27/05/2009

Mémoires sous médocs / Tom Grimes

Il se passe parfois des choses surprenantes. Pas aussi surprenantes que ce qu'on peut lire dans ce Mémoires sous médocs, mais tout de même. Figurez-vous qu'en l'espace de quelques jours, j'ai conseillé ce livre à pas moins de quatre personnes. Et alors, me direz-vous ?Je parle souvent bouquins, je m'enquiers régulièrement des lectures des uns et des autres, et il n'est pas rare que l'évocation de tel ou tel titre m'entraîne sur des discussions où je ne peux m'empêcher de finir par une de ces phrases : « lis(ez)-le, tu (vous) vas (allez) te (vous) régaler ». Donc, qu'y a t-il eu de si surprenant cette fois-ci, à conseiller un livre à peine terminé ?

Je ne l'ai pas terminé. Je sais, je sais. Gonflé le BiblioMan(u), devez-vous penser. Il s'en est pété les chevilles à force de s'imaginer le sauveur des âmes en panne de lecture, alors que, franchement, c'est pas les bouquins qui manquent. Touché par le syndrome de l'ego de l'auteur de critique et celui de super-héros. Un mélange si explosif que vous vous demandez si vous faites bon de lire ces lignes; On ne sait jamais, ça pourrait être contagieux.

Alors ? Qu'en est-il de cette bizarrerie ?

Mémoires sous médocs, c'est l'histoire de Will, un étudiant mal dans sa peau dont la situation familiale n'est pas au beau fixe et qui, du coup, carbure aux antidépresseurs. Armé de son fidèle ordinateur portable Spunky, il raconte sur le web la quête insensée et complètement folle dans laquelle il s'est lancé, où sous l'influence des médicaments, il doit faire face au SI, le syndrome de l'information, ô combien mortel, et lutter contre un Dr Bones qui, c'est sûr, lui veut du mal.

Alors oui, je n'ai pas terminé le livre. Et oui, je l'ai conseillé. Pour la démarche entreprise par Tom Grimes. Il joue en effet de l'absurde pour parvenir à ses fins : à travers les situations les plus improbables et les plus rocambolesques, il dresse la satire d'un monde lui-même absurde où l'information à outrance gangrène le jugement autant que peut le faire l'industrie pharmaceutique avec ses médicaments déshumanisants. Absurde aussi l'hyperconsommation dans laquelle on se noie les uns et les autres, emportés malgré nous par son courant ravageur, à même de nous faire perdre tout sens moral si l'on n'y prend pas garde. Des sujets d'actualité, on le voit, sur lesquels il ne fait pourtant pas de mal de rire un peu.

Tom Grimes semble en tout cas s'être bien amusé à écrire ce livre. Les titres des chapitres sont des pépites d'humour à eux tout seuls, et les dialogues entre Will et Spunky sont tout simplement irrésistibles. Mais voilà, je fais partie de ceux qui ont du mal à s'accrocher quand on quitte le plancher des vaches trop longtemps, et c'est bien le cas de le dire, ce roman là, malgré toutes ses qualités, m'a bel et bien désarçonné. Tout le temps de ma lecture (la moitié du livre), je me suis dit que ceux appréciant Philip K. Dick ou, dans un registre plus proche et bien barré lui aussi, Chuck Pahlaniuk – on fait pire comme référence, non ? - je me suis dis, donc, que ceux-là y trouveraient leur compte. Il s'avère que j'en ai quelques uns autour de moi, alors...

Mémoires sous médocs, Tom Grimes, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Patrice Carrer, Fayard (Fayard noir), 349 p.

22/05/2009

Un horizon de cendres / Jean-Pierre Andrevon

Méfiez-vous ! Ils sortent de partout ! Difficile pour eux de faire peau neuve (quoi que, quoi que…), mais depuis quelques années, ils sortent de terre pour envahir toutes les facettes de l’imaginaire : le cinéma, la littérature, les jeux vidéos, la BD. Ils ? Pas les vampires qui ne cessent d'avoir pignon sur rue depuis belle lurette, mais les zombies, vous savez, ces êtres repoussants à l’odeur putride qui dépeuplent les cimetières, et ne demandent rien de mieux que de vous prendre dans leurs bras avant de s’inviter pour un barbecue party où vous seriez, bien sûr, le plat principal.

Regardez, en peu de temps, il y a eu entre autres Land of the dead, Dance of the dead, Shawn of the dead (difficile de faire sans le mot dead, naturellement), Zombie la cavale des morts, World War Z accompagné de son extension, Guide de survie en territoire zombie, sans oublier une étude récente sur cette culture ne datant tout de même pas d’hier, Zombies, un livre à la couverture... poignante.

Un horizon de cendres s’inscrit dans cette mouvance et le résultat est plutôt réussi. N’ayant jamais été porté sur le phénomène des morts-vivants, je me suis demandé ce qui m’avait poussé vers cette lecture. La couverture de l’édition de poche dans un premier temps – du coup n’hésitez pas à répondre au petit sondage qui m’a été soufflé par cette constatation – et, naturellement, le résumé. Un résumé accrocheur, non dénué d'humour, comme si vous y étiez. Une tonalité que l'on se plaît à retrouver au début du livre. Oubliées les frayeurs enfantines occasionnées à la seule vision des affiches de cinéma d'un autre temps ! A travers le journal du héros de cette histoire, les zombies ne paraissent pas vraiment méchants. Au contraire, il sont même un brin lourdauds. D'accord, ils sont sales, ils ne sentent pas bon, mais on leur donnerait presque le bon dieu sans confession. Et s'ils deviennent un brin collants, il suffit de les réduire en miettes, à coups de hache ou tout autre ustensile tranchant à disposition. Pour les armes à feu, il faut prévoir la cartouchière, ils sont du genre coriaces. Mais ça ne mange pas de pain et, de toute manière, ils se reconstituent peu de temps après. Même ces braves gens de la télé ne s'y sont pas trompés, ils ont su profiter du filon – étonnant, non ? - en faisant revenir les défunts célèbres sur leurs plateaux. De la télé-réalité comme on n'osait pas l'espérer.

L'ambiance change du tout au tout lorsque ces chers morts-vivants, en plus de grossir leurs rangs (même le narrateur n'ose pas s'aventurer sur un calcul aussi vertigineux) entreprennent de muter en mangeant la cervelle d'animaux. Un début sur l'échelle de l'évolution du zombie... Le décor devient alors apocalyptique. L'Horizon de cendres est là, bien là. De la grisaille plein la tête où le lecteur devient assiste à la vie en communauté de quelques hommes et femmes, bien déterminés à survivre.

Le narrateur ne se pose pas d'incessantes questions sur le pourquoi du comment d'une telle invasion. Il n'en a pas le temps. C'est là sans doute aussi, l'une des forces de ce roman où le lecteur se trouve, avec le héros, emporté par la spirale folle d'un monde en déliquescence. Un renouveau pas pire qu'un autre ? C'est en tout cas l'une des questions posée ouvertement par ce livre, signé comme un constat d'échec de l'humanité, incapable de vivre sans détruire. Une tendance chez certains auteurs actuels. Mais comme on dit, ceci est une autre histoire, et j'aurai l'occasion d'y revenir.

Un Horizon de cendres, Jean-Pierre Andrevon, Pocket (Science-fiction), 242 p.

15/05/2009

Passage du vent / Harry Bellet

Depuis que j'ai terminé ce livre, voici deux ou trois jours, je le prends régulièrement dans mes mains. Je le tourne, le retourne, relis le résumé, l'ouvre, parcours quelques paragraphes au hasard, comme persuadé qu'il y a eu erreur sur le livre, que les pages qui se sont glissées à l'intérieur du livre ne sont pas les bonnes.

Décalage à tous les étages...

La couverture, pour commencer. La photographie ne cadre pas du tout avec le ton adopté dans le livre, où l'humour (enfin, un certain humour) prévaut.
Le nom de l'auteur, le titre. Normal. Et puis il y a cette mention qui, initialement devait être : une nouvelle enquête de Sam Adams. Le « nouvelle » a été supprimé, mais au final, le résultat reste le même : je la cherche encore, l'enquête. Il s'agit plutôt d'une aventure. Et là encore, le terme n'est pas des plus justifiés. Le fameux Sam Adams en question est très peu présent durant les chapitres assez courts qui constituent ce roman. Il n'est en fait que le noyau autour duquel s'affolent une bande d'électrons libres pétris d'intentions diamétralement opposées à son égard. Il y a ceux qui cherchent à le tuer quand d'autres entreprennent tout et n'importe quoi pour le libérer.

La quatrième de couverture. Une accroche digne d'un film, suivie d'un résumé où l'on apprend que, suite aux redoutables machinations du maire de New-York, Adhemar Thibodeaux, Sam Adams est emprisonné à Guantanamo. On nous parle de polar mené à cent à l'heure, d'un héros plein de flegme et... d'humour.

On s'attend à un roman brillant, plein de finesse, des personnages hauts en couleur, au service d'une histoire où l'on se doute que les conditions de détention dans la si célèbre prison sur l'île de Cuba seront vilipendées On se retrouve au final avec, non pas un polar, mais une farce grossière, mal fagotée, qui frôle le ridicule: Un maire de New-York dont l'excentricité principale revient à tuer un chat tous les jours, des tueurs pas très futés, des espions pas très crédibles, un héros quasi-inexistant et insipide (c'est l'effet qu'il m'a fait). On évolue sans cesse dans l'histoire en ayant l'impression d'avoir des personnages d'un autre âge, d'une autre époque.

« Nous y serons, répondit Boris en remettant dans son slip une quéquette que Souchon trouva, à sa courte honte, particulièrement imposante. »

« Il vomit dans le chapeau que Seamus, le collègue de Lev, avait laissé sur une table et que le sergent, dans un réflexe, lui tendit sous le menton. Il ne fallait pas polluer la scène du crime. »

« Le chien qui avait entamé son repas, reçut l'essentiel du kérosène sur le dos, ce qui le débarrassa pour un temps de ses puces, mais le fit aussi s'enfuir en couinant et la queue basse, sous des cieux plus cléments. »

Alors bien sûr, les traits sont volontairement grossis mais, à vrai dire, je m'interroge encore sur l'utilité d'un tel procédé ainsi que sur les intentions réelles de l'auteur. Dénoncer le traitement infligé aux prisonniers de Guantanamo ? User de l'invraisemblance au service de la mise en relief de l'inacceptable? Soit. Mais franchement l'humour balourd et pataud qui dégouline de tous les côtés de cet ouvrage a plutôt tendance à effacer tout l'intérêt que l'on aurait pu porter à une telle démarche.

Pour ceux qui souhaiteraient tout de même faire la connaissance de Sam Adams et se forger leur propre opinion, sachez que Passage du vent est sa troisième aventure, après L'Affaire Dreyer et Carré noir. Mais bon...

Bien sûr, cela reste une appréciation personnelle, je crois savoir que Brize a, quant à elle, adhéré au livre.

Passage du vent, Harry Bellet, Robert Laffont, 292p.

07/05/2009

Les Enfants de la destinée. Tome 1, Coalescence / Stephen Baxter

Constat n°1 : ça fait du bien de prendre du temps pour lire un gros pavé des familles. Vous me direz, ça fait deux à la suite et certains qui vont suivre ne manquent pas de volume non plus.

Constat n°2 : on lit ici ou là, notamment chez ce cher Henri dont j'adore parcourir les avis, qu'il y en a marre de tous ces ouvrages gargantuesques assortis de suites à rallonge. C'est vrai, il m'arrive de le penser aussi. Mais...

Constat n°3: Il m'arrive de raconter n'importe quoi et je suis bien obligé de me confronter à ma mauvaise foi ou bien sûr, à mon ignorance. Voilà, c'est dit, profitez-en, je ne ferai pas ça à chaque fois. C'est bien beau de se cacher derrière un costume, c'est sûr, on affirme des choses, on est même cinglant parfois, sous prétexte qu'on n'a pas aimé un livre. On taille dans le vif, on lacère à coups de mots, ça fait du bien. Après tout, on lit, on se sent lésé, on le dit, alors forcément, notre parole dépasse parfois notre pensée (mais pas toujours, quand même ; je veux bien faire un mea culpa mais sur certains titres je suis prêt à persister et à signer : je vous entends déjà scander : des noms ! Des noms ! Enfin, scander, non, vous n'êtes peut-être pas assez nombreux pour ça...).

Tout ça pour dire, qu'on est parfois assis sur notre quant à soi et que ça ne fait pas trop de mal d'être remis à notre place... par un livre.
Souvenez-vous, au mois de novembre dernier, je vous parlais du dernier livre de Dan Simmons, Terreur. Je faisais une courte allusion à la froideur des personnages d'un certain Stephen Baxter ainsi qu'à l'encensement un peu étrange dont il était l'objet. Pour ce faire je m'étais appuyé sur Voyage, pour lequel je conservais un avis mitigé, et sur Poussière de lune qui m'était tombé des mains.

Et voilà qu'en rangeant le premier tome des Enfants de la destinée à la médiathèque, je me mets à en parcourir les premières pages.

Je suis venu m'installer à Amalfi. Je ne peux pas supporter, pas encore, l'idée de retourner en Angleterre, et je trouve cet endroit apaisant après l'étrange multitude dans laquelle j'ai été plongé à Rome.

Alors là, j'ai bien été obligé d'admettre que la force de ce « je », son ambiguïté, sa fragilité aussi, m'ont remis les idées en place.

George Poole est informaticien à Londres. Il est divorcé. Sa soeur avec qui il entretient des rapports conflictuels vit aux Etats-Unis. Au moment où débute cette histoire, son père vient de mourir et c'est donc à lui qu'incombe la douloureuse tâche de faire le ménage. S'en acquittant, il découvre l'existence d'une sœur jumelle, Rosa, que ses parents auraient envoyé à l'Ordre de Sainte Marie Reine des Vierges alors qu'il avait trois ans. Une sœur dont il n'a gardé aucun souvenir et qu'il espère bien retrouver.

Ainsi résumée l'histoire, on pourrait se demander où se trouve l'effet science-fictif. Ne comptez pas sur moi pour vous le révéler. La quatrième de couverture en disait déjà trop.
On suit George dans sa quête. En parallèle, on assiste à l'éclosion de cet Ordre de Sainte Marie des Vierges alors que l'Empire romain entame son déclin (on oublie bien vite les quelques invraisemblances – je ne savais pas, par exemple, que la poste existait à cette époque, et encore moins les préservatifs. On comprend l'intention de l'auteur mais ça surprend à la lecture, et non, il ne s'agit pas d'une histoire de voyage dans le temps.).

A sa manière, Stephen Baxter revisite le mythe de la Caverne, met dans la balance le poids de l'individu avec celui de l'humanité et observe position et évolution de l'un et de l'autre dans des contextes spécifiques. C'est tout simplement prenant.

Constat n°4: j'embarque bientôt pour le tome 2.
Constat n°5: je m'arrête là... pour aujourd'hui.

Les Enfants de la destinée. Tome 1, Coalescence / Stephen Baxter, traduit de l'anglais par Dominique Haas, Pocket, 730 p.


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