Ethan Muller dirige une galerie d'art. Entre l'installation des expositions, les catalogues à réaliser, les artistes à gérer, le temps libre est une denrée rare. Aussi, quand Tony, le bras droit et ami de son père avec lequel il n'entretient plus aucune relation, lui demande de le rejoindre d'urgence pour évaluer des œuvres dont il est entré en possession, Ethan est tout disposé à refuser. Mais la curiosité finit par l'emporter. Qui plus est, le résultat va bien au-delà de ses attentes. L'œuvre est magistrale, colossale, unique : des milliers de dessins et croquis qui, mis bout à bout sur leurs quatre faces - si tant est qu'il soit possible de les exposer en un même lieu - se combinent au point de révéler leur essence, tourmentée et exaltée. Sur certains d'entre eux figurent des visages d'enfants, enlevés et tués des années auparavant. Et Ethan ne peut même pas compter sur l'auteur de ces dessins pour en savoir plus à ce sujet. Il s'est tout simplement évaporé dans la nature et personne, pas même ses voisins, ne semble à même d'en donner une description concordante.
Il faut croire que le phénomène se répand. Une fois n'est donc plus coutume, on nous sert du thriller là où il n'y en a pas. Ce n'est même pas moi qui le dit mais Ethan Muller, le narrateur de cette histoire. Il a au moins le mérite d'être clair. Alors que s'annonce la fin du livre, il avertit même le lecteur de ne pas s'attendre à un énorme rebondissement ni à une quelconque scène d'action époustouflante. Par là même, il s'affranchit des codes, les détourne à souhait. On peut y voir là une volonté d'ancrer son personnage et son histoire dans une réalité, de rendre l'un et l'autre aussi crédibles et véridique que possible. Après tout, dans la vie, la vraie vie, les choses ne se passent jamais tout à fait comme dans un roman.
Ce genre de démarche est loin de me déplaire d'autant que le formatage thrilleristique sur les scènes de fin – action, parlotte, action, fin, voire double fin avec retournement de situation de derrière les fagots – a de plus en plus tendance à m'éloigner du genre.
Seulement un tel parti pris n'est pas non plus synonyme de réussite. Il n'a en tout cas pas été un élément déterminant à mon adhésion au roman. Ou à mon manque d'adhésion, en l'occurrence. Car cette volonté de raconter, de nous raconter une histoire comme si elle s'était réellement passée, souffre d'une construction pour le moins hasardeuse. La narration est en effet coupée d'interludes, visant à retracer les origines des Muller sur le territoire des Etats-Unis, au 19ème siècle. C'est d'abord intrigant, prenant aussi, même si on se demande ce que ça vient faire ici. A chacune de ces coupures on avance dans le temps. Puis les liens qui unissent tous ces personnages les uns aux autres s'éclairent.
Le problème en fait, c'est que dans ces évocations, Jesse Kellerman procède là encore à des flashbacks, certains n'étant d'ailleurs d'aucun intérêt et s'avérant du même coup assez poussifs. Lors des derniers interludes, il va même jusqu'à remonter à nouveau le cours du temps pour se consacrer à un personnage central de l'histoire. Ça ressemble un peu à du je m'arrange comme je peux pour tout dire et tant pis si c'est un peu cahin caha. Ça l'est.
On le devine, sans que l'on sache trop comment, l'ensemble des éléments qui sont rapportés dans ce contexte narratif sont connus de Ethan Muller. Aussi on s'étonne que les révélations qu'ils véhiculent ne transpirent pas dans ses réflexions ni ne sèment jamais vraiment le trouble en lui. Ce garçon là est insipide, les autres personnages aussi. La description de l'art contemporain qui est faite dans le roman l'est tout autant. Quant aux relations conflictuelles entre le père et son fils, peu explicitées, elles ont un arrière-goût d'artifice. Comme si elles n'existaient que pour les besoins d'un histoire, où tout arrive plus ou moins comme un cheveu sur la soupe. Alors je n'ai rien contre les cheveux, je n'ai rien contre la soupe mais quand ils entravent mes lectures, ça me navre.
Les Visages, Jesse Kellerman, traduit de l'anglais par Julie Sibony, Sonatine, 471 p.
10 commentaires:
Nous ne serons donc d'accord que sur une seule chose : ce roman n'est pas vraiment un thriller.
Pour le reste, je n'ai pas du tout le même ressenti que toi. J'ai trouvé particulièrement réussis les interludes. Quant au fait que le narrateur est censé connaître les détails de ce qui va être révélé, là encore, s'agissant d'un secret de famille et particulièrement bien gardé, je ne suis pas autrement surpris qu'il n'en sache rien.
Mais c'est là le problème [ou alors je ms suis assoupi et je n'ai rien compris]. Il raconte l'histoire a posteriori, lorsqu'il nous parle, il sait tout. Du coup, pour moi, ça renforce l'aspect artificiel des interludes où il nous met en position d'en savoir plus que lui au moment des faits. Et puis lors de certaines découvertes, je trouve qu'il ne s'interroge pas plus que ça sur les liens qui unissent certains personnages entre eux.
Tu t'es assoupi alors :oD
En fait on peut supposer que les interludes ne sont pas de lui. Et la fin n'est pas de lui non plus. Va falloir que tu le relises. Nan, je déconne.
Filou, va ;O) Tout ce ci je l'avais bien compris [ouf!] Mais du coup, je persiste et je signe, je trouve le procédé inadapté à l'intention du narrateur de nous raconter "son" histoire, d'autant que tous ces renseignements (je radote, hein ?), au vu de la dernière scène, on sait qu'il les a ou les aura à un moment ou un autre. C'est pour ça que je trouve ça dommage et artificiel.
J'ai aussi été déçue par l'intrigue (pourtant le sujet était accrocheur et nous promettait un joli spectacle). A la longue, les coupures sont lassantes. Le style est poussif, maladroit, malheureusement à trop vouloir bien faire l'auteur nous laisse sur le bord de la route.
Je découvrirai son deuxième roman avec plaisir, mais je ne me laisserai plus abuser par "meilleur thriller de l'année".
Dans mes bras !
Moi aussi je me suis faitch ... C'est mou, on se contrefout des personnages, du milieu décrit, de l'intrigue ...
Seuls les flashbacks m'ont vraiment accrochés.
@Mauvaise graine: il ne faut surtout pas se laisser avoir par les "meilleurs thrillers de l'année". On dirait qu'il y en a douze par an !
@Jean-Marc: Je le savais... je le savais que j'aurais dû t'écouter, suivre ton conseil mais je n'ai pas su (et puis...ma mère m'a sommé de le lire manu militari) :O[
Me suis toujours pas décidée à lire ce roman(et pourtant, avec tous ces éloges dont il est couvert), car j'ai peur de m'y ennuyer. Et comme je vois (même si je n'ai lu ton billet qu'en diagonale, au cas où je me déciderais un jour) que tu n'es pas convaincu...
Bon, bon, ce livre est dans ma PAL. Je vais m'empresser d'oublier ce vilain billet négatif avant de le lire :-)
@Brize: Je crois que tu succomberas un jour... surtout si quelqu'un vient te dire de le lire ab-so-lu-ment !
@Manu: Tes paupières sont lourdes... lourdes... tu ne te souviens plus de rien concernant le peu de bien qu'en a dit BiblioMan(u). A trois tu te réveilleras. 1...2...3 Tiens Manu, qu'est-ce que tu fais là ? C'est pas que je ne sois pas content de te trouver ici mais un conseil tu liras ma chronique sur les Visages après avoir lu le livre et on en reparle ensuite... ;O)
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