19/03/2009

La Fille de nulle part / Fredric Brown

Quand les livres vous tombent des mains les uns après les autres, quand, pourtant doté d'une volonté sans faille, vos yeux se ferment sur des pages insipides, quand vous râlez, pestez, fustigez contre ces livres aux clichés racoleurs, contre ces livres nombrilistes, gnangnans, mal traduits, coquillifiés, et que sais-je encore, dans ces moments là, donc, rien ne vaut un bon vieux Fredric Brown pour pallier à ce qui n'est, peut-être, qu'une baisse de régime de votre part.

Alors après cette première phrase un peu longue qui vous a à peine laissé le temps de respirer, je me propose de vous parler de ce livre ébouriffant, La Fille de nulle part.

George Weaver se remet difficilement d'une dépression l'ayant obligé à cesser temporairement son activité d'agent immobilier. Il s'est retiré à Taos, une petite bourgade du Nouveau-Mexique. Seul. Ses filles sont en colonie de vacances et son épouse, Vi, ne devrait pas tarder à le rejoindre. George n'est guère enchanté à cette perspective. Il n'aime pas cette femme séduite à la va-vite dont la principale occupation est d'écouter des feuilletons radiophonique à l'eau de rose, avachie dans un canapé avec sa bouteille de Whisky. Oui, George préfèrerait rester seul. D'autant que sur les conseils d'un ami, il vient de louer une maison dans laquelle a eu lieu le meurtre énigmatique d'une jeune femme, huit ans plus tôt. Une affaire à laquelle George s'intéresse de plus en plus, jusqu'à se piquer au jeu de l'enquête.

A la lecture d'un polar, on a l'habitude d'échafauder des hypothèses, d'anticiper sur l'investigation à mesure que les indices se dévoilent. Là, on a beau faire, Fredric Brown, en artiste virtuose, ne laisse rien filtrer. Il maintient le lecteur dans une brume mystérieuse tout au long du récit jusqu'au dénouement, jusqu'à cette chute mémorable, magistrale. (Parenthèse presque rituelle : il est tout de même dommage, une fois de plus, que la quatrième de couverture - quand ce n'est pas la couverture elle-même pour ce qui est des éditions de la Découverte - donne des pistes qu'il aurait mieux valu tenir secrètes.)

Ecrit en 1951, La Fille de nulle part, fait partie de ces livres qu'on a envie de faire passer de mains en mains, de conseiller à tout va, parce que des histoires de cette trempe là, de cette tenue, aussi efficace qu'enthousiasmante, on a tout simplement l'impression d'en lire de moins en moins.

Alors si vous êtes en panne de lecture, que ce petit frisson à même de vous laisser pantois et tout ébaubi vous manque, vous savez ce qui vous reste à lire.

La Fille de nulle part, Fredric Brown, traduit de l'américain par Gérard de Chergé, Rivages (Rivages noir), 256p.

09/03/2009

Eifelheim / Michael Flynn

Pour continuer dans la comparaison culinaire comme je le fais parfois, voici avec Eifelheim un livre à ranger dans la catégorie des soufflés. De ceux qui, malheureusement, se ratatinent lorsque l'envie nous prend d'ausculter leur sommet afin de s'assurer de leur bonne tenue. Peut-être aurais-je dû attendre avant de procéder de la sorte, mais le mélange n'a pas pris. Ce doit être la faute à mon cerveau/four car je sais que certains l'ont apprécié aux petits oignons, comme ici ou , par exemple.

La préparation s'annonçait pourtant sous les meilleures augures, la levée s'étant faite de façon magistrale - n'ayons pas peur des mots - avec l'immersion dans une petite ville de l'allemagne médiévale, au XIVème siècle, dont la tranquilité se voit perturbée par l'avarie d'un vaisseau d'extra-terrestres aux allures de sauterelles. Parrallèlement le lecteur suit, de nos jours, les recherches d'un historien et de sa compagne physicienne, autour du mystère qui entoure la disparition de cette ville, jamais reconstruite.

La lecture s'est avérée passionnante, un temps du moins, avec cette rencontre du troisième type orchestrée sous le point de vue d'un prêtre érudit. Elle mettait l'éclairage sur "la relativité culturelle" annoncée sur la quatrième de couverture : religion, technique, technologie, la place de l'homme dans l'univers, le sens de la vie, le passage du temps... Autant de considérations et d'approches poussant à la réflexion, à laquelle je ne me suis pas forcé pour m'y prêter.

Mais voilà, j'attendais aussi autre chose de cette histoire dont le postulat de départ ouvrait la voie à de multiples possibilités. Un peu plus d'action n'aurait pas été malvenue, ainsi que des rebondissements, des révélations (pas besoin de tomber dans le sensationnalisme pour autant). Sans parvenir à mettre le doigt dessus, les extra-terrestres ne m'ont pas tellement convaincus non plus. Il leur manquait un je ne sais quoi de je ne sais quoi. Dur quand on ne trouve pas les mots...
De ce point de vue là, le livre n'a pas comblé mes attentes. Le potentiel était là, pas la surprise.

Alors tout cela s'est peut-être révélé par la suite, mais le moment est venu où je me forçais pour le lire. Et là, non merci, je préfère changer de recette. Mais je l'aurai un jour mon chef d'oeuvre de SF, je l'aurai...
CITRIQ
Eifelheim, Michael Flynn, traduit de l'américain par Jean-Daniel Brèque, Robert Laffont (Ailleurs et Demain), 525 p.

01/03/2009

Le Poulpe. Saint-Pierre et nuque longue / Serge Scotto

Après le brusque arrêt de la série du Poulpe en 2005 avec Poulpe Fiction, on croyait le personnage passé aux oubliettes de la littérature populaire. 250 numéros, autant de titres jeux de mots, les inénarrables et savoureuses couvertures de Miles Hyman, Gabriel Lecouvreur alias le Poulpe, Chéryl, Gérard, Vlad, Maria, le Pied de Porc à la Sainte-Scolasse, la bière, le Polykarpov à l'envol incertain ; à chaque épisode un auteur différent (ou presque), un film, des personnages, des lieux que beaucoup ont suivi avec un plaisir non dissimulé. Voir le Poulpe ruer dans les brancards, taper dans le fait divers, redresser les torts, s'indigner, râler, castagner, draguer, mentir, sauter dans l'action sans parachute, sans crainte du lendemain, c'était un peu comme l'accompagner dans une quête sans fin, sans fin parce que le monde est ainsi fait qu'un seul homme ne peut venir à bout de toutes les injustices ni, surtout, de tous ces salops qui poussent tels des champignons, et qui ont la fâcheuse tendance de polluer le quotidien des uns puis des autres, tout en profitant d'un système acquis à leur cause.

Alors on ne va pas non plus faire du sentimentalisme au point de sortir les mouchoirs, mais quand même, quand le Poulpe avait pris sa retraite éditoriale, il a laissé comme un vide. Finis les virées, les prises de bec, les hauts et les bas, le sexe et le bagout qui faisaient le charme du Poulpe. Finis aussi les repas passés en silence à la recherche d'un titre qu'on s'imaginait déjà écrire ou soumettre aux éditions Baleine. Et puis, pour être honnête, Gabriel devenait difficile à suivre dans sa quête effrénée : trop de parutions chaque mois, des auteurs avec lesquels il était parfois difficile d'accrocher, même si c'était après tout dans cette diversité qu'on pouvait y trouver un intérêt certain.

Fin de la rétrospection, passons au Poulpe revenu. Pas toujours des plus gais le bonhomme! Il a dépassé la quarantaine en 2000 et ça se sent. A croire que sa mise à l'écart l'a quelque peu ébranlé aussi. Le doute l'étreint, le sens de la vie, tout ça, forcément, ça le rattrappe. C'était le cas pour le 251ème, L'Appel du Barge de Lalie Walker ou La Ballade des perdus de Jean-Marc Ligny. Mais avec Saint-Pierre et nuque longue, on retrouve le Poulpe des grands jours, à la première personne - un signe de reprise en main -, rattrapé par son passé en la personne de Sabrina, un amour de jeunesse dont le frère vient de mourir dans d'étranges circonstances. Rien de bien original dans cette intrigue dont on connaît d'entrée les tenants et les aboutissants. Mais, à la rigueur, ce n'est pas le plus important. L'important, finalement, c'est de se rendre compte qu'on s'est laissé prendre par cette langue que Serge Scotto distille avec un plaisir évident. Ce Poulpe n'est pas pour lui l'opportunité de se livrer à un exercice de style, mais de renouer avec la simple délectation de raconter une histoire et de donner la part belle à la ville de Marseille, de nous faire toucher du doigt des personnages forcément délicieux, de nous dire que "dans les moments d'émotion, [il a] tendance à [se] répéter. Ça ne se fait guère en littérature, mais dans la réalité on s'en fout.", et de nous rappeler qu'il a écrit un bouquin pas mal du tout - Nous serons les rois de Marseille - avec trois points de suspension aux clins d'yeux multiples, le titre étant épuisé à ce jour...

C'est drôle, enjoué, grave aussi et humain. A l'image d'un Poulpe qui fait plaisir de voir revenir.