Si
Gérard, dit Gégé pour les intimes, comptait couler des jours
paisibles pour sa retraite, c'est... disons... plutôt raté. Ça ne
s'annonçait déjà pas forcément évident avec les triplées que
son fils Arthur et sa belle-fille Capucine ont eu l'immense bonheur
d'accueillir en ce bas-monde. Non pas que ça l'impressionne les
batteries de couches, les batteries de cuisine ni même les batteries
de pleurs. Tout ça, après tout, n'est qu'une question
d'organisation. Et puis en ce week-end pascal au Grau Roi, on se
laisserait facilement aller à l'indolence : beau temps, barbecue en
marche, petit vin frais, la famille, l'ami Jean-Baptiste qui
accueille tout ce beau monde chez lui.
Bon,
il est pas en grande forme l'ami Jean-Bapt. L'Education Nationale
vient de le mettre à pied parce qu'il aurait giflé un marmot tout
disposé à le faire sortir de ses gonds, histoire que les copains
immortalisent l'instant avec leur téléphone portable. Mais qu'à
cela ne tienne, tout ce beau monde est prêt à passer un bon petit
moment, loin des remous du quotidien.
Et
cela aurait pu être le cas si... si les gabians évoluant à
proximité n'y étaient pas allé eux aussi de leurs concerts de
cris, des cris motivés par un morceau de viande qu'ils se disputent.
Tant et si bien que la pitance en question tombe dans le plat comme
un cheveu sur la soupe. Mais voilà, en guise de cheveu, c'est d'une
oreille humaine qu'il s'agit, ornée d'un anneau. Arthur le reconnaît
aussitôt. Il appartient à Denis qu'il a, en médecin qu'il est,
ausculté pas plus tard que la semaine dernière. L'appétit n'est
plus de mise, sauf peut-être pour Gégé, prompt à écouter son
estomac en toutes circonstances...
Quelle
belle surprise que cet œil du Gabian Dès les premières pages, le
ton est donné, on est clairement dans le registre de la comédie
policière. Le lecteur pénètre dans la tête de Gégé, suit
l'évolution de ses tracas, des ses embarras, de ses envies, de ses
doutes. Ça part dans un sens, ça s'arrête brusquement à l'amont
d'une pensée, emprunte d'autres directions. Et quelles directions,
serait-on tenté de dire... C'est drôle, enlevé, nourri de
personnages hauts en couleur dont on savoure le verbe et la gouaille.
Cependant
on aurait tort de penser que la tonalité du récit et la légèreté
apparente de celui-ci lui enlèvent toute cohérence, toute
profondeur. La comédie, est-il encore besoin de le prouver, fait
partie de ces ressorts à même de révéler les multiples facettes
de l'humanité, des plus cruelles aux plus futiles, des plus
émouvantes aux plus déstabilisantes. Françoise Laurent s'inscrit
dans cette optique. Ses personnages sont entiers, mais révèlent
aussi des failles insoupçonnées au regard de l'Histoire et de
leur(s) histoire(s). Celles-ci, imbriquées les unes aux autres,
portées par les mensonges, les trahisons, mais aussi par le regard
tronqué de nos semblables ainsi que par le jugement qui en découle,
démontrent combien nos existences peuvent s'avérer tumultueuses, au
point d'amener aux actes les plus absurdes ou les plus tragiques.
A
Gégé, cette fois-ci d'en être l'un des témoins. A nous, l'envie
de le retrouver en espérant qu'il ne prenne pas trop de... plomb
dans l'aile.
Ils l'ont aussi apprécié : Passion Polar, Actu du noir
Dans l'oeil du gabian, de Françoise Laurent, Krakoën, 2012; 284 p.
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