20/02/2008

Bad Monkeys / Matt Ruff


Décidément, Matt Ruff est à la littérature ce qu’Houdini était à la magie : un sacré prestidigitateur. Après la Proie des âmes où, en plein milieu, j’avais eu la sensation de m’être fait avoir comme un bleu, il récidive avec Bad Monkeys. Si ce n’est que le second n’est tout de même pas à la hauteur du premier, pour des raisons que je vais tenter d’éclairicir.
Quelques auteurs excellent dans cet art difficile de mener le lecteur en bateau. Pour ceux que j’ai eu l’occasion de maudire et de savourer il y a entre autres Denis lehane avec Shutter Island et Cormac McCarthy avec Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme. Ils opèrent l’un et l’autre dans des registres différents mais l’impression générale est la même. Ils s’émancipent des codes du roman noir, du roman tout court en fait, et suscitent la surprise, aussi bien dans la narration, la forme, ou même les deux. Forcément, ça agace un peu de s’être fait avoir, de perdre pied. Mais c’est tellement bien au bout du compte, surtout quand la qualité de l’écriture est de la partie.
Mais déjà, je parle trop. Le problème avec ce genre de bouquins quand on entreprend de raconter l’histoire, c’est que l’on peut seulement l’aborder sans trop rentrer dans les détails, ce qu’on meurt d’envie de faire. Alors, à mon grand regret je m’en tiendrai au strict minimum.
Jane Charlotte est arrêtée pour meurtre. Elle affirme faire partie d’une organisation secrète dont la mission est d’éliminer les êtres malfaisants, baptisés les " Bad Monkeys ". Interrogée par un médecin de l’aile psychiatrique de la prison où elle se trouve, elle relate les faits qui l’ont conduite jusque là.
L’histoire de Jane est proprement hallucinante. Pourtant, au début, on ne doute jamais de sa santé mentale. Nous sommes dans un roman dont la particularité, on le voit d’emblée, est de traiter de choses étranges. Le monde qu’elle dépeint nous est contemporain, les repères ne manquent pas. Puis on vient à douter tant les situations sont de plus en plus abracadabrantes, rocambolesques et surréalistes. Le psychiatre lui-même prend Jane en défaut à plusieurs reprises sur la cohérence de son récit ainsi que sur certains points précis qu’elle relate.
La gradation dans le n’importe quoi est évidente mais elle ne suscite jamais aucune confusion, seulement le doute. On ne nage pas dans un délire onirique sans queue ni tête. C’est fou, mais le lecteur est comme le psychiatre. Il engrange les données, attend la fin de l’histoire de Jane avant de porter un jugement. Elle raconte, il pose les questions.
Le seul problème dans la narration, et c’est en cela que certains pourront être déçus, c’est la longueur et l’accumulation de scènes d’action qui jalonnent la fin du livre, comme si on était face à un film captivant qui part tout à coup en eau de boudin alors qu’il aurait gagné à emprunter une autre voie.
Heureusement les dix dernières pages sont là et…je me tais.
Références volontaires ou pas, on ne peut s’empêcher de penser à des univers déjà rencontrés au gré des lectures, ou dans des films : Philip K.Dick, la série des Thursday Next de Jasper Fforde, à Matrix, Chapeau melon et bottes de cuir
Matt Ruff semble s’être bien amusé à écrire ce livre, pas aussi prenant que la Proie des âmes. Il s'agit plus d'une parenthèse dans laquelle il se permet quelques petites perles : j’ai passé dix jours dans le coma. Je me suis réveillée dans une salle d’hôpital plongée dans l’obscurité avec une télévision allumée pas très loin. Tom Cruise parlait d’un prêtre qui était mort en donnant les derniers sacrements à un pompier Ground Zero. Puis Mariah Carey s’est mise à chanter que nous avons tous un héros caché en nous, et je me suis dit qu’en fait, j’étais peut-être morte et que je me trouvais en enfer. Mais l’émission s’est poursuivie, de plus en plus de vedettes se présentaient pour chanter et raconter des histoires, puis il y a eu des appels aux dons, et j’ai fini par comprendre que je n’étais pas en enfer, mais simplement en Amérique.
Sans tomber dans un anti-américanisme primitif, moi, ça me fait rire. J'attends son prochain livre avec impatience.

13/02/2008

Témoin involontaire / Gianrico Carofiglio



Guido Guerrieri est devenu avocat sans trop savoir pourquoi, porté par il ne sait quel élan. A près de quarante ans, il n'a pas la flamme. Pire, il est maintenant usé, blasé par des affaires successives où la routine s'acoquine parfois à la honte. Guido s'éteint à petit feu. Il n'est plus que l'ombre de lui-même et entame sa descente aux enfers lorsque sa femme le quitte. Il continue de travailler, avec ennui toujours. Puis il reçoit la visite d'une jeune femme noire qui lui demande d'assurer la défense d'un vendeur ambulant sénégalais, Abdou Thiam, accusé d'avoir tué un petit garçon. Guido accepte et amorce ainsi un changement radical de sa vie.
Bonne surprise que ce témoin involontaire ! Dans tous les sens du terme puisque l'histoire ne ressemble en rien à ce que l'on aurait pu attendre à la lecture du résumé. Il n'aurait d'ailleurs pas été étonnant de le trouver dans une collection de littérature générale. Car à vrai dire, l'affaire et l'aspect juridique ne sont qu'une façade. Témoin involontaire est avant tout l'histoire d'un homme en proie à un mal de vivre évident et qui tente de remonter la pente, qui s'accepte et s'ouvre au monde.
On n'est pas ici dans un ouvrage où l'on explore à tout va les rouages de la justice, où l'on découvre à coups de rebondissements (ce qui est parfois bien égréable, bien sûr), les tenants et les aboutissants d'une affaire obscure. On est de prime abord surpris que ces aspects nous soient occultés, au point que l'on se demande si Guido consacre bien toute son énergie à défendre son client plutôt que de s'occuper de lui. Le procès tient cependant ses promesses, les joutes oratoires et les plaidoiries aussi. On se prête au jeu. Et on se laisse prendre par l'histoire de Guido, ses relations aux autres, notamment avec Margherita, sa voisine, et Abdou. Les pages défilent. Le ton est juste, l' histoire touchante.

07/02/2008

L'Affaire du cuisinier chinois / Pascal Vatinel



Voilà près de 2500 ans, sous le règne du roi Xuan, Zhang Chenfu, tout juste âgé de vingt ans, revient enfin chez lui. Passioné de cuisine, il a en effet sillonné une partie du monde afin de s'inspirer et de parfaire son art.
Dès son retour, son succès est tel que le roi lui-même entend bien profiter de ses talents culinaires quitte à remplacer son actuel Maître des Repas et Banquets, wang Yueming. A ce titre, il organise un concours entre les deux hommes. Ce n'est alors que le commencement de gros, très gros ennuis pour Zhang Chenfu qui, pour ne rien arranger, tombe sous le charme de la fille du roi, la princesse Yujin, elle-même courtisée par le cousin du roi qui ne voit pas ce rapprochement d'un oeil très - comment dire ? - amène.
En mai 2005, l'archéologue Li Zhenduo découvre 32 rouleaux de bambous qui retracent l'histoire du cuisinier chinois et de ses déboires et demande à un vieil ami, Wang Pei, de les déchiffrer. Mais très rapidement, les rouleaux disparaissent...
Si l'on regarde bien, depuis le Da Vinci Code, les histoires de manuscrits oubliés, perdus, retrouvés, détenteurs de secrets inavoués et inavouables n'ont cessé de sortir des imprimeries comme des petits pains tout chauds, la saveur en moins (les petits pains, pas le Da Vinci Code...). On frôlait, et on frôle encore parfois, de ci de là, l'indigestion.
Ici, point de templiers, de secrets ou d'épées (ou si peu), de remise en question d'un quelconque ordre religieux. Pascal Vatinel nous raconte deux histoires en une où les époques se chevauchent, tissent des « liens qui unissent les événements et les êtres à travers le temps. »
Comme en écho à ces paroles de Wang Pei, les deux récits suivent sensiblement la même trame : jalousies, complots, amour, vengeance...et l'on pourrait prendre le raccourci facile mais réducteur de penser qu'au bout du compte, l'Humanité n'a pas vraiment changé.
Les « méchants » sont identifiés immédiatement et, comme dans un bon vieux Columbo des familles, on attend de voir comment ils vont être confondus.
Au final, voici une bonne petite histoire, plaisante à lire et qui remplit bien son office : nous distraire. Un petit regret tout personnel tout de même : l'éditeur aurait pu glisser une ou deux petites recettes « impériales »...Gourmandise, quand tu nous tiens !