15/04/2014

Dossier 64 / Jussi adler-Olsen

Je me suis fait avoir. Une première fois en écoutant la voix d'Eric-Herson Macarel me raconter l' enquête inaugurale du Département V, Miséricorde. Le département V, pour préciser, c'est l'unité – fictive - de police danoise spécialisée dans les affaires non classées, créée spécialement pour se débarrasser de l'encombrant inspecteur Mørck. Ou, en tout cas, pour faire en sorte qu'il ne s'occupe plus des affaires courantes. Suite à l'agression dont il a été victime avec deux de ses confrères dont un est resté sur le carreau et l'autre paralysé à vie, Mørck est en effet devenu gênant pour le service. La création du département V est une manœuvre grossière de la part des supérieurs de l'inspecteur mais elle possède deux avantages pour eux, la mise au placard de Mørck et l'obtention d'un budget supplémentaire qu'on se garde bien de lui affecter.

Je me suis fait avoir une nouvelle fois en enchaînant coup sur coup les deux enquêtes suivantes, Profanation et Délivrance. L'histoire, les personnages, des ficelles évidentes, mais des ficelles diablement utilisées, on y reviendra. Et pour finir, je me suis fait avoir, en beauté cette fois-ci avec ce Dossier 64, dont la fin m'a littéralement bluffé, et les fins qui bluffent en matière de polar, si on regarde bien, ça ne court pas les rayons. Enfin tout dépend de ce qu'on recherche, bien entendu...

En guise d'intrigue cette fois-ci, la disparition quasi simultanée à la fin des années 80 de quatre personnes que rien ne semble rapprocher. Voilà pour la base, relativement simple. Le cheminement de l'enquête s'avèrera plus compliqué.

Parlons des ficelles. Derrière l'ensemble des enquêtes du Département V, on devine les artifices d'une recette. A l'instar d'autres polars avec des héros récurrents, il y a une enquête fil rouge, dont chaque volume apporte une pierre à sa résolution dont on ne sait quand elle viendra. En attendant le lecteur est ferré, tout comme il l'est par les personnages. Prenez un inspecteur, râleur de service. Octroyez une vie privée atypique, des soucis en veux-tu en voilà avec l'ex-femme, le beau-fils rebelle resté avec lui à la maison et, pour assurer les fins de mois difficiles, un colocataire fantasque collectionneur de playmobils. Cet inspecteur vous le pourvoyez de deux assistants originaux, là encore : un mystérieux réfugié politique syrien, perspicace, plein de bonne volonté, inquiétant à ses heures, ainsi qu'une secrétaire un brin excentrique, au caractère bien trempé et à la personnalité plus que trouble. 

Autant de personnages aux particularités si tranchées gravitant aussi près les uns des autres, ça pourrait paraître un peu too much. Mais ce serait sans compter sur l'aisance et le plaisir indéniable avec lesquels Jussi Adler-Olsen les anime, joue de leurs interactions. Qui plus est, cette légèreté n'enlève en rien à la finesse des enquêtes, à la nébuleuse opaque où évolue le lecteur à mesure qu'elles avancent. L'impression est pourtant là d'avoir toutes les cartes en main avant de réaliser qu'elles n'étaient pas maîtresses.

Au-delà donc de ces caractéristiques, Dossier 64 se penche sur un passé répugnant dont les relents portent jusqu'à nous. On a là une histoire de vengeance prenant ses racines dans les années 50, où des femmes étaient envoyées sur l'île de Sprøgo afin de subir des traitements infâmes, les considérant rien de moins que comme des objets. On pouvait user sur elles de toute la cruauté, aussi bien physique que psychique ou morale. Le but non avoué de la manœuvre ? Epurer la société de ses rebuts présents ou à venir. L'eugénisme n'est pas loin... le nationalisme galopant non plus. Dossier 64 met en évidence le fait qu'il gangrène les sphères du pouvoir, en gravit les échelons les uns après les autres, se propageant comme un virus, s'accommodant des mutations de la société, mutant avec elle sans rien perdre de son idéologie primaire. Certains personnages pourraient avoir des allures de carricature. Elles ne le sont malheureusement pas. Toute ressemblance avec des événements ou des individus ayant réellement existé, ou existant encore, n'est pas fortuite. Il suffit de lire Dossier 64 pour s'en convaincre. Et de regarder autour de nous.

Dossier 64, de Jussi Adler-Olsen, traduit du danois par Caroline Berg, Albin Michel, 2014, 608 p.

7 commentaires:

Eve-Yeshe a dit…

belle critique. je viens de terminer Miséricorde et je vais enchaîner avec les 3 autres. j'aime bien cet inspecteur bancal et son "assistant" avec son balai à la main. des anti-héros très attachants...
joli blog...

BiblioMan(u) a dit…

Merci :) Et tu vas bientôt faire la connaissance de Rose (la nouvelle secrétaire / assistante). Bonne lecture !

Anonyme a dit…

J'avais aussi aimé les précédents et je suis contente de savoir que celui-là ne me décevra pas non plus. Je me le garde pour le mois de mai, parce qu'en plus, Adler-Olsen va venir nous visiter au Québec!

BiblioMan(u) a dit…

Quelle chance ! (après comme tu le disais, on a eu pas mal de belles visites ici aussi, et ça ne semble pas près de s'arrêter.) Effectivement, si tu as aimé les autres, celui-ci ne devrait pas faire défaut, bien au contraire...

Jeanmi a dit…

Pour fréquenter les policiers en chair et en os, les policiers en papier, les miens, tous sont des antihéros. Composer un personnage romanesque qui soit à la fois crédible, attachant et peu banal est le travail de base de l'écrivain. Petit métier, certes, mais c'est un métier...

La Petite Souris a dit…

saloupiot ! tu me donnes bigrement envie de le lire ce roman ! j'ai acheté le premier en poche que je n'ai pas encore eu le temps de lire, mais après ton papier, je risque fort de le faire remonter dans ma pal en attendant d'attaquer celui ci !! amitiés

BiblioMan(u) a dit…

@Jeanmi: et un métier pas toujours facile... pas toujours bien fait ?

@La Petite souris: qu'il remonte, qu'il remonte ;)