17/05/2011

Imprésario du troisième type / John Scalzi

Dans Martiens Go Home ! de Fredric Brown, Luc Devereaux écrivain de science-fiction en panne d'inspiration donnerait cher, très cher, pour se débarrasser de ces petits martiens verts qui ont pris le parti de s'attaquer à l'humanité en lui rendant la vie impossible : farces, blagues, immiscions impromptues dans la vie de tous les jours, divulgation de vérités pas toujours bonnes à entendre... et j'en passe. Un chef-d'oeuvre de science-fiction humoristique dont l'impact ne se dément pas avec le temps, le rire étant toujours au rendez-vous.

John Scalzi, l'auteur très remarqué du Vieil homme et la guerre, a quant à lui opté pour une approche inverse. Dans sa propre version d'une rencontre humains / extra-terrestres ou la veine humoristique est ici aussi hautement revendiquée, c'est par la discrétion que les Yherajks – c'est leur nom – entendent bien entrer en contact avec les Terriens. Car après avoir capté capté les ondes radio et télévisuelles provenant de notre planète - autant d'informations parcellaires, contradictoires et, il faut bien le dire, déroutantes sur notre façon de vivre et de nous comporter - leur intérêt à notre égard a est allé en grandissant. Pour autant, la chose est loin d'être aisée, même si leurs intentions n'ont rien de belliqueuses. Car les Yherajks ne sont – comment dire ? - pas d'un abord très... enfin... bon, pour faire simple, disons qu'ils sont moches, très moches et qu'ils puent à un point inimaginable. Pour être approximatif, ils ressemblent à ces blobs gélatineux apparus dans les films d'horreur dans le but de distribuer leur dose de frisson aux spectateurs en quête de sensations fortes. C'est là en tout cas une raison suffisante, vous en conviendrez, pour qu'ils décident de passer par l'un des plus gros cabinets d'imprésarios d'Hollywood afin que le premier contact se fasse en douceur. Et c'est à Tom Stein, agent plein de ressources, de finesse et de bagoût qu'échoue cette mission des plus périlleuse et délicate.

John Scalzi n'a rien, mais alors vraiment rien à envier à un Fredric Brown ou un Douglas Adams pour ce qui est de faire rire. L'exercice est assez difficile en lui-même et John Scalzi a donc d'autant plus de mérite qu'il tient sur la longueur. Il y a en tout cas des indices qui ne trompent pas. Et j'avoue que ça faisait bien longtemps que de tels éclats d'hilarité n'avaient pas jailli ainsi au cours de mes lectures depuis bien longtemps... depuis les enquêtes de Mma Ramotswe si je me souviens bien.

- Tu dis ça, tu dis ça, y'a pas si longtemps je t'ai entendu dire que t'en lirais un par an, ça fait presque trois ans...

- Tiens, la petite voix, tu tombes bien toi.

- Ah bon ?

- Oui, figure-toi que Tom Stein, tu sais le héros de Imprésario du troisième type, eh bien il en a une lui aussi, de petite voix, mais il appelle ça un lutin. J'ai pensé à toi en le lisant.

- C'est bien, et alors ? Quel est le rapport ?

- Oh, il est tout vu. Si je ne me trompe pas, à un moment donné Tom Stein manifeste le désir de l'étouffer une bonne fois pour toutes. A moins que ce ne soit moi qui ait transposé mon envie dans le livre, je ne sais pas...

- Hé ho, moi je disais juste...

- Tu ne sais pas où est le coton par hasard ?

- ...

Désolé pour cette petite interruption, vraiment. Cela nous arrive de plus en plus souvent, vous l'aurez peut-être remarqué.

Où en étais-je ? Ah oui, l'aspect comique. Qu'il s'agisse des répliques entre Tom et le Yherajk, Joshua, dont il a la charge, des péripéties qui jalonnent forcément leur aventure, des comédiens ( il faut voir les comédiens !) et de leur entourage avec qui l'agent doit composer (et il faut voir de quelle manière !), ou même des journalistes en quête de scoop, le cocktail est détonnant. Qui plus est, John Sclazi n'hésite pas non plus à mettre du poil à gratter dans le dos du show-biz, de la presse, voire même de notre chère humanité.

« Mais ici, à Hollywood, on n'a pas l'habitude des hétéros cultivés. »

« Il semble que l'homme à la caméra démolie ait l'intention de rembourser la casse en s'appropriant tout ce qui lui paraît monnayable chez le preneur de son, ses lunettes, ses dents, sa chemise et même sa peau. Une paire de bonnes âmes essaient de les séparer tandis que le reste de la clique, prenant parti pour l'un ou pour l'autre, se lance dans une rixe géante. Je trouve assez jubilatoire de voir ces journalistes, probablement les plus incompétents et les mieux payés de Californie, s'empoigner par les cheveux, s'exploser les lèvres et s'aplatir les génitoires à coups de genou. »

« - Le temps c'est de l'argent. Voilà le leitmotiv des temps modernes. On essaie d'en perdre le moins possible.

-J'ai du mal à suivre cette forme de pensée, me confie Gwedif. Quand je retournerai sur Terre – pas pour un aller-retour express comme celui qui m'a permis de rencontrer Carl mais pour visiter réellement votre planète -, j'aimerais m'offrir un séjour dans un monastère. Là les hommes prennent le temps de vivre, de méditer, de se livrer à la contemplation.

- Ne vous faites pas trop d'illusions, Gwedif. Dans de nombreux monastères, la visite se termine par un passage à la boutique souvenirs où l'on peut acheter des cantiques gravés sur CD, du fromage, des vins et des objets religieux fabriqués en série. »

Et là où Sclazi est vraiment très fort, en plus de sa faculté à se renouveler, c'est qu'il ne bascule jamais dans un absurde débordant. Il donne à son univers une cohérence folle, lui permettant ainsi de faire preuve d'une authentique sensibilité aux moments clés de l'histoire.

Allez, ne traînez plus ! Les Yherajks vous attendent... Je vous souhaite en tout cas un aussi bon contact que le mien, et surtout ne vous étonnez pas si dans le train, à la sécu, à la préfecture où bien ailleurs, on vous regarde bizarrement après un gros éclat de rire. Au mieux on vous demandera ce que vous lisez...

Pardon ? Pour trouver les Yherajks ? Oh, rien de plus simple, laissez votre flair agir.

Imprésario du troisième type, John Scalzi, traduit de l'anglais par René Baldy, L'Atalante (La Dentelle du cygne), 411 p.

CITRIQ

09/05/2011

Les Neuf dragons / Michael Connelly

Les auteurs ressentent parfois le besoin ou l'envie de confronter leur héros récurrent à un nouvel environnement géographique. Outre le dépaysement, qu'ils quittent leur campagne, leur ville ou leur pays pour aller ainsi à la rencontre d'autres cultures, d'autres codes, peut susciter un regain d'intérêt pour le lecteur qui a plaisir à suivre les aventures des personnages auxquels il s'est attaché. A titre d'exemple et pour bien illustrer que le phénomène est loin d'être isolé, on peut par exemple citer Donald Harstad avec 6 heures plus tard (Carl Houseman quitte sa petite ville des Etats-Unis pour Londres, rien que ça), Henning Mankell avec Les Chiens de Riga (Kurt Wallander s'en va pour un voyage des moins réjouissants pour la Lettonie ; ambiance à couper au couteau), Charles Exbrayat avec Chewing-gum et Spaghetti (l’inénarrable inspecteur Tarchinini s'en va aux States), Craig Johnson avec L'indien Blanc (Walt Longmire quitte momentanément le Wyoming et ses grands espaces pour Philadelphie), sans oublier Jo Nesbo qui, avec L'Homme Chauve-souris, a fait voyager Harry Hole de la Norvège à l'Australie dès sa première enquête. La liste n'est bien sûr pas exhaustive, sans compter qu'on peut donc dès aujourd'hui lui rajouter la dernière enquête en date de Harry Bosch, intitulée Les Neuf dragons, dont une partie de l'action se déroule à Hong-Kong.

Pour être très franc, le célèbre personnage inventé par Michael Connelly, ne fait pas partie de ceux que j'ai toujours plaisir à retrouver. Je n'attends pas ses apparitions avec une fébrile impatience comme c'est par exemple le cas pour les romans de Jonathan Coe ou Dennis Lehane (cette année a décidément été très bonne!). Je crois d'ailleurs savoir pourquoi. Si l'auteur américain m'a souvent ébloui par sa force narrative, par la manière dont il trousse ses intrigues et nous les sert sur un plateau avec un art consommé de la surprise et du rebondissement, Harry Bosch, lui, m'a plus d'une fois agacé ou énervé par son attitude systématique de chien blessé, par son aspect désabusé quelque peu stéréotypé. Vous me direz, avec son histoire personnelle, il y a de quoi... mais bon, si j'ai frémi avec lui, il me semble que c'est surtout en raison des situations auxquelles il a été confronté que pour une quelconque histoire d'empathie à son égard.

Et voilà qu'au moment où dans les Neuf dragons, je me mets à le considérer d'un autre œil, c'est cette fois-ci l'intrigue qui fait cruellement défaut. J'ai régulièrement eu le mot « remplissage » à l'esprit à mesure que j'avançais dans la lecture. Peut-être n'aurais-je pas dû lire la quatrième de couverture, je ne sais pas. Quoiqu'il en soit, il faut un peu plus d'une centaine de pages pour arriver au début de l'intrigue présentée par le résumé. On y trouve des scènes sans grand intérêt et des perspectives très à la mode relatives aux expertises en laboratoire, du type qu'on ne présente même plus et dont la télévision se fait la plus navrante représentante avec ses séries consacrées aux brigades scientifiques. Ici aussi, on a droit aux toutes dernières trouvailles en balistique et à leur présentation dans le détail pour les besoins de l'enquête. Une enquête qui s'enlise dans les descriptions et les invraisemblances. C'est d'ailleurs le plus gros reproche que l'on puisse faire à ces Neuf dragons, où le voyage de Bosch à Hong-Kong relève plus du prétexte que d'une réelle nécessité. Ce constat saute d'autant plus aux yeux une fois l'affaire complètement éclaircie. Difficile alors de ne pas la trouver complètement tirée par les cheveux.

Pour tout dire, j'ai nettement eu l'impression que Michael Connelly, le temps d'un roman, avait troqué les ficelles qu'il utilisait jusqu'à présent avec une réelle virtuosité contre celles, plus grosses, qui empêchent la magie d'opérer.

N.B. : C'est assez rare pour que ça me saute autant aux yeux mais du coup je n'ai pas pu m'empêcher non plus de m'interroger sur la traduction. Des phrases à la structure étrange et des répétitions qui, pour la peine, m'ont semblé bien malvenues et parfaitement évitables.









Les Neuf dragons, Michael Connelly,traduit de l'américain par Robert Pépin, Se
uil (Seuil Policiers)