30/09/2014

Une Affaire de trois jours / Michael Kardos

Ce devait être un week-end entre potes, où chacun y serait allé de sa petite anecdote, la même que l'année passée et celle d'avant encore. Ils auraient dû passer du bon temps, jouer au golf, rire à l'évocation des souvenirs de leur vie à Princeton alors qu'ils étaient étudiants. Ils, c'est Will, Nolan, Jeffrey et Evan. Ils ont eu des parcours différents, ont pour la plupart réussi leur vie ou ont au moins tendu ce vers quoi ils aspiraient. A l'image de Will, le narrateur, qui après avoir connu un succès relatif avec son groupe de musique, s'est retiré en banlieue avec sa femme enceinte. Il travaille dans un studio d'enregistrement. La prochaine étape pour lui, monter son propre label avec l'aide de ses amis, à condition qu'ils soient partants pour investir dans le capital initial.

Seulement en l'espace d'un week-end, de leur week-end, tout bascule. Alors qu'ils sont sur le point d'aller récupérer Evan à la gare, Jeffrey demande à ce qu'ils s'arrêtent dans une épicerie. Dans les minutes qui suivent, il en ressort avec avec une jeune fille au bras. Son otage. Leur fuite les conduit dans le studio d'enregistrement où travaille Will. Le week-end vire alors au huis-clos angoissant. Son issue est incertaine.

 Il suffit d'un prologue et on sait à quoi s'en tenir. Enfin, on sait... c'est vite dit. On sait que le week-end n'aura pas les espérances attendues, loin s'en faut. Viennent ensuite les premiers chapitres,clac, clac, ça rigole pas, le décor est planté. La situation est là, claire, nette, précise. Les trois hommes sont complices, embarqués dans la même galère et tout porte à croire que leur vie en sera irrémédiablement changée. Quant à leur amitié, on n'en parle même pas. Elle se révèle juste plus fragile qu'elle n'en avait l'air. Tout va bien tant qu'on se rappelle les bons moments, mais dès lors qu'on gratte à la surface, les jalousies, les secrets enfouis et les rancœurs inexprimées s'exposent au grand jour.

L'enjeu de ce huis-clos est de savoir comment ces hommes vont s'en sortir. Les solutions ne sont pas nombreuses. Elles aussi sont exprimées assez vite. Se pose alors la question de savoir comment Michael Kardos va construire le reste de son roman. Au regard du nombre de pages restantes, pourra-t-il tenir sans tourner en rond, ne pas tomber dans la redite ou même s'essouffler ? 

En fait, il tire très bien son épingle du jeu, que ce soit dans la tension qu'il instaure ou bien dans l'évocation des personnages, de leur ambivalence. S'il abuse parfois de cliffhangers aux allures de soufflés – en gros on lance un bon « OH-MY-GOD ! », qui se transforme en « ah bon, tout ça pour ça... » –, il tempère la pression ambiante – ça crie, ça pleure, ça castagne même par moments – et élargit son propos en laissant la place aux souvenirs de Will. Ceux-ci apportent un éclairage particulier à la nature des liens amicaux, entre solidité et fragilité, à la nature même des individus, chamboulés par le poids de l'ambition et du rapport à l'argent. Et du rapport à l'amour aussi. Autant d'éléments induisent une forme de complexité, qui plus est si cette mise en lumière est véhiculée sous le seul prisme de Will. Dans quelle mesure est-il objectif ? Dans quelle mesure ne se trompe-t-il pas sur les autres et sur lui-même ? Car, à tout bien considérer, est-il aussi naïf que ses amis le laissent entendre ?

A vous maintenant de répondre à ces questions en lisant Une affaire de trois jours, un roman bien construit, efficace dans son traitement, haletant dans les pistes qu'il suppose, et surprenant jusque dans son dénouement. Ah si, oui, le dénouement, plus j'y pense et plus je le trouve abouti, dans le sens où – mince il ne faudrait pas que j'en dise trop quand même... – où (où...hou..là, pas facile), dans le sens où il remet pas mal de choses en perspective. Voilà. Bien.


Bon ben salut et...

à bientôt...

...je ne sais pas encore trop avec quoi, j'hésite entre Science-fiction avec Indomptable de Jack Campbell, le deuxième volume de la première guerre formique d'Orson Scott Card, ou bien avec un petit Poulpe.


On verra.


Une affaire de trois jours, de Michael Kardos, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Sébastien Guillot, Gallimard (Série noire), 2014

23/09/2014

Wet Moon / Kaneko Atsushi

De retour sur le blog après ce qui fut un joyeux périple dont vous pouvez, si vous le souhaitez, avoir un aperçu à travers le journal de bord réalisé pour l'occasion. Le temps de reprendre ses marques et c'est donc reparti...

… avec, si je ne me trompe pas, une première chronique de manga dans les colonnes du blog.

Les moments où je flâne devant les rayonnages dédiés au genre sont rares. Raison numéro 1, j'ai lu très peu de mangas, ayant toujours eu du mal à en déchiffrer les codes. En même temps si je n'en lis pas plus, je ne risque pas d'y arriver... Raison numéro 2 : la déferlante de titres proposés et leur amoncellement sur les tables de librairie ont un effet dissuasif sur moi. J'en feuillette bien un ou deux à l'occasion, mais rarement se produit le petit frémissement qui m'inciterait à poursuivre l'exploration d'un ouvrage pioché au hasard. Et la plupart du temps, aucun ne se démarque des autres, comme s'il s'agissait au final d'une seule et même entité. A l'exception de quelques auteurs vers lesquels je ne rechigne pas à revenir, comme Jiro Taniguchi ou Naoki Urasawa, je me dis régulièrement que, non, décidément, le manga, c'est pas ma came. Pas de dénigrement là-dedans, juste un constat.

Alors pourquoi Wet Moon, là, tout d'un coup, hein ? Allez savoir. Tout ce que je sais c'est qu'après en avoir parcouru quelques pages, le fameux petit frémissement s'est produit et aussitôt ma petite voix intérieure m'a soufflé : tu ne peux pas passer à côté de ça ! Alors je l'ai pris, sans rien savoir encore de l'histoire, qui vaut pourtant le détour....

Avant de se retrouver avec un éclat de métal fiché dans le cerveau, l'inspecteur Sâta travaillait sur le meurtre d'un ingénieur dont différents morceaux du corps avaient été retrouvés en plusieurs endroits de la sation balnéaire de Tatsumi. Sâta, rendu sur le lieu de travail de la victime avait été intrigué par le comportement étrange d'une secrétaire, laquelle avait pris la fuite sans qu'il parvienne à la rattraper. Peu de temps après, alors qu'il était parvenu à la localiser, alors qu'il était à deux doigts de lui mettre la main dessus, il avait perdu connaissance. 

Sâta ne sait rien de qui s'est passé ce jour là, rien non plus des raisons de la présence de l'éclat de métal dans son cerveau. Nous sommes en 1966. Le premier alunissage vient d'avoir lieu. Sâta, quant à lui, est certain qu'il n'y a absolument aucune chance que les hommes aillent un jour sur la lune. Cette lune qui l'obsède tant...

Il faut peu de temps à Atsushi Kaneko pour installer une ambiance où le glauque le dispute à l'angoisse. Et
quand bien même cette ambiance est omniprésente, elle ne cesse pourtant jamais d'évoluer au fil des pages, sans toutefois atteindre les limites de l'insupportable ni même du grotesque. Cela tient au mécanisme du récit. Tout est ici affaire de paliers successifs. Chaque voile de mystère levé laisse la place à un autre et, chaque fois, on atteint un degré d'étrangeté supplémentaire. La perception de la réalité s'en voit toute chamboulée, aussi bien à travers la répétition systématique d'expressions que par l'apparition de personnages aux particularités physiques déroutantes - voire intrigantes au regard de leur nombre -, ou bien encore par les bousculades graphiques qui se jouent du temps et des événements. Cet égarement progressif du réel, cette immersion en terre instable qui donne le sentiment de pouvoir se renverser à tout instant, suscite une forme de fascination trouble. Il devient alors impossible de se défaire des filets de l'histoire. Remonter à l'origine de la perte de connaissance de Sâta est une chose, connaître l'enjeu des machinations sourdes qui gangrènent Tatsumi, voire le monde, en est une autre.

Comme le souligne la quatrième de couverture, l'influence de David Lynch est évidente. Et s'il y a aussi du Stanley Kubrick là-dessous, la référence la plus affichée et appuyée revient à George Méliès. Sa célèbre figure lunaire, reproduite ici avec une surface dégoulinante et un éclair malsain dans le regard, apparaît en effet comme une balise à l'anormalité de l'histoire. De là à y voir un hommage à une frange du cinéma, il n'y a qu'un pas. De là à ce que ça m'amène à passer un peu plus de temps à fouiller dans les étagères de manga et à reconsidérer mon point de vue sur le genre, c'est un deuxième pas à envisager. Histoire d'avancer...

Bonne nouvelle, le troisième et dernier tome, celui qui donne toutes les clés - enfin normalement - est paru ce mois-ci. C'est tout de même appréciable quand ça ne traîne pas en longueur.

Wet Moon, de Kaneko Atsushi, Casterman (Sakka), 2014
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