28/08/2008

La Mémoire fantôme / Franck Thilliez

Lucie Hennebelle, l'héroïne de l'appréciable Chambre des morts, est de retour. A Lille cette fois-ci. Elle a beau y aspirer, ne serait-ce que pour l'équilibre de ses jumelles, la tranquillité semble lui échapper irrémédiablement, comme une fatalité. Les histoires les plus sordides, les emmerdes, il faut croire que c'est toujours pour elle. Comme ce fameux soir où le sort frappe à nouveau à sa porte. Non loin de là, on a retrouvé une femme vraiment bizarre, dans un sale état. Son étrangeté, elle la doit à une maladie contractée quelques années plus tôt, suite à un choc psychologique traumatisant : ses souvenirs ne durent que quatre minutes. Au-delà, l'effroi abyssal de l'oubli permanent se reforme sans cesse. Ce soir là, elle est persuadée d'être au mois de février alors que le mois d'avril est déjà là. Elle pense sa mère vivante, elle s'est en fait suicidée des années plus tôt. Ses paumes sont lacérées, entaillées d'un message annonciateur de funestes présages : Pr est de retour. Le Professeur, ce serial killer qui avait tant fait parler de lui quelques années en arrière.

Je vais commencer par la chose qui fâche, celle qui m'a fait gronder, voir rouge et gonfler mon costume au point d'exploser un bouton sous la pression (tsss...tsss.tsss...je tiens à dire aux mauvaises langues que cela ne s'est en aucun cas produit parce que j'ai mangé trop de rillettes et de magret de canard pendant les vacances, que nenni!) : la note au lecteur. Croyez-le ou non mais Franck Thilliez a en effet tenu a revenir sur l'histoire pour, d'une certaine manière, nous montrer à quel point il a été très très fort. Libre à nous de vérifier, mais il nous y invite, que dans le roman, "le soleil n'éclaire jamais le ciel, livré aux ténèbres tout au long de ces pages. Et parmi les milliers de mots qui en constituent la trame, jamais vous ne verrez apparaître plaisir, joie ou espoir." Merci monsieur Thilliez, mais tout cela je l'avais ressenti, perçu et apprécié sans que vous me livriez une fiche de lecture. Votre livre, très réussi, se suffit à lui-même.

Oui, car malgré cet aspect, le bouquin est vraiment très bon, prenant de bout en bout, jamais décevant. Les mécanismes de la mémoire et de la folie sont trempés dans un océan de noirceur. La tension est à son comble tout comme l'est celle qui habite sans relâche Lucie Hennebelle vis à vis de son enquête ou de ses cicatrices personnelles. Une nouvelle perle, destinée à un très large public (sans le côté péjoratif de la locution), dans la bibliographie de l'auteur. Pourvu que ça dure...

27/08/2008

Les Ombres du passé / Thomas H. Cook

Décidément, au terme des deux lectures précédentes, on serait en droit de penser que, bon sang, le BiblioMan(u), y fait bien sa fine bouche. Et pourtant...quand on part en vacances, on essaie un minimum de s'assurer des lectures agréables.
Alors, ce n'est pas que celle-ci ne l'ai pas été. Le récit est assez fluide même s'il n'a à priori rien d'original et m'a franchement rappelé le Livre de Joe de Jonathan Tropper. Le point de départ est en tout cas largement le même.

Après avoir fui son village natal vingt ans plus tôt, un homme y revient en effet pour veiller sur un père détesté dont les jours sont comptés. Un retour difficile. D'autant plus quand la fuite avait été motivée par le suicide de son frère, survenu après avoir été appréhendé pour le meurtre des parents de sa petite amie. Tout n'est donc pas forcément aussi simple et le retour du narrateur va être l'occasion de revenir sur la tragédie, sur ses réels fondements.

Si la lecture des Ombres du passé est aisée, le livre souffre néanmoins de deux défauts malencontreux. Systématiquement, dès que le narrateur découvre des éléments sur la soirée du meurtre, sur les personnages qui l'entourent, bam !, cela entraîne des situations ou des dialogues où nul ne s'étonne des ses connaissances, cachées jusque là. De fait, les ressorts de l'intrigue sont par trop visibles, le parcours du narrateur (et du lecteur!), trop balisé.

Autre déception, la fin, loin d'être à la hauteur des attentes. Un effet flop qui m'a fait refermer le livre sur un bof! retentissant. A découvrir Thomas H. Cook, mieux vaut finalement se plonger dans Preuve de sang, nettement plus abouti.

Le Journal d'Eleanore Druse / Eleanore Druse (????)


Bon. On ne va pas s'éterniser sur celui-ci.

En guise d'amorce, on trouve une lettre d'Eleanore Druse adressée à Stephen King lui-même, lui stipulant que par son intermédiaire, en grand connaisseur des arcanes de l'horreur, son histoire aura des chances d'intéresser un large public. Croira qui voudra...mais bien évidemment, cette mise en bouche dont le but est de pimenter le récit d'un sursaut de réalisme, fait partie des ces artifices bien connus des auteurs et des lecteurs. Pourquoi pas ? Quand ça fonctionne...

En jetant un oeil sur le copyright, on voit qu'il s'agit d'une société télévisuelle et du coup, naïvement, on se demande qui a bien pu pondre un tel produit dérivé de la série Kingdom Hospital, elle-même inspirée largement de celle de Lars Von Trier, The Kingdom : un scénariste, Stephen King lui-même ?

Cette interrogation ne dure qu'un fugace instant car on ne retire rien de cette lecture, si ce n'est qu'elle traîne en longueur malgré sa brièveté sans jamais, ô grand jamais, susciter l'attention. De l'opposition stérile et en l'occurence débile du paranormal et de la cause scientifique, le tout mâtiné de visions d'horreur pas vraiment efficaces. Sans façon.

26/08/2008

Le Voyageur / John Twelve Hawks

On dit souvent que les voies du seigneur sont impénétrables, mais celles de l'édition peuvent donner l'apparence de l'être tout autant à moins, bien sûr, d'être dans le secret des...dieux. J'en veux pour exemple cet ouvrage de John Twelve Hawks, le Voyageur.

En 2006, le voici qui atterrit sur les tables des librairies et allez savoir de quoi ça parle ! Un auteur inconnu dont le nom ne figure même pas sur la couverture, pas de résumé, juste une phrase qui n'en disait vraiment pas long sur l'histoire.

Alors c'est vrai qu'à l'époque, à moins d'en avoir eu vent, difficile de sortir 22 euros uniquement sous le sceau du mystère. Heureusement, on savait qu'il s'agissait d'un roman, c'était tout de même indiqué. Sinon, imaginez le calvaire du pauvre libraire qui n'aurait pas eu la chance d'avoir la visite d'un représentant pour lui parler du livre, bien embarrassé à l'idée de savoir dans quel rayon il allait bien pouvoir le mettre : récit de voyage, science-fiction, littérature générale, spiritualité...allez savoir...

J'avoue que je serais curieux de connaître les ventes réalisées après une telle mise en place. D'autant plus que...patatras...en mars de cette année, le voici qui redéboule, vendu gratuitement, mesdames, messieurs, avec le deuxième tome. Nouvelle couverture, un beau résumé en prime, et des références toujours aussi mercantilement éditoriales : "mettez quelques touches d'Orwell, ajoutez un zeste de Philip Pullman et saupoudrez d'une pincée de Dan Brown".
Orwell, ok, cela va de soi, on y pense. Pullman, pourquoi pas. Mais Dan Brown, tu parles d'une pincée ! Un grain de sel dans la piscine Olympique, oui ! Même si je préfère qu'il en soit ainsi...
A vrai dire, le voyageur, ouvrage de science-fiction aux allures de thriller est un peu décevant, inégal surtout. En gros, vraiment en gros parce que j'aurais peur de vous lasser avec un résumé harassant, les voyageurs sont des personnes capables de naviguer entre les mondes parallèles. Mais au fil des siècles, ces êtres exceptionnels ont été exécutés par la Tabula, une confrérie, la Grande Machine, Big Brother si vous voulez, à même de suivre les faits et gestes de chacun, d'endormir pour mieux contrôler.
Il y a de véritables bons moments dans ce livre là, et qui ont souvent trait aux mondes parallèles, pourtant à peine esquissés.
En revanche, le côté course-poursuite qui, comme dans beaucoup de thrillers, s'accélère sur la fin dans un ballet finalement inutile et lassant, déjà vu, eh bien, tout cela vient gâcher le plaisir, et c'est bien dommage. Il ne reste plus qu'à espérer que la suite ira beaucoup plus loin dans l'exploration des autres mondes et que l'on fera plus qu'y tremper le bout de l'orteil...sans Dan Brown, merci !

11/08/2008

Le Serrurier volant / Tonino Benacquista et Tardi

Marc est un homme ordinaire. Il se considère comme tel, le vit sans aucune sorte de complexe. Dans la mesure où il assouvit ses moindres besoins, tout va bien.

Cette quiétude se voit portant chamboulée quand, en se laissant porter par les événements, le voici devenu convoyeur de fonds. Le braquage qui devait arriver arrive et le laisse avec un corps en compote qu'il reconstruit tant bien que mal.

Une fois rétabli, Marc devient serrurier. Ainsi, il est son propre maître, ne rend de compte à personne, entre en rupture avec le rythme imposé par la société et, comme il y aspire, se coupe du monde. Jusqu'à...

Avec le Serrurier volant, on retrouve beaucoup plus que la griffe rafraîchissante, limpide et agréable de Tonino Benacquista. On y voit aussi celle de Tardi que je n'affectionne pourtant pas particulièrement dans ses bandes dessinées. Mais force est de reconnaître que pour cet ouvrage, le mariage du texte et de l'image est parfaitement réussi. Les illustrations n'altèrent en rien le travail imaginatif qui accompagne la lecture. Au contraire, elles le transcendent. Que ce soit les personnages, les lieux, les décors, la nuit (si bien rendue, si suggestive, si révélatrice de la solitude de Marc), l'association se fait si naturellement qu'on aurait du mal à imaginer le texte et l'image dissociés l'un de l'autre.

Une fois la lecture achevée, on aspire même à renouer avec une telle expérience. Ce qui tombe d'ailleurs très bien puisque les éditions estuaire ont façonné d'autres carnets littéraires (d'où le nom de la collection) auprès de différents artistes, auteurs, illustrateurs et photographes. Rien de tel, donc, pour partir à la découverte de plumes jusqu'alors inconnues, ou de les appréhender dans un tout autre contexte.

04/08/2008

Dérive sanglante / William G. Tapply

Quand on rencontre un personnage comme Stoney Calhoun, le héros énigmatique de Dérive sanglante, on comprend aisément pourquoi certains auteurs rechignent à se séparer de leur créature. Quitte, parfois, à trop tirer sur la corde, tarir les mines de l'originalité et du style pour, au final, s'assoupir sur l'équilibre instable (faut pas nous la faire, quand même!) de la reconnaissance.

Seulement quand on a la chance de tomber sur un livre tel que celui-ci, on aurait bien de la peine à imaginer un si navrant scénario. Car Dérive sanglante a tous les éléments d'un excellent policier. J'hésitais à le dire tant cela paraît maintenant convenu et usité à tout va mais...oh, après tout, je peux me le permettre, je ne suis pas Michael Connelly, Stephen King ou encore Harlan Coben, ces chers messieurs qui vivent une carrière parallèle de signataires de bandeaux pour des éditeurs en quête de ventes. Je me permets ici ma petite digression habituelle, même si j'ai déjà eu l'occasion de parler de ces fâcheuses tendances éditoriales, d'autant plus agaçantes quand les citations évoquées ou les comparaisons avec d'autres auteurs sont totalement superflues ou tout droit sorties de l'outre-espace.

Donc, si j'avance toujours masqué, et vous l'aurez de toute façon remarqué, je ne suis ni Michael Connelly ni aucun autre auteur, si ce n'est celui de ces rubriques. C'est justement à ce titre que j'ai le plaisir de vous dire que ce livre de William G. Tapply, eh bien, on a sacrément du mal à le lâcher. Tout ça pour ça, me direz-vous, mais que voulez-vous, on ne contrôle pas toujours ses humeurs bavardes, bien que je me sois fixé pour ligne de conduite de ne parler ici que des livres, de leurs histoires et de mes impressions de lecture. Alors...

Stoney Calhoun a perdu la mémoire, apparemment après avoir pris la foudre. Le mystère entoure son accident. Après sa sortie d'hôpital, Calhoun a en sa possession un chèque de 25 000 dollars et tous les mois, il reçoit une somme d'argent conséquente sur son compte en banque. N'obtenant aucune réponse à ses questions, il s'est retiré dans le Maine où il travaille dans un magasin d'article de pêche. Il mène une vie paisible, recevant parfois la visite d'une homme en uniforme qui vient s'assurer qu'il ne se souvient de rien.

Lorsque son jeune ami ne revient pas d'une visite guidée avec un client inconnu, Calhoun ne réfléchit pas et part à sa recherche, ravivant des réflexes enfouis. Ceux d'un policier ? D'un criminel ?
A la fois sensible et impénétrable, comme sa mémoire, Calhoun offre un nouveau visage intéressant et intrigant dans le panorama des figures du polar. Flegmatique, il évolue dans un cadre que Tapply retranscrit avec une réelle force évocatrice:

Les routes poussiéreuses flanquées de murets, le sol sablonneux, les champs brûlés avant les semis, les ruines d'anciennes fermes au bout de chemins à présent envahis par un fouillis de genièvre et de peupliers et de vieux pommiers noueux, le bruissement d'une perdrix qui s'envole, la queue blanche, soudain entr'aperçue, d'un cerf, les érables aux troncs desquels on fiche un robinet pour en extraire la sève, le toit en aluminium d'une grange, lesté de vieux pneus de tracteur en cas de tornade, les vaches Holstein et Jersey broutant dans les pâturages rocailleux, les grosses caravanes auxquelles il pousse des antennes de vingt pieds de haut, les verges d'or qui fleurissent entre les carcasses rouillées des automobiles mortes, les poules qui picorent le gravier devant les portes, les blizzards et les orages et le vents du nord-est en septembre, et toujours cette fille aux cheveux blond miel, étendue sur une vieille couverture d'armée brune, ses yeux verts rieurs, ses petits seins nus, allongeant le bras pour toucher son visage, murmurant quelque chose qui ressemblait à un "ouaip"...

Le Maine, un lieu qui se révèle le théâtre d'une dérive sanglante, d'une enquête policière magistrale. Alors bien sûr, vivement la suite, Casco Bay, dont vous pouvez lire une chronique ici, un avis qui a favorisé ma rencontre avec Stoney Calhoun et ces paysages du Maine si bien évoqués.

"Un livre qu'on a bien du mal à lâcher" - BiblioMan(u) - "jusqu'à l'objet lui-même avec sa couverture sobre et efficace, l'empreinte d'une maison d'édition audacieuse et de qualité, Gallmeister, dont les titres sont écrits plus gros que le nom de l'auteur..."