17/04/2009

Il est parmi nous / Norman Spinrad

Texas Jimmy Balaban aurait très bien pu ne jamais croiser Ralf. Mais voilà, il ne sait pas résister à l'appel de la chair. Et pour s'éviter un nouveau divorce extrêmement coûteux, il emmène sa conquête d'un soir dans un patelin paumé où personne ne sera en mesure de le compromettre.
C'est là, sur les planches de café théâtre de l'hôtel, qu'il rencontre Ralf, un comique prétendant venir du futur, où la biosphère ne serait plus qu’un souvenir, et où les hommes survivraient tant bien que mal dans des conditions effrayantes. Une Terre dévastée par des hommes qui doivent se reprendre en main, d’où le périple de Ralf.

Jimmy, en tant qu'agent Hollywoodien, sent tout de suite l'opportunité qu'il y aurait à signer un contrat avec cet homme si particulier. Particulier car Ralf semble ne jamais devoir quitter le personnage qu'il incarne, ce qui, bien sûr, n'est pas sans désagrément. Dans la perspective de réaliser un talk-show où ce comique du futur pourrait s’imposer au grand public, Balaban engage deux personnes diamétralement opposées : Dexter Lampkin, un écrivain de science-fiction dont le rôle sera de scénariser l’émission, et Amanda Robin qui devra coacher - la mince affaire !- Ralf selon ses principes New Age.
Accrochez vos ceintures, parce que c’est parti pour près de 700 pages de pur plaisir.

Il n’existe qu’une seule définition de la science-fiction qui me paraisse utilisable et sensée : la science-fiction c’est tout ce qui est publié sous le nom de science-fiction. Norman Spinrad.

Il est parmi nous n’est pas à proprement parler de la SF, il n'est pas que cela en tout cas. Les éléments de base sont là (le voyage temporel, une planète en perdition, un enjeu colossal) c’est un fait, mais ils ne servent que de prétexte à traiter des sujets chers à Norman Spinrad : le pouvoir des médias sur les masses, la place de l’argent dans la société, les enjeux autour de la sauvegarde de la planète et… la science-fiction. Ce qui ne veut pas dire pour autant que ces thèmes sont abordés au détriment de l’histoire. L’approche n’a ici rien de classique. Il n’y a pas de description minutieuse du futur, il n’y pas de gravité apparente autour de la préservation de l’espèce humaine, pas de grandiloquence non plus, ni d’action à tout va. Il y a l’humour sous plusieurs facettes : fin, vachard et satirique… ça tire dans tous les sens : les fans de SF en prennent pour leur grade (il y là des scènes hilarantes où les pages défilent le sourire aux lèvres – ah cette convention !), les écrivains aussi, la télé, bien sûr...

Les personnages, quant à eux, sont servis sur le plateau de la drôlerie. Que ce soit Texas Jimmy Balaban, Dexter Lampkin ou Amanda Robin. Voilà des anti-héros au relief vraiment retentissant. Pas toujours reluisants dans leurs intentions, et aveuglés par les paillettes du show-bizz, de l’argent, des femmes, ou illuminés par le mysticisme, ils ne se posent pas la question de savoir si Ralf vient effectivement du futur. Pas tout de suite. Ils n’ont que l’émission en ligne de mire. Ça et les taux d’audience. La planète fonce dans le mur ? Et alors, on a une émission à faire tourner. On recyclera notre merde pour la bouffer ? Il faut trouver du public. L’air sera irrespirable ? Il faut repenser le concept du talk-show, satisfaire ces téléspectateurs toujours avide de nouveauté. Bizarrement, seul Ralf, le comique, est d’une certaine façon le personnage le plus grave, le plus énigmatique. Le lecteur ne sait jamais vraiment s’il dit vrai ou pas, s’il vient vraiment du futur. Je me suis fait ma petite idée, celle qui me satisfaisait. Mais tous, quels qu’ils soient, même cette inénarrable Foxy Loxy qui évolue en parallèle de l’histoire – ah j’imagine le boulot et la joie de la traduction consacrée à elle seule – , touchent au fond par leur humanité, par leur authenticité.

Impossible pour moi de vous citer tel ou tel passage du livre pour vous donner ne serait-ce qu’un léger aperçu du souffle qui l'habite. Le choix est tout simplement difficile. Je le ferais pour un personnage au détriment d’un autre, d’un épisode au détriment d’un autre. Non, impossible. Il va vous falloir me croire sur parole.

Il est Parmi nous est un roman foisonnant, riche, aux pistes de lecture multiples. Et ce qui ressort de tout ceci, d’une certaine manière, en filigrane de cette histoire, c’est que les différences des uns et des autres peuvent s’avérer complémentaires, voire propices au sursaut à même d’insuffler une énergie salvatrice. Pour ne pas foncer dans le mur.

L’humour fait vendre.
Il fait aussi réfléchir. Et de bien belles manières, en l’occurrence.

Il est parmi nous, Norman Spinrad, Fayard,traduit de l'américain par Sylvie Denis et Roland C. Wagner, 691p.

13/04/2009

Le Jour où j'ai tué mon père / Mario Sabino

Lorsque mon ami, BiblioMan(u), m'a présenté les parutions à venir, des éditions Métailié, collection "Noir", allez savoir pourquoi, j'ai choisi Le jour où j'ai tué mon père du brésilien Mario Sabino.
Sans raison particulière, autre que ce titre qui m'a parlé. Qui a hurlé même.
Un peu à la manière dont j'avais choisi à la bibliothèque municipale, à 14 ans, et en cachette (c'est du moins ce que je croyais), "Quand j'avais 5 ans je m'ai tué" de Howard Butten.
Des titres ambigus, qui mettent mal à l'aise, parce qu'ils parlent d'interdit ou de tabou.
Et c'est bien cela que j'ai trouvé dans l'extraordinaire roman noir de Sabino.

Antonimo est enfermé. Où ? Je ne sais pas.
Et il dialogue. Avec qui ? Je ne sais pas non plus. A moins que ce ne soit avec moi.
Et puis, je comprends, que c'est avec une psychanalyste qu'il dialogue. Et qu'il est probablement enfermé dans un hôpital psychiatrique, à moins qu'il ne soit en prison.
Antonimo a tué son père.

Je n'ai pas d'histoire à vous esquisser pour vous donner envie de lire "Le jour où j'ai tué mon père".
Ici tout est psychologique, ou de l'ordre de l'idée et du ressenti.
Ce que je peux vous dire en revanche, c'est que je n'avais pas lu, depuis belle lurette, un roman aussi noir.
Un roman sous lequel gronde et grouille plus de deux mille années d'humanité, de philosophie, de religion, de psychanalyse.
Les questions soulevées sans cesse par Antonimo, m'ont plongé dans un profond mal-être, dans une gêne que j'aurais ici bien du mal à vous expliquer.
Peut être parce qu'elles ne m'ont pas laissé indifférente.
Tout se croise dans ce puzzle, tout et tout le monde. Les mythes, les penseurs, les écrivains, la réalité et la fiction, les dieux, les hommes, les femmes, les pères de sang, les pères de cœur, les mères biologiques et celles que l'on adopte plus tard.
Le tout dans une force, une finesse et une intelligence rares qui font de ce roman à la lecture pas forcément toujours facile, un chef-d'œuvre en son genre.

Vous avez envie d'être bousculé par un auteur brillant, vous vous êtes toujours posé des questions sur le sens de tout ? Vous êtes prêts à vous laisser envahir par la gêne, la nausée provoquée par les questions qui font comme les cailloux que l'on jette dans les eaux calmes, des ronds concentriques ? Vous êtes prêts à marcher avec un caillou dans vos baskets le temps de la lecture du roman de Sabino ? Alors n'hésitez plus. Vous êtes prêts pour affronter l'existentialisme de Le jour où j'ai tué mon père.


04/04/2009

La Guerre spéciale / Xavier Mauméjean

Il semble dorénavant inévitable de lire un Space Opera de veine militariste sans le rapprocher des deux œuvres maîtresses du genre : Etoiles, garde à vous ! de Robert A. Heinlein et La Guerre éternelle de Joe Haldeman. C'était déjà le cas ici avec le Vieil homme et la guerre de John Scalzi, et ça l'est à nouveau avec La Guerre Spéciale de Xavier Mauméjean. Le rapprochement est clairement affiché pour ce dernier puisque l'ouvrage est dédié aux deux auteurs référence. Ce qui n'est pas sans surprendre quand on sait les points du vue, politiques entres autres, qui séparaient Heinlein et Haldeman. A ce propos, il est troublant de constater que la question du militarisme et du patriotisme outranciers dont faisait montre Heinlein est toujours aussi controversée - le film adapté Starship troopers n'a en tout cas pas permis d'y voir plus clair. Donc, si un spécialiste sur la question passe par ici, qu'il n'hésite pas à se manifester.

Mais aujourd'hui, c'est de la Guerre spéciale dont je voulais parler. Dont acte.
Des années après avoir acquis son indépendance aux dépens de la Terre, suite à un conflit meurtrier, la Confédération est l'objet d'une menace, non identifiée cette fois-ci. A bord d'un vaisseau de l'armée, un militaire dont le patriotisme, la valeur et le courage n'étaient plus à prouver, est en effet parvenu à éliminer l'ensemble de son équipage avant de mettre fin à ses jours.
Aussitôt, la Confédération s'inquiète. La Terre, avide de revanche, aurait-elle mis au point une nouvelle arme capable de contrôler les esprits ? Ou bien des extra-terrestres sont-ils à l'origine de cette nouvelle menace ?
Les faits sont suffisamment inquiétants pour enclencher le programme "Guerre spéciale". La réussite de ce programme dépend de l'enrôlement de jeunes soldats dont on espère qu'ils portent en eux les germes de pouvoirs mentaux hors normes.

Je n'avais pas vraiment été séduit par le seul ouvrage que j'avais lu de l'auteur, La Ligue des héros ou comme Lord Kraven n'a pas sauvé l'Empire. Je ne l'ai pas été plus par La Guerre spéciale. Autant le premier m'avait ennuyé par ses côtés brouillon et longuet, autant le second m'a produit la même impression par son aspect impersonnel et glacé. Les trois jeunes autour desquels s'articule le récit me sont apparus déshumanisés et, froid, oui, comme s'ils étaient au service de l'histoire, celle-ci n'évoluant alors que sur une patte, l'inverse n'étant pas de mise. Du coup, le lecteur que je suis ne s'est jamais vraiment intéressé à leur sort, et la révélation finale m'a provoqué autant d'effet que la lecture de l'Ours du N°3089 de Télérama.

En ce sens, je serais du même avis que Bruno Para à propos de ce livre, à savoir que ceux ayant lu les ouvrages de Heinlein et Haldeman n'y trouveront pas leur compte. Pour les autres, cela reste à voir. Pourquoi pas ?
CITRIQ La Guerre spéciale, Xavier Mauméjean, Mango (Autres Mondes), 201 p.