26/11/2013

The Cape / Joe Hill, Jason Ciaramella et Zach Howard

Il y a eu peu de bandes dessinées sur le blog à ce jour – une seule en fait – mais la donne pourrait changer d'ici peu, d'autant que je découvre de belles petites choses et que je me décide à en parler, même si je ne maîtrise pas totalement les codes ni même le vocabulaire du neuvième art.

Régulièrement, je supprime mon compte facebook, atterré par le tout et n'importe quoi que je peux y trouver : de l' « ami » qui affiche on ne peut plus clairement des idées politiques nauséabondes à celui qui vous informe de son rhume et de son incapacité à mettre la main sur un mouchoir... Mais je sais aussi que lors de ces déconnexions je loupe pas mal d'événements à même de rattraper cette rancœur épisodique. Heureusement, fort heureusement, je ne suis pas passé à côté des coups de cœur vidéo de la librairie Critic à Rennes, dans lequel, tenez-vous bien, figurait The Cape, comic inspirée d'une nouvelle de Joe Hill.

L'histoire est axée sur l'histoire d'Eric, victime d'un grave accident lorsqu'il était môme et qu'il jouait aux super-héros avec son frère Nicky. Emporté par son scénario, et muni de sa cape cousue avec l'écusson des marines de son père disparu au Vietnam, Eric était en effet tombé d'un arbre avant de s'empaler l'épaule sur la branche qui l'avait accompagné dans sa chute. Des années plus tard, marqué par des maux de tête incessants, l'enfant est devenu un homme un peu paumé. Il quitte sa nana, retourne vivre chez sa mère, se réfugie dans la cave et retrouve la cape qu'elle lui avait pourtant avoué avoir jeté. Il l'enfile, se met à voler...

A l'heure des séries à rallonge, je suis impressionné, tourneboulé, scotché d'avoir trouvé un one shot d'une telle densité, avec une histoire qui brasse tant de thèmes sans faire office de catalogue, tout en les abordant d'une manière sensible et percutante à la fois. Sensible parce qu'on touche à l'enfance, aux jeux qui les jalonnent et à l'importance qu'ils revêtent alors. Sensible encore parce que Joe Hill dans son histoire, parle du passage à l'âge adulte, de la relation avec les parents, de l'absence de l'un d'entre eux, de la relation amour / haine / jalousie fraternelle et des blessures qu'elle provoque. Sensible enfin, parce qu'il met l'accent sur les choix qui guident nos vies et la difficulté qu'on peut avoir à mesurer leur impact à plus ou moins long terme. Et percutant je le disais, parce qu'à travers cette histoire, Joe Hill nous raconte le mal, de sa naissance à son accomplissement irrémédiable, implacable et ravageur, citations d'Hemingway, de Auden ou Genet à l'appui. Il y a une scène particulièrement révélatrice dans ce comic qui va littéralement vous faire palpiter le palpitant à deux cent à l'heure tant la surprise est grande et ne comptez pas sur moi pour vous gâcher le plaisir. Mais lorsqu'elle survient - aouch ! - vos synapses vont en prendre un coup...

 Les dessins participent forcément à rendre cette sensibilité et cette force narrative dont je parlais. La tonalité dominante est assez sombre, hormis lors des souvenirs d'enfance et certaines scènes... déterminantes. Si la symbolique qui en résulte est ici assez évidente, elle n'en demeure pas moins efficace.

Je vous refourgue The Cape et j'en suis bien content ! Juste une chose : faites-en bon usage...

The Cape, de Joe Hill, Jason Ciaramella et Zach Howard, Milady (Milady Graphics), 2013, 160 p.


12/11/2013

Puzzle / Franck Thilliez



Parfois on s'évertue à lire un auteur parce qu'il a été à l'origine de belles découvertes, de très bons moments de lecture. Ouvrage après ouvrage, on espère qu'il en sera toujours de même. En tout cas, je ne sais pas si on peut y voir un lien de cause à effet mais depuis que Franck Thilliez a quitté les éditions du Passage pour Le FleuveNoir, je n'adhère plus du tout à ses livres. Je pense avoir facilement mis le doigt sur ce qui me dérange mais d'une fois sur l'autre, je tente le coup.

Premier point, la documentation. Franck Thilliez, on ne va pas lui jeter la pierre, engrange des informations sur les thématiques qu'il aborde. Seulement voilà, l'objet de ses recherches ne se fond absolument pas dans le récit. Souvent, trop souvent, j'ai ressenti le moment où l'auteur restituait celles-ci dans ses histoires, de façon plus ou moins fortuite. Il n'est pas rare en effet, en dehors des spécialistes rencontrés par les protagonistes principaux, de trouver un personnage qui connaît justement très bien telle ou telle donnée d'un problème à un moment clé, leur permettant à tous d'avancer dans la résolution d'un mystère.

Deuxième point, l'impression que le style n'est plus du tout au rendez-vous, que les livres parus depuis Syndrôme E jusqu'à Puzzle, s'inscrivent dans une lignée de livres aseptisés dont les ficelles sont par trop visibles. L'attention est apportée – et là encore ce n'est pas un mal – sur l'ambiance, sur l'atmosphère, sur la tension, avec ce qu'il faut de rebondissements, de volonté de surprendre, mais malheureusement, cela ne suffit pas. Il manque à ces livres ce petit supplément d'âme que j'avais pu trouver à différents degrés dans les autres.

Dans Puzzle, le schéma est à peu de choses près le même. Franck Thillliez a abandonné Lucie Hennebelle et Frank Sharko le temps d'un nouveau roman. Si le premier tiers est intrigant, plutôt bien mené, dès que l'on pénètre dans le huis-clos d'un hôpital psychiatrique à l'abandon, l'attention se relâche. C'est là en effet que se retrouvent les participants d'un jeu grandeur nature, Paranoïa, dont on sait peu de choses sinon qu'il les confrontera à leurs peurs les plus viscérales et que le vainqueur remportera 300 000 euros. La machine semble vouloir s'emballer, monter en puissance dès que les joueurs s'approprient les lieux. Pour moi, le moteur a calé. Puzzle s'est révélé lent, brouillon, répétitif et, tout compte fait, peu intéressant. Loin de moi pourtant l'envie d'être trop sévère : quand était paru La Chambre des morts, je travaillais en librairie et j'avais participé à la liesse générale autour du livre ; pour ce qui est de Puzzle, j'aurais eu du mal à le « vendre » aujourd'hui... 

Puzzle, de Franck Thilliez, Fleuve noir, 2013, 432 p.
CITRIQ

03/11/2013

Maître de la matière / Andreas Eschbach

Il y a des fois où c'est plus dur que d'autres de choisir un livre. Vous venez d'en terminer un superbe et embrayer sur une autre histoire vous semble impossible. Vous ne savez plus vers quel auteur vous tourner, vers quel genre non plus. Et puis voilà que les éditeurs semblent tous sortir leur atout de leur jeu et vous êtes là, devant la table de votre libraire préféré à devoir opérer un choix. Vous pourriez tous les prendre c'est sûr mais voilà, votre porte monnaie n'est pas extensible et les journées ne le sont pas plus. Alors vous lisez quelques pages ici ou là, histoire de vous imprégner du style de l'auteur, de l'essence de son roman, vous passez à l'autre, revenez au premier. Bref, vous connaissez le topo. 

Vous choisissez...

... ici s'arrête donc la chronique dont vous êtes le héros pour revenir à ma modeste personne et au choix qui s'est donc porté sur Maître de la matière d'Andreas Eschbach. L'histoire, c'est celle d'abord de deux gamins de dix ans, Charlotte et Hiroshi, qui se rencontrent au japon, commencent une amitié comme seuls les enfants semblent en être capables. Elle a la faculté de reconstituer l'histoire d'un objet rien qu'en le touchant, de tout connaître de celui-ci, jusqu'à son origine. Et lui, lui, il est disposé à rendre tout le monde heureux et libéré des entraves du travail. Il a pour cela eu une idée toute simple. Si simple qu'il se demande pourquoi personne n'y a songé avant lui. Il mettra tout en œuvre le long de sa vie pour y parvenir. Jusqu'à ce que Charlotte et lui, après s'être croisés à plusieurs reprises dans le courant de leur existence soient confrontés au mystère d'un artefact coincé dans la glace d'une île en Russie et qui n'est pas étranger à leur histoire, aux voies qu'ils ont suivies, aux choix qu'ils ont fait.
  
Je pourrais vous faire une chronique thématique, aborder un à un les sujets abordés dans ce livre, appuyer sur la pertinence des propos et considérations dont il se fait indéniablement l'écho. Que ce soit sur les questions environnementales, sur la répartition des richesses, les inégalités flagrantes qui gangrènent nos sociétés. Je pourrais aussi vous parler de l'évocation faite d'une humanité consciente des menaces qui la guettent mais qui rechigne pourtant à s'inscrire dans un changement radical, à envisager des voies divergentes d'évolution et de progrès sous prétexte que l'inconnu est synonyme de danger, qu'il implique le changement de statut d'une classe de nantis prête à tout pour préserver ses acquis...

Oui, je pourrais.

Mais non. Là aujourd'hui, maintenant c'est du plaisir simple de la lecture dont on va parler. Vous savez, ces petits signes qui ne trompent pas et qui, au final, valent bien des discours. L'immersion rapide dans les filets de l'histoire, la facilité à trouver bien des prétextes pour s'octroyer des plages de lecture, bénir l'attente chez le docteur, l'arrêt inopiné du train sur la voie sans aucune raison, et qui dure, heureusement ; imaginer ce qui va bien pouvoir se passer, être avides de connaître la suite tout en souhaitant ne pas terminer le livre trop rapidement ; fébriles de profiter de tout ce qu'il propose, de suivre cet homme qui a voulu garder ses rêves d'enfant, un homme qui à défaut de rester un enfant, justement, est devenu un génie dont on se demande s'il sera bon ou mauvais... 

En tout cas, quand on passe ainsi sans heurts d'une vision assez intimiste des personnages à des scènes de grand, très grand spectacle (et les mots sont pesés - ne vous étonnez d'ailleurs pas si votre voisin vous remet le menton en place quand les voies de la nanotechnologie s'ouvriront à vous...) - quand tout s'articule aussi bien donc, sans qu'Andreas Eschbach n'ait besoin de forcer le trait, on se dit que le livre d'après, il a intérêt à s'accrocher.... ou à accrocher tout court.

Maître de la matière, de Andreas Eschbach, traduit de l'allemand par Pascale Hervieux, éditions de l'Atalante (La Dentelle du Cygne) 2013, 640 p.
CITRIQ