22/10/2008

Quelques questions à...Joseph Incardona

Amis internautes bonsoir et bienvenue sur notre fréquence à bord du zin...Ah, non, c'est vrai ! Nous ne sommes pas dans le studio d'une radio et on ne s'improvise pas animateur, comme ça en claquant simplement des doigts. Heureusement, il existe pour cela des virtuoses des ondes comme Marie-Pierre Soriano, avec qui j'ai eu le plaisir immense de préparer l'interview qui va suivre. Il y a peu de temps, je vous avais fait part de mon engouement pour le livre Remington de Jospeh incardona. Et c'est donc sans nous forcer que nous l'avons interviewé. Par ailleurs c'est un très grand honneur pour moi d'inaugurer la nouvelle rubrique du blog : « Quelques questions à... », avec cet auteur. Mais surtout, surtout, je vous recommande d'aller l'écouter au bord du zinc, ça vaut le coup d'oreille ! La première diffusion a lieu aujourd'hui, mercredi 22 octobre à 18 heures sur radio grille ouverte, puis le vendredi suivant à 14 heures sur radio divergence et à 20 heures sur radioclapas. Et si vous avez raté ces diffusions, vous pourrez toujours écouter l'émission dimanche à 17 heures sur n'importe laquelle de ces radios...

Marie-Pierre Soriano : Joseph Incardona, bonsoir et merci d’avoir accepté mon invitation. Alors pourriez-vous nous dire comment l’écriture est entrée dans votre vie ?

Joseph Incardona : Euh…Eh bien dans un premier temps je voulais devenir journaliste. Donc j’ai fini l’université et puis j’ai été engagé ici, à Genève, dans un journal qui s’appelle Le Courrier. J’ai commencé comme stagiaire pigiste, et puis ça a été la catastrophe, en fait. Rapidement…enfin, je restais le soir, longtemps, pour reprendre mes articles, etc. Le rédacteur me barrait tout en rouge et voilà, et puis un jour il me dit : « faudrait peut-être trouver autre chose ». Et en fait, voilà, c’est là que j’ai compris que c’était pas tellement… c’ était plus que le journalisme, c’était l’écriture, l’écriture qui m’intéressait. Et en fait j’avais pas suffisamment…enfin j’étais déjà en train de raconter des histoires.

MPS : Vous avez écrit des romans, des nouvelles, vous avez écrit pour le théâtre et pour la bande dessinée, vous êtes passé de la toute petite maison d’édition Delphine Montalant aux éditions Fayard, Fayard noir même, avec derrière, quand même, un Patrick Raynal…comment s’inscrit Remington dans votre bibliographie ?

JI : Ben je dirais que c’est un livre charnière. C’est à dire que … y’a une maturité qui arrive petit à petit. Et je crois que il y a certains thèmes aussi qui ont été un petit peu disséminés soit dans les recueils de nouvelles, soit dans les romans précédents, et puis une réelle affirmation, on va dire, d’un genre surtout, parce que avant, je crois que mes deux précédents romans, on les avait qualifiés de « grise ». C’était pas complètement de la blanche, pas complètement du noir. Et en fait, ça faisait un moment que ça mûrissait et Patrick Raynal était un petit peu… enfin me suivait, avait suivi le précédent roman et puis petit à petit ça a mûri. Et puis je crois que déjà les recueils de nouvelles aussi ont clairement été vendus dans les librairies plutôt comme des recueils de noir. Et puis je crois que, voilà, j’ai vraiment trouvé mon genre, ma voie, ma voie avec « e » et avec « x »,hein. Et puis voilà, maintenant le style s’affine. On n’a jamais fini d’apprendre, de peaufiner, et puis de progresser, en fait.

MPS : Alors, moi je dirais que le roman noir, et plus particulièrement le vôtre qui est empreint d’un drôle de cynisme….j’ai envie de vous demander est-ce qu’il a de plus grande dispositions pour dénoncer les travers d’une société ?

JI : Ah oui ! Mais moi je pense que le roman noir, bon c’est peut-être un peu banal de dire ça, mais c’est ce qui se rapproche le plus du roman social. Ce qui définirait la noire, ce serait on va dire peut-être, à mon avis hein, un sens de la tragédie et puis bon bien sûr une atmosphère et puis…ce qui la différencie du polar où c’est plutôt une enquête avec un policier, un agent d’assurance, un journaliste… La noire est plutôt liée à l’idée de tragédie. Et puis je pense que effectivement depuis Léo Malet… Chandler… enfin bref, c’est quelque chose qui à mon avis est proche du roman social, effectivement. C’est une façon de bien faire ressortir certains malaises de société, enfin, certains problèmes. Je pense que c’est une bonne manière d’ouvrir la voie pour ça effectivement.

MPS : Alors pour rentrer plus dans Remington, le personnage de Matteo s’inspire de faits divers pour alimenter son écriture. Vous, en tant qu’auteur, vous les avez inclus ces faits divers dans la lecture en surnombre, et cela finit par la rendre de plus en plus banale. Est-ce là votre manière de mettre en lumière l’individualisme, l’égocentrisme qui sont en croissance exponentielle dans nos sociétés ?

JI : Oui, alors déjà, les faits divers sont là pour alimenter l’histoire. C’est à dire que ce que ne dit pas l’histoire le fait divers continue. Alors effectivement, la plupart sont tirés du journal Libération et voilà, il y a une époque où je collectionnais ces faits divers parce que… enfin quand on dit fiction/réalité, hein, la réalité qui dépasse la fiction, il y a des choses complètement incroyables en fait qu’on lit comme ça. Et en effet y'a quelque chose par rapport…c’est sûr qu’on s’inscrit dans une ligne, dans une mouvance politique, inévitablement. Et puis, voilà, oui, je ne le cache pas je suis plutôt de gauche [sourires], et c’est clair que ce roman, eh bien voilà, il est là aussi, comme beaucoup de romans noirs d’ailleurs.

MPS : Donc vous pensez que l’écriture est encore un moyen d’éveiller les consciences ?

JI : Bien sûr, bien entendu…bien entendu. Il y a l’idée d’une histoire. Enfin c’est un petit peu ce que disait Jean-Patrick Manchette. Y’a l’anecdote et puis il y a le fait qui s’inscrit dans une société, et puis une société à une époque dans un temps donné. En fait y’a une sorte de poupée russe, comme ça. Alors c’est clair, y’a une histoire, y’a une envie de raconter quelque chose qui est lié à l’écriture et puis, en même temps y’a l’envie de raconter quelque chose qui est lié à la société. Et en fait après, alors ce personnage, c’est un intermittent du chômage, il le dit à un moment donné , il a des petits boulots, enfin son petit boulot de gardien, et c’est une façon pour faire saillir certains points qui collent pas dans cette société, dans cette société très complexe qui en plus…enfin, elle est à la fois complexe et très compliquée parce qu’il n’y a plus de noir/blanc. On est dans quelque chose qui est complètement…toutes les donnes sont mélangées, on vit dans le paradoxe. Et finalement ce personnage a besoin de se recentrer. Il le fait à travers la boxe, à travers l’écriture et il a besoin de trouver un socle sur lequel se construire parce qu’il a l’impression que tout fout le camp autour de lui.

MPS : Il y a dans Remington beaucoup de références au travail d’écriture, alors quelles sont les vôtres ?

JI : Mes références de travail ? C’est à dire la manière dont je travaille où… ?

MPS : oui.

JI : Ah oui, c’est très simple. J’essaye…de… Enfin…Parce qu’écrire ce n’est pas seulement…écrire c’est aussi orienter sa vie d’une certaine manière pour gagner ce temps, justement, d’écriture . Hé bien j’essaye en général d’écrire le matin, on va dire, entre 9 et 13 et puis voilà, et puis le reste du temps c’est pour le boulot, c’est pour autre chose…Mais d’essayer de garder ces plages, c’est là ou je suis le plus disponible on va dire, pour ça. J’ai un petit atelier où je vais écrire et puis…et puis voilà… et puis une discipline bien sûr, beaucoup de lecture aussi et puis beaucoup de plaisir d’écrire. Y’ a pas du tout quelque chose qui est, enfin une sorte de mortification, c’est vraiment une joie. Je dirais que le plus difficile dans l’écriture c’est ce qu’il y a autour de l’écriture. Mais l’écriture en tant que telle, c’est assez jubilatoire quand on trouve les bons mots, les bonnes phrases, quand on sent que ça vient. C’est un petit peu ce que je raconte. Parce que Remington c’est un livre sur l’écriture aussi.

MPS : Tout à fait oui. J’irais même jusqu’à dire que Matteo est un amoureux des mots justes, de l’économie d’énergie, d’adjectifs et d’adverbes, et ce, pour aller à l’essentiel, enfin c’est ce que moi j’ai compris…êtes-vous vous-même un auteur sensible à la musique des mots ou est-ce bien là votre manière de boxer avec les mots et la vérité ?

JI : Oh, je crois que c’est un peu les deux. C’est un peu les deux.. C’est à dire que d’une…enfin y’a déjà une chose. C’est que y’a l’idée où le fond rejoint la forme et inversement. C’est à dire que, on est sur un personnage qui est timide, plutôt introverti, obsessionnel et donc l’écriture se doit de rejoindre, si vous voulez, le fond, de se rejoindre avec le personnage. Donc c’est une écriture plus tenue effectivement avec très peu d’adjectifs, très peu d’adverbes, c’est…je ne dirais pas que c’est du minimalisme mais on va vers quelque chose de plus épuré. Alors que peut-être si le personnage avait été plus baroque, enfin par rapport à d’autres romans que j’ai pu écrire avant, c’était un peu plus truculent on va dire. Mais là, il y a l’idée vraiment que le personnage et l’écriture ne fassent qu’un. Sans bien sûr tomber dans quelque chose de complètement désincarné ou trop sec, j’aime bien quand même qu’il y ait de la chair. Mais effectivement les derniers chapitres où il se lâche, l’écriture s’enrichit tout d’un coup parce qu’on commence à savoir qui il est, réellement.

MPS : Oui tout à fait. Alors en parlant de chair, les femmes ne sont pas à l’honneur dans votre roman…

JI : [rires]…

MPS : …c’est le moins qu’on puisse dire…Pourquoi ça ?

JI : Oh…alors….bon, moi quand même, le personnage de la comtesse…

MPS : est très attanchant.

JI : Je l’aime bien. Je l’aime bien et puis je crois qu’on sent qu’il y a une, enfin bien qu’elle soit éphémère, mais dans cette petite relation qu’ils ont, enfin une relation qui n’est pas une relation intime mais une relation de travail, mais y’a vraiment quelque chose qui passe entre eux. Effectivement après, sa directrice à l’agence est une personne plutôt sèche [rires]. Et puis Elsa, Elsa effectivement elle a, elle a…

MPS : C’est une mante religieuse.

JI : Oui. Elle représente l’orgueil, elle représente la jalousie, elle représente l’envie, elle représente la……je ne sais pas. C’est parti d’un personnage en fait que j’ai rencontré par hasard au cours d’ un atelier d’écriture. On m’avait invité pour animer deux, trois ateliers. Y’avait une fille qui en voulait vraiment. Mais qui en voulait à un point…enfin y’avait quelque chose d’absolument maladif dans sa façon de se comporter, puis par rapport aux autres. Ça m’a donné le point de départ. Y’avait vraiment….je sais pas…y’a énormément de…enfin j’anime aussi des ateliers d’écriture ponctuellement, hein, quelquefois dans l’année. Et c’est vrai que c’est un peu comme le loto, c’est à dire qu’il y a beaucoup de gens qui se disent « tiens je pourrais écrire quelque chose et puis je peux devenir la prochaine Gavalda, la prochaine Amélie Nothomb,etc. ». Je dis prochaine parce qu’il y a essentiellement, enfin y’a 90% de femmes qui fréquentent ces ateliers d’écriture. Et voilà y’a de tout, y’a les gens qui viennent là pour passer un bon moment, y’a ceux qui …, y’a quelques hommes effectivement qui viennent pour draguer, enfin ça c’est mon expérience, c’était assez rigolo. D’autres qui viennent pour partager un moment de convivialité, ect., y’a de tout. Mais y’a effectivement, y’a parfois une réelle ambition, et puis alors cette ambition elle peut se manifester d’une manière, on va dire tendre, avec conscience, et ça se fait progressivement, et puis une ambition qui va arriver vite et puis qui n’hésite pas à marcher sur les pieds des autres. Enfin c’était quelque chose d’assez significatif, comme une espèce de revanche sur la vie, etc. Et donc ce personnage que j’ai côtoyé deux trois fois en atelier, était un peu le point de départ. Alors bon, pour revenir à votre question…c’est pas de chance on va dire sur ce bouquin, par rapport aux femmes [rires]. Mais en fait y’a trois figures, y’a trois figures féminines qui effectivement sont, à part celle de la comtesse on va dire, ce sont deux figures en tout cas qui ne sont pas à l’honneur comme vous dites. Y’a rien de personnel là dessous. C’est juste l’histoire aussi qui veut ça. Parfois on part… parce que c’est aussi l’incommunicabilité de Matteo avec les femmes. Un homme qui a connu peu d’expériences, qui est coincé, et puis effectivement va dans des peep-show , etc., ça aussi c’est le seul moment où il peut se…on va dire…enfin, les seules relations qu’il a en général avec les femmes parce qu’il est trop timide, etc.

MPS : Joseph incardona je vais vous poser la question que je pose à tous mes invités : «Avez vous la vie dont vous rêviez quand vous étiez un enfant ? »

JI : Euh…en partie. J’y arrive petit à petit. Je ne suis pas encore [rires] je ne suis pas encore au bout. Je pense que genre quand j’aurai 80 ans peut-être, si j’y arrive…[rires]


5 commentaires:

Anonyme a dit…

Félicitations pour ton interview, même si je vais réellement finir par croire que tu es macho :-D ! Je cite : "en parlant de chair, ..." pour parler de la gente féminine !

Ah bon, les femmes ne sont pas à leur avantage dans ce roman? Finalement, je vais peut-être le rayer de ma liste magique alors ;-).

BiblioMan(u) a dit…

Merci Manu. Alors là pour la peine, le "en parlant de chair" n'est pas de mon fait. C'est un rebond pendant l'interview sur une question que nous pensions effectivement poser, ce qui prouve que je ne suis défintivement pas macho ;O))
Et comme le dit Joseph Incardona, c'est pas de chance pour celui-ci en ce qui concerne la gente féminine mais je persiste et je signe : le bouquin mérite d'être lu à plus d'un titre ! Tu le remets sur ta liste ? :OD

Anonyme a dit…

Ben je ne l'ai jamais rayé ;-)

jeanjean a dit…

salut,
sympa l'interview, j'ai bien ce polar aussi, même si je l'ai trouvé un peu "sage" et appliqué. Peut-être parce que je l'ai lu juste après Pouy, toujours étonnant...

BiblioMan(u) a dit…

Merci. Ben du coup je me suis aussi lancé dans le Pouy. Cependant je n'ai pas ressenti ce côté "trop appliqué" de Remington, je me suis vraiment laissé prendre et bon, j'ai aussi apprécié tout ce que le livre sous-tendait.