Un nouveau petit détour à bord du Zinc ! Après avoir tour à tour dévoré Mari et femme de Régis de Sà Moreira, Marie-Pierre Soriano, Gentille Pestouille et moi-même avons eu le plaisir de l'interroger à propos de ce roman qui a été - comment dire ? - l'objet de discussions passionnées et passionnantes sur nos chères conditions respectives... Alors pour ceux qui ont déjà eu la chance de lire ce livre et ceux qui auront la chance de le lire bientôt, n'hésitez pas : embarquez à bord du zinc pour cette chaleureuse interview !
> Marie-Pierre Soriano : Régis de Sà Moreira, bonjour et merci d’avoir accepté mon invitation. Alors Mari et femme c’est votre dernier roman. Comment s’inscrit-il dans votre bibliographie, finalement ?
RdSM : Alors bonjour. Mari et femme c’est mon 4ème roman. Et comment il s’inscrit ?…Le dernier était paru en 2004. Donc il s’inscrit après 4 ans de silence.[rires]
MPS : Oui, il y avait eu une alternance régulière entre les trois premiers, hein ?
RdSM : Oui, c’était tous les deux ans.
MPS :Là vous avez un peu…
RdSM : Oui, j’ai pris un peu plus de temps.[sourires].
MPS: Il a été plus long à venir ?
RdSM : Euh, voilà ouais.
MPS : D'accord. Moi j'ai trouvé que c’était un roman qui pose beaucoup de questions et qui ne prétend pas y répondre. Est-ce que vous diriez qu'il s'agit d'un message...enfin...que le message contenu dans votre roman, il porte sur l'importance de s'aimer soi ou sur l'importance de se mettre à la place de l'autre?
RdSM: Les deux à la fois. En tout cas je suis complètement d'accord avec ce que vous dites sur les questions. Moi ce qui m'intéresse vraiment, c'est de poser des questions et puis de laisser les gens se les poser ensuite, et pas forcément y apporter des réponses. Donc...en tout cas ça questionne ce domaine là, quoi, qui est le...non seulement c'est la rapport à soi et à l'autre et sur la possibilité de vivre à deux, quoi.
MPS : Alors sur ce principe là, hein, du mari qui se réveille dans le corps de sa femme et la femme dans le corps de son mari, qu'est-ce qui est le plus important ,finalement. Le corps ou l'âme? Le contenant ou le contenu?
RdSM: Oh ben...Pour le coup je suis pas sûr. Je trouve que c'est une, un peu, dans le livre en tout cas une fausse question. J'ai l'impression, enfin je m'en rends compte de plus en plus, parce que on met toujours un peu de temps à comprendre ce qu'on a fait [rires]. J'ai l'impression que c’est pas tellement ça l’important, que l’échange de base même s'il est très attrayant et qu’on entre dans le livre comme ça, peu à peu peut être qu'il devient presque un prétexte en fait, et que on le laisse un peu de coté pour vraiment suivre ce qui est plutôt l'évolution d'un couple. Enfin je sais pas si vous êtes d'accord?
MPS: Oui, si si c'est vrai.
RdSM : Ou du coup ça devient moins...heureusement d'ailleurs parce que si c'était juste ça l'idée ça serait ....
MPS :…ça serait un peu pauvre.
RdSM : Ouais. Et donc, voilà, et puis on se rend co...enfin ce que j'aimais bien, moi, ce que je trouvais chouette enfin faut pas tout dire mais, quelque part ça a pas vraiment d'importance dans quel corps ils sont, quoi. Enfin, que…que pour eux en tout cas ce qui compte c’est de continuer leur histoire. Bon ben voilà ça leur arrive, donc ils le prennent aussi, aussi bien,[sourires]en fin aussi sincèrement que possible, et ensuite de voir comment on peut s'en sortir comme ça, quoi.
MPS :Est-ce qu'au cours de l'écriture vous avez eu des problèmes avec les doutes ? Enfin est-ce que vous avez douté quant à la place laissée aux clichés, aux poncifs parce que somme toute, vous ne pouvez que malgré tout supposer ce que c'est que d'être une femme ?
RdSM:[rires!] qu'en savez-vous ? [Rires].
MPS : Ah ben. Je vais vous dire [sourires]. Je l'ai lu figurez-vous, c'est bien embêtant…
RdSM: [rires].
MPS: Avant d'interviewer, je l'ai lu et j'ai bien compris que vous ne pouvez faire que supposer.
RdSM: Ben...Imaginer, ouais, ouais. Oui , ben oui, c'était le risque, oui. Enfin moi c'est un risque que j'ai couru. Enfin, d'ailleurs je pense, aussi que ça dépend des lecteurs sur le… comment se passe la réception. Mais bon, c'est une affaire de confiance, quoi. J'ai l'impression quand on tente comme ça une aventure imaginaire de manière un peu sincère, on est obligé de se faire confiance parce que si on se met des...à se juger trop vite et à se demander de quoi ça a l'air , « est-ce que c'est pas un cliché ? », ça devient intellectuel et ce qui est intellectuel c'est souvent ennuyeux, et puis faux. Donc c'est vraiment un livre moi où j'ai dû faire beaucoup confiance à la fois à mon inconscient et puis à la..., je sais pas, à la vie.
MPS: Est-ce que pour l'écrire vous avez posé beaucoup de questions aux femmes qui vous entourent ou pas du tout ? Vous avez tout fait tout seul.
RdSM : Très peu. Mais bon moi j'ai 35 ans, donc j'ai eu l'occasion dans ma vie de....
MPS: …de croiser quelques femmes.
RdSM : Ouais des femmes avant ça . Donc même si j'étais pas toujours dans un…dans un...dans une attitude d'enquête, je me suis toujours intéressé à ce que ça pouvait être d'être l'autre, enfin en tout cas d'être une femme donc euh, je suis sûr d'en avoir posé beaucoup dans le passé. Ensuite, une fois que j'ai commencé à écrire ce livre, à savoir que je l'écrivais, c'était vraiment des choses très très précises, et d'ailleurs la plupart, je m'en suis pas servi. Je me rappelle j'ai posé pas mal de questions sur les cheveux, les coupes de cheveux, les peintures de cheveux, des choses comme ça. Où je me demandais notamment, la fréquence, combien de temps ça mettait, enfin des choses auxquelles j'avais pas forcément pensé avant, comment on se séchait les cheveux...et finalement ça apparaît très peu dans le livre. [Rires]. Donc c'est un travail qui nourrit en profondeur mais qui est pas vraiment là, en surface.
MPS: D'accord. A quelle femme auteur, ou même peut-être pas d'ailleurs, proposeriez-vous d'écrire le pendant de votre roman, mais cette fois du point de vue de la femme dans le corps du mari?
RdSM: Ah....voilà une question intéressante !
MPS : D'ailleurs, on ouvre, enfin , on pose la question aux auditeurs. Si quelqu'un est intéressé, enfin si quelqu'une est intéressée, on est preneur.
RdSM[rires] : Ben ouais c'est marrant parce qu’en plus, je me suis demandé, moi à un moment si je devrais pas le faire et tout ça, et puis je me rends compte que c'est pas…c'est beaucoup moins ma place, quoi.
MPS : Ah ben…à mon avis c'est pas possible.[sourires]
RdSM: Ouais, je vais le faire avec moins de plaisir déjà, et je pense que c'est important que y'ait du plaisir là dedans, sinon ça deviendrait très laborieux; Et puis ensuite sans doute, vous avez raison, ouais, ça serait sans doute pas possible. Et quelle femme....?
MPS: Oui. A quelle femme vous confiriez ça ?
RdSM: Je sais pas si je connais assez bien les femmes contemporaines...
MPS: Enfin même si c'était, même on va dire, un auteur, même une femme morte, pour avoir une idée.
RdSM : Y'a un écrivain que j'aime beaucoup qui s'appelle Carson McCullers. Mais bon c 'est très différent, hein . Je sais pas pourquoi je pense à elle d'un coup, là. C'est un livre qui s’appelle Le Coeur est un chasseur solitaire, qui est vraiment formidable. Mais je suis pas sûr que ça ait tellement de connexions. Je sais pas. C'est une question intéressante mais difficile.[rires]
MPS : Savez-vous que quand même après la lecture de Mari et femme, je me suis surprise à me demander plusieurs fois si certaines personnes en face de moi n'étaient pas en réalité un ou une autre enfermé(e) dans un autre corps ?
RdSM : Ah ben c'est bien.[rires]
MPS : Finalement, est-ce que tout est possible Régis de Sà Moreira?
RdSM: Ah oui, ben moi, ça c'est mon hypothèse de départ, sinon je pourrais pas écrire, en fait, je crois. Enfin, c'est... Ça veut pas dire que je fais de la science-fiction mais euh, moi c’est ça qui m'intéresse. Ma démarche à moi c'est...de, je veux dire c'est pas parce que quelque chose n'est jamais arrivé qu'il arrivera jamais, et que donc pourquoi pas ? Et si ça arrivait qu’est-ce qui se passerait ? Et...Et Je remarque que peut-être pas toujours de manière aussi évidente, mais en fait que presque tous mes livres reposent là- dessus. Et que oui, tout est possible, oui.
MPS: D'un point de vue technique à présent, j'aurais voulu savoir comment vous vous en êtes sortis avec les pronoms. Est-ce que l'absence de pronoms, très souvent utilisés, et puis dès la page 118 l'utilisation du « nous », ça, ça a un sens précis en fait ?
RdSM : Ah ben je savais pas que ça commençait page 118. Qu'est-ce qui se passe page 118?
MPS : Ah ben en fait vous vous mettez à utiliser le « nous ».
RdSM : Ça n’y est pas avant ?
MPS : Non
RdSM : Ahhhhh...
MPS : [Rires].
RdSM : Ah bon ?
MPS : Vous l'avez lu ?
RdSM :[Rires].
MPS : Est-ce que vous l'avez lu ?
RdSM : Je l'ai lu. Enfin je l'ai lu. Je sais pas si je l'ai lu en fait. Mais je l'ai beaucoup relu, ouais. Euh...C'est partie naturelle, partie travaillée, ça. Moi, chez moi c'est comme ça que je fonctionne. C’est à dire que mon travail, c'est que je fais beaucoup de, pour commencer, de roue libre, comme ça. Comme je disais un peu d'écriture pas inconsciente mais vraiment très très libre et très improvisée. Vraiment comme de l'improvisation au théâtre. Et ensuite je reviens dessus et je fais un travail presque maniaque de réécriture. Donc après y'a une part qu'on...la plus grosse part a été faite au début mais c'est ensuite de la nettoyer , quoi, un peu comme une pierre précieuse, d'enlever tout ce qui est en trop. C'est beaucoup d'enlever. Donc y'a beaucoup de choses dedans qui sont pas réfléchies, qui ont été faites...
MPS :…spontanément...
RdSM : Ouais ou…ouais spontanément mais ensuite c'est réorganisé, quoi. Mais c'est pas mathématique, ouais. D'ailleurs y'a des supers livres qui sont faits sur des schémas mathématiques. J'ai rien contre. Mais celui-là n'a pas été fait comme ça.
MPS : En parcourant les blogs sur internet qui évoquent Mari et femme je me suis aperçu que votre roman a été lu, bizarrement, par beaucoup de femmes. Est-ce que c'est le public auquel vous vous adressiez en l'écrivant ou pas du tout?
RdSM : Non, pas du tout. Enfin pas du tout, oui, mais pas seulement quoi. Moi je m'adresse à un lecteur imaginaire qui est homme ou femme, j'en sais rien. Vraiment. Ça c'était pour chaque livre, hein , pas seulement pour celui-là. J'ai même eu un doute, un doute de dernière minute, je crois, parce que quand je l'ai envoyé à mon éditrice, donc une femme [sourires], y'avait que mon frère qui l'avait lu. Et du coup, elle a mis un peu de temps à me répondre parce qu'elle était super occupée , quelle le lisait lentement et tout ça...et y'a un moment où ben bon on sait pas, on panique enfin, voilà quoi on se dit « merde...pourquoi »…
MPS: …qu'elle dise : « ça a pas marché »…
RdSM : Et où je me suis dit je me rappelle à ce moment là « merde peut-être que ça marche pas avec une fille, en fait, peut-être que ça marche pas avec une femme et que, ok, bon mon frère ça a super bien marché, mais que je vais me rendre compte que »....et puis pas du tout en fait. Elle était en retard parce qu'elle manquait de temps et au contraire elle avait vraiment beaucoup beaucoup aimé. Donc ça c'était, c'était la bonne nouvelle, c'est qu'elle m'appelait pour les deux. Ce qui en, fait est assez logique, enfin bon, quelque part.
MPS : Oui. Est-ce que vous avez pensé au cours de l'écriture à développer...alors, je vais essayer de ne pas tout dévoiler mais, plus, la toute fin, hein, c'est un peu le choc de la fin...Est-ce que n'aurait pas été une façon d'aller carrément plus en profondeur finalement dans le mystère de ce que c'est que d'être une femme pour vous, en fait?
RdSM: De continuer le livre, vous voulez dire...dans le temps ?
MPS: Non pas le continuer parce que je trouve que c'est sa concision qui fait toute sa force. Mais au lieu de développer plus sur les moments où il va au travail, plus prendre plus de temps pour parler justement de cette grande chose qui se passe à la fin ?
RdSM : Franchement...euh...est-ce que j'y ai pensé?
MPS : Ouais. Est-ce que vous y avez pensé et est-ce que vous avez reculé, parce que là vous vous êtes dit : « non ça je peux pas », enfin, tellement vous ne savez pas finalement.[sourires]
RdSM : Eh ben non, j'y ai même pas pensé en fait. Pour moi c’est arrivé comme la fin, quoi. Je sais que ça m'est arrivé dans d'autres livres de ne pas comprendre quand est-ce qu'ils s'étaient finis, de chercher , de revenir en arrière, d'aller plus loin et tout. Tandis que là c'était très clair, quoi. Et puis surtout la dernière phrase. Enfin j'ai pas… en tout cas, j'ai pas consciemment envisagé d'aller plus loin.
MPS : D'accord. Donc Régis de Sà Moreira, on va finir cette interview par la question que je pose à tous mes invités. Alors figurez-vous que vous êtes le premier à m'avoir mis un doute sur la question. La question c'est « Régis de Sà Moreira, avez-vous la vie dont vous rêviez quand vous étiez un enfant? »
RdSM : [Rires] [silence]....euh....je sais pas. Je crois pas que je rêvais une vie quand j'étais un enfant. Désolé, ça annule un peu la question mais...
MPS : Non. Pas du tout. Je vais vous poser la question que j'ai pensé juste pour vous. Est-ce que vous avez la vie dont vous rêviez quand vous étiez une femme ?
RdSM : Rires]... oui peut-être plus, oui....[sourires]
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3 commentaires:
Le fait que tu lui consacres une interview a piqué ma curiosité. Je pense que je vais commander 1 ou 2 de ses bouquins chez mon libraire... :)
Interview intéressante pour ce qui concerne la manière de faire de l'auteur (le spontané, l'élagage ultérieur...), la façon de ne pas tout "intellectualiser" etc.
Et puis, il a cité "Le coeur est un chasseur solitaire", de Carson Mc Cullers : alors, déjà, j'avais beaucoup apprécié son "Mari et femme", mais maintenant je trouve que cet auteur a d'excellentes références !
Marco: En ce qui me concerne, j'ai vraiment adoré "Zéro tués" et "Mari et femme", bien sûr.
Brize : Oui, je partage tout à fait ton avis et, à écouter, c'est encore plus...vivant. Je devrais pouvoir mettre l'interview en ligne sous peu.
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