30/11/2010

Un employé modèle / Paul Cleave

C'est l'overdose. L'Overdose, plutôt, avec une belle majuscule. Le thriller a ses modes, celle du tueur en série pour lequel on voudrait nous faire éprouver de l'empathie en est une. C'est parfois réussi, pas toujours, loin s'en faut. Thomas Harris a ouvert la voie avec Hannibal Lecter, et certains ont vite fait de s'engouffrer dans la brèche au vu de son succès. Vous me direz, d'autres ont fait pareil en éclaboussant leurs pages de templiers détenteurs de secrets (sa)christiques ou en faisant bourgeonner des magiciens à tout bout de champs. On ne va pas y revenir, c'est comme ça et ce n'est certainement pas un super-héros qui va y super-changer super-grand chose. Faudrait voir à pas trop s'y croire non plus.

Sauf qu'à un moment donné, à force, il faut que ça sorte. Ça fait du bien. Après je passerai à autre chose, parce que là, je le vois bien, c'est la troisième fois en peu de temps que je viens faire part de déceptions de lecture. Si ça continue, je vais finir par croire que je ne sais plus lire ou qu'à force de tout décortiquer, j'ai oublié le goût des couleuvres qu'un auteur aurait pu me faire avaler sans même que je m'en rende compte.

Le problème avec Un employé modèle ainsi qu'avec pas mal d'autres thrillers qui nous servent un tueur en série sur un plateau, c'est que les auteurs ont tendance à confondre inventivité et originalité – ce serait ballot de faire comme les autres, hein – avec surenchère. Surenchère de glauque, de violence, de gore, de complexité des personnages. Si vous voulez, c'est un peu comme s'il fallait jouer à celui qui dégoûtera le plus son lecteur, qui le mettra le plus mal à l'aise, quitte pour cela à employer les grands moyens. Comme par exemple d'écrire le récit d'un meurtrier à la première personne et de nous faire assister, à travers son prisme à lui, à un premier crime, puis à d'autres. Pas question pour moi d'être bégueule. Ça aurait pu fonctionner. Mais là trop, c'est trop, et pas forcément dans l'horreur non plus. Parce qu'au final la vraie surenchère de pas mal de ces bouquins, c'est celle du ridicule. Voyez plutôt : dans ce livre de Paul Cleave, le boucher de Christchurch fait gonfler à lui tout seul les statistiques de voitures volés, qu'il remplit de cadavres sans aucun, mais alors aucun souci. A ce rythme là, on a l'impression qu'il s'entraîne à un contre-la-montre pour la prochaine olympiade de tueurs en série ; rajoutez à ceci qu'en suivant les méandres de sa pensée on a l'impression d'avoir ouvert le Manuel de psychologie élémentaire des détraqués pour les nuls, qu'à un moment de l'histoire – ne m'en voulez pas trop si je vous dévoile certains éléments clés de cette intrigue trépidante – manque de pot, il sort un soir en ville et voilà-t-y pas que la fille qu'il avait prévu de tuer se révèle elle-même une tueuse dont la psychologie est – ô miracle – comparable à la sienne ; et je ne pourrai terminer sans parler de l'évitable mais apparemment incontournable triturage de chair fraîchement offerte, et vas-y que je m'en lèche les doigts au passage.

Et après on voudrait nous faire éprouver de l'empathie pour un tel personnage sous un prétexte quelconque que, je l'avoue, j'ai bien du mal à déterminer. Prendre connaissance de la folie d'un monstre qui n'en reste pas moins un homme ? Comprendre ses mécanismes dans une société débordée par ses excès ? Je n'ai rien vu de tout cela. Je n'ai en fait retenu qu'une espèce de banalisation gratuite de la violence, et du crime par extension. Preuve suprême que le ridicule tue... même sur le papier.

Un employé modèle, Paul Cleave, traduit de l'anglais (Nouvelle-Zélande), Sonatine, 421 p.

22/11/2010

La Musique du sang / Greg Bear

La hard science, en ce qui me concerne, c'est un peu comme le bricolage. Quand cela fait longtemps, très longtemps que je n'y ai pas goûté et que l'occasion m'est enfin donnée de m'investir à nouveau dedans, j'y vais le cœur léger, de l'enthousiasme plein les ballons. Cette fois-ci, me dis-je, je vais m'accrocher, faire face aux écueils qui, c'est inévitable, jailliront en travers de ma route. Je ne vais pas faillir. Pas comme les autres fois. Sous prétexte que non, décidément, les voies de l'un et de l'autre sont irrémédiablement impénétrables. En guise de preuve, je pourrais citer tous les ouvrages de hard science que j'ai laissé tomber en cours de route, ceux où je n'y ai compris goutte, ceux qui m'ont laissé de marbre ; je pourrais dresser l'inventaire de mes étagères de guingois, des trous dans les murs bien plus gros que n'importe quelle mèche de perceuse, des tringles qui sans signe avant-coureur succombent tous les trois mois environ aux lois de la gravité.

Avec La Musique de sang qui a paraît-il révélé Greg Bear, je pensais enfin avoir effectué une percée concluante dans le domaine de la hard science. Seulement, après avoir franchi un premier mur, voici que c'est un autre, insurmontable cette fois, qui m'a barré la route.

Explication.

J'avais ce préjugé de croire que les auteurs faisant de la science la matière première de leur récit ne parvenaient jamais à donner de l'envergure à leurs personnages. Ceux-ci n'étant en fin de compte que des faire-valoir, des pions, des balises, des prétextes dans le cadre d'une démonstration inscrite elle-même dans un roman. La question qui me turlupinait - et me turlupine encore - était de savoir comment pouvait-on finalement prétendre parler de l'Humain si les personnages étaient justement si dénués d'humanité, si on ne parvenait jamais à croire en eux, et si ne serait-ce qu'une étincelle d'empathie ne brillait que par son absence ?

Malgré un jargon scientifique assez pointu

"Tout d'abord, il faut trouver un segment d'ADN viral qui code pour les topoïsomérases et les gyrases. Tu l'attaches à ton ADN cible et tu l'aides à diminuer le nombre d'attaches... pour hyper-enrouler négativement la molécule cible. Dans mes premières expériences, je me suis servi d'éthidium, mais..."

que certains auront heureusement le plaisir d'apprécier, Greg Bear m'a convaincu que je me trompais... jusqu'à la moitié du roman où j'ai retrouvé les travers que j'impute à la hard science - et encore une fois, je ne demande pas mieux qu'on me démontre combien j'ai tout faux.

Vergil Ulam est un beau personnage, complexe et déroutant. Contraint de quitter en urgence le laboratoire pour lequel il travaillait, il s'injecte les cellules intelligentes dont il faisait la culture. Le résultat ne se fait pas attendre, le corps de Vergil connaît des transformations physiques mélioratives.

Cette partie du roman est la plus prenante. Parce que l'on avance en territoire inconnu sans jamais appréhender la capacité évolutive des cellules dans son ensemble, tout en devinant que leurs intentions ne sont pas mauvaises. Mais aussi parce que Vergil interpelle et subjugue dans son oscillation entre fascination, répulsion et acceptation autour d'un phénomène artificiel, marquant la fin d'une ère et le début d'un nouveau jalon dans la marche de l'évolution.

La seconde partie du roman, même si Greg Bear fait toujours preuve d'une bien belle imagination, marque tout de même le pas et se révèle nettement moins intéressante. La faute à des personnages carton-pâte dont on se fout complètement et qui arrivent à point nommé pour soulever la grande question du Choix, ou pour démontrer que les hommes ont toujours redouté toute forme de changement.

Pour finir, le côté nous ne faisons qu'Un, l'information à tous pour tous et par tous dans une communion salutaire, je l'avoue, très peu pour moi. Je préfère de loin me taper sur le doigt avec un marteau et en assumer la douleur tout seul sans en faire profiter les autres.

La Musique du sang, Greg Bear, traduit de l'américain par Monique Labailly, Gallimard (Folio SF), 345 p.
CITRIQ

12/11/2010

Le Poulpe. 2030 : l'Odyssée de la poisse / Antoine Chainas

Après le désastre nommé MACNO, je pensais que les éditions Baleine avaient définitivement tiré un trait sur leurs prétentions à éditer de la science-fiction. Jusqu'à ce jour du mois de septembre où le 269ème Poulpe, signé Antoine Chainas, est paru.

Poulpe ? Chainas ? Hum... tout ceci sonne plutôt polar à première vue mais vous l'aurez maintenant deviné, 2030 : l'Odyssée de la poisse est un livre qui mêle les deux genres.

Gabriel Lecouvreur a soixante-dix piges. Ça fait belle lurette qu'il ne s'immisce plus dans les faits divers qui gangrènent notre monde. Son corps le lâche petit à petit, la vieillesse le poursuit de ses tourments. A la rigueur, le seul plaisir qu'il s'octroie encore, c'est de se rendre au Pied de Porc à la Sainte Scolasse même si le lieu n'est plus aussi authentique qu'auparavant. Maria est décédée, Vlad a été expulsé, Gérard n'a pas perdu de son bas-goût mais il roule en fauteuil et de Léon le chien, il ne reste que son hologramme. La clientèle se tâte le nombril, s'écoute parler, ne manque pas de lâcher son fiel – il y a malheureusement des choses qui ont la peau dure - sur certains parasites qui leur polluent l'existence : les Omnimorphes, ces clones dénués d'émotions et de sentiments. Les humains ont la possibilité de s'incarner en eux s'ils ont un jour la chance de gagner à la Loterie Nationale Obligatoire dont le prix des billets est directement prélevé sur les fiches de paie. Dans la plupart des cas, leur utilisation revêt un caractère pornographique.

Depuis quelque temps, les Omnimorphes sont apparemment la cible d'un déséquilibré qui s'amuse à les rayer de la surface de la Terre. Beaucoup se désintéressent de leur sort quand ils ne s'en réjouissent pas. C'est vrai, après tout ils sont trop nombreux, ils piquent le boulot des autres, des vrais humains... vous aurez compris le discours pour l'avoir déjà subi un jour ou l'autre, si ce n'est régulièrement.

Il n'en faut pas plus que la photo de la dernière Omnimorphe exécutée pour que Gabriel reparte sur les sentiers de l'investigation. Cette femme, il l'a vue quelques instant plus tôt à travers le corps d'emprunt qu'il utilisait lors de sa séance de Porn-incarnation avec Cheryl. Sa dulcinée aux cheveux devenus blancs avait finalement réussi à le convaincre de renouer avec les plaisirs de la chair quand bien même ceux-ci devaient passer par l'intermédiaire de clones. On ne gagne pas tous les jours à la loterie...

... comme on n'a pas toujours la chance de lire un bon Poulpe. Comment dire ? Les éléments relevant de la science-fiction n'ont rien de novateur, sentent même un peu le réchauffé. J'ai plutôt eu l'impression qu'Antoine Chainas - une fois n'est pas coutume en ce qui concerne les auteurs qui se sont frottés au Poulpe – faisait dans l'exercice de style, qu'il s'amusait. Alors je n'ai à priori rien contre ça mais j'aurais au moins souhaité que l'histoire repose sur quelque chose de solide, qu'elle ne soit pas aussi translucide que du papier à cigarettes mouillé. Dans cette aventure du Poulpe, tout arrive sans qu'on sache trop pourquoi, les raccourcis sont faciles, abrupts.

Chose étrange, c'est le deuxième livre de commande d'Antoine Chainas que je lis, après Six pieds sous les vivants – vraiment bien, celui-ci – et j'ai à nouveau trouvé un personnage de libraire qui n'en était pas réellement un. Bizarre, non ? Ne comptez pas sur moi pour dire qu'Antoine Chainas manque d'imagination, je n'y crois pas une seconde au regard de ses autres livres mais le parallèle m'a paru si flagrant que je ne manque pas de m'interroger. Les vrais libraires sont-ils une espèce en voie de disparition ? Allez savoir...

Avec une bonne idée de départ, 2030 l'Odyssée de la Poisse n'est finalement rien d'autre qu'une soupe de clins d'œil. Certains d'entre eux m'ont fait rire, d'autres me sont certainement passés au dessus de la tête. Tous en revanche ont fait en sorte d'enlever la saveur qu'on aurait été en droit d'attendre de cette aventure du célèbre octopode.

La science-fiction chez Baleine, c'est décidément pas encore ça...

11/11/2010

Rouge abattoir / Gilda Piersanti, texte lu par Hélène Lausseur

A l'instar de la plupart des films, les livres sonores s'ouvrent eux aussi sur une musique de générique. Titre, auteur, nom du lecteur, avec l'aimable autorisation de tel ou tel éditeur... En règle générale, cette musique est plutôt douce, puisant sa source dans un registre plus ou moins classique voire même new-age tendance feng_shui. Quel que soit le type de livre, le genre auquel il appartient, c'est à peu près toujours la même... musique. Aussi ai-je été très assez surpris, à peine le bouton play enclenché, d'entendre guitare et batterie emplir mes oreilles sur un rythme pop-rock assez plaisant. Pour avoir déjà entendu parler des goûts musicaux plutôt punchy de Gilda Piersanti et dont les références ne manquent pas de jalonner ses livres -Muse, Radiohead... -, je me suis dit qu'il y avait peut-être de sa griffe là-dessous. A moins que ce ne soit le simple choix des éditions Sixtrid dont c'était le premier disque que j'écoutais.

Enfin, bref, j'étais parti dans ce questionnement solitaire au point de ne pas faire très attention aux premières paroles du roman. Ça commençait bien niveau concentration. Bon, je me suis rattrapé par la suite. Madame Piersanti a en effet les mots, le style et une réelle qualité de conteuse pour à la fois capter votre attention et rendre ses personnages vivants et attachants, qu'ils soient secondaires ou non. Du coup, un petit retour en arrière et c'était parti pour le premier tome des Saisons meurtrières, Rouge abattoir, dont l'action se situe entre le Noël et jour de l'an. En hiver, donc.

« Mercredi 26 décembre, 5 heures du matin.Un morceau de la troisième victime fut retrouvé le lendemain de noël devant le kiosque à journaux. »

Le morceau en question est une main. Le corps sera découvert un peu plus tard dans la matinée. Dans un sale état, découpé en plusieurs morceaux à l'aide d'un couteau électrique.

Hep, hep, hep... bon à ceux qui tournent de l'œil, je ne peux plus rien dire, peut-être liront-ils ces lignes un peu plus tard, une fois remis de leur trop forte émotivité. Pour les autres, ceux qui seraient tentés de passer leur chemin sous prétexte qu'un auteur, dans le seul but de ravir un public avide de sensations fortes, aurait une nouvelle fois surfé sur la vague du gore à tout va, restez. Restez parce qu'il serait dommage de se fier à une première impression. Surtout si elle est fausse. Car Rouge abattoir ne s'inscrit pas, mais alors pas du tout, dans ce créneau.

Qui dit troisième meurtre, exécuté selon un même modus operandi, dans un même quartier de la capitale, le Testaccio, suppose naturellement un tueur en série. C'est en tout cas ce que tout le monde pense, hormis le commissaire D'Innocenzo qui ne veut pas envisager un tel cas de figure. Lui reste persuadé que les meurtres des trois jeunes filles sont à mettre sur le compte d'une logique meurtrière dont il lui reste à démêler l'écheveau et à trouver le mobile. Il est aidé en cela par une inspectrice, Mariela De Luca, qui a spécialement demandé à rejoindre son service. Pas facile de tout mener de front entre l'enquête, problèmes personnels et gestion de la brigade avec l'arrivée de cette inspectrice opiniâtre, volontaire, mystérieuse et surprenante par bien des aspects.

C'est d'ailleurs cette Mariella De Luca qui tient le devant de la scène dans Rouge abattoir, et que l'on retrouvera dans les autres tomes dans les trois autres romans des Saisons meurtrières, ainsi que dans les tomes suivants, à savoir Vengeances Romaines et Roma Enigma. Ce n'est certes pas une nouveauté qu'un auteur se prenne d'affection pour ses personnages et en fasse en sorte qu'ils deviennent récurrents. Certains nous touchent plus que d'autres, nous semblent plus proches, font résonner en nous la corde vibrante du lecteur. Mariella De Luca est de ceux-là. Parce qu'elle ne ressemble à aucune autre, qu'elle est forte et sensible à la fois, bien ancrée dans son époque. L'Italie dans laquelle Gilda Piersanti la fait évoluer ainsi, il est vrai, que la voix de Hélène Lausseur, participent bien sûr de ce plaisir que l'on a à la suivre. Si l'enquête est en elle-même assez classique – aficionados des rebondissements à chaque fin de phrase ou de chapitre, passez votre chemin – elle n'en reste pas moins prenante, ne serait-ce que pour comprendre si c'est dans la folie, le hasard, la passion ou l'Histoire que l'on trouvera la source des meurtres hivernaux de Rouge abattoir.

Pour info, les Saisons meurtrières devraient bientôt voir le jour sur les écrans de télévision. Xavier Duringer est à la réalisation, Gilda Piersanti au scénario. Même si l'action se passera en France, au moins l'esprit des livres devrait-il être respecté. En tout cas, j'en suis ! - comme spectateur, cela va de soi...

Vert Palatino est également paru il y a peu en livre sonore dans la même maison d'édition. Il passera sous peu dans les écouteurs, sous la cagoule.

Les Saisons meurtrières:

Rouge abattoir – Hiver
Vert Palatino – Printemps
Bleu catacombes – Eté ; cet ouvrage a reçu le prix du polar SNCF et celui du Festival de polar Méditerranéen de Villeneuve lèz-Avignon (parenthèse : si vous avez l'occasion de vous y rendre, n'hésitez pas un seul instant!)
Jaune Caravage – Automne

Hors saison:

Vengeances romaines
Roma enigma

Rouge abattoir, Gilda Piersanti, livre lu par Hélène Lausseur, éditions Sixtrid, 1 CD Mp3, 6 h10

02/11/2010

Requiem pour un poisson / Christine Adamo

Alors là, mes amis, pas question d'y aller par quatre chemins : Requiem pour un poisson est un roman passionnant. Voilà, c'est dit. Je pourrais me contenter de cette affirmation, avoir foi en ma force de persuasion, en la confiance que vous me témoignez, et en ces petits octets subliminaux que je glisse en filigrane dans mes chroniques pour appuyer mes dires, faire en sorte que vous succombiez vous aussi aux charmes des livres m'ayant amené bien au-delà du simple plaisir de lecture. Comme cela a par exemple été le cas pour le titre présenté aujourd'hui.

En 1938, au large de l'Afrique du Sud, un navire de pêche ramène à son bord un poisson pour le moins atypique : ses écailles semblent être d'un autre temps, sa mâchoire est gigantesque et ses nageoires ressemblent à des pattes. Très vite, Hélène Arundel qui travaille au museum d'histoire naturelle d'East London sait qu'elle tient là un Cœlacanthe, une espèce que tout le monde croyait disparue depuis plusieurs siècles. La question qui se pose alors est de savoir si d'autres spécimens sont toujours en circulation. Une étude plus approfondie permettrait peut-être en effet de combler les trous qui égrènent la cartographie du cycle de l'évolution.

En 1997, Marie apprend la mort d'un père qu'elle croyait déjà disparu de ce monde au lendemain de sa naissance. Ce père, biologiste de métier n'avait pas voulu s'embarrasser d'une famille. C'est cependant bien à Marie qu'il lègue l'intégralité de ses recherches, toutes portant sur l'étude du Cœlacanthe. Marie se prend au jeu, lit les carnets de son géniteur, s'intéresse de près à ses travaux et réalise que quelqu'un, quelque part, est déterminé à éliminer toute personne s'intéressant de trop près à cet animal hors du commun. Des meurtres qui font écho à ceux perpétrés près de quarante ans plus tôt.

Comment faire reposer l'intégralité d'un roman policier sur la découverte d'un poisson, fût-il rare ? La question effleure l'esprit bien sûr, mais juste le temps d'un revers de neurones. Le livre est là, les pages remplies de mots ne demandant d'ailleurs rien de mieux que de délivrer leur essence. Et quelle essence !

J'ai dit que Requiem pour un poisson était un livre passionnant. Cela se confirme, se vit même, dans la reconstitution que réalise Christine Adamo de la fin des années 30 et au-delà, que ce soit à travers l'évocation de l'Afrique du sud avec l'émergence de l'apartheid, du milieu scientifique gangrené par des questions d'ordre politiques, financières et humaines, de la passion scientifique elle-même, des pratiques et des enjeux de la pêche, ou bien même dans l'évocation du rôle et de la place de la femme au cours des sept dernières décennies.

Que ce soit par petites touches ou par le biais de descriptions ou de données plus générales, plus étoffées, sur la Recherche notamment, l'ensemble est impressionnant. Et ce, jusque dans la construction même du bouquin qui suscite quant à elle rien de moins que de l''admiration. Oui msieurs dames ! Vous avez bien lu. Parce que des histoires échafaudées de la sorte, agencées comme ici, ça vous arrache un lot d'onomatopées laudatives valant bien des discours. Difficile de ne pas penser au boulot colossal que ça a dû représenter, si colossal qu'on s'en voudrait presque de lire le bouquin en deux temps trois mouvements. En attendant le résultat est là, incontestable, servi par le style raffiné de Christine Adamo.

Cette construction, donc, pour en revenir à elle, s'articule autour d'une alternance temps anciens / temps moderne où pour chacun d'entre eux, le focus est mis tour à tour sur une quantité non négligeable de personnages - poisson compris - certains ne devant même apparaître qu'une seule fois. Et aussi bizarre que cela puisse paraître, malgré ce foisonnement de points de vue, ce va et vient permanent dans le temps, le lecteur n'est jamais perdu. Il laisse venir à lui le souffle de la découverte, se dit que sur l'échelle de la vie il n'est tout compte fait que peu de chose. Il progresse en eaux profondes sans coup férir, quand bien même il est pris dans les filets d'une histoire dont il ne voudrait presque pas se dépêtrer. Je dis presque parce que Requiem pour un poisson fait partie des livres dans lequel on se fond avec plaisir. Pour sa richesse, pour son érudition qui a le mérite de n'exclure personne, mais aussi pour la curiosité qu'ils suscite alors même qu'on veut connaître le fin mot de l'histoire avec avidité. Si tout ça, ce n'est pas la marque d'un très bon roman, alors je ne sais pas ce que c'est.

Ah, pour info, je n'ai pas mis les petits octets subliminaux dont je parlais en début de chronique. Je me suis dit que ce n'était pas forcément nécessaire, non ?

Et puis j'ai la flemme.