26/10/2008

L'Océan de la stérilité. Tome 1, Lolita complex / Romain Slocombe

Les romans construits sur la base de deux ou plusieurs récits qui finissent par se croiser ne sont pas rares. C'est notamment le cas pour ce dernier ouvrage de Romain Slocombe, hormis que le procédé va bien au-delà d'un simple "ah, c'était donc ça !" de la part du lecteur. En l'occurrence, la manoeuvre est plus complexe, ou tout au moins plus subtile. Car nous avons effectivement deux lignes narratives qui évoluent en parallèle, deux récits aux couleurs diamétralement opposées et qui, une fois combinées laissent alors la place à une nouvelle ligne romanesque, unique celle-ci, dont la teinte ainsi obtenue ne manque pas d'intérêt, bien au contraire.

D'un côté, nous avons Gilbert Woodbrooke de retour du Japon dans un sale état, encombré dans ses plâtres suite à un accident de voiture dans laquelle on l'avait fait monter de force (1). Photographe fétichiste complètement fauché et, pour ne rien arranger, en plein divorce, Gilbert accumule les gaffes les unes après les autres. Malgré ses déboires toujours ouverts aux ramifications aussi diverses que variées, on lui propose pourtant de servir de traducteur à une jeune romancière japonaise dans le vent. Le pauvre bougre n'est pas au bout de ses peines.

Cette première ligne narrative obéit aux codes du roman. On a un personnage principal auquel il est difficile de ne pas s'attacher, des péripéties, des scènes hilarantes (vraiment!), avec en prime, ne boudons pas notre plaisir, une satire de l'art contemporain (et ça, pour peu qu'on y soit sensible, on ne s'en lasse pas) ainsi qu'une critique bien assaisonnée de la politique du pognon.

"Lorsqu'on a du succès dans un tel domaine, les gens tiennent à vous garder à l'intérieur de ces limites et insistent pour que vous répétiez ad vitam aeternam, voire ad nauseam, le putain de cinéma qui vous a rendu célèbre... Leur intention, c'est de faire de vous un foutu mort-vivant pété de thunes - et de se sucrer au passage. Un voyou statufié, une icône bien lisse, cataloguée, labéllisée, étiquetée..."

Et puis, parallèlement à cette articulation, il y a ce récit d'une gamine roumaine ayant quitté famille et pays pour se retrouver bien malgré elle prisonnière, esclave, des réseaux de prostitution de l'Europe de l'Ouest. On ne rigole pas, plus. Car on sait pertinemment que ce qui est dévoilé là, dans sa plus abjecte substance, s'appuie sur des faits réels. Le doute n'est pas permis.

"[...] à moins de cent mètres d'ici, par-delà les cinés, les boutiques et les pubs, derrière les murs d'une de ces maisons de briques se trouvent enfermées dix, vingt, trente gamines innocentes kidnappées de chez elles, entraînées d'abord dans des camps de dressage abominables, puis trimbalées à travers toute l'Europe, l'Italie, la France, la Belgique...comme des marchandises, comme du putain de fret [...] le sexe ravagé par des passages incessants, par des avortements clandestins, forcés, pratiqués dans je ne sais quelles conditions, leur jeunesse volée et l'esprit envahi par une terreur de tous les instants... La terreur des coups si elles désobéissent, ou des amputations, ou d'être balancée par la fenêtre, ou brûlée vive, ou écrasée sous des roues de camion...".

Et donc, lorsque ces deux récits se superposent, le ton change, la fiction et la réalité se mêlent, apportant par ailleurs un nouvel éclairage sur les personnages, pas aussi tranchés qu'on aurait pu le penser de prime abord.

Cette construction illustre aussi parfaitement le "lolicon", l'abréviation japonaise de Lolita complex qui marque l'attirance de certaines personnes pour des fillettes, qu'elles soient réelles ou fictionnelles. "De la marchandise, du fret...". Nous y sommes. Pour les bourreaux, où qu'ils se situent sur l'échelle de cette prostitution, toutes les limites sont franchies allègrement.

Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur ce livre labyrinthique mais une chose est sûre cependant: on n'en sort pas indemne. On aurait tort de s'en plaindre.

(1): Le personnage est déjà apparu dans un tétralogie dont l'action se situe au japon. Pour autant, ne pas les avoir lus (ce qui est mon cas, je l'avoue) ne gêne en rien la compréhension du présent ouvrage.

22/10/2008

Quelques questions à...Joseph Incardona

Amis internautes bonsoir et bienvenue sur notre fréquence à bord du zin...Ah, non, c'est vrai ! Nous ne sommes pas dans le studio d'une radio et on ne s'improvise pas animateur, comme ça en claquant simplement des doigts. Heureusement, il existe pour cela des virtuoses des ondes comme Marie-Pierre Soriano, avec qui j'ai eu le plaisir immense de préparer l'interview qui va suivre. Il y a peu de temps, je vous avais fait part de mon engouement pour le livre Remington de Jospeh incardona. Et c'est donc sans nous forcer que nous l'avons interviewé. Par ailleurs c'est un très grand honneur pour moi d'inaugurer la nouvelle rubrique du blog : « Quelques questions à... », avec cet auteur. Mais surtout, surtout, je vous recommande d'aller l'écouter au bord du zinc, ça vaut le coup d'oreille ! La première diffusion a lieu aujourd'hui, mercredi 22 octobre à 18 heures sur radio grille ouverte, puis le vendredi suivant à 14 heures sur radio divergence et à 20 heures sur radioclapas. Et si vous avez raté ces diffusions, vous pourrez toujours écouter l'émission dimanche à 17 heures sur n'importe laquelle de ces radios...

Marie-Pierre Soriano : Joseph Incardona, bonsoir et merci d’avoir accepté mon invitation. Alors pourriez-vous nous dire comment l’écriture est entrée dans votre vie ?

Joseph Incardona : Euh…Eh bien dans un premier temps je voulais devenir journaliste. Donc j’ai fini l’université et puis j’ai été engagé ici, à Genève, dans un journal qui s’appelle Le Courrier. J’ai commencé comme stagiaire pigiste, et puis ça a été la catastrophe, en fait. Rapidement…enfin, je restais le soir, longtemps, pour reprendre mes articles, etc. Le rédacteur me barrait tout en rouge et voilà, et puis un jour il me dit : « faudrait peut-être trouver autre chose ». Et en fait, voilà, c’est là que j’ai compris que c’était pas tellement… c’ était plus que le journalisme, c’était l’écriture, l’écriture qui m’intéressait. Et en fait j’avais pas suffisamment…enfin j’étais déjà en train de raconter des histoires.

MPS : Vous avez écrit des romans, des nouvelles, vous avez écrit pour le théâtre et pour la bande dessinée, vous êtes passé de la toute petite maison d’édition Delphine Montalant aux éditions Fayard, Fayard noir même, avec derrière, quand même, un Patrick Raynal…comment s’inscrit Remington dans votre bibliographie ?

JI : Ben je dirais que c’est un livre charnière. C’est à dire que … y’a une maturité qui arrive petit à petit. Et je crois que il y a certains thèmes aussi qui ont été un petit peu disséminés soit dans les recueils de nouvelles, soit dans les romans précédents, et puis une réelle affirmation, on va dire, d’un genre surtout, parce que avant, je crois que mes deux précédents romans, on les avait qualifiés de « grise ». C’était pas complètement de la blanche, pas complètement du noir. Et en fait, ça faisait un moment que ça mûrissait et Patrick Raynal était un petit peu… enfin me suivait, avait suivi le précédent roman et puis petit à petit ça a mûri. Et puis je crois que déjà les recueils de nouvelles aussi ont clairement été vendus dans les librairies plutôt comme des recueils de noir. Et puis je crois que, voilà, j’ai vraiment trouvé mon genre, ma voie, ma voie avec « e » et avec « x »,hein. Et puis voilà, maintenant le style s’affine. On n’a jamais fini d’apprendre, de peaufiner, et puis de progresser, en fait.

MPS : Alors, moi je dirais que le roman noir, et plus particulièrement le vôtre qui est empreint d’un drôle de cynisme….j’ai envie de vous demander est-ce qu’il a de plus grande dispositions pour dénoncer les travers d’une société ?

JI : Ah oui ! Mais moi je pense que le roman noir, bon c’est peut-être un peu banal de dire ça, mais c’est ce qui se rapproche le plus du roman social. Ce qui définirait la noire, ce serait on va dire peut-être, à mon avis hein, un sens de la tragédie et puis bon bien sûr une atmosphère et puis…ce qui la différencie du polar où c’est plutôt une enquête avec un policier, un agent d’assurance, un journaliste… La noire est plutôt liée à l’idée de tragédie. Et puis je pense que effectivement depuis Léo Malet… Chandler… enfin bref, c’est quelque chose qui à mon avis est proche du roman social, effectivement. C’est une façon de bien faire ressortir certains malaises de société, enfin, certains problèmes. Je pense que c’est une bonne manière d’ouvrir la voie pour ça effectivement.

MPS : Alors pour rentrer plus dans Remington, le personnage de Matteo s’inspire de faits divers pour alimenter son écriture. Vous, en tant qu’auteur, vous les avez inclus ces faits divers dans la lecture en surnombre, et cela finit par la rendre de plus en plus banale. Est-ce là votre manière de mettre en lumière l’individualisme, l’égocentrisme qui sont en croissance exponentielle dans nos sociétés ?

JI : Oui, alors déjà, les faits divers sont là pour alimenter l’histoire. C’est à dire que ce que ne dit pas l’histoire le fait divers continue. Alors effectivement, la plupart sont tirés du journal Libération et voilà, il y a une époque où je collectionnais ces faits divers parce que… enfin quand on dit fiction/réalité, hein, la réalité qui dépasse la fiction, il y a des choses complètement incroyables en fait qu’on lit comme ça. Et en effet y'a quelque chose par rapport…c’est sûr qu’on s’inscrit dans une ligne, dans une mouvance politique, inévitablement. Et puis, voilà, oui, je ne le cache pas je suis plutôt de gauche [sourires], et c’est clair que ce roman, eh bien voilà, il est là aussi, comme beaucoup de romans noirs d’ailleurs.

MPS : Donc vous pensez que l’écriture est encore un moyen d’éveiller les consciences ?

JI : Bien sûr, bien entendu…bien entendu. Il y a l’idée d’une histoire. Enfin c’est un petit peu ce que disait Jean-Patrick Manchette. Y’a l’anecdote et puis il y a le fait qui s’inscrit dans une société, et puis une société à une époque dans un temps donné. En fait y’a une sorte de poupée russe, comme ça. Alors c’est clair, y’a une histoire, y’a une envie de raconter quelque chose qui est lié à l’écriture et puis, en même temps y’a l’envie de raconter quelque chose qui est lié à la société. Et en fait après, alors ce personnage, c’est un intermittent du chômage, il le dit à un moment donné , il a des petits boulots, enfin son petit boulot de gardien, et c’est une façon pour faire saillir certains points qui collent pas dans cette société, dans cette société très complexe qui en plus…enfin, elle est à la fois complexe et très compliquée parce qu’il n’y a plus de noir/blanc. On est dans quelque chose qui est complètement…toutes les donnes sont mélangées, on vit dans le paradoxe. Et finalement ce personnage a besoin de se recentrer. Il le fait à travers la boxe, à travers l’écriture et il a besoin de trouver un socle sur lequel se construire parce qu’il a l’impression que tout fout le camp autour de lui.

MPS : Il y a dans Remington beaucoup de références au travail d’écriture, alors quelles sont les vôtres ?

JI : Mes références de travail ? C’est à dire la manière dont je travaille où… ?

MPS : oui.

JI : Ah oui, c’est très simple. J’essaye…de… Enfin…Parce qu’écrire ce n’est pas seulement…écrire c’est aussi orienter sa vie d’une certaine manière pour gagner ce temps, justement, d’écriture . Hé bien j’essaye en général d’écrire le matin, on va dire, entre 9 et 13 et puis voilà, et puis le reste du temps c’est pour le boulot, c’est pour autre chose…Mais d’essayer de garder ces plages, c’est là ou je suis le plus disponible on va dire, pour ça. J’ai un petit atelier où je vais écrire et puis…et puis voilà… et puis une discipline bien sûr, beaucoup de lecture aussi et puis beaucoup de plaisir d’écrire. Y’ a pas du tout quelque chose qui est, enfin une sorte de mortification, c’est vraiment une joie. Je dirais que le plus difficile dans l’écriture c’est ce qu’il y a autour de l’écriture. Mais l’écriture en tant que telle, c’est assez jubilatoire quand on trouve les bons mots, les bonnes phrases, quand on sent que ça vient. C’est un petit peu ce que je raconte. Parce que Remington c’est un livre sur l’écriture aussi.

MPS : Tout à fait oui. J’irais même jusqu’à dire que Matteo est un amoureux des mots justes, de l’économie d’énergie, d’adjectifs et d’adverbes, et ce, pour aller à l’essentiel, enfin c’est ce que moi j’ai compris…êtes-vous vous-même un auteur sensible à la musique des mots ou est-ce bien là votre manière de boxer avec les mots et la vérité ?

JI : Oh, je crois que c’est un peu les deux. C’est un peu les deux.. C’est à dire que d’une…enfin y’a déjà une chose. C’est que y’a l’idée où le fond rejoint la forme et inversement. C’est à dire que, on est sur un personnage qui est timide, plutôt introverti, obsessionnel et donc l’écriture se doit de rejoindre, si vous voulez, le fond, de se rejoindre avec le personnage. Donc c’est une écriture plus tenue effectivement avec très peu d’adjectifs, très peu d’adverbes, c’est…je ne dirais pas que c’est du minimalisme mais on va vers quelque chose de plus épuré. Alors que peut-être si le personnage avait été plus baroque, enfin par rapport à d’autres romans que j’ai pu écrire avant, c’était un peu plus truculent on va dire. Mais là, il y a l’idée vraiment que le personnage et l’écriture ne fassent qu’un. Sans bien sûr tomber dans quelque chose de complètement désincarné ou trop sec, j’aime bien quand même qu’il y ait de la chair. Mais effectivement les derniers chapitres où il se lâche, l’écriture s’enrichit tout d’un coup parce qu’on commence à savoir qui il est, réellement.

MPS : Oui tout à fait. Alors en parlant de chair, les femmes ne sont pas à l’honneur dans votre roman…

JI : [rires]…

MPS : …c’est le moins qu’on puisse dire…Pourquoi ça ?

JI : Oh…alors….bon, moi quand même, le personnage de la comtesse…

MPS : est très attanchant.

JI : Je l’aime bien. Je l’aime bien et puis je crois qu’on sent qu’il y a une, enfin bien qu’elle soit éphémère, mais dans cette petite relation qu’ils ont, enfin une relation qui n’est pas une relation intime mais une relation de travail, mais y’a vraiment quelque chose qui passe entre eux. Effectivement après, sa directrice à l’agence est une personne plutôt sèche [rires]. Et puis Elsa, Elsa effectivement elle a, elle a…

MPS : C’est une mante religieuse.

JI : Oui. Elle représente l’orgueil, elle représente la jalousie, elle représente l’envie, elle représente la……je ne sais pas. C’est parti d’un personnage en fait que j’ai rencontré par hasard au cours d’ un atelier d’écriture. On m’avait invité pour animer deux, trois ateliers. Y’avait une fille qui en voulait vraiment. Mais qui en voulait à un point…enfin y’avait quelque chose d’absolument maladif dans sa façon de se comporter, puis par rapport aux autres. Ça m’a donné le point de départ. Y’avait vraiment….je sais pas…y’a énormément de…enfin j’anime aussi des ateliers d’écriture ponctuellement, hein, quelquefois dans l’année. Et c’est vrai que c’est un peu comme le loto, c’est à dire qu’il y a beaucoup de gens qui se disent « tiens je pourrais écrire quelque chose et puis je peux devenir la prochaine Gavalda, la prochaine Amélie Nothomb,etc. ». Je dis prochaine parce qu’il y a essentiellement, enfin y’a 90% de femmes qui fréquentent ces ateliers d’écriture. Et voilà y’a de tout, y’a les gens qui viennent là pour passer un bon moment, y’a ceux qui …, y’a quelques hommes effectivement qui viennent pour draguer, enfin ça c’est mon expérience, c’était assez rigolo. D’autres qui viennent pour partager un moment de convivialité, ect., y’a de tout. Mais y’a effectivement, y’a parfois une réelle ambition, et puis alors cette ambition elle peut se manifester d’une manière, on va dire tendre, avec conscience, et ça se fait progressivement, et puis une ambition qui va arriver vite et puis qui n’hésite pas à marcher sur les pieds des autres. Enfin c’était quelque chose d’assez significatif, comme une espèce de revanche sur la vie, etc. Et donc ce personnage que j’ai côtoyé deux trois fois en atelier, était un peu le point de départ. Alors bon, pour revenir à votre question…c’est pas de chance on va dire sur ce bouquin, par rapport aux femmes [rires]. Mais en fait y’a trois figures, y’a trois figures féminines qui effectivement sont, à part celle de la comtesse on va dire, ce sont deux figures en tout cas qui ne sont pas à l’honneur comme vous dites. Y’a rien de personnel là dessous. C’est juste l’histoire aussi qui veut ça. Parfois on part… parce que c’est aussi l’incommunicabilité de Matteo avec les femmes. Un homme qui a connu peu d’expériences, qui est coincé, et puis effectivement va dans des peep-show , etc., ça aussi c’est le seul moment où il peut se…on va dire…enfin, les seules relations qu’il a en général avec les femmes parce qu’il est trop timide, etc.

MPS : Joseph incardona je vais vous poser la question que je pose à tous mes invités : «Avez vous la vie dont vous rêviez quand vous étiez un enfant ? »

JI : Euh…en partie. J’y arrive petit à petit. Je ne suis pas encore [rires] je ne suis pas encore au bout. Je pense que genre quand j’aurai 80 ans peut-être, si j’y arrive…[rires]


19/10/2008

Le Coup du sombrero / Marc Villard

Cela fait treize ans maintenant que sont parues les premières tranches de vie d'un vrai-faux Marc Villard, et le plaisir de lecture de ces nouvelles autobiographiques tantôt douces-amères, tantôt franchement drôles, tantôt douces-amères franchement drôles, ne s'émousse pas. Cette fois-ci, comme le titre l'indique, on plonge dans l'univers du football. Hep ! Je sens déjà le regard des non aficionados s'écarter de cette chronique pour vaquer sous d'autres hospices littéraires. Restez un peu, juste un peu, vous allez voir. Car en l'espace de dix-huit nouvelles des plus ciselées, le monsieur ne fait pas que nous dévoiler sa passion pour le ballon rond, même si cette évocation se suffirait à elle-même pour ravir le lecteur.

Comme à son habitude, Marc Villard s'amuse, amuse jusqu'à en devenir touchant, même si cette fois-ci, il ne se met pas toujours en scène. Sensible à la musique des mots, comme il le disait dans une récente interview que vous pouvez trouver , Marc Villard cède de temps à autre le terrain des mots à ceux qui font le football: gloires d'antan et d'aujourd'hui, supporters, dirigeants, joueurs...

"Cinq gamins se meuvent dans la demi-pénombre, le regard aimanté à un ballon de football flambant neuf offert par la femme de l'aide sociale. Deux d'entre eux flirtent avec la perfection. Ce sont les moins bavards, la musique des sphères est dans leur tête. La balle se faufile, collée à leurs tennis."

Avec nostalgie, sans pour autant être passéiste, Marc Villard vise juste sans oublier toutefois de mettre le doigt sur les travers de ce sport mondialement reconnu, sans pour autant tomber dans des clichés éculés et stériles. Des nouvelles efficaces, donc, surtout lorsqu'il se met en scène dans une maison de retraite -La Nuit tombe ; Bolton-Tottenham ; Crampons - où son art consommé de l'insulte - Salope. Demain, j'irai vomir dans tes chaussons -, entre autres, font de ce ronchon de service, roublard et vachard, un type diablement sympathique. A l'image de ses nouvelles.

Si vous désirez en savoir un peu plus sur les autres ouvrages parus précédemment, à savoir J'aurais voulu être un type bien ; un jour je serai latin lover ; Bonjour je suis ton nouvel ami ; Elles sont folles de mon corps ; Souffrir à Saint-Germain des près...ainsi qu'à sa bibliographie, vous pouvez cliquer ici.

09/10/2008

Le Livre du temps t.1 et 2 : La Pierre sculptée ; Les Sept pièces / Guillaume Prévost

Le jour de ses 14 ans, Sam Faulkner doit se rendre à une compétition de judo. Il traîne des pieds, renâcle. A la seule idée de se faire écraser par Monk, au sens propre comme au sens figuré, ses muscles font grise mine avant l'heure. Mais par dessus tout, c'est la mystérieuse et longue absence de son père qui lui plombe le moral. Depuis la mort de sa mère dans un tragique accident, il faut dire qu'il ne le voit plus guère. C'est avec Grand'Pa et Grand'Ma qu'il passe la plupart de son temps, avec eux qu'il tisse les liens de la complicité. Le manque se fait pourtant sentir et ce jour là, Sam semble bien décidé à savoir où est passé son père. Il se rend à la librairie de livres rares que ce dernier fait vivre tant bien que mal. Alors qu'il est dans la cave à la recherche d'indices, Sam découvre un passage secret où l'attendent un livre ancien ainsi qu'une étrange pierre sculptée. Le temps d'un battement de cils, le voici tout à coup projeté sur une île menacée par...des vikings. Commence alors pour Sam un incroyable voyage dans le temps, et les époques.

Les vikings, la bataille de Verdun, l'Egypte ancienne, la Renaissance, Chicago en pleine prohibition...le périple de Sam n'est vraiment pas de tout repos. On aurait pu craindre "l'effet catalogue" du voyage dans le temps : on balaie toutes les époques, on sort la machine à clichés, les événements attendus et convenus, on y incorpore un peu d'action et ça ronronne comme une machine bien huilée. Ce n'est ici, heureusement, pas aussi simple et je dirais même que Guillaume Prévost a pour le moment évité tous les pièges inhérents à ce type d'histoires, notamment en ce qui concerne les paradoxes temporels, sur lesquels il ne s'appesantit pas ni ne s'emberlificote. Mieux, il parvient à tirer son épingle du jeu et à faire du Livre du Temps une histoire réellement captivante où tout est à sa place.

Au début, je l'avoue, j'ai quelque peu jalousé le plaisir que prendrait un adolescent à la découverte de ce bouquin mais, très vite, j'ai fait mon mea culpa, écarté ce fugace et stupide sentiment d'un revers de neurones, et me suis laissé porter. Pas un seul instant, en effet, on ne songe à pinailler sur le fait que Sam se sort toujours très bien de situations apparemment inextricables. On ne s'étonne pas non plus du fait qu'il parle couramment la langue locale du pays où il atterrit, quand que ce soit. Parce que le principe du voyage temporel n'obéit ici à aucune règle scientifique, mais plutôt à la magie. Et force est de constater qu'elle n'opère pas que sur Sam. Sur le lecteur aussi. Car Guillaume Prévost, à n'en pas douter, sait conter une histoire - et expliquer la théorie de la relativité avec une facilité désarmante -, la rendre captivante sans jamais ennuyer. Tout comme il sait aussi, et là c'est moins drôle, terminer sur un suspense insoutenable. Ah bravo...

Le livre du temps:
3. Le Cercle d'or : parution prévue pour le 16/10/2008 !

04/10/2008

Remington / Jospeh Incardona

Il y a des signes qui ne trompent pas : quand, une fois entamée une lecture, la seule perspective de faire la queue à la préfecture ou à la sécu aurait plutôt tendance à vous enchanter ; quand vous prenez rendez-vous chez un médecin réputé pour son retard légendaire ; quand les personnages du livre en question se rappellent régulièrement à vous plusieurs fois par jours ; quand dans ces occasions vous vous surprenez à élaborer des hypothèses sur leur sort à venir ; quand, enfin, vous ne cessez de parler de cette lecture autour de vous, on peut penser que vous tenez là un bon, un très bon bouquin. De ceux qui comptent indéniablement. Comme Remington.

Matteo Greco est un type sympathique, non dénué d'humour qui, quand il ne pointe pas aux ASSEDIC est vigile pour une société privée de gardiennage. Si ça n'avait tenu qu'à lui, il serait devenu boxeur ou écrivain, deux passions qu'il exerce régulièrement. C'est d'ailleurs en participant à un atelier d'écriture qu'il fait la connaissance d'Elsa, une jeune femme instable et calculatrice avec laquelle il va nouer une relation conflictuelle. Celle-ci lui confie un jour le manuscrit sur lequel elle a travaillé et Matteo, en virtuose des mots justes et d'un style qu'il ne se connaît pas brillant, Matteo, l'amoureux à sens unique, s'empresse de le réécrire. Quelques mois plus tard, le manuscrit remanié est édité sans qu'Elsa l'en ait informé...

Ainsi présenté, on serait en droit de penser : "Tout est dit". Le titre, l'histoire, peu de surprises ou de découvertes en perspective, tout compte fait. Or, c'est bien tout le contraire qui se produit. Car Joseph Incardona ne se contente pas de raconter une histoire et point barre. Avec humour, cynisme, amertume et une touchante humanité, il ouvre aussi une fenêtre sur notre époque où le quotidien - celui de Matteo, de ceux qui croisent sa route, le nôtre - est mis en relief pour disséquer les rouages d'un drame en devenir. C'est en ceci que la construction de Remington est redoutable. A travers les faits divers qui ponctuent le roman et dont Matteo se sert pour composer ses écrits, le lecteur perçoit, pressent, sait, qu'il est en train d'assister à la création de l'une de ces tragédies vouées à figurer dans les entrefilets des journaux, et sur lesquels on ne s'attarde qu'avec la curiosité des accidents de bord de route.

Cette focalisation sur le quotidien combinée à des personnages subtilement dépeints n'enlève en rien à la qualité de Remington. Profondéments humains, je l'ai dit, dans leur détresse, dans leur relative banalité comme dans leur plus totale perfidie, aucun ne laisse indifférent. Chacun à sa manière contribue même à ce que le lecteur vibre au staccato des mots, au rythme qu'insuffle Joseph Incardona avec des phrases relativement courtes et des descriptions qui ne s'attachent qu'à l'essentiel.

"Meubler le vide est une imposture", dit Matteo en évoquant, comme cela lui arrive parfois, le travail d'écriture. Il n'y a aucune place au vide dans ce roman là. Pas de répit non plus. Ne reste que le coeur serré pour un fait...certainement pas divers.