28/06/2014

Le Sonneur / Ed McBain

Allez, on reste encore un peu aux Etats-Unis mais cette fois-ci on quitte New-York pour sa jumelle, Isola, ville fictive où Ed McBain situe les enquêtes des flics du 87e district. Je m'étais promis de lire régulièrement des œuvres de cette série après la bonne découverte entamée avec Du balai !, mais il faut croire que j'ai préféré me laisser happer par d'autres lectures. Mal m'en a pris car ce fut un réel plaisir de retrouver l'ambiance de cette unité de police, même si ce n'est clairement pas l'intrigue qui est à l'origine de cet intérêt manifeste.

Toutes les affaires ne se ressemblent pas, n'ont pas la même portée. Tandis qu'au 33e district, les agents doivent faire face à un voleur de chats, au 87e la traque s'organise autour d'un homme, baptisé le sonneur, qui agresse des femmes la nuit venue, leur vole leur sac puis les quitte sur une courbette en usant de sa signature, juste quelques mots  : « Clifford vous remercie ». Dans le même temps, Bert Kling, simple agent, se remet d'une blessure par balle reçue à la sortie d'un bar. Pas question pour lui de reprendre du service tout de suite. Un vieil ami se rappelle à lui après avoir entendu parler de ses déboires pour lui demander un petit service. Il voudrait qu'il s'entretienne avec sa belle-sœur, une jeune fille de dix-sept ans bien mystérieuse quant à ses fréquentations. Bert pourrait tâter le terrain, voir de quoi il retourne, histoire de rassurer tout le monde. La requête met le jeune homme mal à l'aise. Il s'interroge sur la pertinence de son intervention mais après tout comme il n'a rien d'autre à faire, pourquoi pas ? Seulement, ce qui paraît simple sur le papier ne l'est pas toujours au regard de la réalité. Bert va très vite s'en rendre compte.

Jean-Marc m'avait prévenu, les titres de la série consacrée au 87e district peuvent s'avérer inégaux. Certains seraient incontournables, d'autres agréables à lire, sans plus. Cela se confirme ici. Comme je le disais, ce n'est pas sur le terrain de l'intrigue que le sonneur retire son intérêt, mais bien de l'attention toute particulière portée à la vie de l'unité de police, et en particulier au personnage de Bert Kling, qui sera amené à revenir dans les prochains romans. Ce deuxième ouvrage ressemble donc plus à une mise en place supplémentaire de l'univers créé par Ed McBain, avec une réelle dimension humaine servie par des dialogues savoureux, et où la ville s'inscrit plus comme entité à part entière que comme objet de décor. Pas étonnant d'ailleurs que le Brant, des Robert & Brant signé Ken Bruen, lui rende un hommage aussi criant dans sa propre série où sont exposés aussi les boire et déboires d'une unité de police pour le moins insolite...

Voilà pour les grandes lignes, à vous de voir maintenant si vous allez toquer ou pas à la porte du 87e. En ce qui me concerne, je n'attendrai pas aussi longtemps que la dernière fois. Me plaisent bien ces gars !

87e district. Volume 1, Le Sonneur de Ed McBain, traduit de l'américain par Jean Rosenthal, Omnibus, 1999

20/06/2014

Fils de Sam / Michaël Mention

Pour peu que vous vous intéressiez au phénomène des tueurs en série – si tant est qu'on puisse appeler ça un phénomène -, il vous suffit de pianoter sur n'importe quel moteur de recherche pour prendre connaissance de son ampleur, évaluer le nombre de meurtriers répondant à cette appellation. Une liste bien évidemment et malheureusement non exhaustive si l'on en croit le « spécialiste français » des tueurs en série, Stéphane Bourgoin, dont on peut avoir un aperçu de son travail sur le site qu'il anime.

La fiction, à travers les polars, que ce soit par le biais de la littérature, du cinéma et des séries TV, n'a pas manqué de se pencher sur la question, de l'exploiter sous différents fards, de sorte que le ridicule et le n'importe quoi côtoient la pertinence et la justesse.

En ce qui concerne Fils de Sam, premier livre de Michaël Mention que je lis, on est clairement dans ce deuxième cas de figure. Même s'il est vrai qu'en l'occurrence, l'approche adoptée oscille entre la fiction et le documentaire, proche du travail d'enquête. Au premier abord, cela pourrait paraître déroutant, mais le résultat est on ne peut plus probant. La démarche possède en tout cas le mérite de susciter un vif intérêt, de donner une dimension particulière à l'affaire abordée par l'auteur.

 L'affaire, c'est celle de David Berkowitz, alias « Le Fils de Sam », lequel a été condamné pour le meurtre de six personnes et pour en avoir blessé plusieurs autres en leur tirant dessus à bout portant. L'ensemble de ces crimes ont été commis entre 1976 et 1977 et ont bien évidemment défrayé la chronique, suscité une angoisse de tous les instants de la population new-yorkaise.

Plutôt que d'aborder le parcours du criminel d'un strict point de vue biographique le parcours de David Berkowittz - de sa naissance à son arrestation et ce qui en a découlé – Michaël Mention a préféré contextualiser l'affaire à partir de l'époque elle-même, du climat général qui régnait alors en cette fin de décennie à la fois aux Etats-Unis, et accessoirement dans le monde, la marche de l'un n'allant pas sans l'autre. La radiographie est là, dans les remous de l'époque, dans les failles de la société, révélées notamment avec l'émergence des groupes satanistes auxquels David Berkowitz aurait eu affaire. 

En parallèle au travail d'enquête de l'auteur, à sa reconstitution des faits, agrémentée de photographies, aux points de vue relatifs à une presse racoleuse n'hésitant pas à instrumentaliser l'affaire, ainsi que celles qui lui sont concomitantes, en parallèlle donc, le lecteur est invité à entrer dans la tête du fils de Sam, à prendre connaissance de son profil, de ses pulsions, de la tourmente qui l'anime : la perte de sa mère très jeune, les railleries incessantes à son égard lorsqu'il était enfant ou même à l'armée, la solitude, la colère, sans bien sûr oublier ses visions, ce démon sous forme de chien lui dictant sa conduite à tenir, ses meurtres à commettre...

Jamais cependant Michaël Mention ne cède à la facilité dans ces parties là en décrivant un tueur qui, comme on le voit trop souvent dans les thrillers, apparaît ridicule tant il se noie dans une surabondance de détails si volontairement répugnants qu'ils en deviennent grotesques et navrants. Pas question de ça ici. L'auteur assure toujours la passerelle avec la réalité, les faits et la personnalité complexe de Berkowitz. A un point tel qu'on se demande en début d'ouvrage si les passages assurant cette subjectivité n'auraient pas été écrits par Berkowitz lui-même. C'est dire la prouesse de l'exercice et la qualité d'écriture de l'auteur.

 Vous l'aurez compris, pas besoin d'en dire plus pour être persuadé qu'à travers le Fils de Sam, Michaël Mention a su faire coïncider fiction et documentaire de la plus belle des manières. Avec pertinence et justesse, donc.

Fils de Sam, de Michaël Mention, éditions Ring, 2014, 384 p.

09/06/2014

Corpus Prophetae / Matt Verdier

Forcément, quand on travaille en médiathèque, on commande des livres. Quand on s'occupe de l'achat de polars et de science-fiction, forcément bis, on commande des polars et de la SF. Ça paraît évident. Peu importe la taille de la structure où on travaille, peu importe les budgets d'acquisition, on essaie d'avoir un œil sur l'ensemble de la production éditoriale des domaines en question, histoire de ne pas passer à côté de la perle rare. Cette veille permet entre autre de prendre la température, presque malgré soi, des tendances ou modes du moment. De celles qui passent aussi vite qu'un vaisseau spatial en mode vitesse supralumique à celles s'inscrivant dans le temps comme de vieilles chansons de pub qui vous polluent encore l'existence*.

Aussi tous les mois ou presque, dès qu'un Da Vinci Clone sombre dans l'oubli, il y a grosso modo trois bouquins à même d'ébranler l'histoire de l'humanité qui repoussent de l'hydre original. Et puis tu peux y aller, hein, pas d'Hercule à l'horizon ! Pour un peu on pourrait croire qu'il se pique un p'tit roupillon dans une écurie...

Enfin, je dis ça... je râle chaque fois qu'ils pointent le bout de leur nez, avec leurs résumés calqués les uns sur les autres... mais après ? Ils trouvent bien leurs lecteurs ces livres. Oui, mais avec cette profusion de titres et ces a priori à la peau dure, j'ai bien failli passer à côté de Corpus Prophetae. Failli seulement car j'ai la chance d'aller traîner régulièrement mes guêtres chez Unwalkers, et la manière dont leur boss a parlé du livre a su me convaincre de baisser la garde. Sans compter qu'on parlait des éditions Mnémos qui sortaient là leur premier thriller. Teinté de SF, quand même, voire même de fantastique, parce que sinon ce ne serait pas vraiment Mnémos. Une frontière des genres comme je les aime.

Victor Montalescot est un archéographe. Dans le futur cela désigne un voyageur temporel dont la mission consiste à remonter dans le passé pour dresser la biographie de personnages célèbres, quitte pour cela à restituer la vérité historique. Pour autant cela ne veut pas dire qu'il est autorisé à en changer le cours. Là-dessus, les règles sont strictes, le danger trop grand. Suite à de récentes découvertes pour le moins déconcertantes, l'organisation pour laquelle travaille Vincent reçoit l'autorisation du Saint-Siège – qui freinait des quatre fers jusque-là - pour qu'il devienne le biographe de Jésus. Il n'est pas au bout de ses peines.

MattVerdier signe là un impressionnant premier roman. Il va là où on ne l'attend pas, ce en quoi il frappe d'emblée très fort. On est clairement à la frontière des genres avec un personnage principal assez sombre, pas forcément toujours sympathique avec son côté je souffre et je vous emmerde tous. De ce point de vue là, le côté Hard-Boiled est assumé, rien à dire. Et par ailleurs, on a aussi le vertige occasionné par les voyages dans le temps, les changements de points de vue, un éclatement de perspectives qui ravissent le lecteur. Aussi bien par le rythme que cela induit – des montées, des descentes, des revirements, le calme avant la tempête - que par les événements eux-mêmes où les révélations qui ponctuent le récit. Dans malheureusement beaucoup de thrillers, le schéma est classique : en fin d'ouvrage la sacro-sainte scène d'action, le bavardage pour boucler la boucle, à nouveau scène d'action, final tonit(r)uant épuisant, tout le monde il est heureux ou bien tout le monde pleure. Là, c'est différent. Matt Verdier distille les éléments constitutifs de son intrigue au compte-goutte, les parsème au long cours de son récit. Le lecteur est alors dans un état de tension tel qu'il veut toujours en savoir plus. Au lieu de se sentir écarté, de se perdre dans le dédale de l'intrigue comme cela peut se produire quand il y a une trame trop complexe, trop stratifiée, il n'a pas la sensation d'être laissé au bord de la route. Au contraire, il devient partie intégrante de l'investigation en faisant les connexions petit à petit, allant jusqu'à élaborer les hypothèses les plus folles. Acteur et spectateur à la fois.

Mais ne soyons pas trop bavard même si, c'est vrai, j'aurais aimé vous parler aussi des épisodes intitulés la « Brèche ». Ces passages sont courts mais intenses. Le troisième, particulièrement, m'a vissé sur ma chaise. Ne comptez pas sur moi pour en dire plus, j'appâte juste le chaland. Mais pour la bonne cause, 'tention, car la surprise, la très bonne surprise, est au rendez-vous. A l'image au fond de l'univers créé par Matt Verdier qui ne se refuse rien, ose tout même l'improbable. Au point que ma foi, pour un bouquin si diablement maîtrisé, j'aurais bien envie d'en redemander. Je dis ça, je dis rien...

*: Désolé

Corpus Prophetae, de Matt Verdier, éditions Mnémos, 2014, 427 p.

CITRIQ

04/06/2014

Silo origines / Hugh howey

Cher lectrice, cher lecteur,

Si d'aventure, tu n'avais pas encore lu Silo, je te déconseille fortement de t'aventurer dans la chronique qui va suivre. D'habitude je rechigne à spoiler à tour de br... à coups de clavier enflammés... mais là, là... C'est comme qui dirait impossible de passer à côté de certains détails. Si en revanche tu as lu Silo, je me dis que tu ne liras pas non plus cette chronique pour la simple et bonne raison que tu te seras peut-être déjà précipité sur cette suite quelque peu particulière...

A la fin du premier tome, Hugh Howey avait laissé ce qu'il faut de zones d'ombre pour donner l'envie d'en savoir plus concernant le monde post-apocalyptique qu'il avait créé. On savait que la parution suivante devait en éclairer une partie en revenant sur les origines même du Silo quand la suite s'attacherait à lever le voile sur son avenir.

C'est donc avec une certaine avidité qu'on se lance dans la lecture du présent ouvrage. L'envie est là, bien là, de connaître les raisons ayant pu pousser une partie de l'humanité à provoquer volontairement un cataclysme impliquant – jusqu'à preuve du contraire - la mort de milliards d'individus ; de voir comment s'opérerait la jonction avec les événements relatés dans le premier tome ; d'appréhender l'envers d'un décor bien mystérieux, susceptible de le rester encore en partie, suffisamment en tout cas pour que l'avidité évoquée plus haut soit à nouveau de mise lors de la parution du troisième tome. Une avidité qu'on ne devra cependant pas tant au livre dans son ensemble, lequel offre un intérêt en dents de scie, qu'aux interrogations qu'il suscite en fin de lecture.

Silo Origines est composé de trois grandes parties s'articulant autour de deux fils narratifs distincts. Dans la première, on fait la connaissance d'un certain Donald à deux époques différentes. Avant le chaos d'abord, puis à l'occasion de son premier réveil - vive la cryogénisation !. Ancien député, il a participé activement à l'élaboration architecturale des silos sans rien savoir, au début tout du moins, de l'engrenage de folie dans lequel on l'embarquait malgré lui. Son implication dans le projet n'est en effet pas étrangère aux liens que sa famille entretient depuis longtemps avec le grand sénateur Thurman, un proche dont il s'avère devenir un pion incontournable dans le flou de ses plans courant... sur un très long terme. A Donald donc les interrogations multiples relatives aux choix effectués par son mentor, à son implication, à sa faculté de changer les choses, si tant est qu'il le désire ou en soit même capable.

En parallèle à ces réveils successifs apparaissant comme des balises à la pulsation des silos, à la fièvre qui les consume, on suit d'abord le parcours de Mission, un porteur dont le travail consiste à faire transiter des marchandises le long des étages de sa prison souterraine. Puis vient le tour de Jimmy, alias Solo, déjà aperçu dans le premier tome. Ces deux personnes ont pour point commun de vivre de très près les moments critiques du Silo où ils évoluent, d'en être les victimes d'une façon ou d'une autre.

Renouer avec l'univers créé par Hugh Howey s'est avéré captivant, surtout au début lorsqu'il s'est agi de toucher du doigt à une partie de ses origines. Ne nous y trompons pas, toutes les réponses ne sont pas encore là. Il demeure en effet une certaine opacité relative à l'Ordre, sorte de Bible du parfait survivant auxquels se réfèrent ceux qui sont dans le secret. Les choses, en tout cas, ne paraissent pas aussi simples telles que les rapporte le sénateur Thurman à Donald. On devine encore bien des révélations à venir.

Là où l'intérêt marque cependant le pas, c'est dans les péripéties relatives aux autres silos. Les soulèvements, les crises qu'ils traversent sont un tantinet trop longues. Il y a comme un air de déjà-vu et certains personnages, comme Mission par exemple, manquent d'épaisseur. Comme si leur seule existence n'avait qu'une vocation démonstrative. La mécanique très (trop ?) bien huilée des alternances de point de vue, contribue à donner un aspect artificiel à certains personnages ou événements.

Pas de quoi tirer sur l'ambulance pour autant. Dans la dernière partie, l'intérêt se réveille à nouveau, que ce soit dans l'évolution psychologique de Donald, ou bien encore dans l'évocation du personnage de Jimmy. Hugh Howey lève le voile sur certains mystères, en diffuse d'autres de manière très habile, au point, comme je le disais, de donner envie de connaître le fin mot de l'histoire. J'en serai.

D'autres avis, partagés ou non chez Gromovar, Lune, Lorkhan, Virginie, Philémont, Cajou

Silo origines, de Hugh Howey, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Laure Manceau, Actes Sud (exofictions), 2014, 576 p.