16/02/2013

Les Solidarités mystérieuses / Pascal Quignard



Chaque année, dans la masse de romans, je parviens à dénicher une perle. C'est l'occasion d'en parler, non? En 2012, j'ai eu le coup de foudre pour Mr Peanut de Adam Ross. En 2013, qui débute à peine, c'est sans conteste Les solidarités mystérieuses de Pascal Quignard qui sera mon coup de coeur.

Il y a des romans comme ça - très peu en fait ! - où je m'évade du début à la fin… tant de beauté passe par les mots, les mots mis bout à bout, dans le bon sens - du moins le sens que j'aime. Et je lis la dernière page, je lis le dernier mot, je ferme le livre, et je ne peux plus bouger… bouleversée par l'émotion, le sourire aux lèvres, la tête partie, loin, très très loin d'ici. Ca arrive encore et franchement ça fait du bien ! Vraiment !

Pascal Quignard est un formidable romancier. J'avais dévoré Villa Amalia et j'ai littéralement englouti Les solidarités mystérieuses. TOUT, je dis bien TOUT est enchantement dans ce roman : le récit, les personnages, le style et surtout, cette manière tellement particulière de décrire les failles et les fractures que nous portons tous et cette façon, radicale, qu'ont ses personnages de "composer" avec.

Côté récit, attendez vous à vous balader du côté de la Bretagne. A arpenter des petits villages cachés par les falaises pas loin de Saint-Malo. D'un point de vue météorologique, il y fait beau et moins beau. Ok. Mais la nature est là, présente, envahissante. Une sorte de personnage à elle seule. On y retrouve un peu ce qui a fait le succès des Déferlantes de Claudie Gallay.

Côté personnage, vous y découvrirez Claire. La femme en rupture. Celle qui quitte tout pour retrouver son amant… et sa Bretagne natale. Ici, rien d'introspectif : vous ne découvriez qui est Claire qu'à travers les personnes qu'elle aime et qui l'aiment. Ces personnages satellites, mais essentiels, qui gravitent autour d'elle, qui l'observent, sans forcément la comprendre, sans forcément tout comprendre, et qui prendront tour à tour les rennes du récit.
Il y a Simon, son amour de jeunesse, avec qui, vingt ans après, la flamme, jamais éteinte, renaît.
Il y a Paul, son frère, tellement différent d'elle, mais avec qui elle partage les mystères de l'enfance, la tolérance qu'impose le lien fraternel et le goût pour les balades sur la lande par tous les temps.
Il y a Juliette, sa fille, qui après tant d'années vient retrouver cette mère étrange qui l'a abandonnée.
Il y a aussi tous les autres, ami(e)s et voisin(e)s qui la côtoient, qui la connaissent… de près, de loin.
Et il y a surtout la mer, la lande, les falaises.
Alors que dire de Claire? C'est une personne angoissée, qui ruissèle de sueur dès que l'angoisse monte. Une mère qui a abandonné ses enfants. Une femme aliénée par son amour de jeunesse. Une sœur fidèle et protectrice. Une femme en rupture, en quête… mais, de quoi, finalement?
Claire n'est finalement qu'un prétexte pour Quignard. Il épingle et dissèque son personnage juste pour nous montrer que les êtres humains que nous sommes sont totalement en décalage avec les êtres humains que nous pourrions être. Pourquoi ne pas laisser la douleur ou la joie envahir nos corps, la nature faire symbiose avec nous, le temps reprendre le rythme de nos rythmes? Voilà, ce que j'ai lu dans ce roman là.

Côté style, Quignard frôle la perfection. Les phrases sont économes. Le vocabulaire d'une richesse infinie. Le style est précis, sobre, presque rigide… De cette rigueur naît une émotion "vraie". De ce style dépouillé naissent les images, les sensations, les émotions.
L'autre grande force de Quignard, c'est de construire son récit en négatif. Etrangement, malgré la précision du style, se dégage une part de mystère, d'ombre, de flou. L'écrivain a une façon de "tourner autour du pot", de raconter précisément des détails qui ne donnent pas forcément un éclairage éclairant sur ses personnages. Tout est en nuance, en décalage. Car finalement, qui connait Claire dans ce roman?
La structure du roman en témoigne : le personnage de Claire est "raconté" par ses proches. C'est un roman choral où tout et tous se resserrent vers elle… mais cette structure permet aussi de conserver ses zones d'ombres et de mystères… réalité de notre quotidien en quelque sorte… Peut-on vraiment comprendre les autres?
Quignard se situe à la bonne distance pour nous donner à lire l'histoire d'une femme, brisée par la vie, en rupture avec notre société, là où d'autres en aurait fait une marginale, voire une folle.

Comme dans Villa Amalia, Quignard choisit encore un personnage féminin, en rupture avec "le monde" et ses conventions, en exil, qui recherche, se perd, se retrouve, se reconstruit d'une manière hors norme. La nature est encore présente. Elle est aidante, calmante, salvatrice dans ce processus. Elle est un personnage en soi. Une symbiose s'instaure entre ses personnages et cette nature là, peu à peu. Le temps joue aussi un rôle déterminant dans cette union, puisqu'en s'en affranchissant il semble possible de se le réapproprier… différemment. Enfin, ce roman est un bel hymne à l'amour. A l'amour tout court. Et à l'amour fraternel surtout. Car c'est bel et bien avec son frère Paul que Claire entretient une sorte de "relation élastique", qui, quoi qu'il arrive, les unit et que rien ne peut ébranler. Voilà donc le canevas de ces «  solidarités mystérieuses  ».

Chronique signée Gentille Pestouille

 

 
 Les Solidarités mystérieuses, de Pascal Quignard, Gallimard, 2011, 272 p.

08/02/2013

Player One / Ernest Cline


Il est possible que vous vous trouviez un jour avec des personnes ayant vécu de plein fouet les années 80, que ces personnes aient baigné, enfants ou ados, dans cette culture qui a... comment dire... laissé des traces. Il est probable également que vous vous trouviez avec ces personnes le jour même où – cela arrive une fois l'an en moyenne – ils y vont de leur soirée revival, saupoudrée de références de films ou de séries, agrémentée de souvenirs de parties de jeux vidéos épiques, farcie jusqu'à l'indigestion de chansons de variétés et de dessins animés cultes. La soirée avançant, les classiques ayant suscité jusqu'à des sifflements bizarres dans vos oreilles, le jeu consiste alors à trouver des pépites oubliées, lesquelles une fois verbalisées arrachent des cris extatiques ou des onomatopées d'une autre planète aux personnes vous entourant. Se voir ainsi propulsé des années en arrière peut en effet provoquer des comportements pour le moins étranges. Là encore, vos oreilles en sont pour leur frais.

Ernest Cline, auteur du livre Player One, sorti en fin du mois de janvier, a dû vivre une de ces soirées. Plusieurs même. Ça ne fait aucun doute. Impossible, à la lecture du livre, d'imaginer qu'il ne s'y soit pas adonné avec une ferveur presque mystique. Son âge est à ce titre assez révélateur...

2044, rien ne va plus sur Terre. Une grande partie de la population mondiale a préféré se réfugier dans une réalité virtuelle, l'OASIS, plutôt que de subir les affres du quotidien, cumulant conditions climatiques désastreuses et inégalités sociales jamais atteintes. Dans l'OASIS, dans l'étendue presque sans limite qu'elle suppose, Je peut être un autre, et tout se révéler possible... ou facticement possible. Le créateur de cet univers à nul autre pareil, James Halliday, est décédé voici quelques années, sans héritier à qui léguer sa fortune colossale. Aussi a-t-il décidé de lancer une chasse singulière : celui qui saura trouver l'Oeuf caché dans l'OASIS remportera le gros lot, se montant à plusieurs milliards de dollars. Pour ce faire, il faudra résoudre bon nombre d'énigmes relatives aux années 80 dont il était fan (euphémisme quand tu nous tiens!), et dénicher trois clés ouvrant chacune un portail virtuel. Wade Watts alias Parzival est de la partie et n'en revient pas lui-même lorsque, à dix-huit ans, il est le premier à mettre la main sur l'une d'entre elles.

Ce n'est indiqué nulle part sur le livre mais il convient de le savoir, Player One s'adresse à un public de jeunes lecteurs ou aux nostalgiques des années 80. Le problème c'est que je doute que les jeunes lecteurs actuels s'intéressent vraiment aux nombreuses et vieilles références citées dans le livre, hormis dans un souci de curiosité. La plupart d'entre elles leur passeront au-dessus de la tête à moins de prendre constamment des notes et de les répercuter ensuite sur un moteur de recherche. Quant aux nostalgiques des années 80, qui auraient peut-être vu là une occasion de s'éviter une énième soirée revival où il auraient certes pu briller - pour avoir pris des notes la fois précédente -, tous ne seront certainement pas sensibles à la tonalité trop young adult du récit.

Qui plus est, on trouvera dans Player One des considérations malheureusement déjà vues et revues, mais surtout mieux vues et revues ailleurs. Ici, tout paraît bien gentillet et naïf dans la représentation de la Réalité opposée au monde virtuel (c'en est presque comique de voir le concepteur de l'OASIS affirmer que rien ne vaut la VRAIE vie quand lui-même a vécu comme un reclus dans son propre univers... pince-moi je rêve!), ou bien même dans l'approche de l'identité, de l'image que l'on renvoie aux autres et du souci que l'on peut y apporter, dans la crainte d'un rejet.

Personnellement, à part retrouver des références de films et de jeux vidéos (qui m'ont permis de bien rire en visionnant Le joueur du grenier), l'intérêt s'est émoussé au fil de cette histoire bizarrement trop linéaire et sans surprise, où les gentils sont bien gentils, les méchants bien méchants, et qui s'avère finalement assez décevante. 

Player One, de Ernest Cline, traduitn de l'américain par Arnaud Regnauld, Michel Lafon, 2013, 407 p.
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