survient qu'à la moitié du bouquin, à peu près.Ensuite, je me suis lassé, de la longueur du récit, sans surprise, donc.

Dommage, car j'aurais aimé me délecter d'une telle histoire, d'autant plus que j'apprécie particulièrement la qualité des livres et des choix de la maison dédition l'Atalante, découvreuse et partageuse d'auteurs de qualité, français ou étrangers.

Tout compte fait, dans le même genre (l'héroïne est aussi une botaniste), je vous recommanderais plutôt le Jardin d'Iden de Kage Baker. Un livre...surprenant !