26/01/2011

Terre sans mal / Martin Lessard

Il n'aura sans doute pas échappé aux amateurs de science-fiction que les éditions Denoël ont créé il y a peu une nouvelle collection - baptisée Grand Public - dédiée elle aussi aux littératures de L'Imaginaire, et jouant même sur la frontière des genres. Si on avait encore ne serait-ce qu'une raison de s'interroger sur l'orientation de tel ou tel titre dans cette collection (Les Démons de Paris, Le Vaisseau ardent, Terre sans mal et d'autres à venir...), et pour peu qu'on s'intéresse seulement à la question, il faudrait vous rendre sur le blog de la mythique collection Lunes d'Encre où Gilles dumay, son directeur, n'hésite pas à réagir aux commentaires, à argumenter sur ses choix ou à nous faire vivre de l'intérieur les remous de l'édition française en général, et de la science-fiction en particulier.

Quoi qu'il en soit, ces interrogations de chapelle n'ont vraiment pas lieu d'être. Il m'aura suffi de lire Terre sans mal pour m'en convaincre. Ça ressemble à de la science-fiction, on dirait de la science-fiction, mais ce n'est pas de la science-fiction. Pas vraiment en tout cas. Ou, pour être exact, pas seulement. Afin de n'induire personne en erreur, disons que la science-fiction sert plus ici de socle à un discours philosophique et politique qu'à une rencontre du troisième type au sens où on l'entend habituellement en ce qui concerne ce genre.

Cette approche constitue d'ailleurs le seul écueil du livre. Non pas que le propos soit incompréhensible – loin de moi l'idée de me plaindre lorsqu'un livre invite à une telle réflexion. A vrai dire, il est même plutôt accessible et pertinent. Mais à l'image de ce que j'avais déjà évoqué concernant le Peindre au noir de Russell James, le fond et la forme ont évolué en parallèle sans jamais se confondre totalement. Pour être tout à fait honnête, je n'ai pas accroché aux personnages, sauf peut-être à U'Tal, ce jeune Guarani du XIV siècle ayant fui sa tribu pour marquer son désaccord avec celle-ci. Emmené – enlevé ? - par des extra-terrestres, il a pour mission, sept siècle plus tard sur notre échelle de temps à nous, un an sur la sienne, de servir d'intermédiaire concernant le marché qu'ils ont à proposer aux Terriens. Quant aux autres, qu'il s'agisse des résidents de la base sur Mars, les premiers à établir un contact avec le vaisseau extra-terrestre, du président des Etats-Unis, figure par trop caricaturée du mal, ou bien de ses opposants, je ne les ai pas sentis incarnés. Ils me sont plutôt apparus comme les souffleurs dans les théâtres à l'ancienne : des voix dont le seul but est de faire transiter une parole. Une belle parole, certes, mais qui n'a pas contribué à magnifier l'histoire pour autant.

Et c'est bien dommage parce qu'au final, toutes les réflexions, toutes les interrogations qu'il suscite sont du plus grand intérêt. Qu'il s'agisse de notre place en ce bas-monde, en tant qu'homme ou que citoyen, de notre implication nécessaire dans les décisions qui relèvent du droit commun, du respect des gouvernements envers la population, de la notion de choix, de libre arbitre... les pistes sont multiples, toujours riches, captivantes, utiles.

Impression en demi-teinte, donc, mais qu'on ne s'y trompe pas, Martin Lessard est un auteur à surveiller. Je ne dis pas cela juste pour lui faire plaisir – il vient sur le blog régulièrement – mais parce qu'à la lecture de Terre sans mal, cela ne fait aucun doute qu'il y en a sous le capot. Je guette...

Terre sans mal, Martin Lessard, Denoël, 409 p.
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21/01/2011

World War Z / Max Brooks

World War Z n'est pas le rapport officiel retenu par la Commission post-traumatique des Nations unies. C'est en réalité la partie jugée trop sentimentale, trop axée sur l'humain, rédigée par l'un de ses membres. Celui-ci s'est vu obligé de garder pour lui, pour nous, les témoignages des survivants, de ceux qui ont été confronté de trop près à cette guerre sans précédent ayant opposé humains et morts-vivants.

Des hommes, des femmes aux parcours et aux horizons très différents reviennent sur les moments clés du conflit. De l'apparition du fléau à son dénouement en passant par les actes manqués qui auraient pu l'endiguer, par la Grande Panique ou bien encore par le cœur des batailles, tous, avec leur voix, forment la mosaïque d'un traumatisme ineffable. Médecins, militaires, hommes politiques, civils, la liste est longue de ceux qui, à travers le monde, se souviennent.

World War Z est original au point d'être déroutant. Déroutant au point de s'avérer magistral. Incontournable. On en ressort avec l'envie de le conseiller à un maximum de personnes.

C'est pas facile.

Les a priori ont la peau bien plus impénétrable que celle des zombies. J'en ai fait l'expérience auprès de lecteurs de la médiathèque ou d'amis, pas plus tard que la semaine dernière, après avoir refermé le livre sur ses derniers mots, quand l'écho de cette polyphonie résonnait encore à mes oreilles. Le mot zombie a des effets répulsifs. Ça peut se comprendre. C'est alors qu'entre en jeu la force de persuasion. Non pas que je veuille faire preuve ici d'une assurance outrecuidante car en réalité, il suffit d'énoncer les qualités de World War Z et voici l'affaire rondement menée. Les qualités, justement, quelles sont-elles?

Dès les premières pages, Max Brooks s'efface, laisse sa place, en guise de présentation, à l'employé de la Commission post-traumatique des Nations Unies, qui lui-même se retranche ensuite derrière les témoignages proprement dits. Il n'intervient que sporadiquement lors de ces interviews, pour demander des éclaircissements sur certaines décisions ou événements. L'immersion est là. A l'image des différents personnages, on ne s'attache plus à douter de l'existence même des Zack ou des G (G pour goules). On s'imprègne des éléments qui nous sont rapportés, on se met dans la position des destinataires initiaux de ce rapport, ceux qui pourraient faire face à une nouvelle épidémie...

Attention, arrivée de la petite voix...

- Hé, Bibliotruc, tu veux nous faire croire à la téléportation dans les livres ou quoi ? Nous faire gober que tu as perdu ta conscience de lecteur à ce moment là, c'est ça ?
- Non, rien à voir à ce qui se passe pour les personnages de Roman fleuve d'Antoine Piazza ou de la série de Jasper Fforde consacrée à Thursday Next. Mais pour un peu qu'on joue le jeu, l'illusion est bien amenée.

-Mouais...
- Non ?

- Mouais, faut voir...


Sous couvert d'une histoire de zombies, c'est bel et bien l'humain qui est au centre de ce récit. D'une manière très habile, ce sont les facettes pas toutes reluisantes de notre civilisation que les morts-vivants nous renvoient. Quand le danger est là, quand la mort s'invite sur toute la surface du globe, quelles sont nos réactions, nos comportements ? Comment faire fi du poids de son histoire personnelle, de l'Histoire elle-même ? Est-ce seulement possible ? A cet égard, World War Z sinue sur les fragilités de notre époque, s'arrête un temps sur notre société cde consommation, matérialiste – il ne faudrait pas oublier de prendre son lecteur DVD lors de l'exode, on ne sait jamais, hein –, repart, s'attarde sur une ère de communication prompte à s'auto-détruire, puis finit par s'asseoir de guingois sur l'espoir, histoire de ne pas nous laisser complètement essoufflés et anéantis.

Dis-moi quel zombie vient te mordre, je te dirai qui tu es.

-Et la peur dans tout ça ? Parce que c'est bien beau, mais on les voit les zombies ?

-Oh, oui, pour ça ne t'inquiète pas...


World War Z, Max Brooks, traduit de l'américain par Patrick Imbert, Le Livre de Poche, 544 p.
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19/01/2011

Jour J - 1- Les Russes sur la lune ! / Jean-Pierre Pécau, Fred Duval (scénario) et Philippe Buchet (dessin)

Et si...

Et si les Américains, à cause d'une minuscule météorite qui aurait transpercé la coque de leur module d'alunissage, n'avaient pas été le premiers à poser le pied sur la lune ? Si les russes, au contraire, y étaient parvenus, quelle aurait été la donne sur la scène internationale ?

Si l'idée de départ est passionnante, le traitement qui en est fait ici est loin d'être à la hauteur des attentes. Là où la curiosité et l'envie d'emprunter une route alternative de notre Histoire auraient dû être prépondérantes, c'est l'ennui qui s'est imposé. Lentement mais sûrement. La faute, d'abord – un d'abord qui, vous l'aurez remarqué, appelle un ensuite... - , à un scénario plat, vite expédié, et un poil trop simpliste par moments.

Suite au succès des russes, Nixon ne voit qu'un seul moyen de sauver la face et donner encore de bien belles années à la guerre froide : construire la première base lunaire. Quitte pour cela à revenir sur certains principes et ouvrir les vannes budgétaires. Dix ans plus tard, russes et américains se sont implantés sur le sattelite de la Terre et l'animosité qui oppose les deux peuples semble toujours aussi vive. En apparence seulement car sur la lune, justement, l'heure est plutôt à la réconciliation, et plus si affinités...

Même si les auteurs proposent un aperçu des dérives de l'Histoire en fin d'ouvrage sur des événements marquants qui se seraient produits plus tôt que dans notre « temps » à nous, la focalisation de ce Jour J : Les russes sur la Lune ! s'effectue principalement autour d'un épisode lunaire qui a de quoi laisser perplexe. En quelques mots, c'est lent, mou quand bien même il y a des scènes d'action, mais c'est surtout inintéressant au possible. Difficile d'y croire une seule seconde d'autant que l'espèce de message – nous sommes tous frères, nous humains, faites l'amour pas la guerre –, à défaut d'être traité avec subtilité, éclabousse comme un pavé dans la mare du convenu et revêt un aspect bien naïf.

Le dessin, comme cela arrive parfois, n'a jamais relevé le tout. Dans le cas présent, il a même enfoncé le clou. C'est vite devenu exaspérant de voir les humeurs des personnages entourer systématiquement leurs visages. Qui des éclairs pour exprimer la colère, qui des gouttes d'eau pour signifier l'étonnement ou la surprise. Je ne dis pas que le procédé n'a pas sa place en bande dessinée mais là, en plus de la surabondance, il ne me paraît pas approprié. D'autant moins si, comme cela semble être le cas ici, on veut inscrire son récit dans une réalité, fût-elle alternative. On pourrait ne voir en ceci que des détails. Le problème c'est que l'illustration dans sa globalité m'a paru bien pauvre, me donnant le sentiment qu'il a fallu aller à l'essentiel, faire vite, quitte pour cela à céder à la simplicité. Faut-il y voir là le résultat d'une commande, d'une pression relative au projet Jour J ? Peut-être, je n'ai pas les réponses à ces questions.

Je ne suis pas tendre avec cette Bande dessinée alors que, c'est vrai, l'uchronie a tout de l'exercice casse-gueule puisqu'il implique de prendre en compte un nombre incroyablement important de paramètres, et de les combiner ensuite pour leur donner et de la cohérence, et du souffle. Mais là, j'ai bien vite compris que ce ne serait pas le cas, que ces éléments seraient irrémédiablement absents. J'ai été apâté par un super scénario en quatrième de couverture, une superbe illustration en première (ah vous pouvez y aller, toutes celles de la série sont réussies), pour finalement me retrouver avec un truc bébête, écrit et dessiné à la va que j'te pousse, comme s'il était encore besoin de me prouver que ça existe.



Jour J - 1- Les Russes sur la lune / Jean-Pierre Pécau et Fred Duval (scénario) ; Philippe Buchet (dessin), Delcourt, 55 p.

14/01/2011

Les Montagnes hallucinées / Howard Philips Lovecraft, texte lu par Philippe Bertin

Ne reste pas sur ces impressions. Prend un peu de distance pour le moment. Un jour viendra ou tu ressentiras toi aussi le souffle crépusculaire de Nyarlathotep posé sur ta nuque. Ce jour là alors tu sauras...

Suivant donc les conseils de El JC après ma déconvenue à l'écoute du Cauchemar d'Innsmouth, je me suis une nouvelle fois aventuré en territoire Lovecraftien avec, cette fois-ci, Les Montagnes hallucinées, toujours en version sonore.

Un petit coup d'oeil dans le rétro et force m'est de constater que mes réticences vis à vis de l'auteur et de ses écrits sont pratiquement toujours les mêmes : impression de lire toujours la même histoire, celle où un homme témoigne de l'horreur absolue dont il a été le témoin – horreur symbolisée par la réapparition des Grands Anciens -, style plombé d'adverbes et d'adjectifs censés se faire l'écho de l'innommable et de l'indescriptible, descriptions incessantes... Malgré l'implication du narrateur dans les événements qu'il relate, malgré sa volonté d'empêcher une nouvelle expédition scientifique en Antarctique, là où se trouvent ces montagnes hallucinées dont les dimensions défient les lois de l'entendement - mais bien moins encore que ce qu'elles recèlent - malgré tout ceci, j'ai une nouvelle fois été totalement imperméable à cette narration, trop impersonnelle à mon goût.

Et pourtant la qualité du livre sonore est là sur tous les niveaux. J'écoute des livres lus depuis quelque temps maintenant et jamais encore je n'ai vu un tel soin accordé à la réalisation d'un ouvrage, hormis peut-être pour Les Chroniques des ombres de Pierre Bordage, mais le concept n'était pas tout à fait le même non plus. Le livret fourni avec le CD donne à lui seul un aperçu du travail entrepris par les éditions Libellus avec notamment une présentation de tous les acteurs impliqués dans cette édition : l'auteur, les traducteurs Thomas Bauduret et Christophe Thill, le lecteur Philippe Bertin, l'illustrateur François Baranger (avec son esquisse au crayon du projet de couverture dans le rabat du digipack) et le compositeur Benoït Seyral. En dehors de la musique de présentation de l'ouvrage, le texte lui même est parfois accompagné de mélodies ou même émaillé d'ambiances sonores qui collent au récit et lui donnent du relief. Crépitements de radio lors des liaisons entre les différents intervenants de l'expédition ou bruits intrigants et inquiétants à mesure que le narrateur s'enfonce dans les montagnes, s'engouffre dans la Cité et se trouve confronté à...

Si le texte n'a pour sa part pas répondu à mes attentes, j'imagine que les passionnés de Lovecraft sauront, eux, être séduits, histoire d'attendre aussi une de ses nouvelles déclinaison, prévue et orchestrée par Guillermo Del Toro. Si l'aventure vous tente, n'hésitez pas non plus à faire une petite visite sur le site des éditions Libellus. Elle proposent d'autres incursions sonores en science-fiction. Reste à espérer que le catalogue s'étoffera pour ce mauvais genre, encore bien peu représenté sur support CD.

12/01/2011

Masque de sang / Lauren Kelly

Avril 2003. Drew Hildebrand a disparu après avoir été kidnappée dans d'étranges conditions. Ceux qui la côtoyaient auront tôt fait de penser cela n'a rien de surprenant. Dans l'univers de l'Art Contemporain, cette galeriste pour le moins emblématique semblait ne rien pouvoir accomplir dans la simplicité. Sans compter que sa dernière exposition en date dédiée au bio-art, si elle avait suscité l'admiration des uns, n'en avait pas moins provoqué la colère des autres pour sa nette tendance à exposer corps humains et foetus selon des mises en scène scabreuses. De là cependant à s'en prendre physiquement à son instigatrice ? De là aussi à enlever aussi sa nièce, à la bourrer de « crystal meth », cette drogue synthétique redoutable, et de l'abandonner ensuite au cœur de la Shale River Mountain ?

Les choses sont-elles seulement aussi simples ?

Les réponses à ces questions, c'est justement Annemarie qui les possède. Un père en prison, une mère en proie à la dépression et à l'alcool, elle n'avait eu d'autre choix que d'aller vivre chez sa tante. Elle en était heureuse d'ailleurs et, malgré les excentricités de cette dernière, comme par exemple de lui faire changer de prénom, elle lui vouait en toutes circonstances une forme d'admiration, de fascination. De son côté, Drew la portait tantôt aux nues, lui accordait une importance au delà du raisonnable, puis feignait l'indifférence, lui témoignait sa déception en lui laissant entendre qu'elle n'était pas à la hauteur de ses attentes.

Tout ceci, c'est Annemarie qui l'apprend au lecteur. Très vite, celui-ci comprend qu'il n'a pas affaire à une enquête classique. A tout bien considérer, il n'y a pas même vraiment d'enquête. Car l'enjeu de ce roman ne se situe pas en premier lieu sur la résolution planant autour de la disparition de Drew mais plutôt sur la complexité des rapports de la tante avec sa nièce. Sur l'art aussi, mais dans une moindre mesure.

On est là loin, très loin des romans policiers tendance, dont j'ai déjà eu l'occasion de parler sur ce blog. Avec un titre pareil et une telle couverture - réussie au demeurant - on aurait été en droit de penser que l'on allait avoir droit à tout un panel de meurtres, ou hémoglobine et autres viscères auraient servis de principaux catalyseur à l'histoire. Ici c'est la tension psychologique qui est maintenue de bout en bout. En revenant sur leur relation, Annemarie / Marta tisse méticuleusement la trame du drame en devenir, inocule le malaise à petites doses, le rend palpable à un point tel qu'outre le fait de l'éprouver, on ne peut qu'être admiratif d'une telle maîtrise sur le long terme.

Il faut dire que Lauren Kelly n'en est pas à son coup d'essai. Elle a déjà signé deux autres suspenses, Coeur volé et Emmène-moi Emmène-moi mais elle a aussi au bas chiffre plus de soixante-dix bouquins à son actif, et pas des moindres puisque l'un d'entre eux, Les Chutes, a reçu le prix Femina Etranger en 2005. Vous le savez peut-être déjà ou bien vous l'aurez deviné, Joyce Carol Oates est effectivement derrière ce Masque de Sang. Avec une écriture si glaçante, si fine, et une histoire si diablement efficaces, on ne peut que s'en réjouir.

A voir aussi l'avis de Jean-Marc sur son blog.

04/01/2011

La Guerre tranquille / Paul J. McAuley

Lorsque survient la mort malencontreuse de Maximilien Peixoto, le doute n'est plus permis. La guerre contre les Extros aura bien lieu. Ce n'est qu'une question de temps. Car Maximilien Peixoto n'était pas seulement le commandant en chef des forces aériennes de Grand Brésil ni le mari de la présidente de cette même nation, la plus puissante de la Terre, ni même encore le membre d'une famille les plus influentes de la planète. Il était aussi l'un des farouches défenseur de la réconciliation et de la paix avec les Extros, ces humains partis en toute autonomie coloniser les lunes des principales planètes du système solaire il y a plus d'un siècle, départ suscité par les dérèglements climatiques ayant conduit à la Renverse, catastrophe écologique sans précédent dont la particularité avait été d'éradiquer une bonne partie de la population mondiale.

Pour autant, même si la guerre est imminente, si Terriens et Extros en sont tout à fait conscients, les différents accords et autres coopérations en cours sont toutefois maintenus. A l'image de la construction d'un biome sur l'une des lunes de Jupiter, censée jusqu'alors représenter de manière plus que symbolique le rapprochement des Nations, divergentes dans leur manière d'appréhender l'écologie ainsi que leurs percées technologiques et scientifiques. Des disparités que les instances terriennes voudraient étouffer dans l'œuf, avant qu'il ne soit trop tard, avant que les Extros ne soient réellement en mesure de se défendre, voire même de s'en prendre à la planète mère. D'où la nécessité d'une guerre. A titre préventif. Le tout consistant à y aller en douceur, créer les incidents nécessaires à une escalade sans pour autant perdre la face.

« Un roman complexe et à couches multiples débordant de personnages extraordinaires, de scènes stupéfiantes et d'idées fascinantes. » SFX

C'est ça. C'est exactement ça. Cependant, La Guerre tranquille malgré ses indéniables qualités, n'est pas aussi parfait que cette citation le laisse entendre. Quoique à bien y regarder, elle n'est pas que laudative. Ce « complexe », ces « couches multiples » et ce « débordant » pourraient aussi sonner comme un air d'avertissement. Attention les gars, c'est pas simple, va falloir s'accrocher. Certains risquent d'être perdus en cours de route. En quelque sorte, ceux qui tiendront seront récompensés de leur pugnacité. Alors bien sûr, cette interprétation ne tient qu'à moi. Peut-être m'est-elle venue aussi parce que j'ai bien failli abandonner cette Guerre tranquille à deux ou trois reprises et que je ne regrette en aucune façon d'avoir persévéré. Ce livre est une véritable montagne russe à lui tout seul. Les montées: des passages lents, bavards, pas toujours nécessaires mais qui permettent au moins d'apprécier le paysage à mesure que l'on monte. Entendre par là que ces descriptions ou ces scènes de présentation vont d'une façon ou d'une autre contribuer à la cohésion de l'ensemble, même si le livre aurait gagné à être un peu plus court. Ensuite, les descentes : de l'exaltation, de l'émerveillement, du suspense, générés par des scènes saisissantes variant aussi en fonction des quatre personnages principaux que Paul J. McAuley nous invite à suivre ; des images qu'on imaginerait sans mal s'épanouir sur grand écran, bien que dans la tête ce soit déjà grandiose. L'écriture, et sans doute aussi la traduction, contribuent en tout cas à l'amortissement à très brève échéance de votre Home Imagirama garanti sans son pour ce qui est des scènes extérieures dans l'espace – contemplation et splendeur assurées !

« Le retour triomphal de Paul McAuley au space opera de grande envergure. » Locus.

Pour ce qui est du retour triomphal j'aurais bien du mal à me prononcer, découvrant l'auteur avec cette histoire. En revanche, concernant le "space opera de grande envergure", je ne peux qu'être d'accord. Paul J. McAuley bâtit son histoire petit à petit, prend le soin de la cohérence, notamment en dressant le portrait de personnages parfois ambivalents et toujours complexes. Mais par dessus tout, il pose les bases d'une réflexion autour de l'acte de guerre lui-même, sur ses mécanismes et sa complexité. Une complexité qu'il aura tôt fait de répercuter sur l'Homme lui-même et sa condition de vivant qui, sous couvert de survie et de préservation de ses acquis, sous couvert de méfiance et d'incompréhension aussi, a tendance à reproduire d'anciens schémas où l'usage de la force est toujours dans la balance. Le titre de ce roman ainsi que son traitement ne laissent en tout cas la place à aucun doute. Ils portent en eux l'écho et l'aversion des mensonges et des manipulations qui ont conduit à une certaine guerre en Irak, dont l'onde de choc n'a pas fini de se faire sentir.

Tranquille, la guerre, vraiment ?

A voir aussi les avis de Val et de Marc, Guillaume et Mes Ailleurs.
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