24/11/2008

La Bibliothèque nomédienne / Alfred Boudry et les Gaillards d'avant

Voici quelques mois, j'avais entendu dire qu'un OLMOepcNI (Objet Littéraire Mystérieux et Original et, par conséquent, Non Identifié) viendrait semer le trouble sur les tables ronronnantes des librairies de l'Imaginaire. On le disait également issu d'un atelier d'écriture et cette information seule suffit à muer ma curiosité en une réelle impatience. Sans doute parce qu'en plus de l'élaboration d'une histoire et de la narration qui s'en suit, il s'agit là d'un processus d'écriture fascinant, souvent méconnu d'un point de vue pratique et qui aboutit rarement à une édition de cette trempe là. Ah oui, parce que j'avais oublié de vous dire que cet ouvrage, d'après mes premiers renseignements, devait voir le jour dans une collection de référence en matière de science-fiction, j'ai nommé : La Dentelle du Cygne aux éditions de l'Atalante qui, une fois n'est pas coutume, étaient disposées à jouer la carte de la découverte et de l'innovation.
Et puis...

...Il y eut la confirmation (tant attendue!) qu'on tenait bien là un OLMOepcNI dans toute sa splendeur. Esthétiquement parlant, une véritable réussite : un format à ma connaissance jamais utilisé par cette maison d'édition ; une couverture qui résonne à elle seule comme un appel à l'évasion ; un papier digne de ce nom...

Très bien, très bien, vous dites-vous certainement, mais la Bibliothèque nomédienne, c'est quoi au juste ?

Voici le moment où j'aurais bien été tenté de me débiner tant il est difficile de résumer un tel ouvrage. Mais loin de moi, aussi, l'idée de vous laisser en plan car je ne saurais trop vous inviter à le lire comme il vous plaira, d'une traite, dans l'ordre, de ci, de là...

En 2026, quelques années avant le Big Bug qui a vu tous les réseaux informatiques voler en éclats, et remis au goût d'un autre âge les techniques de communication, la Nomédie, continent "égaré", serait à nouveau apparu au coeur du Pacifique.
Durant ce laps de temps où les réseaux répondaient aux abonnés absents, le comité de rédaction de la Bibliothèque nomédienne a entrepris de remonter à la source de ce continent mystérieux ayant suscité bien des passions et fait couler de l'encre sans qu'elle ne soit forcément nommée. Pour ce faire, les membres de cette cellule ont collecté des documents traitant de la Nomédie auprès de tous ceux qui étaient susceptibles d'en posséder : en tout et pour tout vingt-quatre documents de styles, de tailles, de longueurs et de formes variables qui invitent à l'exploration et à la découverte de la Nomédie.

Peu nombreux ont été les textes auxquels je n'ai pas adhéré, car il y en a eu, soit parce qu'ils étaient trop longs, soit parce que je n'avais pas les clés ni les connaissances pour les assimiler pleinement. Mais c'est bien là peu de choses au regard de cette fascination émergente et continue pour la Nomédie et ses habitants insaisissables : l'aventure (et l'aventurier!), l'exploration, le langage, la faune, la flore, l'art, les absences d'us et de coutumes... et j'en passe, bien sûr, l'étendue est si vaste qu'elle mérite qu'on y revienne de temps à autre.

A noter tout de même, là où les distopies se font l'écho des travers de nos sociétés à trop vouloir jouer avec le feu, Alfred Boudry et les Gaillards d'avant (1) ont préféré, eux, dresser le tableau vivant d'une utopie riche et passionnante où l'Homme n'est pas qu'un loup pour l'Homme et où la simplicité fait figure d' aspiration récurrente. "Par contre, je vous promets qu'à l'instant où nous toucherons à notre but mon statut deviendra celui d'un homme simple".
La représentation en est en tout cas saisissante.

"Car qui sait ? peut-être en refermant ces pages suffira-t-il au lecteur inspiré de sortir de chez lui pour se retrouver en plein coeur de la Nomédie".

Je vous laisse sur ces mots, je continue mon propre voyage.

(1): Poppy Burton, Graham Chadwick, Alain Guyard, Grégoire Hervier, Edwin Hill et Marc Vassart en sont. N'hésitez pas à aller sur le site de l'Atalante pour obtenir plus d'infos à leur sujet.

17/11/2008

Les Yeux fermés / Gianrico Carofiglio

Guido Guerrieri a décidément le chic pour accepter les affaires dont personne ne veut. A croire qu'il lui faut ça, des causes justes pour se sentir exister, retourner aux fondamentaux de sa profession d'avocat, ne pas se laisser emporter par le ronron d'une carrière qu'il n'affectionne déjà pas particulièrement.

Après Témoin involontaire où il avait défendu un vendeur ambulant sénégalais accusé d'avoir tué un enfant, Guido Guerrieri accepte de se porter partie civile pour une jeune femme victime de harcèlement et de violences physiques de la part de son ancien compagnon ne se faisant simplement pas à l'idée de la rupture. Deux avocats ont déjà refusé de prendre fait et cause pour la jeune femme, pour la simple et mauvaise raison que le monsieur en question, donneur de coups à la louche, n'est autre que le fils d'un haut magistrat, alors forcément...Quant à la victime, elle n'est rien, si ce n'est une fille instable au yeux de ses détracteurs.

Difficile de ne pas se laisser gagner par l'emballement à la seule évocation de cette affaire aux résonances épiques. On aspire à ce que ce David, en la personne de Guido, sorte bien sûr vainqueur de ce combat singulier qui l'oppose à une machine judiciaire n'hésitant pas à jouer de procédures malsaines - quand elles ne sont carrément pas illégales - pour parvenir à ses fins. Une machine qui privilégie l'aspect politique de la profession, le calcul à plus ou moins long terme, plutôt que de prendre en compte la véracité des faits et de s'évertuer à les replacer dans leur contexte réel.

Ce combat de mauvaise guerre est à la hauteur des attentes quand bien même Gianrico Carofiglio se joue des conventions et emprunte des voies auxquelles on ne s'attendait pas, justement, notamment en ce qui concerne le dénouement. A ce titre, il fait preuve de la même efficacité que dans Témoin involontaire. Une impression d'ailleurs renforcée par l'évolution tout en nuances du personnage de Guido. Fini la dépression, les remises en question, le mal-être prégnant. Seulement tout n'est pas résolu pour autant. A mesure qu'il plonge dans cette affaire qui lui tient à coeur, on perçoit ça et là quelques fissures qui n'ont pas été colmatées. Cet homme là reste touchant, aussi bien dans sa quête identitaire que dans l'expression de ses convictions et l'énergie qu'il met en oeuvre afin de leur donner du sens.

En conclusion, je me ferai l'écho de ce que j'ai pu lire autour des Yeux fermés, à savoir que ce livre là ne fait que confirmer le talent de son auteur. Vivement le prochain !

10/11/2008

Casco Bay / William G. Tapply

Etrange, quand même. Casco Bay ne brille pas par l'originalité de son intrigue, que ce soit dans son déroulement ou dans sa résolution.
Après Dérive sanglante, on était en droit de penser que des éléments significatifs autour du passé de Stoney Calhoun émergeraient enfin. De ce point de vue la non plus, les attentes ne sont pas comblées : de nouveaux réflexes, une adresse déconcertante au basket-ball et toujours cette farouche aptitude à tuer si l'occasion se présentait. Rien de bien nouveau. Rien que l'on ne sache déjà.

Et pourtant... Et pourtant Casco Bay surprend et captive tout autant, si ce n'est plus, que Dérive sanglante. Car ce qui était esquissé de fort habile manière dans le premier volume, loin d'ouvrir sur de nouvelles perspectives dramatiques, loin de s'articuler autour de rebondissements auxquels on aurait pu s'attendre, s'étoffe néanmoins sans jamais nuire à l'oeuvre que William G. Tapply élabore livre après livre.

C'est en tout cas Stoney Calhoun qui tient le haut du pavé. Pas de doute là-dessus. Un héros, un vrai ! De ceux qui s'ignorent, nimbés d'une aura de mystère dont ils se passeraient bien. Le bonhomme n'aspire en effet à rien d'autre qu'au calme, rien d'autre que de construire des mouches pour des passionnés de pêche, d'accompagner ses clients à bord de son bateau, de se balader avec son chien dans cette contrée du Maine qu'il affectionne tant. Et d'aimer Kate, aussi, son ancienne patronne devenue son associée par la force des choses.

Eloge de la simplicité, de la lenteur ? Oui, sans conteste. Sauf que Calhoun n'était pas et n'est toujours pas n'importe qui, que son passé le rattrape sans cesse, se rappelle à lui...malgré lui.

Peu d'éléments, en fait, mais qui suffisent à faire de ce grand sensible flegmatique, peu porté sur la parole, Le Héros qu'on a forcément hâte de retrouver le plus tôt possible, quelle que soit la nature de nos découvertes à venir.

03/11/2008

Mari et femme / Régis de Sà Moreira

Prenez un homme et une femme, torturés, tyrannisés par le couple qu'ils forment. Mettez les face à face. Regardez bien, ils ne se voient plus. Ils se séparent, ils vivent une rupture du genre de celle dont on pense que l'on ne se relèvera pas -plus- .Le pain blanc a été mangé.

Les mots ont été prononcés, la situation tacite, celle qui empêchait de dormir et de respirer normalement a franchi un cap, elle a changé, officiellement évolué. Mais même dans ces moments là, la vie, sa quotidienneté, tourne. Cet homme et cette femme vont se coucher.

Et, et c'est là que le roman de Régis de Sà Moreira débute, ils se réveillent. Et Régis de Sa Moreira nous réveille, nous avec. Lui se lève dans son corps à elle. Et elle dans son corps à lui.

Fini les repères, pour eux, pour nous, même combat. Nous sommes, ce couple et nous, dans le même navire. Le skipper, cet auteur dont je n'avais jamais entendu parler, barre comme un fou, comme un enfant ivre du vent du large....Et cette homme dans le corps de sa femme, cette femme dans le corps de son mari, et nous, sommes balancés par dessus bord, rattrapés au dernier moment, secoués.

La lecture de Mari et femme demande un effort tout particulier. Comme une gymnastique incroyable. Jamais entravante. Tout est une question de pronom, de genre, féminin/masculin. Forcément, hein, si Il caresse les mains de sa femme, comprenez bien messieurs dames, que désormais il n'a plus qu'à caresser ses mains à lui....II s'agit alors d'ouvrir l'oeil et le bon, de ne rien sauter, de faire attention à tout. Finalement comme si enragés, nous nous mettions à faire ces efforts nécessaires à la longévité du Couple. Quel qu'il soit. Et c'est quand cette lucidité arrive à nos consciences de lecteur que l'on sait que Régis de Sa Moreira du haut de ses trente ans, vient de nous coller une gifle.

Et comme la vie -et toute sa dimension ridiculement concrète- continue pour cet homme et cette femme, après quelques heures données à leur surprise, ils faut qu'ils se remettent à assurer le quotidien. Il doit aller dans son corps à elle, à son travail à elle, et elle elle doit, après s'être habillée en lui, doit vivre à sa manière à lui. Comme de la science fiction, sans science fiction. Comme une comédie, mais avec des rires jaunes...

Aveuglé par la folie de cette situation, il ouvre les yeux sur ce qu'est sa vie. Énucléé par la violence de ce réveil, elle voit, pour la première fois, qui il est.

Et Régis de Sà Moreira, courageux comme on en fait plus, pousse la conduite de son navire à cette folle allure au delà de ce que nous attendions. Peut être est-ce alors le moment pour moi de vous préciser que Mari et Femme est édité Au diable Vauvert, et que peut être bis, il faut être le diable vauvert en france et en 2008, pour permettre à un auteur d'aller au bout de sa folie -géniale folie-. Pour permettre de nous secouer avec autant de force, là où d'autres au pied de la tour Eiffel enfoncés dans un gros fauteuil, avec des poches bien plus remplies de billets en crise, auraient suggérés à l'auteur de ralentir un peu, et de finir le roman de façon pus consensuelle et raisonnable, histoire de justement pas trop nous effrayer.

Régis de Sà Moreira pousse jusqu'à l'inenvisageable. De la pure science fiction sans science fiction, et moi lectrice dans tout cela ? Ben moi, les cheveux dressés sur la tête, je viens de prendre le large, la mer m'a bouffé toute crue, et pendant trois heures, j'ai heurté un grand nombre de questions qui touchent le couple.

Mes petites faiblesses, mes tiédeurs et mes lâchetés, ma fainéantise, mon manque de rigueur et d'exigence, mon tout petit esprit étriqué, mes œillères si faciles à porter, mon confort, pour cette grande aventure qui demande bien plus...Toujours plus, le meilleur de soi, et le regard aiguisé, les sens aux aguets, les écoutes dressées...

Régis de Sà moreira vient de me coller une bonne leçon, le côté moralisateur en moins. Il vient de me malmener de façon brillante, et pour mon plus grand bonheur. Il m'a demandé de l'attention et de l'écoute, de l'intelligence, et de l'humilité. Il me les a même pris sans me demander mon avis. Et il a bien fait le bougre.
Qui a dit que le rock n roll était mort ?
Pas moi.

Terreur / Dan Simmons

Une fois de plus, j'ai été la victime de critiques dithyrambiques. Déjà lorsque l'édition originale était sortie, à en croire les tabloïds on pouvait être sûr que " Terror " était un monument, qu'il était flagrant que Dan Simmons avait pris un grand plaisir à écrire ce livre là. Alors forcément, quand on a dévoré un livre comme Hypérion, qu'on vous dit qu'il s'agit enfin d'un Grand Dan Simmons, et que ce n'est pas une seule personne qui vous le dit, vous filez chez votre libraire préféré si tant est que vous en ayez un, vous lui prenez le livre et rentrez chez vous en admirant sans cesse la couverture sur le chemin du retour, risquez de vous cogner à trois personnes et à deux poteaux en vous disant qu'après tout, rien ne vous empêche de lire à nouveau la quatrième de couverture ou les premières pages en marchant. A votre domicile, vous vérifiez que les volets sont bien fermés et enfilez enfin votre costume de super-héros qui sort tout juste du pressing, le masque rutilant, la cape ultra-souple. Paré. Les premières impressions sont excellentes. Dan Simmons part d'une histoire véridique, à savoir la disparition de deux navires partis à la découverte du Grand Nord, au milieu du XIXème siècle. A travers l'évocation de plusieurs protagonistes mis en lumière, le lecteur devient le témoin de cet emprisonnement dans la glace et de la survie des équipages dans un univers plus qu'hostile. Une survie rendue d'autant plus ardue à partir du moment où une chose – Créature ? Entité? - se régale de couper en menus morceaux ou de faire disparaître ces chers matelots.

L'univers est parfaitement campé : les conditions extrêmes, la Bête inaccessible, quasimment invisible, l'état moral et physique de l'équipage. On en tremblerait. Vous en tremblez. Un temps. Parce qu'ensuite, l'intérêt s'érode farouchement. Vous commencez à bouger sur votre fauteuil, car vous ne pouvez faire autrement que d'imaginer la suite, vous l'anticipez et puis...vous vous rendez compte que tout ceci sent le déjà-vu, qu'à part cette sensation de claustrophobie qui vous glace le sang artificiellement et qui tend à s'estomper, l'ennui se fait sentir. Sachant qu'il vous faudra écrire un billet sur ce livre qui sent la déception à plein nez quand d'autres crient au chef-d'oeuvre, vous ne voyez qu'une seule solution, sortir une carte " les goûts et les couleurs " cousu dans votre costume, au niveau de la cuisse. Vous l'aviez mise ainsi parce que vous rechignez à l'utiliser. Trop facile, pensez-vous, vraiment trop facile. Et vraiment trop bien cousu ! Alors, naturellement, vous renoncez. Car , il ne s'agit pas uniquement de goûts et de couleurs. Ce n'est pas que cela.

Que l'aventure soit perçue par l'alternance des points de vue de plusieurs personnages, soit. Mais que celle-ci s'opère avec des flash-back incessants, où vous vous retrouvez blackboulés un an en arrière, voire plus, où des bonshommes que l'on sait avoir péri dès le départ, ressurgissent tout à coup pour expliquer le comment du pourquoi, ça commence à sentir le joyeux bordel, si je puis me permettre. Sans compter que cela favorise une impression de longueur, de redondance dans l'action, à partir du moment où vous sentez que l'histoire est pliée d'avance. Ils vont mourir les uns après les autres dans de terribles souffrances, peu en réchapperont mais ils auront été au bout d'eux-mêmes...

Enfin, à l'instar d'un Stephen Baxter, auteur de SF qui connaît une renommée fulgurante ces dernières années (il n'y a qu'à constater le florilège de parutions et d'articles enjôleurs !), ce qui déraille ici, ce sont les personnages, impénétrables, trop froids. Alors bien sûr, ils appartiennent pour la plupart à la Marine, se retrouvent dans une situation d'extrême tension, mais bon sang de bon sang, on a du carton pâte en guise de héros. Le cadre, parfait, l'ambiance parfaite mais alors les zozos qui arrivent avec leur costume mal cousus, leur maquillage, leurs artifices, ça ne colle pas. On tient là le plus gros défaut de Terreur, et de certains autres bouquins de Dan Simmons (Nuit d'été, Les fils de l'éternité, L'Homme nu...). A vouloir reprendre une histoire, vraie, à combler les trous, on ne tombe pas dans certains travers qui consistent à déformer une réalité pour en transposer une autre qui, au final, ne fait qu'édulcorer l'ensemble. Ou alors, on le fait jusqu'au bout. Et là, ce n'est pas une histoire de goût et de couleurs, c'est une histoire de style !

Ceci dit vous vous faites la réflexion que vous même, vous seriez bien incapable de pondre ne serait-ce que la moitié d'un truc pareil. C'est vrai. Mais est-ce pour autant une raison pour que le lecteur accepte tout ce qu'on lui donne à lire, hein ?

Sur ce, une fois que vous aurez terminé cette petite bafouille qui n'engage évidemment que moi, je vous propose de me restituer le costume que je vous ai prêté le temps de cette chronique afin que je puisse me concentrer comme il faut et vous propulser vers d’autres livres plus alléchants. Sentez-vous déjà votre doigt s’actionner sur la mollette de votre souris ? Descendre un petit peu pour retrouver des titres dignes d’intérêt ?… Quoi ?…Vous êtes encore là ? Tant mieux, j’ai oublié de vous dire qu’en haut, juste en haut, d’après ce que j’en ai lu, ça a pas l’air mal du tout.