30/12/2013

Mauvais karma / Jason Starr

Richard Segal est commercial. Il vient de changer de boîte pour un salaire plus avantageux. Pour peu qu'il ramène des contrats signés en bonne et due forme, il touchera bientôt une prime conséquente. Le problème est là, en fait. A l'instant où commence cette histoire, il n'est pas parvenu à en dégoter un seul et sa hiérarchie, bien sûr, commence à lui mettre la pression. Richard est marié à Paula. Celle-ci l'a trompé il y a quelque temps et malgré cette légère entrave sur la voie de leur harmonie, ils ont tout de même décidé de continuer ensemble en suivant les préceptes de la plan-plan attitude. Ils se disputent de temps en temps et Richard s'excuse toujours pour arrondir les angles. Cerise sur le gâteau, ils ont un chien, un emmerdeur de chien qui aboie sans cesse et qu'il faut bien évidemment sortir, ce qui permet à Richard de décompresser ou de se recentrer sur des priorités de vie... A chacun sa méthode.

Il aurait pu surmonter la pression générée par son nouveau poste, il aurait pu redonner un nouvel et bel élan à son couple. Oui, il aurait pu. Seulement tout part en vrille au moment où il croise une vieille connaissance dans le quartier d'affaires de Manhattan. En guise de connaissance, un homme qui, à l'âge de 17 printemps avait violé Richard 12 ans d'âge. Richard ne parvient alors plus à refouler cet épisode comme il était pourtant parvenu à le faire jusque-là. De bien drôles d'idées le submergent alors et un air de vengeance s'infiltre dans les vapeurs d'alcool qu'il laisse à nouveau échapper.

On a tout dans ce bouquin d'à peine plus de 300 pages : le noir, le grinçant, la critique sociale - parce que sinon ce ne serait pas marrant - et une chute qui vaut à elle toute seule tout le plaisir de la lecture. Jason Starr est épatant dans sa description de l'univers impitoyable du travail en entreprise et de la course au fric. Pour vous donner une idée : pas de contrat(s), pas d'ami(s) ; des contrats et c'est tout le personnel qui vient vous manger dans la main, qui vous porte aux nues et ne jure que par vous ! De l'individualisme, de l'opportunisme, du faux-cuisme à la solde d'une société de consommation pas du tout, mais alors pas du tout repliée sur elle-même.

Jason Starr excelle aussi dans les émotions qu'il parvient à susciter, grâce à son style, à son humour dévastateur et à un sens du dialogue qui fait mouche à tous les coups. Tout ceci s'affiche à travers le prisme de Richard, narrateur de l'histoire, pour lequel on éprouve une sorte de pitié à double sens. On devient révolté lorsque le souvenir du viol se rappelle à lui, on est sensible à sa fragilité devant son incapacité à trouver des prises pour éviter de sombrer et, d'un autre côté, on le trouve pathétique dans son recours à l'autoappitoiement permanent ainsi que dans son aspiration au bonheur, aspiration travestie par le système pourri dans lequel il végète. Autant vous le dire, se glisser dans sa tête revient à pénétrer dans une antre de complexité renversante.

N'ayez crainte, on en ressort indemne.

Enfin, normalement...

Mauvais Karma, de Jason Starr, traduit de l'anglais (Etats-unis) par Marie Ollivier-Caudray, Rivages (Rivages/noir), 2005, 304 p.

20/12/2013

Shining / Stephen King

Comme beaucoup sans doute, suite à la venue de Stephen King en France et à la parution de la suite de ce titre connu de tous, je me suis lancé dans la lecture de Shining – histoire de faire les choses dans l'ordre même si, nous dit-on, les deux ouvrages peuvent se lire indépendamment.

Non, je ne l'avais pas lu. Je n'ai pas vu le film non plus d'ailleurs, et ce fut une expérience pour le moins étrange et surprenante de le dire - l'avouer ? - autour de moi. D'un coup d'un seul, j'ai été à l'origine de transformations faciales qui auraient fait passer Freddy les griffes de la nuit, voire Saw – faut bien coller un peu à l'époque - pour un conte doux et sucré à l'usage des enfants sages. « Qwwwwâââââââ ?  Tu n'as pas vu Shiniiiiinnng ? » En réalité, je n'ai fait que deviner la phrase parce qu'avec la déformation si prononcée du visage, ça ressemblait plutôt à du chewing-gum. M'étonnerait de toute façon qu'on m'ait demandé : «quoi, t'as pas du darjeeliiiiing ?», tout le monde sait que je ne bois pas de thé...

En gros, je connaissais quand même l'histoire. 36 15 ma vie (pour la circonstance, imaginez une musique nostalgique et si vous n'en avez rien à fiche, sautez le pragraphe... ) : c'était il y a vingt-deux ans. Mon pote Pascal m'avait raconté l'histoire. Durant toute une soirée, il avait passé son temps à la lire tandis qu'on l'attendait pour un tournoi enfiévré à Sensible soccer. Je le revois, assis dans le salon en train de tourner fiévreusement les pages du j'ai lu de l'époque... Il s'est contenté de ce seul Stephen King, prétextant qu'il
voulait se faire une idée de ses livres, c'était fait on ne l'y reprendrait plus. Tu parles ! T'as eu les chocottes, Pascal, avoue !

Parce que oui, Shining tient en haleine et... fait peur. Délicieusement peur. La gradation dans la folie de Jack Torrance est subtile et redoutable à la fois. La tension est palpable, tenace. A ce titre, toute personne avide de sensations fortes sera servie. Mais si on gratte un peu, au regard de tout ce qu'a pu dire récemment Stephen King lors de sa venue, l'éclairage est tout autre, la part autobiographique du livre se révèle : celle relative à l'écriture et à son processus, bien sûr, mais aussi celle ayant trait à l'alcoolisme et à la dépendance, sur les ravages engendrés par cette addiction, sur l'impact qu'elle ne manque pas d'avoir sur la personne qui la subit ainsi que sur son entourage. Et étant donné que Carole en parle très bien sur son site, je vous invite vivement à aller la lire, et n'hésitez pas à vous laisser tenter par ses autres suggestions au passage.

Pour ma part, je m'en vais sous peu consulter un certain docteur... Sleep.

13/12/2013

DoggyBags 4 /Singelin, Run, el diablo et Nicolab

 
Suspense, frisson et horreur !!, 3 histoires pour lecteurs avertis, 108 pages tout en couleurs et sans aucune concession, violence 100 % graphique. Voilà ce qu'on peut lire sur la couverture du 4ème numéro de Doggybags. Autant dire que si vous vous lancez dans l'aventure de cette bande dessinée hors normes qui n'est pas sans rappeler les contes de la crypte et autres pulps de la belle époque – les influences ne manquent pas - vous devez savoir à quoi vous en tenir.

Trois histoires donc qui vont puiser leur source dans les contes et légendes urbaines ou bien même dans notre actualité... En entrée une histoire au titre russe dont je serais bien incapable de vous prononcer -heureusement les auteurs ont bien voulu nous le traduire : « sélection » – qui raconte le naufrage d'un armateur véreux sur une île déserte. Il est le seul survivant avec sa toute récente épouse et un golgoth russe, ancien cuisinier qu'il avait viré la veille même de leur déconvenue. Et, comment dire, la cohabitation ne se fera pas sans heurts... Ensuite, en plat principal, Lady in white,. Un couple paumé en pleine nuit dans une forêt de l'Oregon croise le chemin d'une dame blanche qui pourrait être annonciatrice de bien des dangers... mais est-ce seulement une dame blanche ? Appeler de l'aide peut en tout cas coûter bien cher... Et enfin, en dessert, si tant est que votre estomac ait tenu jusque-là, une interprétation toute personnelle des auteurs retraçant la capture d'Oussama Ben Laden. Vous en voulez des frissons et de l'horreur, vous allez être servis!
  
Autant vous le dire tout de suite, quand j'ai appris que le 4ème tome de Doggybags allait sortir dans toutes les bonnes librairies BD, j'ai commencé par importuner mes voisins en brisant miroirs et vitres de mon appartement de ma voix dont... dont mes proches redoutent le timbre dès que je me mets à chanter. Une fois mon forfait accompli, une fois ma respiration revenue, j'ai appelé tous les amis que j'avais déjà pris le soin de contacter – harceler ? – pour la parution du deuxième et du troisième...

Aussi vous ne m'en voudrez pas si je ne m'appesantis pas spécialement sur les histoires contenues dans ce quatrième tome. Je vais vous parler de Doggybags dans son intégralité. Car, oui, Doggybags c'est un tout. Des histoires qui font peur, des histoires élevées à la violence et trempées dans le sang. Rien de gratuit pour autant. Au-delà de cet aspect on devine l'hommage à la littérature fantastique et d'horreur. Le format des doggybags est à lui seul évocateur. Semi-poche, à la couverture faussement usée, on trouve aussi à l'intérieur de fictives publicités totalement délirantes aux dessins qui fleurent bon les années 50 (pour exemple : construis ton minilabo de crystal meth : une superbe introduction au monde merveilleux de la chimie, 33 dollars 99 + frais d'envoi – avec coupon à découper) ; sans parler des dossiers thématiques en rapport avec les histoires elles-mêmes...

La vérité est dans les détails, dit régulièrement Stephen King. Ici, la maxime s'applique à bien des égards et s'avère si sensée qu'on se plonge dans ces histoires avec la même avidité qu'on pouvait avoir en regardant les films interdits au cinéma du haut de nos quatorze ans quand il en fallait seize, ou des lectures nocturnes à la lampe de poche, des histoires qui nous empêchaient de dormir. Bon maintenant, j'ai l'âge de lire Doggybags mais le plaisir est intact, mâtiné d'une fascination /répulsions tout à fait intense et savoureuse. Faites tourner !

 DoggyBags 4, de Singelin, Run, el diablo et Nicolab, Ankama éditions (Label 619), 2013, 120 p.

03/12/2013

Silo / Hugh Howey

La nouvelle collection de Science-Fiction, baptisée « exofictions » est une petite surprise pour ceux qui ont l'habitude de sentir battre le pouls des littératures de l'Imaginaire. Les éditions Actes sud avaient depuis quelque temps manifesté un certain intérêt pour le genre en publiant, dans leur catalogue général, des titres appartenant clairement au genre. Mais c'est à Hugh Howey que revient l'honneur d'inaugurer la collection avec Silo. Choix judicieux, Silo est un livre qui a su capter un large public aux Etats-unis en paraissant d'abord par épisodes sur internet, avant que l'auteur ne décide d'étoffer son histoire pour en faire un roman. Encore une success story que connaît de temps à autre le monde de l'édition...

Dans un futur post-apocalyptique, une partie des survivants s'est retirée sous-terre, dans un silo composé de 144 étages. Là, les règles sont strictes. Tout le monde doit obéir au « Pacte » pour éviter tout débordement qui emmènerait l'humanité à une perte définitive. Quiconque lui contrevient, quiconque est amené à évoquer le monde du dehors, la sanction est claire, nette, irrémédiable. Tout contrevenant est envoyé au dehors, à la mort, pour se soumettre au rituel du nettoyage, tâche consistant à laver les caméras extérieures sans cesse soumises aux ravages climatiques de l'extérieur. Fait étrange jusqu'à présent, tout le monde, malgré les griefs manifestés à l'encontre du Silo et de ses dirigeants, s'est soumis au rituel. Pourtant suite à la décision du shérif du de se soumettre au nettoyage, à la décision de la maire de le remplacer par une ouvrières des étages inférieurs, la voie de l'insurrection se fait entendre... pour le meilleur, ou pour le pire ? 
  
6 chapitres, 45 pages, c'est le temps qu'il faut pour être totalement convaincu de ne plus lâcher Silo. Le temps de suivre son shérif remonter aux sources de son lâcher prise, de suivre les traces de sa femme, de s'adonner au nettoyage, puis de mourir. Les derniers mots du chapitre laissent le lecteur dans un état d'hébétude qui ne le lâchera plus tant les événements qui vont suivre, les mystères et les révélations qui vont jaillir au fil du texte auront planté leurs crocs bien profondément dans son esprit.

Silo demande tout de même un effort. Il peut-être difficile d'imaginer une telle société réduite à évoluer sous-terre selon une organisation dont on apprend les lois au fur et à mesure. Mais c'est justement dans ce dévoilement successif, dans cette transposition du sentiment d'étouffement des personnages renvoyés au lecteur que Hugh Howey réussit son véritable tour de force. Nul doute que l'on peut voir là une représentation de notre société dans cette organisation pyramidale et hyper-hiérarchisée (tiens, ce n'est pas sans me rappeler une quatrième théorie ça...), où la population subit une pression redoutable, ne serait-ce qu'à travers le matraquage des lois, la surveillance et le contrôle dont elle est victime, et où le Pouvoir s'affranchit parfois allègrement de toute déontologie en usant de la dissimulation pour ne pas se mettre en péril. On est effectivement pas loin du 1984 de George Orwell avec cette phrase devenue si célèbre: "L'ignorance c'est la force". Le coup de pied dans la fourmillière, celui-là même par qui l'espoir va naître, c'est ici au personnage de Juliette qu'on le doit. A travers son tempérament, son obstination, son humanité, elle nous pousse à la suivre jusqu'au bout avec inquiétude et expectative. Il se pourrait d'ailleurs qu'on la retrouve un jour. Silo est devenu une trilogie. Le prochain tome racontera les origines du cataclysme qui a ravagé la terre, le suivant sera consacré au futur du Silo. 

L'impatience me gagne déjà mais j'ai déjà quelques bons livres qui me font de l'oeil en attendant, alors ça devrait aller...
 
Silo, de Hugh Howey, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Yoann Gentric et Laure Manceau, Actes Sud (Exofictions), 2013, 560 p.
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