Ce ne sont que des mômes
quand les étoiles disparaissent un soir d'octobre, subitement, sans
même un signe avant-coureur. Tyler Dupree, Diane et Jason Lawton ont
assisté à l'événement, prenant tout à coup conscience que
quelque chose d'irrémédiable venait de se produire, que leur vie,
le reste de leur vie allait s'en trouver chamboulée. Qu'elle n'aurait pas été la même sans le Spin. C'est
ainsi qu'on a baptisé le phénomène, ce filtre, cette barrière,
cette membrane coupant la planète du reste de l'univers où le temps
s'écoule vertigineusement plus vite, le faisant vieillir au point de
laisser l'humanité dans l'expectative d'une fin du monde annoncée.
A moins que le Spin ne soit justement là pour la sauver, quand bien
même l'intention des Hypothétiques à qui on l'a imputé sans rien
savoir d'eux, reste irrémédiablement floue.
En 2007, lorsque je
conseillais le livre dans la librairie où je travaillais, je disais
ceci : « vous pouvez y aller c'est le meilleur livre de
science-fiction des dix dernières années. » Sans mentir, sans
pousser à la vente. Ce livre là, j'ai même convaincu des personnes
réfractaires au genre de le lire, et quelques-uns sont revenus me
signaler combien ils l'avaient apprécié. La force de Spin est là,
dans son accessibilité, dans une narration n'excluant jamais
personne, malgré les concepts scientifiques abordés ici ou là. La
raison est simple en définitive et elle tient en un seul mot :
l'humanité. L'humanité dont fait preuve Robert Charles Wilson et
qui se reflète à travers ses personnages, leurs aspirations, leurs
préoccupations les plus communes jusqu'à leurs craintes
existentielles, mais aussi dans les liens qui les unissent, les font s'éloigner, se rapprocher. Confrontés à
l'impensable, tiraillés dans leurs certitudes et dans leurs
croyances, ils s'évertuent à vivre malgré tout sous le prisme
d'une réalité peut-être illusoire.
Il y a cela et bien plus
encore dans Spin. Car Robert Charles Wilson, fort de cette
accessibilité, va aussi loin, très loin dans l'innovation
créatrice. Certes, en lisant le résumé de l'histoire, on ne peut
que penser à celui du Voile de l'espace de Robert Reed, mais
l'ensemble des aspects scientifiques abordés dans Spin m'ont paru vraiment originales au point de servir l'histoire à un
degré incroyable. Qu'il s'agisse de la membrane Spin à proprement
parler, du temps favorisant le vieillissement de l'univers et
confrontant l'humanité à une fin du monde anticipée, de la
possibilité inhérente au phénomène de terraformer Mars, de
récolter les fruits de celle-ci à travers la rencontre d'un
Troisième type (!), des répliquants, ces organismes capables de se
reproduire, de s'étendre, de communiquer entre eux et de ramener des
informations issus des confins de l'univers, il y a à travers
l'ensemble de ces éléments une bien belle matière à raconter une
histoire riche, prenante, passionnante. Et touchante aussi car Robert
Charles Wilson ne s'écarte jamais de ses personnages, il en fait le
matériau vivant autour desquels tout s'articule. Bien que le récit
courre sur des décennies, et bien plus encore selon de quel côté
de la membrane on se situe, il ne déborde jamais de son cadre,
ne s'autorise aucune pirouette, aucune facilité, ne laisse aucune
zone d'ombre si ce n'est sur la nature même des Hypothétiques.
Concernant ce dernier point, rien d'étonnant. Les deux volumes qui
suivent, Axis et Vortex, devraient apporter des éléments de
réponse. On y reviendra sous peu.
Relire un livre que l'on
a particulièrement apprécié implique une possible déception. Il
n'en est rien avec Spin. L'émerveillement est toujours là, jusqu'au
bout, jusque dans les présomptions et l'expectative quant à ce
qu'on va trouver de l'autre côté, aux confins des étoiles...
Depuis 2007, rien n'a chang...ah si tout de même : je ne vends
plus de livres, je les prête. Et je peux maintenant dire que Spin
est le meilleur livre de science-fiction des... quinze dernières
années. Là encore, sans mentir.
Spin de Robert Charles Wilson, traduit de l'anglais (Canada) par Gilles Goullet, Denoël (Lunes d'Encre), 2007, 560 p. Disponible aussi chez Folio SF, 624 p.