30/12/2011

Cyanure / Camilla Läckberg

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Les années précédentes, en guise d'histoires policières se déroulant à l'approche de Noël, vous avez peut-être déjà eu votre Mary Higgins Clark, affublée de sa fille Carol, voire même un John Grisham ou un Anne Perry. Ou bien vous avez passé outre, parce que, franchement, que des auteurs à succès nous pondent ainsi chaque année, inlassablement, une novellette que l'on vous vend à prix d'or, ça sent un peu l'empapaoutage à plein nez. 

Venez, venez, lecteurs insouciants, c'est bien votre auteur fétiche qui l'a écrit ce livre là et il n'a rien perdu de sa superbe, n'en doutez pas. Frissonner et rêver en même temps, voilà ce qui vous attend. La magie de noël opère. Vous savez où est la caisse ?

Cette année, je crois bien avoir vu à nouveau un petit Anne Perry au pied du sapin d'une librairie, ainsi qu'un Christian Jacq.

Et puis ce petit livre aussi, un petit bijou d'esthétique (petit format actes sud, couverture dure de couleur noir et rouge à l'image des autres titres de la collection actes noir, avec en médaillon un petit daguet blanc aux yeux rouge dans une boule à neige). Ça s'arrête là pour l'orfèvrerie, car pour le reste on est dans le convenu avec ce huis clos stéréotypé à souhait et au manque évident d'originalité. Camilla Läckberg, auteur suédoise qu'on ne présente plus, utilise ici un personnage secondaire de sa série consacrée à Erica Falk et Patrick Hedström. Martin Mölin, jeune inspecteur, part en effet sur l'île de Valö pour passer le réveillon avec sa petite amie et la famille de celle-ci. Très vite (au moins on ne s'embarrasse pas du superflu) tout ce petit monde passe à table ( au sens propre comme figuré) et le grand-père, riche parmi les riches, meurt suite à une ingestion de cyanure. Pour conforter l'ambiance (hum), une tempête de neige bat son plein,  coupant ainsi toute possibilité de regagner le continent, les téléphones sont coupés et l'enquête (si l'on peut dire) commence.

Comment dire ? C'est palpitant comme le 2315ème épisode des Feux de l'amour – ne me faites pas croire que vous ne vous en rappelez pas, hein ? -, et ça finit comme la clôture d'une saison de ski : dans la gadoue, sans chute. Juste une ombre de pirouette. Navrante, qui plus est, la pirouette.

Le tout pour la modique somme de 16 euros 80. Et là, là...

Cyanure, Camilla Läckberg, traduit du suédois par Lena Grumbach, Actes Sud (actes noirs), 160 p.

18/12/2011

Adieu / Jacques Expert


24 mars 2011. Le Commissaire Hervé Langelier fête son départ à la retraite. Il s'en serait bien passé. En homme solitaire, il aurait en effet préféré partir dans la discrétion la plus totale. Sans éclats, à l'image de sa carrière, entachée par une affaire, une seule, dont il n'a pu se défaire. Les faits remontent à dix ans. Février 2001, une femme est retrouvée égorgée au domaine familial, ses enfants gisant dans leurs lits, étouffés, un oreiller déposé à leurs pieds. Aucune trace du père. Un mois jour pour jour après ces premiers meurtres, rebelote. Une autre famille est retrouvée dans les mêmes circonstances, selon le même mode opératoire. Le père est, là aussi, porté disparu. Et ce n'est pas fini. Langelier possède sa propre hypothèse mais elle n'est pas au goût de tout le monde. Malgré l'appui de son ami et néanmoins supérieur direct, le commissaire Ferracci, l'enquête finit par lui être retirée. Qu'à cela ne tienne, il la mènera seul, à l'insu de tous. Quitte à en payer le prix fort.

Le flic obnubilé par une affaire au point de tout lâcher pour elle ou d'attendre d'avoir enfin du temps pour s'y consacrer entièrement - tout tenter pour ne pas finir perclus de remords, savoir - c'est comme qui dirait monnaie courante en matière de polars. C'est comme un socle à une histoire dont il revient ensuite à l'auteur d'en révéler l'essence. Tout en subtilité, en finesse, grâce un mariage subtil du fond et de la forme, et sans doute aussi pas mal de savoir-faire, Jacques Expert y parvient sans aucune difficulté.

Toute la première partie exposant les bases de l'histoire est rapportée dans un style très factuel. Dates, heures, personnages, procès-verbaux, qui a fait quoi, où, quand, comment, dans quelle intention... les faits, rien que les faits. On entendrait presque la voix off d'un commentateur dans une de ces émissions consacrées aux affaires criminelles ayant défrayés les chroniques. Pourtant, là où un Donald Harstad balance les codes radios de ses unités de police en intervention pour faire plus vrai, on palpe ici quelque chose de plus dense, de plus élaboré dans la constitution du récit. Cette impression se confirme dans une deuxième partie où, cette fois-ci, le récit bascule à la première personne. C'est en effet Hervé Langelier lui-même qui livre la nature de ces dix dernières années consacrées à une enquête qu'on lui a ôtée et qu'il s'est réapropriée sans l'aval de sa hiérarchie. Là encore, les faits sont là, avec une précision confondante, témoins de l'obsession du flic. Son appartement n'est plus qu'un champ de données sur les murs : photos, rapports, notes, réflexions. Langelier est capable de les citer toutes, de les localiser de mémoire. Ce retour sur l'affaire est entrecoupé de ses réflexions intérieures tandis qu'il observe tous ceux qui sont venus lui rendre un dernier adieu avant sa retraite. Dont Ferracci, son ami devenu rival. L'heure des explications est venue. Elles sonnent comme un règlement de compte en bonne et due forme.

Au-delà des faits et de leur dualité – aux mêmes événements, de multiples interprétations et réalités possibles – amenée avec beaucoup de maîtrise, il y a aussi une réelle gradation dans l'exploration de la psychologie des personnages, et de celle du commissaire Langelier en particulier. Au gré du récit, la perception que s'en fait le lecteur change subtilement, par petites touches et ce n'est qu'avec un certain recul que l'on en prend l'exacte mesure.

Qu'on ne s'y méprenne donc pas, Adieu n'est pas un livre de plus sur les étals des librairies, ce n'est pas une énième resucée d'histoire de tueur en série, c'est un roman à l'impact certain, de ceux qui laissent des traces, ne serait-ce que dans son évocation de la solitude. Adieu mérite bien son triple B : bluffant, balèze brillant !

Adieu, Jacques Expert, éditions Sonatine, 327 pages.

09/12/2011

Agence 13, Les Paradis inhabitables - 3 - Le Chat aux yeux jaunes / Serge Brussolo


Serge Brussolo avait laissé Mickie Katz en bien mauvaise posture à l'issue de Ceux-d'en bas, deuxième volet de la série consacrée à l'Agence 13, les paradis inhabitables. Un livre et un revers de page plus tard, tout est comme effacé et Mickie reprend du service. La dame n'est pas du genre à lambiner. Qui plus est, l'agence a les comptes dans le rouge. Pour remplir les caisses, elle n'hésite donc pas à envoyer son meilleur élément en mission, quitte à jouer profil bas et rompre avec la singularité qui la caractérise : redonner une seconde vie et un nouvel éclat à des lieux ayant été l'objet de scènes de crime.

Pour autant, Mickie n'est pas au bout de ses peines. D'après les premiers éléments dont elle dispose, il semblerait effectivement que la jeune femme ait quitté le foyer d'une folie pour en investir un autre, d'une nature bien différente mais tout aussi inquiétante. Devenir décoratrice pour une série de télé, passe encore. Mais que penser lorsqu'il s'agit d'un vieux feuilleton réputé maudit après la disparition de l'un de ses acteurs principaux ? Que celui-ci a pour interprètes une horde de vieillards ambulants ? Peggy Floyd, star déchue mais encore riche, a en effet décidé de tourner de nouveaux épisodes du feu First Lady dans son manoir, avec tous ceux qui, de près ou de loin, avaient un jour travaillé dessus. La série n'est plus diffusée sur les ondes mais dans les hôpitaux ou autres maisons de retraites pour les quelques nostalgiques qu'elle compte encore. Et la malédiction qui l'entoure n'a apparemment pas connu les ravages du temps, ne s'est en aucune manière estompée. Mickie ne risque-t-elle pas d'en faire les frais ?

Lire une page de Serge Brussolo, ne serait-ce qu'une seule, cela s'apparente déjà à la traversée d'une frontière. Celle qui sépare notre monde de l'imaginaire de l'auteur. Vous pouvez toujours y aller bardés de vos références, de vos guides ou de vos bagages glanés au cours de vos précédentes incursions, traverser cette frontière, donc, de quelque manière qu'on le fasse, cela revient irrémédiablement à pénétrer en un territoire obscur, glauque et hostile, au gré duquel, mystères, surprises et chausses-trappes sèmeront l'exploration. Pas besoin de vous soucier d'un quelconque moyen de locomotion, la peur et l'angoisse vous serviront de carburant.

Le chat aux yeux jaunes ne détonne pas. Pas du tout. Une fois la frontière traversée, vous voici comme enfermé(e)(s) dans un grand magasin, peuplé de mannequins de cire qui, après l'heure de la fermeture, se mettent tout à coup à se mouvoir, difficilement, mécaniquement, laissant apparaître les défauts de leur peau à la lumière ténue des projecteurs.

Serge Brussolo, malgré quelques pirouettes et invraisemblances scénaristiques vite oubliées, nous offre donc une nouvelle fois un livre d'ambiance où le malaise plane du début à la fin, un malaise largement imputable à une mise en scène axée autour de vieillards se raccrochant à leurs espoirs déchus. Des vieillards en quête d'une éternelle jeunesse prompts pour cela à revêtir des costumes de latex de stars disparues, s'avilissant encore et encore, comme pour ne pas se laisser submerger par la déchéance.

Avec une intrigue tarabiscotée comme lui seul semble capable de les édifier, Serge Brussolo arrive à donner froid dans le dos et à vous laisser comme un goût de poussière dans la bouche. Vous voilà prévenus. Quoique, il se pourrait même que vous en redemandiez. Etrange, non ?

Agence 13, les Paradis inhabitables 3, Le Chat au yeux jaunes, Serge Brussolo, Fleuve noir, 284 p.

 
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