27/07/2011

Captif / Neil Cross

Kenny n'en a plus pour longtemps. Il le sait. Le verdict est tombé, implacable : tumeur au cerveau. A tout casser, il en a pour six semaines. Autant dire, très peu de temps. Plutôt que de succomber à l'abattement ou à la colère, Kenny décide de dresser la liste des personnes qu'il a déçues d'une façon ou d'une autre, d'aller à leur rencontre et trouver les mots pour leur dire combien il regrette, combien il les aime, combien elles ont été importantes à ses yeux. Parmi elles, il y a Callie Barton. Callie, il l'a connue au collège, puis il l'a perdue de vue. Il demande alors à une de ses amies, inspectrice à la retraite, de retrouver sa trace. Tâche difficile car même la police s'est cassée les dents sur l'affaire Callie Barton. Celle-ci a en effet disparue de la circulation du jour au lendemain. Son mari, Jonathan a un temps été suspecté, de sérieux doutes ont pesé sur lui. Il l'avait déjà battue. Mais faute de preuves et de corps, l'affaire a été classée. Kenny, lui, est persuadé de la culpabilité de Jonathan et va tout mettre en œuvre pour le prouver, malgré le peu de temps qu'il lui reste. Et c'est justement ce temps qui lui manque, s'enfuit à toute vitesse, qui va le pousser à commettre l'irréparable, amener les deux hommes à s'affronter, se confronter dans un rapport de force pour le moins inégal et violent. Aux dépends des uns, des autres, et de ses proches en particulier...
Captif est un roman qui se lit vite et bien. Police conséquente, interligne prononcé, marges importantes. Les phrases sont courtes, basiques dans leur construction. Le sujet, verbe, complément est de rigueur. Personnellement je n'ai rien contre, c'est parfois dans la sobriété que les mots révèlent toute leur portée, qu'ils claquent, percutent, ou trouvent la voie de la justesse, quand ce n'est pas tout cela à la fois. Cela dépend du contexte. Du style, aussi. Captif a un peu manqué le coche de ce point de vue là. Peut-être justement parce que tout va trop vite, que les intentions de Kenny se révèlent - à peine - dans la précipitation. Il n'y a pas de gradation réellement perceptible dans sa colère, dans la violence de ses actes, dans l'ambivalence de sa morale, de ce qu'il pense être juste ou pas. Tout s'opère sans vraiment de nuances, ce qui a pour conséquence directe de mettre le lecteur en retrait, de couper net la voie de l'empathie. Et à un ou deux près, il en va de même pour les autres personnages, non pas qu'ils se soient révélés trop caricaturaux, mais juste sans chair et sans saveur, comme désincarnés. Neil Cross a beau leur faire exprimer la douleur, la peine, le dégoût, le désespoir, ces sentiments ne résonnent ni n'éclatent jamais en nous. Finalement, on glisse dessus comme sur ce roman qui ne devrait pas me laisser un souvenir impérissable.
Captif, Neil Cross, traduit de l'anglais (Grande-Bretagne) par Renaud Morin, Belfond (Belfond noir), 350 p.

23/07/2011

Au Fil de Cl0 - 2 - : CSU de Caroline Terrée

Un peu de jeunesse dans ce monde d'adultes …

Les policiers étant de mise sur ce blog, je reste dans la tendance en vous présentant THE série policière pour pré-ados que j'adôôôre ! Attention les yeux : voici l'équipe du CSU qui débarque...

Bon première question : qu'est-ce que le CSU ? C'est le Crime Support Unit (ou, en gros, l'Unité Anti-Crime). Qu'est-ce qu'ils font ? Euh … ben lutter contre le crime, c'est des gentils quoi ! Basés où ? Laissez-moi vous embarquer dans ce magnifique pays qu'est le Canada, et plus précisément à Vancouver, lieu de tournage de nombreuses séries comme Sanctuary, Kyle XY ou encore Supernatural... Bref, un décor de rêve pour des histoires captivantes.

Dans cette équipe, je demande en premier lieu Nick Ballard, un monsieur muscle ancien officier de la Gendarmerie Royale du Canada, un géant au grand cœur. Puis, Connie Chang, experte dans la collecte et l'analyse d'indices matériels, un détachement professionnel agrippé à un sens profond de la hiérarchie. Après, Keefe Green, le petit dernier de l'équipe, génie de l'informatique et fou du travail, pouvant enchaîner des heures en bureau ou sur le terrain sans avoir besoin de se reposer. Et pour finir, il y a Kate Kovacs.

Kate, c'est l'enquêtrice, la chef de l'équipe mais surtout la narratrice de chaque roman. Kate, c'est une intelligence hors normes, une rapidité de réflexion terrible, et un courage à toute épreuve. Mais Kate c'est aussi un passé douloureux, des émotions en pagaille et une empathie qui trouve votre cœur dès le premier chapitre. Personnage complexe et en même tant fascinant, elle nous emmène avec elle à chaque enquête, comme si nous faisions partie de son équipe.

Et celles-ci ne sont pas toujours très simples à résoudre … À la façon de 24 H Chrono, on suit l'histoire heure par heure, étape par étape, en sachant que le temps est compté. On essaye de tout faire pour retrouver une victime, un tueur, de rendre la justice … mais le passé a tendance à ressurgir, surtout au moment où on ne l'attend pas.

Ce que j'aime dans ces romans, c'est en premier lieu la façon dont l'auteur, Caroline Terrée, arrive à nous submerger dans le monde de Kate. Grâce à son écriture fluide, on plonge dès le prologue dans un nouveau monde. On vit avec la narratrice : on enquête avec elle, on souffre avec elle, on s’essouffle avec elle. On est vraiment transporté dans son univers qui n'est pas toujours facile à vivre.

Je tiens aussi à tirer mon chapeau à l'auteur pour le rythme qu'elle donne à chacun de ses romans. On est pris dans un tourbillon d'émotions, de faits qui font qu'on ne peut pas couper sa lecture au milieu du livre. Si on le commence, on est obligé de le finir dans la foulée !

Toutes ses enquêtes sont très bien menées. Et même si celles-ci sont indépendantes, je vous conseille de les lire dans l'ordre : le mystérieux passé de Kate y est peu à peu dévoilé …


Huit tomes pour huit enquêtes tous parus aux éditions Milan dans la collection Macadam :
Portée disparue ; Le Phénix ; Le Dragon rouge ; Mort blanche ; Le Prédateur ; Impact ; Sacrifices ; Équinoxe.



19/07/2011

Au Fil de Cl0 - 1- : Mini Syros Soon

Vous en avez marre de lire des romans trop gros, avec trop de pages ou trop de tomes ?!? Ça tombe bien, moi aussi ! (Désolée Mauvaise Graine, je lutte contre ton pavé de 990 pages!) Et pour cela, rien ne vaut un petit tour dans les rayons jeunesse et plus particulièrement dans la collection Mini Syros (de Syros, bien sûr!).

Plusieurs genres littéraires pour plusieurs types de lecteurs : Mini Syros « Polars », Mini Syros « Romans », Mini Syros « Paroles de Conteurs », et celui qui m'intéresse le plus... Mini Syros « Soon » !! Cette sous-collection, spécialisée dans les histoires de science-fiction, est dirigée par Denis Guiot, grand critique littéraire spécialiste de la SF mais surtout créateur de la collection « Autres Mondes » chez Mango !! Rien que ça !! Et il s'est bien entouré le Mister Guiot : Jeanne-A Debats, Ange ou encore Éric Simard signe trois des six premiers titres de la collection ! Et pour vous, et rien que pour vous, petite présentation de deux titres phares de la collec'.



Premier édité : À la poursuite des Humutes, de Carina Rozenfeld. Carina Rozenfeld pour moi c'est avant tout l'Auteur (avec un A majuscule s'il vous plaît !) de la trilogie La Quête des Livres-Monde. Alors quand je vois un autre de ses romans, je saute littéralement dessus !! À la poursuite des Humutes, c'est un peu l'histoire des X-Men... Un enfant qui vit dans un monde où les personnes différentes sont persécutées et où lui-même est différent. Un enfant terrorisé par sa propre différence et par les adultes consentants de la persécution. On y retrouve le thème de l'acceptation de soi, la peur du regard des autres mais aussi la crainte de décevoir ceux qui nous aiment …






Premier dans mon
cœur : Opération « Maurice », de Claire Gratias. Dans ce livre, Claire nous fait voyager dans le temps pour sauver un poisson rouge nommé Maurice... mais qu'est-ce que ce poisson rouge a de si important ?!? Ça vous le saurez en lisant le livre mais je peux vous dire que ce livre m'a beaucoup touchée. On y parle de regrets, de compréhension de la vie quotidienne et de la valeur des choses et gens qui nous entourent. On a tous déjà regretté des paroles, rêvé d'effacer certains de nos actes, tenté de revenir en arrière en sachant pertinemment que c'est impossible... sauf pour Noé à qui on offre une seconde chance en tentant de lui faire comprendre qu'il doit sauver Maurice ! Après ce n'est qu'une occasion à saisir : il faut juste savoir faire le bon choix...





A la poursuite des Humutes, Carina Rozenfeld, Syros (Soon), 38 p.

Opération Maurice, Claire Gratias, Syros (Soon), 41 p.


12/07/2011

Les Vestiges de l'Aube / David S. Khara

Chaque fois qu'un livre avec des vampires s'étale sur les tables des libraires comme plagistes au mois d'août sur la Côte d'Azur, je me joins aux mille et une voix qui s'élèvent tout de même en disant que jamais, ô grand jamais, on ne me prendra à lire une de ces histoires surfant sur un fond de commerce diablement rentable, comme on ne me prendra pas, non plus, à m'allonger sur un sable brûlant au milieu de mes congénères.
Et voilà. Voilà. Je pourrais mentir en prétextant que non, non, je ne savais pas, je vous assure. Je le connais même pas cet auteur, et son livre encore moins, pensez-donc. Quoi ? J'ai déjà parlé de David S. Khara ici-même? Ah, maintenant que vous le dites, oui, c'est vrai je m'en rappelle vaguement. Très bien, oui. Comment oublier ? C'était une heureuse découverte. Mais son histoire avec le vampire, là, Werner quelque chose, non ça, voyez, ça ne me dit rien. J'ai consulté plusieurs chroniques à son sujet ? Visionné des vidéos concernant sa première édition aux éditions Rivière Blanche ? J'ai commandé ces mêmes Vestiges de l'Aube pour la médiathèque ? Moi ? Moi, j'aurais fait une chose pareille ? Vous divaguez ma parole ! Même quand on ne parlait pas encore autant des vampires, je n'ai jamais été attiré par ces histoires débiles de suceurs de sang. D'ailleurs, vous ne trouvez pas ça dégoûtant, vous ? Bram Stoker, Anne Rice ?... Même pas en film, non, je vous assure. Bon, dites, ces divers points éclaircis, je peux y aller maintenant ?Vaquer à mes saines lectures ? Comment ça, non ? Que j'avoue ? Mais avouer quoi bon sang ? Que je l'ai lu ? Apprécié aussi ? Non mais là, on touche le fond, vrai... hé, pas la peine de me regarder comme ça hein, je ne suis pas du genre à avoir honte de mes lectures, non, non, non. De mauvaise foi ? Là, en revanche...
Bon. Très bien. J'allais en parler des Vestiges de l'Aube. C'est vrai, j'allais le faire. J'attendais juste de savoir comment et quand, c'est tout. Des fois, c'est pas mal d'attendre un peu, de laisser décanter, voyez. Mais là, bien sûr... si on me pousse dans mes retranchements.
Je n'ai pas été lire la première version du livre de David S. Khara pour comparer avec celle-ci. Je ne crois pas que je le ferai. Je sais que l'occasion lui a été donnée d'explorer plus avant l'ambiance et la psychologie des personnages qu'il avait créés, de fouiller tout ça, d'aller plus loin et qu'il en a profité. Ça se comprend. Quand on a écrit un premier roman, qu'on s'est investi dedans et qu'on vous propose ensuite d'exploiter toutes ses potentialités, d'en révéler d'autres facettes, il serait bizarre de ne pas en profiter.
Ce qui, je crois, donne toute la dimension de ces Vestiges de l'aube, c'est toujours chez David S. Khara, cette préoccupation de toucher à la littérature populaire. Et encore, je ne sais pas s'il s'agit d'une préoccupation où si c'est une approche naturelle. Il faudrait lui demander. Quoiqu'il en soit, ce qui me plaît à nouveau ici, c'est à la fois l'accessibilité du texte et cette façon qu'a l'auteur de jouer avec les ambiances et les codes, de tisser des morceaux d'Histoire dans la trame du récit, pour finalement, encore une fois, nous inviter à vivre une aventure digne de ce nom. Sans pour autant oublier non plus de terminer sur une note bien mystérieuse que tout amateur d'histoires à feuilleton ne manquera pas d'apprécier.
Petite précision tout de même. Mon approche pourrait laisser penser que Les vestiges de l'Aube se résume à une seule histoire de Vampire dans laquelle David S. Khara se serait amusé à déplacer le curseur des normes communément admises autour de ce thème : un pieu dans le cœur ou pas ; monstre sanguinaire ou pas ; sensible ou non à la lueur du soleil... etc, etc... En fait si ces aspects là sont effectivement abordés, la trame se situe aussi ailleurs. Les Vestiges de l'aube, si vous voulez, c'est un peu le mariage idéal du polar et du fantastique.
Hein ? Le résumé, au moins ? Ah, non je n'y avais pas pensé. A croire que chaque fois que j'évoque un livre de cet auteur, je préfère vous en laisser la surprise. Peut-être en sera-t-il de même en novembre prochain pour la sortie de « Projet Shiro », qui sait ?
Pardon ? Vous me trouvez un peu pâlot ? Ah ça, mais ça, voyez, c'est que j'ai lu Les Vestiges de l'Aube à la maison, plutôt que d'aller à la plage sur la Côte d'Az... Non, non c'est pas ce que je voulais dire, enfin vous comprenez, moi la plage tout ça c'est... c'est... de la mauvais foi, oui.
CITRIQ

06/07/2011

Le Passage / Justin Cronin

Cher Bibliomanu, chers Bibliomaniaques
Il m’aura donc fallu plus de temps pour vous préparer une petite chronique que pour finir cet OVNI de 990 pages. Le soleil d’été n’y est pour rien. Il faut simplement du temps pour digérer une telle œuvre.
J’hésite toujours à me lancer dans la rédaction d’une critique lorsqu’un auteur a réussi à faire naître autant d’émotion en moi à la lecture !
Et pourtant, je n’ai pas été rapide. Je n’ai pas dévoré ce roman en deux jours. J’ai pris mon temps. J’ai savouré chaque chapitre, chaque retour à la ligne et chaque arrivée de nouveaux personnages.
Depuis bien longtemps, un roman de Science-Fiction ne m’avait pas porté aussi loin. La construction est complexe, l’écriture impeccable, les descriptions des lieux léchées, et que dire des personnages !!!
Les acteurs de ce roman sont vivants, attachants, dotés d’une personnalité propre. Cette impression de toujours les avoir connus et de devoir les laisser sur le bord de la route est parfois douloureuse.
Pour faire suite à la demande de sa propre fille, Justin Cronin imagine les aventures d’une jeune demoiselle qui sauve le monde. Enfin qui devrait sauver le monde parce que pour le moment nous n’avons que le premier tome entre les mains.
Le Passage est l’histoire d’hommes, de femmes survivants à des attaques sanglantes dans une Amérique post-apocalyptique.
Tout part d’une forêt bolivienne, d’un mystérieux virus, de l’abandon d’une petite fille par sa mère dans un couvent, d’une expérience scientifique sur un condamné à mort, du FBI, et d’un train… Ca vous aide ? Non, évidemment, mais il est très complexe de vous donner plus d’informations sans vous gâcher le plaisir de découvrir chaque pièce du puzzle, chaque revirement de situation par vous-même.
La seule information à donner est celle-ci : il se passe près d’un siècle entre la première partie et la moitié du roman. Lorsque vous pensez avoir déjà tout vécu, vous n’avez encore rien vu ! Vous vous dites, après quelques jours de lecture, que décidemment, ce premier tome est beaucoup beaucoup trop court.
Après pas mal de déception littéraire en cette première moitié 2011, Le Passage nous apporte une bonne bouffée d’oxygène !
Le plus dur est qu’il va falloir attendre la sortie et la traduction du second volume et qu’entre temps, Amy et les survivants vont avoir du mal à se passer de notre aide.
Bien à vous,
Mauvaise graine



01/07/2011

Le Silence pour preuve / Gianrico Carofiglio

S'il y a bien un personnage pour lequel je suis prêt à arrêter toute lecture en cours, c'est bien Guido Guerrieri. J'ai déjà eu l'occasion de dire tout le bien que je pensais de lui lors de ses premières apparitions dans Témoin involontaire et Les Yeux fermés. Naviguant sur d'autres eaux que la seule blogosphère, je n'avais pas évoqué Les Raisons du doute, roman tout aussi saisissant et touchant que les précédents, tout aussi enthousiasmant que ce dernier titre, paru il y a peu, Le Silence pour preuve.
Cette fois-ci, Guido Guerrieri, avocat pénaliste à Bari, est contacté par l'un de ses confrères. Celui-ci se trouve dans une impasse et ses clients sont désespérés. Leur fille, Manuela, a disparu corps et bien depuis bientôt six mois. Sans de nouveaux éléments concluants, la police est prête à clore définitivement l'enquête. Leur seul espoir réside donc dans Guido Guerrieri qui, à sa propre surprise, accepte de les aider en jouant de ses différents contacts et en interrogeant tour à tour les différents amis de la jeune femme, les dernières personnes à l'avoir vue vivante.
Si Guido quitte sa robe de prétoire pour endosser un habit de détective dans lequel il ne sent pas très à l'aise, il ne perd cependant rien de son attrait, de son humanité qui le rend si authentique, fort et fragile à la fois. Dans le Silence pour preuve, on suit l'enquête pas tant pour avoir le fin mot de l'histoire que pour toucher du doigt les tourments qu'elle génère en Guido, les incertitudes et les troubles qu'elle réveille en lui. Vous l'aurez compris, ce n'est pas l'action qui prime ici mais plutôt une forme d'introspection. Une introspection qui se matérialise contre le sac de boxe de Guido, sac auquel il a pris l'habitude de s'adresser dans ses joutes expiatoires, ou au cours de ses errances nocturnes dans Bari, voire même à travers les personnages qu'il côtoie : une ancienne prostituée qu'il a défendue des années plus tôt et avec laquelle il noue une réelle amitié, un inspecteur de police avec qui il a déjà eu l'occasion de travailler, ou bien même ce trafiquant et néanmoins client que Guido sait apprécier pour la franchise et l'honnêteté dont les éminents protagonistes de l'univers judiciaire dans lequel il évolue sont loin de toujours faire preuve.
Rien n'est tout blanc ou tout noir dans l'univers de Guido. Tout s'y conjugue en nuances et la nostalgie ne manque pas de s'y inviter de la plus désarmante des manières. Mais le plus impressionnant, avec cette série consacrée à Guido Guerrieri, c'est sans doute la déconcertante facilité avec laquelle Gianrico Carofiglio nous délivre la complexité de son personnage, un être en perpétuelle construction.
Vous ne me croyez pas ? Allez donc faire un tour par ici, par , ou même encore par ...
Le Silence pour preuve, Gianrico Carofiglio, traduit de l'italien par Nathalie Bauer, éditions du Seuil, 247 p.

24/06/2011

La Fraternité du Panca. Tome 4, Soeur Onden / Pierre Bordage

Pour inaugurer le nouveau et bienvenu challenge de Mr et Mme Lhisbei, le Summer StarWars, consacré au psace opera et au Planet opera, je pensais commencer avec une valeur sûre, à savoir le quatrième tome de la Fraternité du Panca de Pierre Bordage. Conquis par les trois premiers tomes (avec quelques réserves pour le second tome tout de même), j'étais tout disposé à me laisser emporter par une nouvelle course folle dans les étoiles.
Malheureusement, cela n'a pas été le cas. En partie d'ailleurs pour les même raisons que j'avais évoquées concernant Soeur Ynolde. Si le souffle et l'écriture sont toujours au rendez-vous avec Pierre Bordage (on se demande même comment il pourrait en être autrement), j'ai plus que jamais eu l'impression de relire les mêmes scènes sous un autre habillage et d'y trouver certains mécanismes – oserais-je dire des automatismes ? - dans la description des personnages et de leurs intentions. Cela n'aura sans doute échappé à personne, les femmes tombent très souvent sur des hommes qui n'ont qu'une idée en tête : les besogner tant et plus et tant pis si elles ne sont pas d'accord.
Autre récurrence, l'apparition systématique des frères du Sât qui, à force, font plus office de pauvres pantins inutiles et bien démunis qu'autre chose. A l'occasion de l'une d'entre elles, l'image de X-Or, le fameux Shérif de l'espace que certains d'entre vous ont peut-être connu, m'a traversé l'esprit, presque malgré moi. A la fin des épisodes, après moult coups de pieds et pirouettes accessoires, X-OR débinait toujours ses adversaires de la même façon, d'un coup de sabre laser pourfendant l'air, action par laquelle il aurait pu s'épargner bien des plaies et des bosses en y recourant plus tôt. Aucun effet de surprise. Comme dans Soeur Onden, où c'est l'impression de redite qui prévaut.
Je regrette vraiment d'avoir été contraint de mettre un terme à ce voyage avant son terme. Je me console en me disant que je trouverai bien une navette pour une autre escale, quitte à retrouver plus tard une autre histoire de Pierre Bordage. Je n'ai pas de doute là-dessus.

La Fraternité du Panca. Tome 4, Soeur Onden, Pierre Bordage, L'Atalante, 448 p.

CITRIQ

22/06/2011

Les Visages / Jesse Kellerman

Ethan Muller dirige une galerie d'art. Entre l'installation des expositions, les catalogues à réaliser, les artistes à gérer, le temps libre est une denrée rare. Aussi, quand Tony, le bras droit et ami de son père avec lequel il n'entretient plus aucune relation, lui demande de le rejoindre d'urgence pour évaluer des œuvres dont il est entré en possession, Ethan est tout disposé à refuser. Mais la curiosité finit par l'emporter. Qui plus est, le résultat va bien au-delà de ses attentes. L'œuvre est magistrale, colossale, unique : des milliers de dessins et croquis qui, mis bout à bout sur leurs quatre faces - si tant est qu'il soit possible de les exposer en un même lieu - se combinent au point de révéler leur essence, tourmentée et exaltée. Sur certains d'entre eux figurent des visages d'enfants, enlevés et tués des années auparavant. Et Ethan ne peut même pas compter sur l'auteur de ces dessins pour en savoir plus à ce sujet. Il s'est tout simplement évaporé dans la nature et personne, pas même ses voisins, ne semble à même d'en donner une description concordante.

Il faut croire que le phénomène se répand. Une fois n'est donc plus coutume, on nous sert du thriller là où il n'y en a pas. Ce n'est même pas moi qui le dit mais Ethan Muller, le narrateur de cette histoire. Il a au moins le mérite d'être clair. Alors que s'annonce la fin du livre, il avertit même le lecteur de ne pas s'attendre à un énorme rebondissement ni à une quelconque scène d'action époustouflante. Par là même, il s'affranchit des codes, les détourne à souhait. On peut y voir là une volonté d'ancrer son personnage et son histoire dans une réalité, de rendre l'un et l'autre aussi crédibles et véridique que possible. Après tout, dans la vie, la vraie vie, les choses ne se passent jamais tout à fait comme dans un roman.
Ce genre de démarche est loin de me déplaire d'autant que le formatage thrilleristique sur les scènes de fin – action, parlotte, action, fin, voire double fin avec retournement de situation de derrière les fagots – a de plus en plus tendance à m'éloigner du genre.
Seulement un tel parti pris n'est pas non plus synonyme de réussite. Il n'a en tout cas pas été un élément déterminant à mon adhésion au roman. Ou à mon manque d'adhésion, en l'occurrence. Car cette volonté de raconter, de nous raconter une histoire comme si elle s'était réellement passée, souffre d'une construction pour le moins hasardeuse. La narration est en effet coupée d'interludes, visant à retracer les origines des Muller sur le territoire des Etats-Unis, au 19ème siècle. C'est d'abord intrigant, prenant aussi, même si on se demande ce que ça vient faire ici. A chacune de ces coupures on avance dans le temps. Puis les liens qui unissent tous ces personnages les uns aux autres s'éclairent.
Le problème en fait, c'est que dans ces évocations, Jesse Kellerman procède là encore à des flashbacks, certains n'étant d'ailleurs d'aucun intérêt et s'avérant du même coup assez poussifs. Lors des derniers interludes, il va même jusqu'à remonter à nouveau le cours du temps pour se consacrer à un personnage central de l'histoire. Ça ressemble un peu à du je m'arrange comme je peux pour tout dire et tant pis si c'est un peu cahin caha. Ça l'est.
On le devine, sans que l'on sache trop comment, l'ensemble des éléments qui sont rapportés dans ce contexte narratif sont connus de Ethan Muller. Aussi on s'étonne que les révélations qu'ils véhiculent ne transpirent pas dans ses réflexions ni ne sèment jamais vraiment le trouble en lui. Ce garçon là est insipide, les autres personnages aussi. La description de l'art contemporain qui est faite dans le roman l'est tout autant. Quant aux relations conflictuelles entre le père et son fils, peu explicitées, elles ont un arrière-goût d'artifice. Comme si elles n'existaient que pour les besoins d'un histoire, où tout arrive plus ou moins comme un cheveu sur la soupe. Alors je n'ai rien contre les cheveux, je n'ai rien contre la soupe mais quand ils entravent mes lectures, ça me navre.
Les Visages, Jesse Kellerman, traduit de l'anglais par Julie Sibony, Sonatine, 471 p.

14/06/2011

Homo erectus / Tonino Benacquista

Qu'on ne s'y méprenne pas. Avec son livre, Tonino Benacquista ne vient pas marcher sur les plates-bandes de J.M. Auel et de ses romans préhistoriques, même si dans son cas il est aussi question de l'évolution de l'homme avec, vous l'aurez remarqué, un petit "h". Raison pour laquelle sans doute, ce titre, Homo erectus, sonne comme un écho aux mutations successives que l'Homme a pu connaître depuis qu'il s'est dressé pour aller de l'avant, vivre et s'adapter à un environnement soumis lui aussi à de perpétuels remous.

Tonino Benacquista s'est arrêté sur notre époque, comme pour dresser une photographie de la complexité de la condition masculine aujourd'hui, de l'essence de ses aspirations, de ses doutes, de ses faiblesses et des moyens dont il dispose pour y faire face.

Dans ce livre, l'auteur est parti du postulat selon lequel il existerait une confrérie, une congrégation, un cercle – à chacun son terme – dans lequel des hommes se réunissent pour parler de leurs expériences sentimentales, de leurs échecs amoureux. Bizarrement, sans qu'il y ait d'explication rationnelle au phénomène, le nombre de participants à ces réunions reste toujours le même, à peu de choses près. Les hommes vont, viennent. Une fois, deux fois, sans cesse. Tour à tour ils prennent la parole, se livrent, exposent leurs cicatrices existentielles marquées au fer d'une palette d'émotions dont ils ne peuvent se départir : rancœur, jalousie, nostalgie, soif de vengeance... Et quand bien même chaque histoire se nourrit au fond du même matériau, l'amour, toutes trouvent leur déclinaison dans la personnalité des intervenants qui s'en font le relais ainsi que dans la disparité de la réception et de l'interprétation faite par les auditeurs. De sorte que dans tous les cas, chaque histoire revêt un caractère unique.

Tonino Benacquista nous propose de suivre trois hommes, trois témoins représentatifs de la diversité de la condition masculine. Denis travaille dans une brasserie. Il pense avoir subitement perdu tout attrait auprès des femmes. Yves est poseur de fenêtres. Sa femme l'a trompé et depuis, il consume son capital dans les bras de prostituées dont on lui a vanté les mérites. Quant à Philippe, c'est un philosophe bien connu du milieu intellectuel. Il porte encore sur ses épaules le poids d'une immense déception sentimentale que même l'aura d'une célèbre top model avec qui il entame une relation ne semble vouloir le délester.

Il y certains journaux qui dans leur cahier littéraire s'amusent au jeu des « en hausse » « en baisse » où, en l'espace de quelques lignes, des journalistes encensent ou descendent un bouquin. Il faut se méfier de ces petites bestioles dans lesquelles leur auteur s'essaye – ô malheur - à l'humour, histoire qu'on revienne y jeter un coup d'œil la semaine suivante. Car, si j'ai vu Homo erectus dézingué ici ou là, j'estime pour ma part avoir bien fait de ne pas succomber à ces sirènes répulsives. Non, Tonino Benacquista n'a pas écrit un nouveau Saga, ni un nouveau Quelqu'un d'autre. Non, il ne nous embarque pas dans le milieu de l'art contemporain ni ne nous invite à suivre les tribulations de mafieux. Il explore de nouvelles pistes. Avec toujours la belle inventivité et la fluidité sans faille qui le caractérisent. Au point même de nous faire regretter de quitter un personnage pour un autre, avant de nous happer aussi sec pour une nouvelle exploration des sentiments, et nous emporter finalement dans une ronde réjouissante.

La corde de l'émotion ? Oui. Mais qui oserait se plaindre de la voir ainsi se mouvoir sous l'impulsion de tels accents de vérité ?

03/06/2011

La Vie comme elle va / Alexander McCall Smith

Avant d'être bibliothécaire, j'ai été libraire, et avant ça encore, bibliothécaire. Si je vous dis ceci, ce n'est pas uniquement pour me péter les bretelles – mais quel super-héros qui s'est autoproclamé comme tel ne le fait pas, hein, dites ? - ni entretenir le gonflement de mes chevilles sous prétexte que sans ledit gonflement, mes chaussettes finiraient par retomber sur mon pied, mollassonnes et pathétiques. Non, si je vous le dis, vous pensez bien que cela a, aussi, un rapport avec le livre dont je vais parler aujourd'hui, à savoir La Vie comme elle va, 5ème tome des aventures de Mma Ramotswe signé Alexander McCall Smith.
Donc, si vous suivez toujours, après avoir été bibliothécaire et avant de le redevenir, j'ai été libraire. Dans un café-librairie. Anglais. En France. Un magnifique endroit, avec un plafond en pierres voûtées, ce genre de lieu où il fait bon lire en buvant un café, un thé – je ne faisais pas la bière -, ou un smoothie que je mettais huit plombes à préparer. En tant que préparateur de jus de fruits, je n'étais pas très doué. Ni en tant que libraire d'ailleurs. Mais à cette occasion, j'ai tout de même connu de beaux moments. Comme l'organisation de concerts de musique ou la mise en place d'un club de lecture. C'est à travers l'un de ces derniers que j'ai fait la connaissance de Mma Ramotswe, première femme détective du Botswana. Il y avait eu une dizaine de personnes pour venir parler des Larmes de la girafe, dont certaines (les personnes , pas les larmes) avaient vécu dans ce pays d'Afrique. Elles n'avaient bien sûr pas manqué de faire le parallèle entre la fiction avec la réalité. Deux aspects qui ne manquaient pas de points de concordance.
On ne peut pas lire les aventures de Mma Ramotswe sans avoir envie à un moment ou un autre de se rendre au Botswana.
« En Afrique, on était bavard, on s'interpellait d'un côté de la rue à l'autre ou à travers une étendue de savane, et peu importait si les passants entendaient. Des conversations entières pouvaient ainsi se tenir alors que l'on continuait à avancer chacun dans sa direction, parlant jusqu'à ce que les voix deviennent trop faibles ou trop lointaines pour être intelligibles, jusqu'à ce que les mots soient happés par le ciel. »
Alors bien sûr, le roman est traité sur le mode de la comédie, voire même de la fable ou du conte, l'approche pouvant même paraître un peu naïve par moments, mais la réalité, les préoccupations, les interrogations sur le devenir de ce pays, sur la perte des traditions, sur une modernité galopante et étouffante sont bel et bien là d'un opus à l'autre.
« Le Botswana avait été un pays à part et il le restait, mais il l'était davantage du temps où chacun, ou presque, respectait les anciens usages. Le monde moderne était égoïste et peuplé d'individus indifférents et mal élevés. »
Pour autant on n'éprouve jamais une quelconque impression de redite entre chaque aventure, et le texte ne connaît jamais de perte de vitesse. Pour la simple raison qu'il n'y en a pas, de vitesse. La vitesse, ici, elle n'a pas sa place. Il est même étonnant de voir qu'à l'heure où pas mal d'intrigues policières vont à cent à l'heure, carburent aux rebondissements, Mma Ramotswe trouve quant à elle son rythme de croisière dans un certain éloge de la lenteur et de la contemplation. Avec brio.
« Observer les gens et se demander ce qu'ils faisaient constituait un passe-temps traditionnel au Botswana. La nouvelle mode, qui voulait que l'on se montrât indifférent aux autres, semblait difficilement acceptable. Regarder les gens n'était-il pas un signe que l'on s'y intéressait, que l'on refusait de les traiter comme de parfaits étrangers. »
L'enquête ici est inexistante. On pourrait le regretter. Là encore, il n'en est rien. L'impact... non pas l'impact, le mot est trop fort, trop percutant... disons alors l'enthousiasme dans La Vie comme elle va, provient encore et toujours des personnages. Ils sont si marqués et si authentiques qu'il se rappellent à nous avec une facilité déconcertante, quand bien même on les a perdus de vue depuis longtemps. Cependant, cette fois-ci, l'enthousiasme vient aussi des rapports hommes / femmes qui sont dépeints.
« Nous savons toutes que ce sont les femmes qui prennent les décisions, mais nous devons donner aux hommes l'impression que ces décisions sont les leurs. Il s'agit d'un acte de charité de notre part. »
Ah ça, vous pouvez prendre n'importe quel homme de cette histoire, aucun n'a le beau rôle : perfide, sournois, calculateur, timoré, obsédé, vénal... Dis comme ça, ça fait très caricatural, mais c'est traité d'une telle manière que c'est en réalité très drôle.
Je le disais, l'envie de découvrir le Botswana est là. Mais je me connais, une fois sur place je serai sans cesse à l'affût de LA camionnette blanche de Mma Ramotswe. C'est dur parfois de faire la distinction entre la fiction et la réalité d'autant qu'on peut se poser la question de savoir si elle existe vraiment, hein... mais je ne vais pas ouvrir ce débat là, j'ai un bain de bouquins à prendre.
Pas facile d'être un super-héros des livres, moi j'vous l'dis...

17/05/2011

Imprésario du troisième type / John Scalzi

Dans Martiens Go Home ! de Fredric Brown, Luc Devereaux écrivain de science-fiction en panne d'inspiration donnerait cher, très cher, pour se débarrasser de ces petits martiens verts qui ont pris le parti de s'attaquer à l'humanité en lui rendant la vie impossible : farces, blagues, immiscions impromptues dans la vie de tous les jours, divulgation de vérités pas toujours bonnes à entendre... et j'en passe. Un chef-d'oeuvre de science-fiction humoristique dont l'impact ne se dément pas avec le temps, le rire étant toujours au rendez-vous.

John Scalzi, l'auteur très remarqué du Vieil homme et la guerre, a quant à lui opté pour une approche inverse. Dans sa propre version d'une rencontre humains / extra-terrestres ou la veine humoristique est ici aussi hautement revendiquée, c'est par la discrétion que les Yherajks – c'est leur nom – entendent bien entrer en contact avec les Terriens. Car après avoir capté capté les ondes radio et télévisuelles provenant de notre planète - autant d'informations parcellaires, contradictoires et, il faut bien le dire, déroutantes sur notre façon de vivre et de nous comporter - leur intérêt à notre égard a est allé en grandissant. Pour autant, la chose est loin d'être aisée, même si leurs intentions n'ont rien de belliqueuses. Car les Yherajks ne sont – comment dire ? - pas d'un abord très... enfin... bon, pour faire simple, disons qu'ils sont moches, très moches et qu'ils puent à un point inimaginable. Pour être approximatif, ils ressemblent à ces blobs gélatineux apparus dans les films d'horreur dans le but de distribuer leur dose de frisson aux spectateurs en quête de sensations fortes. C'est là en tout cas une raison suffisante, vous en conviendrez, pour qu'ils décident de passer par l'un des plus gros cabinets d'imprésarios d'Hollywood afin que le premier contact se fasse en douceur. Et c'est à Tom Stein, agent plein de ressources, de finesse et de bagoût qu'échoue cette mission des plus périlleuse et délicate.

John Scalzi n'a rien, mais alors vraiment rien à envier à un Fredric Brown ou un Douglas Adams pour ce qui est de faire rire. L'exercice est assez difficile en lui-même et John Scalzi a donc d'autant plus de mérite qu'il tient sur la longueur. Il y a en tout cas des indices qui ne trompent pas. Et j'avoue que ça faisait bien longtemps que de tels éclats d'hilarité n'avaient pas jailli ainsi au cours de mes lectures depuis bien longtemps... depuis les enquêtes de Mma Ramotswe si je me souviens bien.

- Tu dis ça, tu dis ça, y'a pas si longtemps je t'ai entendu dire que t'en lirais un par an, ça fait presque trois ans...

- Tiens, la petite voix, tu tombes bien toi.

- Ah bon ?

- Oui, figure-toi que Tom Stein, tu sais le héros de Imprésario du troisième type, eh bien il en a une lui aussi, de petite voix, mais il appelle ça un lutin. J'ai pensé à toi en le lisant.

- C'est bien, et alors ? Quel est le rapport ?

- Oh, il est tout vu. Si je ne me trompe pas, à un moment donné Tom Stein manifeste le désir de l'étouffer une bonne fois pour toutes. A moins que ce ne soit moi qui ait transposé mon envie dans le livre, je ne sais pas...

- Hé ho, moi je disais juste...

- Tu ne sais pas où est le coton par hasard ?

- ...

Désolé pour cette petite interruption, vraiment. Cela nous arrive de plus en plus souvent, vous l'aurez peut-être remarqué.

Où en étais-je ? Ah oui, l'aspect comique. Qu'il s'agisse des répliques entre Tom et le Yherajk, Joshua, dont il a la charge, des péripéties qui jalonnent forcément leur aventure, des comédiens ( il faut voir les comédiens !) et de leur entourage avec qui l'agent doit composer (et il faut voir de quelle manière !), ou même des journalistes en quête de scoop, le cocktail est détonnant. Qui plus est, John Sclazi n'hésite pas non plus à mettre du poil à gratter dans le dos du show-biz, de la presse, voire même de notre chère humanité.

« Mais ici, à Hollywood, on n'a pas l'habitude des hétéros cultivés. »

« Il semble que l'homme à la caméra démolie ait l'intention de rembourser la casse en s'appropriant tout ce qui lui paraît monnayable chez le preneur de son, ses lunettes, ses dents, sa chemise et même sa peau. Une paire de bonnes âmes essaient de les séparer tandis que le reste de la clique, prenant parti pour l'un ou pour l'autre, se lance dans une rixe géante. Je trouve assez jubilatoire de voir ces journalistes, probablement les plus incompétents et les mieux payés de Californie, s'empoigner par les cheveux, s'exploser les lèvres et s'aplatir les génitoires à coups de genou. »

« - Le temps c'est de l'argent. Voilà le leitmotiv des temps modernes. On essaie d'en perdre le moins possible.

-J'ai du mal à suivre cette forme de pensée, me confie Gwedif. Quand je retournerai sur Terre – pas pour un aller-retour express comme celui qui m'a permis de rencontrer Carl mais pour visiter réellement votre planète -, j'aimerais m'offrir un séjour dans un monastère. Là les hommes prennent le temps de vivre, de méditer, de se livrer à la contemplation.

- Ne vous faites pas trop d'illusions, Gwedif. Dans de nombreux monastères, la visite se termine par un passage à la boutique souvenirs où l'on peut acheter des cantiques gravés sur CD, du fromage, des vins et des objets religieux fabriqués en série. »

Et là où Sclazi est vraiment très fort, en plus de sa faculté à se renouveler, c'est qu'il ne bascule jamais dans un absurde débordant. Il donne à son univers une cohérence folle, lui permettant ainsi de faire preuve d'une authentique sensibilité aux moments clés de l'histoire.

Allez, ne traînez plus ! Les Yherajks vous attendent... Je vous souhaite en tout cas un aussi bon contact que le mien, et surtout ne vous étonnez pas si dans le train, à la sécu, à la préfecture où bien ailleurs, on vous regarde bizarrement après un gros éclat de rire. Au mieux on vous demandera ce que vous lisez...

Pardon ? Pour trouver les Yherajks ? Oh, rien de plus simple, laissez votre flair agir.

Imprésario du troisième type, John Scalzi, traduit de l'anglais par René Baldy, L'Atalante (La Dentelle du cygne), 411 p.

CITRIQ

09/05/2011

Les Neuf dragons / Michael Connelly

Les auteurs ressentent parfois le besoin ou l'envie de confronter leur héros récurrent à un nouvel environnement géographique. Outre le dépaysement, qu'ils quittent leur campagne, leur ville ou leur pays pour aller ainsi à la rencontre d'autres cultures, d'autres codes, peut susciter un regain d'intérêt pour le lecteur qui a plaisir à suivre les aventures des personnages auxquels il s'est attaché. A titre d'exemple et pour bien illustrer que le phénomène est loin d'être isolé, on peut par exemple citer Donald Harstad avec 6 heures plus tard (Carl Houseman quitte sa petite ville des Etats-Unis pour Londres, rien que ça), Henning Mankell avec Les Chiens de Riga (Kurt Wallander s'en va pour un voyage des moins réjouissants pour la Lettonie ; ambiance à couper au couteau), Charles Exbrayat avec Chewing-gum et Spaghetti (l’inénarrable inspecteur Tarchinini s'en va aux States), Craig Johnson avec L'indien Blanc (Walt Longmire quitte momentanément le Wyoming et ses grands espaces pour Philadelphie), sans oublier Jo Nesbo qui, avec L'Homme Chauve-souris, a fait voyager Harry Hole de la Norvège à l'Australie dès sa première enquête. La liste n'est bien sûr pas exhaustive, sans compter qu'on peut donc dès aujourd'hui lui rajouter la dernière enquête en date de Harry Bosch, intitulée Les Neuf dragons, dont une partie de l'action se déroule à Hong-Kong.

Pour être très franc, le célèbre personnage inventé par Michael Connelly, ne fait pas partie de ceux que j'ai toujours plaisir à retrouver. Je n'attends pas ses apparitions avec une fébrile impatience comme c'est par exemple le cas pour les romans de Jonathan Coe ou Dennis Lehane (cette année a décidément été très bonne!). Je crois d'ailleurs savoir pourquoi. Si l'auteur américain m'a souvent ébloui par sa force narrative, par la manière dont il trousse ses intrigues et nous les sert sur un plateau avec un art consommé de la surprise et du rebondissement, Harry Bosch, lui, m'a plus d'une fois agacé ou énervé par son attitude systématique de chien blessé, par son aspect désabusé quelque peu stéréotypé. Vous me direz, avec son histoire personnelle, il y a de quoi... mais bon, si j'ai frémi avec lui, il me semble que c'est surtout en raison des situations auxquelles il a été confronté que pour une quelconque histoire d'empathie à son égard.

Et voilà qu'au moment où dans les Neuf dragons, je me mets à le considérer d'un autre œil, c'est cette fois-ci l'intrigue qui fait cruellement défaut. J'ai régulièrement eu le mot « remplissage » à l'esprit à mesure que j'avançais dans la lecture. Peut-être n'aurais-je pas dû lire la quatrième de couverture, je ne sais pas. Quoiqu'il en soit, il faut un peu plus d'une centaine de pages pour arriver au début de l'intrigue présentée par le résumé. On y trouve des scènes sans grand intérêt et des perspectives très à la mode relatives aux expertises en laboratoire, du type qu'on ne présente même plus et dont la télévision se fait la plus navrante représentante avec ses séries consacrées aux brigades scientifiques. Ici aussi, on a droit aux toutes dernières trouvailles en balistique et à leur présentation dans le détail pour les besoins de l'enquête. Une enquête qui s'enlise dans les descriptions et les invraisemblances. C'est d'ailleurs le plus gros reproche que l'on puisse faire à ces Neuf dragons, où le voyage de Bosch à Hong-Kong relève plus du prétexte que d'une réelle nécessité. Ce constat saute d'autant plus aux yeux une fois l'affaire complètement éclaircie. Difficile alors de ne pas la trouver complètement tirée par les cheveux.

Pour tout dire, j'ai nettement eu l'impression que Michael Connelly, le temps d'un roman, avait troqué les ficelles qu'il utilisait jusqu'à présent avec une réelle virtuosité contre celles, plus grosses, qui empêchent la magie d'opérer.

N.B. : C'est assez rare pour que ça me saute autant aux yeux mais du coup je n'ai pas pu m'empêcher non plus de m'interroger sur la traduction. Des phrases à la structure étrange et des répétitions qui, pour la peine, m'ont semblé bien malvenues et parfaitement évitables.









Les Neuf dragons, Michael Connelly,traduit de l'américain par Robert Pépin, Se
uil (Seuil Policiers)

29/04/2011

Janus / Alastair Reynolds

Enfin ! Enfin un mastodonte de space opera dont on ne veut rien retirer ! Mieux, on serait même prêt à jouer les prolongations en ce qui le concerne. Depuis Spin de Robert Charles Wilson, je n'avais pas éprouvé autant de jubilation, oui, de jubilation, à lire un roman de sience-fiction. Si La Guerre tranquille de Paul J. McAuley ne manquait pas de qualités ni d'intérêt, Janus joue quant à lui dans une catégorie supérieure. Là, n'ayons pas peur des mots on a affaire à un véritable chef-d'oeuvre.

J'aurais très bien pu passer à côté du livre. A deux reprises, j'ai tenté de lire l'Espace de la révélation d'Alastair Reynolds. Sans succès. Je m'en suis d'ailleurs expliqué ici. Puis, après avoir raccroché du costume, alors très éloigné de la blogosphère pour m'adonner à d'autres aventures qui n'ont pas fini de titiller mes neurones au point de hisser la patience au rang de seconde nature, j'ai aussi lu et apprécié la Pluie du siècle, le considérant comme un bon divertissement, mais sans plus. Un pavé idéal à lire pendant les vacances dans la chaise longue du jardin de la tante Prunille ou à la piscine tout en préservant une distance respectable des éclaboussures intempestives émanant des aficionados de la Bombe.

Avec Janus, Alastair Reynolds fait voler en éclat toutes les étiquettes. Peu importe qu'il s'agisse de SF, de Hard SF, de Speculative Fiction ou Toutcequevousvoudrez Fiction. Seule l'histoire importe ici. Et le lecteur que je suis s'est pris dans les mailles de celle-ci avec une délectation rare.

Des pousseurs de glace. C'est ainsi que s'appellent entre eux les membres de l'équipage du Rockhopper. Leur rôle consiste à exploiter la glace des comètes du système solaire. Pourtant, en 2057, alors qu'ils sont en pleine mission, leurs prérogatives se voient tout à coup chamboulées en raison d'un événement pour le moins singulier : Janus, l'un des satellites de Saturne a quitté l'orbite de sa planète et tout porte à croire qu'il s'apprête à quitter le système solaire de manière... intentionnelle. Janus ne serait en fait rien d'autre qu'un artefact extra-terrestre. A charge pour l'équipage du Rockhopper de se lancer à sa poursuite et de l'étudier autant que faire se peut avant de revenir sur Terre. Mais rien, rien ne se passe comme prévu...

Là où il y aurait pu n'y avoir que quelques lignes pour figurer le trajet vaisseau / Janus, répondant ainsi à l'avidité du lecteur d'en savoir plus, de s'attaquer tout de suite à la découverte de la nature du satellite de Saturne, Alastair Reynolds prend le temps de camper ses personnages, de creuser dans la matière première d'une aventure prenant ses racines dans la découverte, dans l'inconnu. A nous de faire corps avec cet équipage, de l'accompagner dans ses difficultés, ses doutes et ses drames. A nous de prendre parti, de nous indigner ou de fantasmer sur les révélations qui ne manqueront pas d'éclater au grand jour ou... dans le noir et le silence insondables de l'espace.

Voilà pour la première partie. Pour la suite, ne comptez pas sur moi pour vous la dévoiler. Sachez juste qu'elle va au-delà de toutes les attentes, même les plus folles. Pour cela, Alastair Reynolds combine de façon magistrale l'aspect scientifique, la psychologie des personnages et l'histoire sans jamais abandonner son lecteur en cours de route ni le noyer sous le feu de détails trop techniques et obscurs. Ici, le superflu n'a pas sa place. Rythmé, ponctué de temps forts, d'une imagination ô combien débordante et réjouissante, Janus est Le livre de science-fiction qu'il faut lire et faire lire cette année. A l'instar des plus marquantes des œuvres de Robert Charles Wilson que je citais au début de cette chronique, il fait la part belle à une délicate humanité, toujours en quête de sens.
CITRIQ

20/04/2011

Kolyma / Tom Rob Smith

Après avoir restitué d'une manière plus que saisissante l'oppression de la dictature stalinienne dans Enfant 44, Tom Rob Smith fait à nouveau virevolter une page marquante de l'Histoire russe. A l'heure où débute Kolyma, le petit père des peuples est mort. Krouchtchev lui succède en amorçant sa politique de déstanilisation, marquant ainsi une transition qui ne s'opère pas sans remous.

C'est dans ce contexte que l'on retrouve Leo Damidov et son épouse Raisa. Pas question pour eux de faire table rase du passé, quand bien même ils le souhaiteraient seulement. Ce passé, ils le vivent au jour le jour, par l'intermédiaire de leurs souvenirs, pas toujours reluisants, mais aussi par la présence des deux filles qu'ils ont adoptés. Leurs parents ont péri à la suite d'une arrestation orchestrée par Leo lui-même. Zoya, l'aînée, adolescente, n'oublie pas, se promet de ne pas oublier leur sort ni celui qui en est à l'origine. L'air d'une vengeance étouffée ne demande qu'à s'exhaler. A l'image de celui soufflant en Russie à l'heure où les goulags se vident et où les rancœurs se révèlent au grand jour. A l'image aussi des intimidations et des meurtres perpétrés sur d'anciens membres des services secrets qui ne manquent pas de projeter Leo au cœur d'une vengeance dont il pourrait être la cible principale.

Pour un deuxième ouvrage, une suite qui plus est, on n'échappe pas à la comparaison. Car après l'engouement suscité par Enfant 44, l'attente ainsi qu'un soupçon de crainte sont là ? Sera-t-il aussi bien ? Est-ce seulement possible à partir du moment où les personnages nous sont connus et qu'un des effets, la surprise de la découverte d'un univers, de sa mise en mots, ne sera de mise ? En ce qui me concerne, j'avoue avoir un peu moins apprécié Kolyma. Un peu seulement, c'est important. Et encore, pour des raisons que j'ai bien du mal à définir et que je veux bien imputer à la subjectivité.

- Pirouette
- Hein ?
- Tout ça, c'est de la pirouette pour ne pas avoir à argumenter tant et plus. Tout ça pour ne pas avoir à écrire un billet trop long, billet dont la taille pourrait repousser des lecteurs potentiels.
- Ben voyons, et donc pour raccourcir je rapporterais mon petit monologue avec ma petite voix intérieure, c'est ça ? Ah c'est sûr ça fait plus court, là, du coup.
- …
- …

Pour le reste, donc, si je puis me permettre, Kolyma est un roman réellement prenant, impressionnant où, une fois de plus Tom Rob Smith n'emprunte pas les voies de la facilité thrilleristique.

-T'invente des mots maintenant ?
-Ouste !

La force de Kolyma tient autant à la reconstitution historique – il faut lire les passages sur la vie en Russie à l'époque, sur le goulag, sur le soulèvement en Hongrie pour s'en persuader – qu'à son scénario et à la façon dont ses personnages s'y intègrent.

Tom Rob Smith livre une histoire dure, cruelle dans laquelle se posent des questions pertinentes sur le fondement de l'Histoire. Des questions où se croisent les notions de vengeance et de réparation des fautes, sur la force de l'engagement et des événements qui la mettent en branle.

Kolyma, Tom Rob Smith, traduit de l'anglais par France Camus-Pichon, Pocket, 512 p.

13/04/2011

Losers-nés / Elvin Post

Les histoires de drogue, de gangs et tutti quanti, ce ne sont pas celles que j'affectionne particulièrement. Pour autant, ça ne veut pas dire que je n'en lis jamais, d'autant que certaines personnes ont le chic pour m'emmener explorer des pistes sur lesquelles je n'aurais jamais imaginé m'aventurer. C'est un peu comme au ski, si vous voulez. Vous voulez rester sur une verte, allez une bleue à la rigueur, et il y a toujours quelqu'un pour vous faire emprunter une rouge.

Si, si, tu verras, c'est une bleue, y'a peut-être un petit tronçon en rouge mais rien de bien méchant.

Et là, patatras, une fois arrivé sur ledit tronçon qui s'avère être une autoroute inclinée dont vous ne voyez pas le bout, plus question de reculer. S'offrent alors quatre solutions, dont une ne relève pas de votre seule volonté :

1. Vous dévalez la piste complètement crispé.
2. Vous dévalez la piste complètement crispé dans un nuage de neige.
3. Vous déchaussez de votre propre chef.
4. Vous prenez sur vous et descendez la piste avec aisance, en proie à des sensations inouïes qui vous donneront envie de recommencer.

Pour ce qui est de Losers-nés, loin d'être un livre vertigineux, j'ai opté pour la troisième solution. Principalement parce qu'on est dans le registre de la comédie policière et que je n'ai pas trouvé ça très drôle – mon manque d'humour me perdra, je le sais -, et que ça m'a semblé bien mal fagoté.

Qu'est-ce qu'on a là-dedans au juste ? Une ville, Manhattan où Roméo Easley a lâché son activité de guetteur au service du caïd du coin, Sean Withers, pour finalement se mettre à vendre des magazines d'occasion en pleine rue. Quand on découvre le personnage, on se dit qu'il a bien fait. Doté d'une naïveté sans commune mesure, on se doute bien qu'il n'aurait pas fait long feu dans le milieu. Roméo vit dans un appartement minable avec sa mère et son frère, lequel vient tout juste de sortir de prison pour replonger presque aussitôt dans le trafic. Pour ce faire, il est guidé par Sean Withers, très soucieux des retombées que pourrait avoir l'arrestation de l'un de ses transporteurs sur la pérennité des ses affaires.

Le découpage de Losers-nés m'a plus d'une fois laissé perplexe. Il y a beaucoup de personnages en très peu de temps. On en perd certains de vue pendant un moment pour les retrouver ensuite sans qu'on s'y attende vraiment alors qu'on les a presque oubliés. Le tout est d'une lenteur incroyable et l'histoire, pas passionnante pour deux sous, ne décolle jamais. Comme je n'ai pas su non plus déceler l'humour prêté à cet ouvrage, je préfère oublier et passer à autre chose.

J'ai déjà la minerve, là, à l'instant où j'écris ces lignes. Au cas où...











Losers-nés, Elvin Post, traduit du néerlandais par Hubert Galle, Seuil (Seuil Policiers), 304 p.