31/12/2008

Quelques questions à... Jean-Bernard Pouy

Il s'agissait de terminer l'année en beauté. C'est je crois chose faite avec cette interview préparée conjointement par Marie-Pierre Soriano et votre humble super-héros, à laquelle a bien volontiers voulu se prêter Jean-Bernard Pouy. Je ne vais pas m'étendre avec un long discours. Je vous laisse tout simplement savourer ce moment. Sachez tout de même que ces interviews ne sont que la partie émergée d'une émission de radio riche en découvertes dont vous pourrez avoir un léger aperçu, j'ai bien dit léger, en fin de bande. C'est dire !

tilidom.com

29/12/2008

La Fraternité du Panca. Tome 2, Soeur Ynolde / Pierre Bordage

Pour sauver l'ensemble des espèces vivantes, la Fraternité du Panca se voit dans l'obligation de reconstituer une chaîne Quinte. La tâche n'est pas aisée. Le Mal est là, prêt à tous les sacrifices, tous les meurtres, pour rompre le processus qui s'est enclenché avec le départ de Frère Ewen de sa planète pour Phaïstos où, conformément aux instructions qu'il a reçu, il a remis son implant vital au maillon suivant de la chaîne.

Dans ce deuxième volume - cinq sont prévus -, on suit donc le périple de Soeur Ynolde qui tente à son tour de rallier un autre membre de la Fraternité dans le système de Tau du Kolpter. En parallèle, on assiste à celui du jeune Silf, assassin du Thanaüm, dont l'ensemble des membres ont essaimé la galaxie pour enrayer la destruction de l'humanité qui incomberait à...la Fraternité du Panca.
Dans une récente interview accordée lors des Utopiales de Nantes au site Actu Sf, Pierre Bordage faisait part de la volonté qu'il avait eu d'insuffler plus de rythme à ce deuxième volume. Pari réussi, a-t-on envie de dire car c'est vrai, on se laisse facilement emporter par le récit et ce dès, le début. Il y a moins de temps mort que dans le premier tome qui m'avait surtout épaté dans sa dernière partie où l'action couvrait un nombre étendu d'années en un seul lieu, à savoir un vaisseau spatial.

Cependant, si le rythme est là ainsi que le plaisir toujours renouvelé de se laisser prendre par l'imagination de Pierre Bordage et de son talent avéré et nullement mis en doute de conteur, j'avoue être resté sur un avis mitigé au terme de ma lecture. Pour deux raisons principales dont l'une ne tient pas forcément au livre en lui-même. Je m'explique : j'ai lu beaucoup d'ouvrages de Pierre Bordage, presque tous, et il se trouve que dans celui-ci, les personnages, leurs mécanismes de pensées et de fonctionnements m'ont semblé étonnamment familiers. Comme des schémas récurrents, des clones d'autres livres et dont les intentions, qu'elles soient bonnes ou mauvaises, me sont apparues trop tranchées et prévisibles. J'en veux pour exemple le viol à répétition perpétré par le père d'un jeune homme qu'a rencontré Ynolde dans un vaisseau spatial, scène déjà lue, d'une certaine façon, et dont la principale victime se remet toujours de son traumatisme avec une rapidité surprenante. Familiarité aussi avec Silf, le jeune assassin, naïf et emprunt au doute qui s'aguerrit bien vite . Familiarité encore avec Dhuog qui, par bien des aspects m'a rappelé Abzalon.

Et puis il y a également un aspect mièvre pour le moins surprenant chez Pierre Bordage(je sais, je sais, je reviens régulièrement – trop ?- sur ces scènes qui entachent le récit par leur manque d'intérêt qu'elles leur apportent parfois, mais bon, on ne se refait pas...) : la baignade de Dhuog où Ynolde peut apercevoir ses muscles rouler sous sa peau, la déclaration d’amour avec ce " dès le premier instant où je t’ai vue "… de trop, à mon sens, pas vraiment nécessaire.

Fort heureusement, mis à part ces déconvenues, on ne peut par ailleurs qu’être ébloui par un bestiaire exceptionnel, les mondes visités, les villes traversées, les coutumes et l’Histoire de chaque peuplade que l’on découvre en même temps que les protagonistes de cette histoire. Alors là, pour la peine, l’originalité est là, bien là et on en prend plein les mirettes, comme on dit.

A mettre également au crédit ce deuxième volume, la distance prise par rapport à ce que l’on a l’habitude de lire dans ces histoires où le manichéisme est devenu monnaie courante. Ici, si les axes sont effectivement bien distincts, il n’en reste pas moins que les personnages sont tour à tour soumis au doute, à la remise en question, et enclins au renoncement. Pour des raisons qui sont propres à chacun. Le personnage de Silf est sans doute le plus représentatif de cette nuance apportée à la lutte du Bien contre le Mal, car depuis le début, il est conditionné pour tuer, pour obéir coûte que coûte, en aveugle. Et pourtant, on ne le considère jamais véritablement comme un assassin mais comme un garçon embarqué bien malgré lui dans une odyssée qui le dépasse et dont il se tire à merveille…

Déception d’un côté, emballement d’un autre, espérons que le troisième tome saura nous surprendre avec Frère…hé, comptez pas sur moi pour vous dévoiler son identité ! Non mais…
CITRIQ

26/12/2008

Le Pays sans adultes / Ondine Khayat

Le pays sans adultes est un roman signé Ondine Khayat, édité par Anne Carrière.
J'aurais préféré me cantonner à ce genre de parole informative. Purement informative.
Slimane est un petit garçon d'une dizaine d'années.
Slimane a un grand frère Maxence, qu'il aime plus que tout au monde. Une mère qui fait le ménage dans un hôtel sur l'autoroute, et un père alcoolique, chômeur chronique et violent. Tout est là. Lui, le père, c'est le Démon.
Il aurait peut être mieux valu que Ondine Khayat se contente aussi de ce genre de parole purement informative. Mais non.
Le démon donc, castagne toute la famille. Et croyez moi, on échappe à aucun détail. Le Démon a eu lui même des parents alcooliques, la mère de Slimane, elle, est une enfant de dame de joie, abandonnée, et incapable de sortir Slimane et Maxence de l'enfer de son mari.

Là, je commençais déjà à me dire : "Ça fait pas un peu beaucoup là ?"
Mais l'auteur et son éditrice, elles n'ont pas eu l'air de partager mon avis. Alors elles sont allées chercher toutes les grosses ficelles pour faire pleurer dans les chaumières. Et sur ce coup, rien à dire, elles ont réussi à merveille.
Voilà, je vais pas vous faire un dessin, je ne vais pas non plus vous dévoiler la catharsis et la fin du roman. Après tout, il ne s'agit là que d'un point de vue. Du mien.
Je ne suis pourtant pas de celles qui pensent que se taire est la meilleure des choses. Dénoncer l'horreur, dire pour ne pas oublier, ne pas se taire pour ne pas cautionner, il ne s'agit pas là que de simples concepts pour moi.

Mais je crois humblement, et l'histoire littéraire nous l'aura montré au fil de son histoire, que cela peut se faire avec beaucoup de talent. Je crois vraiment que l'auteur quand il est doué peut parvenir à éclairer nos consciences sur TOUS les sujets. Même les plus graves, les plus injustes. Même lorsqu'il s'agit de la maltraitance des enfants. Je me souviens de Du mercure sous la langue de Sylvain Trudel qui avec un talent incroyable dépeignait l'univers hospitalier vu par un adolescent. Je me souviens du non moins génial Entre Dieu et moi c'est fini de Katarina Mazetti qui lui traitait du suicide d'une adolescente vu par sa meilleure amie. Je me souviens du splendide Les larmes de l'assassin d'Anne-laure Bondoux, qui racontait l'histoire d'un enfant sans grande chance au départ de sa vie. Je me souviens d'Anne Franck, je me souviens aussi très bien de Poil de Carotte. Je me souviens encore d'Agota Kistof avec sa trilogie Le grand cahier, Le troisième mensonge et La preuve .... je me souviens donc très bien du fait qu'avec du talent, un auteur peut nous dire, absolument tout. Même en se plaçant d'un point de vue d'enfant ou d'adolescent.

Mais je ne me souvenais pas en revanche que cela devait rimer avec pathos et artillerie lourde. Je ne me souvenais encore moins que l'auteur se devait de sortir de la réalité pour nous arracher des larmes, et de faire d'un enfant, ce qu'il n'est pas : un adulte non corrompu.

Je ne savais pas que pour parler de l'injustice de la privation d'enfance et d'insouciance, seuls les ressorts de l'abject téléthon étaient utilisables. A savoir nous montrer des enfants qui n'avaient pourtant rien demandé - pas des comme nous salis jusqu'à l'os par les compromissions - des enfants accablés par la folie et la connerie des adultes, pour titiller nos mauvaises consciences, en nous les rendant encore plus innocents qu'ils ne le sont.

Voilà. Je vous avoue ici que bien des fois au cours de ma lecture, je me suis dis "là, j'arrête". Mais pour vous en parler, je suis allée jusqu'au bout. La dernière page refermée, une seule empreinte est restée : celle de la colère. Et cette sale impression de m'être fait manipulée.
Dommage.

17/12/2008

Carbone modifié / Richard Morgan

26ème siècle. L'Humanité a conquis les étoiles, s'est implantée dans plusieurs systèmes solaires. L'immortalité est presque acquise. Presque. Il suffit de stocker sa conscience dans une pile corticale et de la transférer dans un nouveau corps.

Pour Takeshi Kovacs, ancien membre du corps d'élite des Corps Diplomatiques, mort et résurrection sont devenues monnaie courante. Mais ce n'est bien sûr jamais une partie de plaisir, loin de là. A l'heure où commence cette histoire, Takeshi Kovacs renaît pour être envoyé sur Terre, dans un corps auquel il va devoir s'habituer très vite. Sa mission consiste à démêler les fils d'une bien louche affaire : un riche magnat voudrait élucider sa propre mort, retrouver celui ou ceux qui ont voulu l'assassiner. Pas si simple quand on sait que la police a quant à elle conclu au suicide, et qu'elle n'est pas forcément dans les meilleures dispositions pour lui venir en aide.

On dit souvent que c'est avec les vieilles recettes qu'on fait les meilleurs plats...mais pas forcément les meilleurs livres. L'employeur plus que riche dont la femme va au-delà de la simple drague avec le détective engagé pour une affaire où personne n'est ou tout blanc ou tout noir, les bôites de strip-tease, les bas-fonds de la ville... Il y a comme un sentiment de déjà-vu qui flotte là-dedans. En soi, ce n'est pas cela qui est vraiment gênant. Comme ne l'est pas non plus le monde à la Blade Runner dans lequel Richard Morgan campe son décor. Celui-ci est même plutôt plaisant. Cependant plusieurs éléments attrayants, au potentiel très riche (la réincarnation, le stockage de l'esprit, de l'âme, de la personnalité (rayez ce qui vous convient) ) auraient mérité d'être plus fouillés, mieux exploités dans un contexte qui s'y prêtait vraiment. Il y avait en effet tout pour faire de Carbone modifié un très grand titre de science-fiction.

Au lieu de quoi, on assiste à une succession de scènes bourrines de chez bourrines (et encore en disant ça, j'ai encore l'impression d'être en deçà de la réalité !) qui desservent sans cesse le récit, le décridibilisent. Takeshi Kovacs pulvérise crâne sur crâne sans état d'âme, provoquant ainsi la mort véritable de ses victimes. A quoi ça sert d'être devenu quasi immortel si on peut vous ôter la vie avec une facilité aussi déconcertante ? Hein, je vous le demande ! A moins bien sûr que l'auteur n'ait voulu signifier par là qu'il ne sert à rien de courir après l'éternité de la conscience. Franchement si c'est le cas, le traitement laisse perplexe. Quoi qu'il en soit, au bout de cinquante huit têtes carbonisées (à une ou deux près, bien sûr - mais comment ai-je tenu aussi longtemps ?!?!), ça devient on ne peut plus pénible. Au point de lâcher prise en se disant que c'est bien dommage.

A ne réserver qu'aux fans d'action pure et dure qui y trouveront peut-être leur compte.

10/12/2008

La Récup' / Jean-Bernard Pouy

Et voilà, pour peu que vous leur lâchiez la bride, les héros de polars se sentent pousser des ailes. Et vas-y que je vais me battre contre moulins et autres machines à broyer du commun des mortels, et que je n'hésite pas à me mettre dans des situations pour le moins inextricables.

Tenez, Antoine, par exemple, Loulou pour les intimes, le dernier personnage en date de Jean-Bernard Pouy – à moins qu'un autre ne voit le jour ces temps-ci, on ne sait jamais avec le monsieur : j'ai ouï dire qu'il allait s'adonner à l'écriture en feuilletons, à l'ancienne... - donc Loulou, pour revenir à lui, je n'aurais vraiment pas donné cher de sa peau, et d'ailleurs, dès le début, il était pas loin de rester sur le carreau, alors que rien ne laissait présager un tel scénario. Loulou, ça fait un bail qu'il s'était rangé, qu'il ne trempait plus dans la magouille. Son métier de serrurier, il l'exécutait en toute légalité. Mais là, l'occase était trop belle. Un petit contrat qui lui permettrait de se doter d'une nouvelle machine bien huilée. De l'investissement sur le long terme. Une serrure à déjouer dans un manoir et pas moins de 10 000 euros dans la poche au bout du compte. Mais voilà, c'était trop facile justement et les russes qui l'avaient embauché reviennent sur leur contrat et laissent Loulou à moitié mort sur le quai d'une gare.

C'est alors que commencent les vrais déboires pour Loulou. Car au lieu de se terrer et de se contenter de sa survie, celui-ci, un brin naïf, chanceux et quelque peu vieillissant va jouer de sa détermination – réjouissante détermination ! - et de sa chance – ça peut toujours servir quand les balles sifflent - pour récupérer son dû.

Y'a pas à dire, Jean-Bernard Pouy n'a pas son pareil pour capter l'attention de son lecteur. Il a la gouaille, le mordant, le mors aux dents, et cette déconcertante facilité, toujours, à jouer avec les mots, à les enrober pour le meilleur et pour le pire. Et derrière tout ça, avec tout ça, aussi, on sent le plaisir que prend le monsieur à l'écriture, le soin tout particulier qu'il prend à façonner son personnage principal, à le mettre en situation, à raconter son histoire.

De même, dans ce roman noir miroir, ce qui m'a le plus charmé, quelque part, c'est cette description d'un quotidien, l'attachement évident aux gens ordinaires, au sens mélioratif du terme, à une frange de la population qui se retrouve au bord des comptoirs, dans les bistrots ou les manifs pour échanger, vivre, vibrer à l'unisson, et cette volonté, presque sensible, de toujours coller à son époque, quoi qu'il advienne, quels que soient ses défauts, ses pauvres mordus du fric adeptes de l'empapaoutage à tous les étages.

Du Pouy en grande forme, comme on l'aime.

04/12/2008

Quelques questions à.... Régis de Sà Moreira

Un nouveau petit détour à bord du Zinc ! Après avoir tour à tour dévoré Mari et femme de Régis de Sà Moreira, Marie-Pierre Soriano, Gentille Pestouille et moi-même avons eu le plaisir de l'interroger à propos de ce roman qui a été - comment dire ? - l'objet de discussions passionnées et passionnantes sur nos chères conditions respectives... Alors pour ceux qui ont déjà eu la chance de lire ce livre et ceux qui auront la chance de le lire bientôt, n'hésitez pas : embarquez à bord du zinc pour cette chaleureuse interview !


tilidom.com

> Marie-Pierre Soriano : Régis de Sà Moreira, bonjour et merci d’avoir accepté mon invitation. Alors Mari et femme c’est votre dernier roman. Comment s’inscrit-il dans votre bibliographie, finalement ?

RdSM : Alors bonjour. Mari et femme c’est mon 4ème roman. Et comment il s’inscrit ?…Le dernier était paru en 2004. Donc il s’inscrit après 4 ans de silence.[rires]

MPS : Oui, il y avait eu une alternance régulière entre les trois premiers, hein ?

RdSM : Oui, c’était tous les deux ans.

MPS :Là vous avez un peu…

RdSM : Oui, j’ai pris un peu plus de temps.[sourires].

MPS: Il a été plus long à venir ?

RdSM : Euh, voilà ouais.

MPS : D'accord. Moi j'ai trouvé que c’était un roman qui pose beaucoup de questions et qui ne prétend pas y répondre. Est-ce que vous diriez qu'il s'agit d'un message...enfin...que le message contenu dans votre roman, il porte sur l'importance de s'aimer soi ou sur l'importance de se mettre à la place de l'autre?

RdSM: Les deux à la fois. En tout cas je suis complètement d'accord avec ce que vous dites sur les questions. Moi ce qui m'intéresse vraiment, c'est de poser des questions et puis de laisser les gens se les poser ensuite, et pas forcément y apporter des réponses. Donc...en tout cas ça questionne ce domaine là, quoi, qui est le...non seulement c'est la rapport à soi et à l'autre et sur la possibilité de vivre à deux, quoi.

MPS : Alors sur ce principe là, hein, du mari qui se réveille dans le corps de sa femme et la femme dans le corps de son mari, qu'est-ce qui est le plus important ,finalement. Le corps ou l'âme? Le contenant ou le contenu?

RdSM: Oh ben...Pour le coup je suis pas sûr. Je trouve que c'est une, un peu, dans le livre en tout cas une fausse question. J'ai l'impression, enfin je m'en rends compte de plus en plus, parce que on met toujours un peu de temps à comprendre ce qu'on a fait [rires]. J'ai l'impression que c’est pas tellement ça l’important, que l’échange de base même s'il est très attrayant et qu’on entre dans le livre comme ça, peu à peu peut être qu'il devient presque un prétexte en fait, et que on le laisse un peu de coté pour vraiment suivre ce qui est plutôt l'évolution d'un couple. Enfin je sais pas si vous êtes d'accord?

MPS: Oui, si si c'est vrai.

RdSM : Ou du coup ça devient moins...heureusement d'ailleurs parce que si c'était juste ça l'idée ça serait ....

MPS :…ça serait un peu pauvre.

RdSM : Ouais. Et donc, voilà, et puis on se rend co...enfin ce que j'aimais bien, moi, ce que je trouvais chouette enfin faut pas tout dire mais, quelque part ça a pas vraiment d'importance dans quel corps ils sont, quoi. Enfin, que…que pour eux en tout cas ce qui compte c’est de continuer leur histoire. Bon ben voilà ça leur arrive, donc ils le prennent aussi, aussi bien,[sourires]en fin aussi sincèrement que possible, et ensuite de voir comment on peut s'en sortir comme ça, quoi.

MPS :Est-ce qu'au cours de l'écriture vous avez eu des problèmes avec les doutes ? Enfin est-ce que vous avez douté quant à la place laissée aux clichés, aux poncifs parce que somme toute, vous ne pouvez que malgré tout supposer ce que c'est que d'être une femme ?

RdSM:[rires!] qu'en savez-vous ? [Rires].

MPS : Ah ben. Je vais vous dire [sourires]. Je l'ai lu figurez-vous, c'est bien embêtant…

RdSM: [rires].

MPS: Avant d'interviewer, je l'ai lu et j'ai bien compris que vous ne pouvez faire que supposer.

RdSM: Ben...Imaginer, ouais, ouais. Oui , ben oui, c'était le risque, oui. Enfin moi c'est un risque que j'ai couru. Enfin, d'ailleurs je pense, aussi que ça dépend des lecteurs sur le… comment se passe la réception. Mais bon, c'est une affaire de confiance, quoi. J'ai l'impression quand on tente comme ça une aventure imaginaire de manière un peu sincère, on est obligé de se faire confiance parce que si on se met des...à se juger trop vite et à se demander de quoi ça a l'air , « est-ce que c'est pas un cliché ? », ça devient intellectuel et ce qui est intellectuel c'est souvent ennuyeux, et puis faux. Donc c'est vraiment un livre moi où j'ai dû faire beaucoup confiance à la fois à mon inconscient et puis à la..., je sais pas, à la vie.

MPS: Est-ce que pour l'écrire vous avez posé beaucoup de questions aux femmes qui vous entourent ou pas du tout ? Vous avez tout fait tout seul.

RdSM : Très peu. Mais bon moi j'ai 35 ans, donc j'ai eu l'occasion dans ma vie de....

MPS: …de croiser quelques femmes.

RdSM : Ouais des femmes avant ça . Donc même si j'étais pas toujours dans un…dans un...dans une attitude d'enquête, je me suis toujours intéressé à ce que ça pouvait être d'être l'autre, enfin en tout cas d'être une femme donc euh, je suis sûr d'en avoir posé beaucoup dans le passé. Ensuite, une fois que j'ai commencé à écrire ce livre, à savoir que je l'écrivais, c'était vraiment des choses très très précises, et d'ailleurs la plupart, je m'en suis pas servi. Je me rappelle j'ai posé pas mal de questions sur les cheveux, les coupes de cheveux, les peintures de cheveux, des choses comme ça. Où je me demandais notamment, la fréquence, combien de temps ça mettait, enfin des choses auxquelles j'avais pas forcément pensé avant, comment on se séchait les cheveux...et finalement ça apparaît très peu dans le livre. [Rires]. Donc c'est un travail qui nourrit en profondeur mais qui est pas vraiment là, en surface.

MPS: D'accord. A quelle femme auteur, ou même peut-être pas d'ailleurs, proposeriez-vous d'écrire le pendant de votre roman, mais cette fois du point de vue de la femme dans le corps du mari?

RdSM: Ah....voilà une question intéressante !

MPS : D'ailleurs, on ouvre, enfin , on pose la question aux auditeurs. Si quelqu'un est intéressé, enfin si quelqu'une est intéressée, on est preneur.

RdSM[rires] : Ben ouais c'est marrant parce qu’en plus, je me suis demandé, moi à un moment si je devrais pas le faire et tout ça, et puis je me rends compte que c'est pas…c'est beaucoup moins ma place, quoi.

MPS : Ah ben…à mon avis c'est pas possible.[sourires]

RdSM: Ouais, je vais le faire avec moins de plaisir déjà, et je pense que c'est important que y'ait du plaisir là dedans, sinon ça deviendrait très laborieux; Et puis ensuite sans doute, vous avez raison, ouais, ça serait sans doute pas possible. Et quelle femme....?

MPS: Oui. A quelle femme vous confiriez ça ?

RdSM: Je sais pas si je connais assez bien les femmes contemporaines...

MPS: Enfin même si c'était, même on va dire, un auteur, même une femme morte, pour avoir une idée.

RdSM : Y'a un écrivain que j'aime beaucoup qui s'appelle Carson McCullers. Mais bon c 'est très différent, hein . Je sais pas pourquoi je pense à elle d'un coup, là. C'est un livre qui s’appelle Le Coeur est un chasseur solitaire, qui est vraiment formidable. Mais je suis pas sûr que ça ait tellement de connexions. Je sais pas. C'est une question intéressante mais difficile.[rires]

MPS : Savez-vous que quand même après la lecture de Mari et femme, je me suis surprise à me demander plusieurs fois si certaines personnes en face de moi n'étaient pas en réalité un ou une autre enfermé(e) dans un autre corps ?

RdSM : Ah ben c'est bien.[rires]

MPS : Finalement, est-ce que tout est possible Régis de Sà Moreira?

RdSM: Ah oui, ben moi, ça c'est mon hypothèse de départ, sinon je pourrais pas écrire, en fait, je crois. Enfin, c'est... Ça veut pas dire que je fais de la science-fiction mais euh, moi c’est ça qui m'intéresse. Ma démarche à moi c'est...de, je veux dire c'est pas parce que quelque chose n'est jamais arrivé qu'il arrivera jamais, et que donc pourquoi pas ? Et si ça arrivait qu’est-ce qui se passerait ? Et...Et Je remarque que peut-être pas toujours de manière aussi évidente, mais en fait que presque tous mes livres reposent là- dessus. Et que oui, tout est possible, oui.

MPS: D'un point de vue technique à présent, j'aurais voulu savoir comment vous vous en êtes sortis avec les pronoms. Est-ce que l'absence de pronoms, très souvent utilisés, et puis dès la page 118 l'utilisation du « nous », ça, ça a un sens précis en fait ?

RdSM : Ah ben je savais pas que ça commençait page 118. Qu'est-ce qui se passe page 118?

MPS : Ah ben en fait vous vous mettez à utiliser le « nous ».

RdSM : Ça n’y est pas avant ?

MPS : Non

RdSM : Ahhhhh...

MPS : [Rires].

RdSM : Ah bon ?

MPS : Vous l'avez lu ?

RdSM :[Rires].

MPS : Est-ce que vous l'avez lu ?

RdSM : Je l'ai lu. Enfin je l'ai lu. Je sais pas si je l'ai lu en fait. Mais je l'ai beaucoup relu, ouais. Euh...C'est partie naturelle, partie travaillée, ça. Moi, chez moi c'est comme ça que je fonctionne. C’est à dire que mon travail, c'est que je fais beaucoup de, pour commencer, de roue libre, comme ça. Comme je disais un peu d'écriture pas inconsciente mais vraiment très très libre et très improvisée. Vraiment comme de l'improvisation au théâtre. Et ensuite je reviens dessus et je fais un travail presque maniaque de réécriture. Donc après y'a une part qu'on...la plus grosse part a été faite au début mais c'est ensuite de la nettoyer , quoi, un peu comme une pierre précieuse, d'enlever tout ce qui est en trop. C'est beaucoup d'enlever. Donc y'a beaucoup de choses dedans qui sont pas réfléchies, qui ont été faites...

MPS :…spontanément...

RdSM : Ouais ou…ouais spontanément mais ensuite c'est réorganisé, quoi. Mais c'est pas mathématique, ouais. D'ailleurs y'a des supers livres qui sont faits sur des schémas mathématiques. J'ai rien contre. Mais celui-là n'a pas été fait comme ça.

MPS : En parcourant les blogs sur internet qui évoquent Mari et femme je me suis aperçu
que votre roman a été lu, bizarrement, par beaucoup de femmes. Est-ce que c'est le public auquel vous vous adressiez en l'écrivant ou pas du tout?

RdSM : Non, pas du tout. Enfin pas du tout, oui, mais pas seulement quoi. Moi je m'adresse à un lecteur imaginaire qui est homme ou femme, j'en sais rien. Vraiment. Ça c'était pour chaque livre, hein , pas seulement pour celui-là. J'ai même eu un doute, un doute de dernière minute, je crois, parce que quand je l'ai envoyé à mon éditrice, donc une femme [sourires], y'avait que mon frère qui l'avait lu. Et du coup, elle a mis un peu de temps à me répondre parce qu'elle était super occupée , quelle le lisait lentement et tout ça...et y'a un moment où ben bon on sait pas, on panique enfin, voilà quoi on se dit « merde...pourquoi »…

MPS: …qu'elle dise : « ça a pas marché »…

RdSM : Et où je me suis dit je me rappelle à ce moment là « merde peut-être que ça marche pas avec une fille, en fait, peut-être que ça marche pas avec une femme et que, ok, bon mon frère ça a super bien marché, mais que je vais me rendre compte que »....et puis pas du tout en fait. Elle était en retard parce qu'elle manquait de temps et au contraire elle avait vraiment beaucoup beaucoup aimé. Donc ça c'était, c'était la bonne nouvelle, c'est qu'elle m'appelait pour les deux. Ce qui en, fait est assez logique, enfin bon, quelque part.

MPS : Oui. Est-ce que vous avez pensé au cours de l'écriture à développer...alors, je vais essayer de ne pas tout dévoiler mais, plus, la toute fin, hein, c'est un peu le choc de la fin...Est-ce que n'aurait pas été une façon d'aller carrément plus en profondeur finalement dans le mystère de ce que c'est que d'être une femme pour vous, en fait?

RdSM: De continuer le livre, vous voulez dire...dans le temps ?

MPS: Non pas le continuer parce que je trouve que c'est sa concision qui fait toute sa force. Mais au lieu de développer plus sur les moments où il va au travail, plus prendre plus de temps pour parler justement de cette grande chose qui se passe à la fin ?


RdSM : Franchement...euh...est-ce que j'y ai pensé?

MPS : Ouais. Est-ce que vous y avez pensé et est-ce que vous avez reculé, parce que là vous vous êtes dit : « non ça je peux pas », enfin, tellement vous ne savez pas finalement.[sourires]

RdSM : Eh ben non, j'y ai même pas pensé en fait. Pour moi c’est arrivé comme la fin, quoi. Je sais que ça m'est arrivé dans d'autres livres de ne pas comprendre quand est-ce qu'ils s'étaient finis, de chercher , de revenir en arrière, d'aller plus loin et tout. Tandis que là c'était très clair, quoi. Et puis surtout la dernière phrase. Enfin j'ai pas… en tout cas, j'ai pas consciemment envisagé d'aller plus loin.

MPS : D'accord. Donc Régis de Sà Moreira, on va finir cette interview par la question que je pose à tous mes invités. Alors figurez-vous que vous êtes le premier à m'avoir mis un doute sur la question. La question c'est « Régis de Sà Moreira, avez-vous la vie dont vous rêviez quand vous étiez un enfant? »

RdSM : [Rires] [silence]....euh....je sais pas. Je crois pas que je rêvais une vie quand j'étais un enfant. Désolé, ça annule un peu la question mais...

MPS : Non. Pas du tout. Je vais vous poser la question que j'ai pensé juste pour vous. Est-ce que vous avez la vie dont vous rêviez quand vous étiez une femme ?

RdSM : Rires]... oui peut-être plus, oui....[sourires]


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