31/01/2012

Sanglants trophées / C.J. Box

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Sans rien enlever à la qualité des ouvrages précédents consacrés au garde-chasse Joe Pickett, Sanglants trophées apparaît cependant comme le plus abouti et le plus haletant d'entre eux. De quoi confirmer en tout cas que C.J. Box ne fléchit pas dans la qualité de ses intrigues, que le soin qu'il leur apporte ne s'altère en rien, bien au contraire.

Après une partie de pêche avec sa fille Sheridan, Joe tombe sur un orignal mutilé au niveau du visage et des parties génitales. Le fait est d'autant plus étrange que les blessures infligées à l'animal sont propres, trop propres en tout cas pour être d'origine animale. Peu de temps après cette découverte, ce sont des vaches que leur propriétaire cherchait en vain depuis plusieurs semaines, que l'on retrouve mutilées selon le même modus operandi. Mais le phénomène, aussi bizarre et inexplicable soit-il ne s'arrête pas là. Deux hommes subissent encore le même sort à quelques heures d'intervalles sur une distance de quatre vingt kilomètres seulement. Aussitôt dans le Comté, les rumeurs les plus folles commencent à circuler : grizzly – mais comment un grizzly pourrait-il être si précis dans ses incisions ? -, terroristes... extra-terrestres. Les animaux ne se comportent-ils pas d'ailleurs d'une étrange façon, ne semblent-ils pas par moments tenaillés par la peur?

Sous la pression, une cellule de crise est aussitôt mise en place. Joe y est naturellement convié même s'il ne voit pas cette participation d'un très bon œil. Le shérif Barnum, rival de la première heure, est en effet aussi de la partie, ainsi que l'agent du FBI Portensen, avec qui il a déjà eu maille à partir dans Winterkill.

Si vous avez suivi les trois premières enquêtes du garde-chasse, vous serez ici en terrain connu. Pour un peu vous vous imagineriez presque vous installer à table avec la famille Pickett, boire le café, et prendre des nouvelles des petites, Sheridan et Lucy, du boulot de Joe, vous lui demanderiez si Marybeth et lui arrivent à joindre les deux bouts et si depuis la dernière fois il s'est entraîné au tir – parce que franchement, la précision, c'était pas trop ça, hein ?

En terrain connu aussi en ce qui concerne les thèmes chers à l'auteur, relatifs notamment à l'écologie dont il va ici se servir à merveille pour brouiller les cartes de son intrigue. C.J. Box est de ce point de vue plus roublard que son héros (c'est vrai il est parfois un peu trop intègre le Joe, trop honnête, et un brin naïf, au point que cela peut s'avérer agaçant par moments). Il pose les bases de son histoire, distribue les cartes une par une au lecteur, lui laisse la main. Un semblant de main, en fin de compte. Car le jeu n'emprunte pas le cours qu'on imagine. Et, tout fin limier que l'on soit, habitués à être balancés de ci de là par des auteurs heureusement retors, on ne voit rien venir. On est comme empêtrés dans la brume poisseuse des rêves récurrents de Sheridan. On avance à tâtons jusqu'à ce que le brouillard se dissipe enfin, laissant la place nette à une vérité surprenante.

Le tour est habile.

Si je disais en début de cette chronique que Sanglants trophées apparaissait comme le plus haletant des titres, il n'en demeure pas moins que c'est aussi l'un des plus étranges, ne serait-ce que dans son évocation pour le moins énigmatique des événements liés aux mutilations mais aussi à la crainte latente que manifestent les animaux à l'approche de certaines zones du Comté de Saddelspring. Je me suis sans cesse interrogé sur le sens à donner à ces comportements, sur la manière dont l'auteur allait les expliciter. Et pour tout dire, il ne le fait pas vraiment. Ses explications, qui ne détériorent en rien la qualité de l'intrigue ni le déroulement de celle-ci, relèvent plus d'une pirouette un peu étrange, là aussi, qui fleure bon l'inexplicable. Un autre plan de réalité... le côté un peu mystique de la chose n'est pas franchement à mon goût.

Pourtant, mis à part cet infime bémol, Sanglants trophées a tous les atouts des polars s'inscrivant dans les Grands Espaces, où Evasion et suspense font décidément bon ménage.

Une chose est sûre, je reviendrai à Saddelspring, cette fois-ci à la rencontre d'un Homme délaissé.

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