Charme
n.m. 1. Ce qui est supposé exercer une action magique. Enchantement, ensorcellement, envoûtement, illusion, magnétisme.
2. Qualité de ce qui attire, plaît.
3. Manières séductrices.
Qu'on se le dise, Oscar Wilde et le meurtre aux chandelles décline le charme sous toutes ses facettes. Difficile, donc d'y entrer et d'en sortir sans y être sensible.
Pour autant, la cause n'était pas acquise. Je l'ai déjà évoqué, mettre une personne ayant réellement existé, célèbre de surcroît, au coeur de la fiction me gêne d'emblée. Je perçois cette liberté romanesque comme une déviance de la réalité, et par conséquent comme une voie ouverte à des interprétations tronquées. Alors Oscar Wilde détective, imaginez ! Exercice périlleux, vous en conviendrez...
...Mais ô combien réjouissant ! Mes réticences ont très vite volé en éclats. Le charme opérant, je me suis laissé séduire. Par Oscar Wilde, bien sûr, que Gyles Brandreth a su dépeindre avec finesse et humour. On le découvre ou le redécouvre avec un plaisir extrême, à tel point que l'on se surprend à imaginer combien il aurait été délicieux de le côtoyer. Ce personnage aux multiples facettes, tour à tour extravagant, égoïste, généreux, loufoque, volubile, amoureux des gens, de la vie fascine tant et plus. Alors quoi de plus naturel que de le suivre lorsqu'il endosse sa casquette de détective, extrêmement doué pour la peine.
Accompagné de son ami et biographe en devenir Robert Sherard, romantique de la deuxième heure lui aussi très attachant, le voici confronté au meurtre d'un jeune homme de sa connaissance, perpétré dans des circonstances pour le moins étranges.
L'hommage rendu à Conan Doyle (il apparaît dans le roman et possède son importance propre) et à son héros Sherlock Holmes est évident. Wilde le dit ouvertement, et à travers lui Gyles Brandreth : "Sherlock Holmes est mon modèle!" Sherard, quant à lui, endosse à merveille l'habit du célèbre docteur Watson. Hommage, donc, jusqu'au "jeu décisif", où toute la lumière sur l'affaire sera faite dans un bouquet final retentissant.
Charme de l'époque victorienne, aussi, au goût délicieusement suranné. Big Ben sonne et assiste à ce ballet de costumeset d'accessoires indispensables à toute dame ou gentleman,
"Un long manteau de velours noir, au col et aux poignets d'hermine, la couvrait jusqu'aux chevilles. Ses mains étaient enfouies dans un manchon de fourrure argentée et son éclatante chevelure rousse disparaissait sous une toque assortie."
"Il me toisa en me tapotant la poitrine avec le pommeau de sa canne."
aux discussions de nos personnages ballotés dans des cabs, aux repas dans les hôtels, aux réunions dans les clubs privés, le tout obéissant à un protocole de rigueur (pour boire le thé avec une demoiselle, il convenait de l'inviter par courrier et d'attendre sa réponse en retour) et aux moeurs de l'époque.
De fait, et comme de bien entendu, l'homosexualité est ici abordée, dans le contexte historique et social de la période victorienne qui, si elle n'était pas condamnée était pour le moins occultée. Gyles Brandreth retranscrit tant et si bien ce phénomène qu'il ne cite jamais le terme d'homosexualité. On parle plutôt de sodomites, de musiciens ou d'inclinations charnelles déviantes... Preuve encore de l'ostracisme de l'époque sur le sujet, Wilde fut condamné à deux ans d'emprisonnement et de travaux forcés pour "grave indécence". Un demi-siècle plus tard, on le vit avec Alan Turing, il n'y eut que la peine qui se modula, pas forcément en mieux...
Charme encore, charme des mots. On se délecte de la verve, des maximes et des traits d'esprits de Wilde sur des considérations diverses, toujours piquantes, percutantes et drôles.
Quand il converse de la couleur de ses cheveux avec Robert : "Qui se soucie de l'argent, marmonna-t-il, il n'y a que l'or qui compte."
Quand il aborde les rapports hommes/femmes: "Avec le temps Robert, vous finirez par trouver qu'on peut bien plus se fier à une poignée de mains qu'à un baiser."
Quand il entre dans des considérations religieuses: "Il ne faut jamais attendre de réponses à vos prières, Robert ! Si vous en recevez, elles cessent d'être des prières pour devenir des correspondances."
Et tant d'autres...
A l'instar de Sherlock Holmes, Wilde raisonne et observe. Mais cela ne l'empêche pas d'exister, ni d'écrire. L'enquête se déroule sur une période de cinq mois, s'inscrit dans sa vie et celle des autres protagonistes. Elle évolue en toute logique au gré des événements qui viennent la compléter ou la perturber. Elle est vraisemblable, donc appréciable.
Les convaincus seront heureux d'apprendre que le deuxième épisode est d'ores et déjà écrit. Ne reste plus qu'à attendre son édition. Patience, quand tu nous tiens !