21/12/2012

Vortex / Robert Charles Wilson


Je sais, je sais, je sais.... La fin du monde, vous commencez à en avoir marre. Un peu de patience, demain vous verrez... on en parlera encore. Mais seulement demain, histoire de dire : « Voilà, ça n'a pas eu lieu, à quelle date ça nous renvoie la prochaine prophétie ? »

C'est pas aujourd'hui prévu en tout cas qu'un petit 2 va venir semer le ouaille ouaille web dans cet univers binaire, alors j'en profite pour vous parler brièvement du dernier tome de la série consacrée aux Hypothétiques, Vortex. Je dis brièvement parce que de deux choses l'une, soit vous avez commencé le cycle avec Spin et Axis et il y a de fortes chances pour que vous vous précipitiez sur celui-ci, soit vous ne savez rien de cette histoire, auquel cas : 1.n'hésitez pas à lire la chronique de Spin, présente dans ces murs (et même au-delà, le livre a fait grand bruit partout ailleurs à juste titre).2.Allez-y parce que ce troisième volume mérite la lecture des deux précédents à lui tout seul. (Lorhkan tu sais ce qu'il te reste à faire, le clou est désormais enfoncé!) 3. Vous êtes encore là ?

Vous l'aurez compris, cette chronique est quelque peu atypique. Pourquoi consacrer un billet à un livre si on n'en parle pas vraiment. Soit. Je pourrais tout à fait évoquer la préoccupation – sans être non plus fataliste - de l'auteur pour l'état du monde, de la façon dont nous épuisons ses ressources à une vitesse hallucinante, de sa mise en garde contre l'hyperconnectivité ou toute autre forme de conscience collective au détriment du particulier.

"Ressentir en solitaire du chagrin (ou de la culpabilité, ou de l'amour) était indissociable de la condition humaine, du moins, il l'avait été. nous avons supporté ça pendant la majeure partie de notre existence en tant qu'espèce. Partager ce fardeau d'une manière qui amoindrissait la souffrance n'était sans doute pas une mauvaise chose, et peut-être y avait-il quelque chose d'admirable dans la volonté des Voxais d'aider leurs concitoyens à porter leur fardeau  de larmes. Sauf que ce baume se payait par une perte d'autonomie personnelle, par une perte d'intimité."

Voilà, si vous voulez, pour l'aspect général abordé en deux coups de cuillère à pots. Mais si j'avais vraiment voulu vous faire saliver avec Vortex, je vous aurais parlé des pages 173 et 174. La scène qui y est décrite , pour vous dire, ça vaut tous les pesants de cacahuètes. Et encore, j'ai beau chercher une bien plus belle métaphore, elle ne me vient pas. Si demain arrive, je tâcherai de remédier à ça, de me triturer le cerveau à moins que vous, lecteur de ce blog, vous vous sentiez habité d'une soudaine fibre imagière (auquel cas vous pouvez vous illustrer dans la page des commentaires). En attendant, si vous voulez en savoir un peu plus, soit vous allez : 1. lire ces deux pages mais bon, sorti du contexte, ce sera aussi lisible qu'une tablette maya. 2. J'insiste, je sais, mais pour en savourer toute la substantifique moelle, il vous faudra lire Spin et Axis d'abord. 3. Non, je ne comprends pas comment il est possible que vous soyez encore là... 

Vortex, de Robert Charles Wilson, traduit de l'anglais par Gilles Goullet, Denoël (Lunes d'Encre), 2012, 352 p.
CITRIQ

18/12/2012

En souvenir d'André / Martin Winckler

Coïncidence. Rien qu'une coïncidence mais c'est tout de même... surprenant. Ces derniers temps, il est rare que je lâche le polar ou la SF pour des ouvrages de littérature générale, et encore moins de littérature générale française. Néanmoins, il y a quelques semaines, j'ai lu l'avis très élogieux de Morgane concernant le dernier livre de Martin Winckler, En souvenir d'André. Hormis Le Chœur des femmes, j'avais apprécié tous les romans appartenant à la veine médicale de l'auteur parus chez POL, et je ne manque jamais de m'intéresser à chaque parution s'y inscrivant (les polars que le monsieur a écrit m'ont bizarrement beaucoup moins intéressés).

Pourquoi coïncidence, donc ? J'ai commencé le livre hier soir dans un cabinet médical – n'allez pas croire que j'aie pu déceler une coïncidence dans ce simple état de fait, mes perfides et chers collègues vous diraient que je passe mon temps chez les médecins – pour le terminer aujourd'hui, date à laquelle le professeur Sicard a remis à François Hollande son rapport sur la question de la fin de vie.

La fin de vie. Le suicide médicalement assisté, c'est là le thème central abordé de manière sensible et juste dans En souvenir d'André.

Dans un futur proche, l'aide médicale au suicide a été légalisée. Emmanuel, ancien médecin à l'Unité de la douleur, est atteint d'un cancer et reçoit chez lui la visite d'un volontaire chargé de l'accompagner dans ses derniers instants. A cette occasion, il raconte ses souvenirs, remonte aux sources de son parcours, des circonstances qui l'ont amené à aider les gens à mettre fin à leur jour, quand cela n'était pas encore autorisé.

"Quant à les aider à choisir le moment de partir, il n'était même pas permis d'en parler. Les principes comptaient plus que le soulagement des souffrances."

Il l'a fait une première fois. Puis une autre, en souvenir d'André. Puis plein d'autres fois encore. Il restait présent. D'abord pour soulager la douleur, ensuite, parce que c'était indissociable, pour écouter et absorber les histoires des uns et des autres.

"J'espère que je ne vous assomme pas avec toutes ces histoires. Mais nous n'avons que ça, finalement. Des histoires. Pour nous aider à vivre, pour nous préparer à mourir."

En souvenir d'André est un roman qui mérite d'être lu à voix haute. Martin Winckler a usé ici d'une sobriété stylistique qui restitue d'une façon assez remarquable la fragilité des êtres qui le peuplent. Emmanuel s'en fait le témoin grâce à sa mémoire exceptionnelle. C'est par lui que transitent toutes leurs histoires, qu'elles nous parviennent avec émotion. Point de pathos pour autant. La réalité, dans cette fiction, n'est pas loin, on le sait. Elle n'a pas besoin d'artifices pour s'exprimer dans sa plus absolue sincérité. A cet effet, Martin Winckler revient donc sur l'importance de l'écoute du patient, la considération à apporter à la souffrance et à la nécessité de l'atténuer, sans oublier l'évolution de la société, une société qui gagnerait à être plus progressiste, ne serait-ce que pour se recentrer, en ce qui concerne la fin de vie, sur le respect dû aux personnes et à leur dignité. Vaste débat qui n'a bien sûr pas fini de faire couler de l'encre...

Au-delà de l'aspect romanesque, qu'il serait dommage de dénigrer, il y a fort à parier aussi que ce livre parlera à beaucoup de monde. Pas seulement parce qu'il traite de la mort, celle des autres tout comme la nôtre, pas seulement non plus parce qu'il s'ancre dans un débat de société, mais surtout parce qu'il peut nous renvoyer à notre propre histoire. Parfois à travers de petits riens, l'évocation d'un détail, d'une odeur, d'une situation... Des fragrances de souvenirs qui, au final, rendent ce roman bouleversant.

En souvenir d'André, de Martin Winckler, POL, 2012, 199 p.

17/12/2012

Les Sept lames. Tome 1, L'Antre des voleurs / David Chandler

Deux ans ! Deux ans que je n'avais pas ouvert un livre de fantasy, sinon pour en feuilleter un ici ou là sans jamais succomber. Mais voilà, Jean-Luc Rivera dont je suis assidûment les coups de cœur sur le site ActuSF et l'opération masse critique de Babelio sont passés par là, alors...

…alors, ce n'était pas mal du tout. Ce n'est clairement pas l'ouvrage qui va tout ravager sur son passage, ni faire s'ébranler les fondations des littératures de l'Imaginaire, mais pour ce qui est de divertir, David Chandler a plutôt bien mené sa barque.

La Cité de Ness vit ses derniers instants. C'est en tout cas ce que souhaite un mystérieux commanditaire lorsqu'il s'entoure des services d'un magicien à la sombre réputation, Azoth, et d'un géant de muscles, Bisbille, détenteur d'une des sept lames tueuse de Démons. Pour parvenir à leur fin, ils ont pour projet de voler la couronne du burgrave, le seigneur de la ville, certains que si celui-ci ne la revêtait pas avec aux cérémonies officielles de la Damade, la ville serait alors soumise à une vindicte sans précédent, entraînant dans son sillage un chaos indescriptible. Pour mener leur plan à bien ils comptent aussi engager un voleur doué, mais suffisamment stupide et naïf pour pouvoir s'en débarrasser sans heurts une fois la tâche de celui-ci accomplie. Leur choix se portera sur Malden, un jeune homme débrouillard qui vient juste de tomber dans les griffes de Tailleserpe, le maître de la guilde des voleurs. Le plan est irréprochable à un détail près : Malden est loin d'être stupide.

L'Antre des voleurs est un livre bien rythmé dont la grosseur n'implique aucune longueur. On ne va pas s'en plaindre... C'est d'autant plus surprenant que l'auteur a recours à l'unité de lieu, l'action se restreignant à la seule ville de Ness. L'extérieur n'est ici évoqué qu'à de courtes occasions, pour alimenter les enjeux auxquels peuvent être soumis certains personnages. D'autre part, on doit sans doute à l'humour qui émaille ce récit cette facilité de lecture. Pas d'humour potache mais une volonté certaine de l'auteur de ne pas trop se prendre au sérieux, de s'amuser avec ses personnages et de jouer avec les codes de la fantasy.

Seul petit bémol tout de même, mais rien de bien méchant et qui tient sans doute à la légèreté assumé du récit : David Chandler use un peu trop du cliffhanger. Il met souvent Malden et consorts dans des situations inextricables dont on imagine mal comment ils pourront s'en sortir, tout en sachant pertinemment qu'ils vont en réchapper deux chapitres plus loin, quand la narration reviendra sur eux. Ce procédé s'accélère en fin d'ouvrage lorsque l'action s'emballe. L'alternance de focalisation dans des chapitres assez courts suscite un certain agacement, d'autant que ce n'est vraiment pas très utile quand on connaît tacitement l'issue des scènes présentées.

S'il est courant de voir des série à rallonge en Fantasy, le fait qu'il y ait une suite à l'Antre des voleurs est assez surprenant. Cet ouvrage aurait pu se suffire à lui-même. Mais à l'instar des polars où l'on apprécie aussi les personnages pour leur vie personnelle, leur caractère, leur entourage, l'univers dans lequel ils évoluent, et pas seulement pour leurs enquêtes, on imagine très bien revoir Malden et ses acolytes dans d'autres aventures, juste pour le plaisir de voir dans quel pétrin ils vont se fourrer... et comment ils vont s'en dépêtrer !

CITRIQ
Les Sept lames tome 1 : L'Antre des voleurs, de David Chandler, traduit de l'américain par Benjamin Kuntzer, Milady (Milady Imaginaire), 644 p.

13/12/2012

Axis / Robert Charles Wilson


Depuis que la Terre est soumise au vieillissement de l'univers et à la menace d'une nova, beaucoup d'humains ont traversé l'Arc des Hyptothétiques leur permettant de gagner instantanément une nouvelle planète, Equatoria, laquelle offre la perspective d'un renouveau salutaire. C'est dans ce cadre de colonisation, de défrichage d'un monde où tout reste à (re)faire, qu'une communauté de Quatrième Ages, envisage d'entrer en communication avec les Hypothétiques. Ces personnes ayant accru leur longévité grâce au savoir Martien sont prêtes à tout pour y parvenir, y compris braver les interdits éthiques et moraux. Sur leur route, ils croiseront une jeune femme du nom de Lise Adams, partie à la recherche de son père, disparu du jour au lendemain alors qu'il semblait lui aussi s'intéresser de très près au mystère des Hyptothétiques. A mesure, que chacun semble s'approcher de son but, des pluies d'une cendre bien singulière s'abattent sur la planète...



 Après un chef-d'oeuvre comme Spin, l'attente est forcément présente de renouveler une telle expérience de lecture. De constater que l'auteur n'hésite pas à jouer de la récidive, quand bien même la barre avait été placée très haut.


Si l'attente est là elle peut aussi s'avérer être une gêne dans l'appréciation de la suite ou, de façon plus appropriée ici, du prolongement de Spin. Mieux vaut en l'occurrence se dédouaner de cette attente. La question ne se pose pas, ne devrait pas se poser de savoir si Axis est mieux ou pas que le premier ouvrage de la série consacrée aux Hypothétiques. A la lecture, en tout cas, cette perspective fond comme neige au soleil. Là où Robert Charles Wilson tire son épingle du jeu, c'est justement en ne nous proposant pas une copie de Spin, ni même une structure identique à celui-ci. Le temps de l'action est sensiblement réduit dans Axis puisqu'il s'échelonne sur quelques semaines seulement. L'auteur nous propose un road movie dynamique, percutant et ineventif où, encore une fois, l'imagination de haute volée est au rendez-vous, toujours aussi efficace et surprenante. La pluie de cendres et sa nature si particulière en est un exemple parfait ; certaines scènes sont tout simplement sidérantes, notamment lorsque les protagonistes doivent subir une tempête redoutable et angoissante - tant pour eux que pour le lecteur - ou même encore lorsqu'ils découvrent des pousses végétales dotées d'un globe oculaire.




Autre aspect qui donne aussi tout son intérêt au livre, nous ne sommes plus sur Terre, ou si peu. Robert Charles Wilson campe à merveille la planète en phase de colonisation. Une colonisation qui n'est pas sans rappeler, d'une certaine façon, la Conquête de l'Ouest américain. L'implantation s'est faite petit à petit, les pionniers ont investi les lieux, certains par soif d'aventures ou de profits, d'autres pour tirer un trait sur une vie faite de désillusions, quand ils ne sont pas en quête de rédemption.



On ne le répètera jamais assez, Robert Charles Wilson prend un soin tout particulier à nous offrir des personnages de chair et de sang dont le sort nous importe vraiment. Comme on s'y attendait également, il n'oublie pas non plus de lever un peu plus le voile sur la nature des Hypothétiques tout en laissant ce qu'il faut de points d'interrogation au dessus de la tête du lecteur. Toutes les réponses devraient suivre dans Vortex et si on en croit les bruits courant sur les blogs, la série devrait mériter un véritable Hat Trick...

Axis, de Robert Charles Wilson, traduit de l'angalis (Canada) par Gilles Goullet, Denoël (Lunes d'Encre), 2009, 400 p. Disponible aussi chez Folio SF, 483 p.
CITRIQ