20/09/2013

Polarama / David Gordon

Si d'aventure vous n'étiez pas d'humeur à lire, vous pouvez écouter  la chronique qui suit juste ici...

Harry Bloch, à ne pas cofondre avec le Harry Bosch de Michael Connelly est un écrivain protéiforme. Ou disons qu'il possède plusieurs cordes à son arc  : il sévit dans tous les genres, sous divers pseudonymes. Ça l'aide à ne pas tirer le diable par la queue et à assurer ses fins de mois, qu'il complète d'ailleurs en donnant des cours – entendez par là en faisant les devoirs – de Claire, une jeune lycéenne de quinze ans richissime. Parmi son panel de compétences, ce sont ses histoires de vampires écrits sous le nom de Mme Sybilline Lorindo Gold qui remportent un relatif succès auprès d'un lectorat ciblé. Cependant, c'est bien suite à L'Homme qui murmurait à l'oreille des salopes, sa chronique régulière assurée dans un magazine porno, que Darian Clay, tueur en série ouvrez les guillemets « artistique » lui propose un marché. Devant être exécuté dans moins de trois mois, l'homme compte bien mettre ses derniers jours à profit : il demande à Bloch d'écrire des histoires plus que suggestives après avoir rencontré les femmes avec lesquelles il entretient une correspondance très, comment dire, très explicite... En échange, il consent à ce qu'Harry écrive un livre sur lui et à lui donner des éléments clés sur les meurtres qu'il a commis, dont peut-être l'emplacement des têtes de ses victimes qui n'ont jamais été retrouvées.

Un petit conseil : méfiez-vous de David Gordon. Difficile de croire en effet que Polarama est son premier roman, comme l'indique la quatrième de couverture, tant il fait preuve de maîtrise, nous amène sur des sentiers insoupçonnés et insoupçonnables, usant de faux-semblants on ne peut plus savoureux. J'ai bien pensé un moment qu'un autre auteur se cachait derrière son nom, David Gordon ne manque d'ailleurs pas d'instiller le doute ici ou là. Mais bon ce serait passer après un certain Robert Galbraith, alias J.K. Rowling, et son appel du coucou qui va passer d'une impression de 1500 exemplaires à plusieurs centaines de milliers, le temps d'une heureuse ou malencontreuse fuite, on ne sait pas vraiment et à vrai dire, on s'en fout un peu....

Revenons donc à notre excellentissime Polarama dans lequel Gordonouquelquesoitsonnom joue délicieusement avec les codes du polar, invite à des séquences attendues par le lecteur pour finalement s'amuser de bout en bout à les décliner. Après avoir pris connaissance du résumé, on est prêt à subir une tension toute Hannibal Lecteurienne, à assister à un choc des personnalités, à éprouver une empathie toute Dexterrienne pour Dorian Gray – pardon, Darian Clay -, empathie très à la mode en matière de tueurs en série - de fiction, est-il besoin de le préciser ?

Au lieu de quoi, Gordon nous propose tout à fait autre chose avec son trio d'enquêteur hautement improbable (un anti-héros écrivain presque raté et désabusé, une stripteaseuse énigmatique, sœur d'une des victimes de Clay, une lycéenne malicieuse au culot réjouissant), un trio, donc, qui subit plus qu'il ne résout l'énigme entourant les meurtres perpétrés par le tueur en série, puis ceux commis successivement sur les femmes interrogées par Harry dans le but d'écrire ses histoires cochonnes.

Improbables personnages, improbable enquête, improbable (s?) coupable(s?) (ne pas trop en dire...).mais réussite totale que ce Polarama, lequel fourmille de clins d'oeil au cinéma et à la littérature de genre, tout en faisant preuve d'un humour ravageur. Gordonouquelquesoitsonnom démontre de façon magistrale qu'on peut faire du neuf avec du vieux, du vieux avec du neuf, avec ou sans rebondissements tirés du chapeau. Chapeau, donc, monsieur... ou madame...

Polarama, de David Gordon, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Laures Manceau, Actes Sud (actes noirs), 2013, 416 p.

 

15/09/2013

En attendant la vague et l'Arbre à bouteilles

J'ai mis le temps mais voilà, chose promise (cf, les deux derniers billets)... chose à moitié due.

Vous allez comprendre.

En attendant la vague, livre magnifique signé Gianrico Carofiglio est sans doute le plus beau livre que j'aie lu cette année. C'est aussi celui à ce jour dont j'ai le plus de mal à parler. Peut-être parce que je suis tombé sur le compte-rendu qu'en a fait Bad Chili et qu'il exprime mieux que je ne pourrais le faire tout ce qu'il y a à dire sur ce livre. Qui plus est, j'aurais l'impression de m'adonner à du plagiat si je m'y aventurais. Aussi, je vous renvoie tout naturellement vers l'article concerné, juste là. Mais vraiment, lisez, lisez ce livre !

Et je passe donc maintenant à L'Arbre à bouteilles de Joe R. Lansdale.

Léonard vient de perdre son oncle Chester. Il ne le voyait plus depuis qu'il avait annoncé son homosexualité au vieil homme. Malgré cette distance et leurs désaccords, le vieil homme lui a légué pas moins de cent mille dollars et une vieille bicoque à retaper, à Laborde, Texas. Sans compter un tableau et des bons de réduction... Pour l'aider dans sa tâche, Léonard demande à son vieil ami Hap de lui filer un coup de main. Ils ne seront pas trop de deux pour remettre la maison d'aplomb. Si la tâche est ardue, elle se complique de manière tout à fait déconcertante lorsqu'ils découvrent le squelette d'un enfant dans une malle, laquelle contient aussi des revues pédophiles et des bons de réduction identiques à ceux que l'Oncle Chester a légué à Léonard...

L'Arbre à bouteilles est le second volume des aventures consacrées à Hap Collins, narrateur de cette histoire, et Léonard Pine. Il est étonnant que le premier volet – Savage seasons – n'ait pas été traduit en français, mais rassurez-vous, ça ne gêne en rien la lecture de celui-ci tant il captive de bout en bout. Grâce à l'évocation " du quartier noir de La Borde, pour les uns, la 'ville nègre' pour d'autres et la 'banlieue est' pour le reste ", et de ce qu'elle implique dans les rapports entre les différents protagonistes de cette histoire : problèmes d'identité et de place dans la société américaine, voire dans un état qui, rappelons-le, n'est pas exempt de dérapages racistes. Et encore, le mot est faible... Ces aspects fondus dans le récit lui servent de toile de fond. Ils apparaissent dans la relation qu'entretient Hap avec la jeune femme chargée d'assurer la succession des biens de l'oncle Chester, à travers le cas de conscience qui s'impose à elle en fréquentant un homme blanc, en n'osant pas sortir avec lui en ville au regard de tous. Mais ils se révèlent aussi dans l'amitié on ne peut plus forte et complice que nourrissent Hap et Léonard, tendrement vacharde par moments, et qui prend aussi ses racines dans leurs différences.

Cependant, Joe. R. Lansdale va aussi au-delà de ces considérations. Dans le contexte de misère et de chômage du quartier de Laborde où la drogue se vend au vu et au su de tous, y compris de la police sans que celle-ci ne puisse ou ne veuille rien y faire, il livre aussi une charge bien sentie contre les prédicateurs de tous poils. De ceux si farouchement enferrés dans leur croyance et leur doctrine, qu'ils deviennent aveugles au bon sens, hermétiques à l'ouverture, à la différence, pourvoyeurs d'une Pensée unique. Dangereux.

L'arbre à bouteilles, je vous le dis, est un polar enthousiasmant, riche, rythmé, drôle, délicat et qui ne manque pas de... de punch. Le genre de polar qui vous fait aimer le polar, rien que ça.

En attendant la vague, de Gianrico Carofiglio, traduit de l'italien par Nathalie Bauer, Seuil, 2013, 276 p.
L'Arbre à bouteilles de Joe R. Lansdale, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Bernard Blanc, Gallimard (Folio policier), 2004, 352 p.