17/02/2012

Docteur Who. Apollo 23 / Justin Richards


Ne comptez pas sur moi pour vous dire si...

Je recommence. Ce n'est pas très accueillant de débuter une chronique ainsi.

Bonjour.

Si par hasard vous tombez sur cette bafouille consacrée au Docteur Who en pensant trouver un parallèle avec la série du même nom, je suis au regret de vous dire que vous faites fausse route.

De ce feuilleton, je savais bien peu de choses. Et après la lecture de Apollo 23... il en va sensiblement de même. Disons pour être exact que j'ai dorénavant un peu plus d'éléments en ma possession. Comme tout un chacun, sans doute, j'ai entendu parler de la série. J'ai aperçu quelques images d'un même épisode, à près d'un an d'intervalle, sans m'y intéresser pour autant. Il y avait là-dedans un côté volontairement kitsch, déroutant pour le non initié, et si je ne me suis pas plus appesanti sur ce qu'y s'est avéré être un véritable phénomène outre-Manche (ces informations sont tout de même parvenues jusqu'à moi), c'est tout simplement parce que je regarde rarement la télévision. Presque jamais, en fait.

Parmi les autres éléments en ma possession, je savais que le monsieur voyageait à travers le temps et l'espace en compagnie d'une jeune femme, Amy Pond, dans une cabine téléphonique typiquement anglaise (il s'agit en fait d'une cabine de police) ; que lorsqu'il passait de vie à trépas, il se régénérait dans un autre corps. La chose est d'autant plus utile pour une série perdurant comme celle-ci depuis cinquante ans et qu'il convient, pour une raison ou pour une autre, de changer d'acteur. S'agissant de science-fiction, c'est bien plus pratique en tout cas pour justifier le remplacement d'un comédien. N'est pas Ted Capwell qui peut ou qui veut (précision : il fut un temps où je regardais beaucoup la télévision, et peut-être pas les meilleurs programmes non plus...).

Je suis donc parti en vrai newbie à la découverte d'un ouvrage publié sous licence, le cœur plombé après Trash Circus de Jospeh Incardona et La Nuit sauvage de Terri Jentz, dont j'aurai l'occasion de parler dans une prochaine émission de Blabla.

Et pour une première vraie rencontre avec le docteur Who, ça fonctionne plutôt bien. Ce n'est certes pas le roman du siècle, la traduction paraît parfois un peu lourde, mais pour peu qu'on cherche du bon divertissement, du divertissement pop-corn, Apollo 23 remplit pleinement son office. Et ce dès les premières pages : on y voit mourir un homme, subitement asphyxié, alors qu'il se rend sur son lieu de travail. Dans le même temps, dans le fast-food où sa collègue fait la queue, apparaît un astronaute en combinaison spatiale. Pour le Docteur Who, aussitôt arrivé sur les lieux à bord du Tardis, accompagné d'Amy Pond, les événements seraient directement imputables à un déplacement quantique. Entendez là-dessous que les américains ont depuis des années mis en place un système leur permettant de relier en un battement de cils leur base sur Terre à celle se situant sur le côté obscur de la lune, et que ledit système a semble-t-il connu quelques petits problèmes. Reste à en connaître la cause et là, on n'est pas au bout de nos surprises.

C'est donc plutôt léger, souvent très drôle dans le décalage proposé entre les situations et les dialogues. On nage de temps à autre dans un absurde totalement réjouissant, très british et très pulp à la fois. On est là clairement dans un mélange de vieille science-fiction - avec ses codes, ses clichés, ses rebondissements un peu fantasques - et de perspectives contemporaines. C'est ce mélange là, ce décalage là, encore une fois, qui permet à l'histoire de fonctionner telle qu'elle est présentée, et de finalement se révéler savoureuse.

Il ne m'est donc pas possible de dire si cet ouvrage correspond bien à l'esprit de la série, mais en tout cas, pour le lecteur qui n'y a jamais trempé plus qu'un œil distrait, cela n'empêche en rien de l'apprécier. Reste à voir s'il en ira de même avec les autres plumes et les autres histoires qui composent ces romans inspirés de la série (et qui ne correspondent pas forcément d'ailleurs à des épisodes télévisuels). Je vérifierai ça lors de mon prochain périple à bord de la cabine de police bleue dans... La Nuit des humains.

CITRIQ
Docteur Who, Apollo 23, Justin Richards, traduit de l'anglais par Rosalie Guillaume, Milady, 283 p.

08/02/2012

Trash Circus / Joseph Incardona

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Permettez-moi de vous présenter, Frédéric Haltier, l'un des personnages de roman que j'ai sans doute le plus détesté mais avec lequel, néanmoins, j'ai accepté de partager la proximité quelques heures durant. Et quelle proximité !

« Derrière la baie vitrée, je vois cette fille qui est un paquet de frime (maquillage excessif, cheveux blonds lissés au Rowenta, lèvres botoxées). Si jeune et déjà entamée. J'imagine aisément le reste : épilation définitive, seins refaits (éventuellement), l'empreinte étudiées du string sur son cul bronzé aux ultraviolets, Dim Up et tout le bordel des sous-vêtements en dentelle. Ils peuvent rabâcher, les défenseurs de l'authentique, mais l'artifice poussé à son extrême vaut largement la beauté naturelle. »

Frédéric Haltier travaille pour une émission de télé-réalité, Destins croisés, dont le concept est de réunir sur un même plateau de télévision les victimes et les bourreaux d'une tragédie. Le voyeurisme dans ce qu'il a de plus ignoble. Frédéric Haltier a deux filles dont il ne s'occupe guère. Depuis la mort de leur mère, il s'est empressé de les placer dans un internat prestigieux. Elles ne représentent rien pour lui. A leur égard, il ne témoigne que de l'indifférence. Pour Frédéric seul semble compter le nombre de nanas qu'il pourra s'envoyer, quitte pour cela à jouer de son statut, dévoiler le nom d'Auriol, le présentateur de l'émission à même d'ouvrir les portes de la célébrité. A la source de son plaisir : la violence. C'est d'ailleurs à travers l'expression de celle-ci, en participant aux rassemblements musclés des hooligans lors des matchs de football du PSG, qu'il pense favoriser le déclin de la société. Sans jamais se douter que lui-même pourrait flancher...

« Je ne me suffis pas à moi-même, de toute façon, incapable de rester seul trop longtemps, déficit pérenne de l'attention au-delà de quinze minutes, malédiction de l'hyperactif, au final, je suis le fruit de mon époque. Je sais trop bien que tout est déjà parti en couilles. Je suis là pour accélérer la chute. »

Il n'aura sans doute échappé à personne qu'il existe une mode (ne rien voir de négatif dans ce terme) dans le roman policier actuel : celle de nous faire entrer dans la peau de tueurs abjects lesquels nous livrent sans fards leurs pensées et leurs actes. Et, sous couvert d'un certain humour ou de leur parcours, leur histoire, leurs créateurs parviennent à susciter une certaine empathie, plus ou moins assumée, à leur égard. En tant que lecteur, j'ai eu l'occasion de renconter certains d'entre eux : Dexter de Jeff Lindsay, Joe Middleton de Paul Cleave, Kurtz de Jérôme Camut et Nathalie Hug, Ernesto Perez de Roger Jon Ellory... Tous ces personnages dont certains sont vraiment bien conçus, obéissent aux codes du genre, s'inscrivent dans une sorte de pacte passé avec le lecteur : vous voulez des sensations fortes, du divertissement, vous allez en avoir... De ce fait, il y a de part et d'autre, de l'auteur et du lecteur, une acceptation de l'artificialité mise en place.

« Eléonore mourra et tout ça, notamment ces parties fines que l'opinion généralement condamne, n'aura aucune espèce d'importance à l'échelle de l'univers. Comme les crimes, comme les horreurs les plus absolues qui peuvent être commises. »

En terme de sensations fortes, et comme son titre l'indique, vous ne serez pas en reste avec Trash Circus. En revanche, pas d'empathie et pour le côté artificiel, pas la peine de le chercher non plus, il n'y est pratiquement pas. Joseph Incardona a pris soin de le gommer le plus possible, de le réduire à sa plus simple expression pour coller au plus près à notre réalité. Le récit tire donc ses racines dans notre époque, dans la puanteur ambiante qui gangrène notre société. Pour ce faire, il passe par le prisme de la télé et du foot. Le malaise est là. Prégnant, intense, permanent.

J'ai bien été tenté de laisser tomber le livre en rapport à l'aversion que le personnage m'inspirait, à l'univers pétri de superficialité dans lequel il évoluait. Tout psychanalyste s'en donnerait à cœur joie avec le cas Frédéric Haltier, un homme guidé par son individualisme, par l'exercice et l'emprise du pouvoir sur les autres, par l'indifférence, par un sentiment d'invulnérabilité que rien ne semble jamais devoir remettre en cause, et pour finir, par le sexe – il n'y a presque pas de pages où les émotions de Frédéric Haltier ne soient pas décodées puis restituées par le biais du sexe. Cependant, pas besoin d'être psychanalyste pour apprécier l'œuvre malgré l'aversion qu'elle peut susciter. Et c'est bien cela qui m'a empêché d'abandonner le livre car le dégoût ne porte justement pas sur l'œuvre elle-même mais sur ce qu'elle révèle et dénonce à la fois, la décadence d'une société empêtrée dans ses contradictions. Et ça il fallait, il faut, le lire jusqu'au bout.

« Elle aurait pu demander à son tour comment se porte ma conscience. Bof, c'est le grand vide. Il y a un petit quelque chose qui me froisse, mais c'est une voix d'enfant perdue au milieu d'une conversation bruyante, télescopage des voix et, par instants, au hasard des moments de flottement où se manifeste le silence, les mots dépourvus de sens car isolés évoquent pour moi une formule mystérieuse oubliée dans mon pupitre d'écolier. Quelqu'un l'a jetée depuis longtemps, d'autres enfants se sont assis derrière ce bureau, les générations se succèdent. La petite voix m'emmerde, elle continuera à sa faufiler, parce que l'enfant est obstiné, mais elle ne fait plus écho. C'est trop tard. »

Faire vivre un tel personnage que Frédéric Haltier n'a pas dû être qu'une partie de plaisir, loin s'en faut, mais en se l'appropriant de la sorte, Joseph Incardona confirme la maîtrise dont il fait preuve et la place essentielle qu'il tient dans le roman noir actuel. Si le coeur vous en dit, allez faire un petit tour chez Claude, il a lui aussi beaucoup aimé le livre..

Trash Circus, Joseph Incardon, Parigramme (Polar noir 7.5), 220 p.