Les personnages torturés,
rongés, écorchés par l'existence, violents, alcooliques, morts
avant de l'être, ne manquent pas dans le polar. Impossible de les
compter sur les doigts d'... de bien des mains. Si les clichés ont
la peau dure, à l'image de ces héros accablés par le sort, bon
nombre d'auteurs ont pourtant su les déjouer ou se les approprier
pour mieux les contourner. Ils arrivent à emporter le lecteur sur
des sentiers non balisés à la seule force de l'histoire, de
l'intrigue, du style, de cet univers, aussi noir soit-il, dans lequel
évoluent les personnages. Et, avec Haka, Caryl Férey a démontré
combien il savait y faire pour déjouer les pièges de la
clich'attitude.
Le pari n'était pourtant
pas gagné si l'on en juge l'état dans lequel l'auteur balance son
personnage dans les cordes dès les premières pages, avant de le
blackbouler sur le ring de l'histoire, avec le lecteur en guise de
caméra embarquée.
Nouvelle-Zélande. Jack
Fitzgerald est un flic métisse. Désabusé, violent, dépressif,
alcoolique. Depuis 25 ans, depuis la disparition de sa femme et de sa
fille, il voit dans chaque affaire la possibilité de remonter à la
source de ce drame personnel. Il met donc du cœur à l'ouvrage dans
chacune d'entre elles quitte, parfois, à dépasser les bornes,
franchir la ligne jaune. Jack nourrit des certitudes contradictoires
quant au sort réservé à ses chères disparues : vivantes,
mortes, vivantes, mortes... L'absence de corps et du moindre indice
l'ont toujours fait vaciller entre l'assurance de leur trépas et
l'espoir, même si le temps a eu la fâcheuse tendance à y aller de
son travail de sape.
Lorsqu'on découvre sur
une plage le corps d'une jeune fille le sexe scalpé, Jack s'investit
une fois de plus dans cette enquête avec la conviction qu'il
connaîtra le fin mot de son histoire après toutes ces années.
Seule ombre au tableau, ses supérieurs, peut-être pour le
canaliser, lui ont adjoint une jeune criminologue diablement
efficace...
Par bien des aspects,
Haka n'est pas sans rappeler Les Soldats de l'aube d'un certain Deon Meyer. Il faut sans doute imputer cette impression à la nature du
personnage à sa propension à la violence, à sa déchéance morale,
ainsi qu'au dépaysement suscité par le lieu, la Nouvelle-Zélande
pour l'un, l'Afrique du Sud pour l'autre, chacun identifiable par sa
culture et son milieu sociétal respectifs.
La comparaison s'arrête
là car Haka possède son identité propre, servie par une belle
galerie de personnages évoluant en parallèle de la ligne narrative
dévolue à Jack et à son enquête. Ceux-ci ne sont pas uniquement
des faire-valoir, ne sont pas seulement des éléments constitutifs
de la mécanique d'un récit servant – peut-être – à brouiller
les pistes, ils s'avèrent aussi des êtres à part entière qui,
dans leur marge émotionnelle, intérieure, se révèlent d'une
fulgurance redoutable (entendez par là qu'ils sont foutrement
beaux !).
Sombre, noir, glauque,
oppressant - ne rayez aucune mention inutile - Haka ne manque pas de
l'être. Le lyrisme dont fait preuve l'auteur dans l'utilisation de
ses métaphores n'atténue en rien la sensation de fuite en avant, de déliquescence généralisée.
Et si la quatrième de
couverture promet que « Jack Fitzgerald mènera l'enquête
jusqu'au chaos final », on ne peut que se réjouir, d'une
certaine façon, qu'elle dise vrai. Ça dézingue à tous les étages.
Caryl Férey tranche dans le vif et laisse la caméra embarquée dont
je parlais plus haut, dans... dans un triste état. Forcément.
2 commentaires:
je garde un bon souvenir de lecture. Tu me donnes envie de relire ce roman. Merci!!!
Avec plaisir ;) Tu avais lu Utu aussi ? (je me le garde sous le coude pour le moment...)
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