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11/07/2014

Notre-Dame des Loups, un voyageur et des noeuds d'acier...

Ah l'été ! Ça ne vous aura pas échappé mais avec la douceur estivale, on aspire à la légèreté des lectures. On veut se détendre, profiter des vacances, se laisser aller à un calme indolent.
Mais si le calme est indolent la météo, elle, est bel et bien insolente ! Et puis l'heure des vacances n'a pas encore sonné alors je vous invite à repasser pour la légèreté. Ne voyez pas pour autant un état d'esprit particulier au regard des trois titres au sommaire aujourd'hui, hasard des lectures oblige. Trois titres, trois histoires aux registres très différents mais qui puisent tous leur essence dans des univers sombres, noirs et inquiétants, toujours hostiles.

On commence avec Notre-Dame des loups, signé Adrien Tomas. L'auteur a déjà deux mastodontes* de fantasy à son actif que je n'ai pas lu pour cause de rejet à caractère persistant du genre. J'y reviendrai peut-être mais il faudra vraiment savoir se montrer convaincant. Pour cet ouvrage, Adrien Tomas, et c'est tout à son honneur, n'a pas hésité à changer d'univers et d'époque. Nous voici donc avec un western fantastique, un one shot relativement court de très belle facture. Preuve supplémentaire, s'il en est, qu'on peut faire du bon avec du court...

L'Amérique, 1868. Les Veneurs n'ont qu'un seul et unique objectif, terrasser les Wendigos qui sèment la mort et la désolation sur leurs parcours. Derrière cette volonté farouche qui les a forcé à fuir les leurs, à renoncer à tout ce en quoi ils croyaient, se cache bien sûr un but ultime, faire ployer et succomber Notre-Dame des Loups sous le feu de leurs balles d'argent. 

La forme narrative adoptée par Adrien Tomas dans ce roman a pour elle de maintenir un intérêt constant pour l'histoire. Non pas qu'on s'en serait écarté par ailleurs mais en proposant de la suivre successivement par chacun des membres de la Vénerie, l'intérêt s'en retrouve redoublée. Chacun apporte en effet son éclairage sur les rapports qu'ils nourrissent les uns avec les autres, sur leurs propres moticvations, sur les enjeux de leur quête et les liens, complexes ou ambivalents, qui les lient à Notre-Dame des Loups. La tension est là, l'ambiance glaçante et oppressante aussi et le final ne manque pas d'un certain éclat... argenté...

Le Voyageur de James Smythe, mon avis est un peu plus mitigé. Et pourtant la matière est là. Après avoir passé toutes les étapes de sélection, le journaliste Cormac Easton obtient son billet pour l'Espace. L'objectif du voyage est simple, aller plus loin qu'aucun être humain ne l'a jamais fait. La conquête de l'inconnu comme nouveau rêve pour une humanité en perte de vitesse. Il faut peu de temps cependant pour que l'odyssée tourne à la déconvenue la plus totale. Tous les passagers meurent les uns après les autres. Ne reste plus que Cormac, isolé dans le vaisseau dans l'attente du retour programmé.
En ce qui concerne

Si le livre est intéressant dans ce qu'il révèle du sentiment d'isolement et de solitude et de ses incidences, notamment dans le regard que Cormac porte sur lui-même, celui qu'il était, celui qu'il est devenu, il m'a manqué quelque chose dans ce roman. Ou plus exactement même si, comme je le disais, l'approche est intéressante, je n'y ai pas cru. Mis à part peut-être à travers ses pensées le ramenant en arrière, vers sa femme Elena et les étapes successives amenant à sa sélection pour faire partie du voyage, la voix de Cormac ne m'a pas touché. Il n'a jamais su me transmettre totalement sa peur ni le vertige de sa fuite en avant dans le néant spatial. Mais tout compte fait, c'est peut-être plus la sensation que tout arrivait à point nommé, en raison de contingences narratives, qui a fini de me laisser à l'écart et fait en sorte que Cormac me reste aussi étranger qu'il s'est révélé l'être pour lui-même.

On finit en beauté même si de beauté, on en voit très peu dans Des noeuds d'acier de Sandrine Collette. Comme on y voit très peu de lumière, peu d'espoir. Il y a pourtant des éclairs de poésie, vite rabattus cependant par l'implacabilité du récit. 

Théo sort tout juste de dix-neuf mois de prison pour un crime commis à l'encontre de son frère. Il n'aura pas le loisir de goûter longtemps à sa nouvelle liberté. Retranché en pleine campagne, il se fait capturer par deux vieillards qui l'enferment dans la cave de leur ferme et se font de lui leur esclave. 

Des nœuds d'acier a ceci de troublant qu'il se passe à notre époque, que les événements qui y sont décrits imprègnent le lecteur aussi bien par leur noirceur que par leur plausibilité. Le calvaire de Théo est palpable du début à la fin du récit, les mots qui l'illustrent sont comme des broyeurs. Ils n'épargnent pas. Ils vont droit au but, ne se jouent pas de complaisance. Il en est ainsi pour le cadre de l'histoire (la forêt, la ferme, la poussière ambiante, les relents de crasse, de merde), pour ceux qui la composent (les vieillards, leurs proches et leurs victimes) que pour ce qu'ils dévoilent : la folie, la cruauté et, bien plus que la confusion, la perte de soi, bien plus que l'humiliation, l'avilissement. Le lecteur, et c'est tant mieux, n'est pas épargné non plus car il est sans arrêt présent à chacune de ces étapes de déconstruction. Il voudrait y aller de son indignation, faire bouger les lignes autant que les actes mais il ne peut rien faire d'autre que d'assister aux outrages dont est victime Théo. Il ne peut que lire et s'émerveiller (!) de la manière dont Sandrine Collette, dont c'est ici le premier roman, a su ferrer son lecteur avec une histoire si glauque et oppressante. La force des mots, encore une fois, le style, la psychologie des personnages avec aussi, dans la balance, le poids des réflexions portées sur les liens fraternels, fragiles jusque dans leur aspect fusionnel, ou sur la violence rurale. 

Pas étonnant donc que Des Noeuds d'acier ait reçu le Grand Prix de la littérature policière 2013... et que mon intérêt se porte aussitôt sur Un vent de cendres, un histoire qui, encore une fois, a l'air de prendre aux tripes.

Voilà c'est fini pour aujourd'hui. Vous devriez maintenant savoir à quoi vous attendre mais j'essaierai de faire plus gai pour la prochaine fois.


Notre-Dame des Loups, d'Adrien Tomas, Mnémos, 2014, 198 p.
Le Voyageur de James Smythe, traduit de l'anglais par Claude Mamier, Bragelonne, 2014, 352 p.
Des noeuds d'acier, de Sandrine Collette, Le Livre de Poche, 2014, 264 p.

20/06/2014

Fils de Sam / Michaël Mention

Pour peu que vous vous intéressiez au phénomène des tueurs en série – si tant est qu'on puisse appeler ça un phénomène -, il vous suffit de pianoter sur n'importe quel moteur de recherche pour prendre connaissance de son ampleur, évaluer le nombre de meurtriers répondant à cette appellation. Une liste bien évidemment et malheureusement non exhaustive si l'on en croit le « spécialiste français » des tueurs en série, Stéphane Bourgoin, dont on peut avoir un aperçu de son travail sur le site qu'il anime.

La fiction, à travers les polars, que ce soit par le biais de la littérature, du cinéma et des séries TV, n'a pas manqué de se pencher sur la question, de l'exploiter sous différents fards, de sorte que le ridicule et le n'importe quoi côtoient la pertinence et la justesse.

En ce qui concerne Fils de Sam, premier livre de Michaël Mention que je lis, on est clairement dans ce deuxième cas de figure. Même s'il est vrai qu'en l'occurrence, l'approche adoptée oscille entre la fiction et le documentaire, proche du travail d'enquête. Au premier abord, cela pourrait paraître déroutant, mais le résultat est on ne peut plus probant. La démarche possède en tout cas le mérite de susciter un vif intérêt, de donner une dimension particulière à l'affaire abordée par l'auteur.

 L'affaire, c'est celle de David Berkowitz, alias « Le Fils de Sam », lequel a été condamné pour le meurtre de six personnes et pour en avoir blessé plusieurs autres en leur tirant dessus à bout portant. L'ensemble de ces crimes ont été commis entre 1976 et 1977 et ont bien évidemment défrayé la chronique, suscité une angoisse de tous les instants de la population new-yorkaise.

Plutôt que d'aborder le parcours du criminel d'un strict point de vue biographique le parcours de David Berkowittz - de sa naissance à son arrestation et ce qui en a découlé – Michaël Mention a préféré contextualiser l'affaire à partir de l'époque elle-même, du climat général qui régnait alors en cette fin de décennie à la fois aux Etats-Unis, et accessoirement dans le monde, la marche de l'un n'allant pas sans l'autre. La radiographie est là, dans les remous de l'époque, dans les failles de la société, révélées notamment avec l'émergence des groupes satanistes auxquels David Berkowitz aurait eu affaire. 

En parallèle au travail d'enquête de l'auteur, à sa reconstitution des faits, agrémentée de photographies, aux points de vue relatifs à une presse racoleuse n'hésitant pas à instrumentaliser l'affaire, ainsi que celles qui lui sont concomitantes, en parallèlle donc, le lecteur est invité à entrer dans la tête du fils de Sam, à prendre connaissance de son profil, de ses pulsions, de la tourmente qui l'anime : la perte de sa mère très jeune, les railleries incessantes à son égard lorsqu'il était enfant ou même à l'armée, la solitude, la colère, sans bien sûr oublier ses visions, ce démon sous forme de chien lui dictant sa conduite à tenir, ses meurtres à commettre...

Jamais cependant Michaël Mention ne cède à la facilité dans ces parties là en décrivant un tueur qui, comme on le voit trop souvent dans les thrillers, apparaît ridicule tant il se noie dans une surabondance de détails si volontairement répugnants qu'ils en deviennent grotesques et navrants. Pas question de ça ici. L'auteur assure toujours la passerelle avec la réalité, les faits et la personnalité complexe de Berkowitz. A un point tel qu'on se demande en début d'ouvrage si les passages assurant cette subjectivité n'auraient pas été écrits par Berkowitz lui-même. C'est dire la prouesse de l'exercice et la qualité d'écriture de l'auteur.

 Vous l'aurez compris, pas besoin d'en dire plus pour être persuadé qu'à travers le Fils de Sam, Michaël Mention a su faire coïncider fiction et documentaire de la plus belle des manières. Avec pertinence et justesse, donc.

Fils de Sam, de Michaël Mention, éditions Ring, 2014, 384 p.

08/03/2014

Mortel Tabou / Gilles Schlesser

Malgré toute la meilleure curiosité du monde, malgré toutes les veilles possibles et inimaginables qu'on a pu ériger dans la perspective de ne louper aucune parution susceptible de nous intéresser, il y a parfois des titres qui passent entre les gouttes. Mais fort heureusement, il existe aussi des éditeurs passionnés et passionnants, tout aussi passionnés et passionnants que leurs auteurs, et qui savent se rappeler à vous. C'est ainsi qu'il y a environ un an, je recevais dans ma boîte aux lettres le livre d'un certain Gilles SchlesserLa mort n'a pas d'amis, un polar retraçant la traque d'un tueur en série s'invitant chez les surréalistes. L'ouvrage mêlait à merveille érudition, humour, enquête , fiction et réalité. Au-delà de l'histoire, il invitait à aller voir plus loin, à se pencher sur le courant surréaliste ainsi que sur ceux qui l'ont façonné. 

Cette fois-ci, Gilles Schlesser nous invite à revisiter l'existentialisme. Nous sommes en 1947. La guerre est finie. Les plaies se pansent petit à petit. Dans la rue Dauphine, au Tabou, on y joue du jazz, on y boit, danse, fait du bruit. L'effervescence créatrice est de la partie. Et le meurtre aussi, car non loin de là, on retrouve le corps d'un homme, assassiné par un coup de marteau avec les mots issus d'un texte de Sartre, lequel aurait été lui aussi agressé quelques jours auparavant. Paul Baulay, ami de Boris Vian et fils de Camille, l'enquêtrice de La mort n'a pas d'amis, s'est inscrit dans les pas de sa mère. Journaliste au Paris-Matin, l'enquête commence pour lui...

 Après avoir lu l'enquête se situant chez les surréalistes et s'être engouffré dans Mortel Tabou, l'idée que Gilles Schlesser use d'une recette pour écrire ses polars pourrait nous traverser l'esprit. L'architecture est sensiblement la même. On a un journaliste aidé par un policier lui donnant la primeur de ses informations, ainsi que des meurtres ayant semble-t-il un rapport avec un courant philosophique, artistique et littéraire qui a marqué son époque.

Mais ce serait faire un faux procès aux livres de Gilles Schlesser car s'il y a des recettes qui agacent tant elles sont grossières et mal fagotées, il y a aussi celles qui régalent par leur inventivité et la richesse de ce qu'elles révèlent. Pour tout dire, quand bien même il y a des similitudes entre les deux histoires, elles n'enlèvent en rien, jamais, à la finesse et à l'érudition - encore elle - qui en jalonnent les pages.Une érudition jamais pompeuse ni péremptoire puisqu'elle se glisse auprès de personnages réels ou fictifs, tous hauts en couleur - Ah, les réunions de concierges ! -, humains jusque dans leurs aspects les plus sombres.

Une fois de plus, la reconstitution historique, parfois méconnue,  est telle qu'on ne peut s'empêcher d'en vouloir toujours plus, d'aller au-delà même du livre pour prolonger et revivre la ferveur d'une époque endiablée, bouillonnante, dont les acteurs possèdent en eux la volonté de construire, créer, vivre pleinement, et effacer les stigmates d'une guerre dévastatrice. 

Et l'histoire policière dans tout ça me direz-vous ? On aurait tort de ne pas l'évoquer car elle remplit elle aussi pleinement son office. Comme pour tout polar, il ne faut pourtant pas trop en révéler si ce n'est pour évoquer le dénouement : il y a un coupable bien sûr mais surtout un mobile dont la révélation a de quoi surprendre... dans le bon sens du terme. Et là, croyez-moi, c'est pas non plus du réchauffé !

Mortel Tabou, de Gilles Schlesser, Parigramme, 2014, 191 p.

12/11/2013

Puzzle / Franck Thilliez



Parfois on s'évertue à lire un auteur parce qu'il a été à l'origine de belles découvertes, de très bons moments de lecture. Ouvrage après ouvrage, on espère qu'il en sera toujours de même. En tout cas, je ne sais pas si on peut y voir un lien de cause à effet mais depuis que Franck Thilliez a quitté les éditions du Passage pour Le FleuveNoir, je n'adhère plus du tout à ses livres. Je pense avoir facilement mis le doigt sur ce qui me dérange mais d'une fois sur l'autre, je tente le coup.

Premier point, la documentation. Franck Thilliez, on ne va pas lui jeter la pierre, engrange des informations sur les thématiques qu'il aborde. Seulement voilà, l'objet de ses recherches ne se fond absolument pas dans le récit. Souvent, trop souvent, j'ai ressenti le moment où l'auteur restituait celles-ci dans ses histoires, de façon plus ou moins fortuite. Il n'est pas rare en effet, en dehors des spécialistes rencontrés par les protagonistes principaux, de trouver un personnage qui connaît justement très bien telle ou telle donnée d'un problème à un moment clé, leur permettant à tous d'avancer dans la résolution d'un mystère.

Deuxième point, l'impression que le style n'est plus du tout au rendez-vous, que les livres parus depuis Syndrôme E jusqu'à Puzzle, s'inscrivent dans une lignée de livres aseptisés dont les ficelles sont par trop visibles. L'attention est apportée – et là encore ce n'est pas un mal – sur l'ambiance, sur l'atmosphère, sur la tension, avec ce qu'il faut de rebondissements, de volonté de surprendre, mais malheureusement, cela ne suffit pas. Il manque à ces livres ce petit supplément d'âme que j'avais pu trouver à différents degrés dans les autres.

Dans Puzzle, le schéma est à peu de choses près le même. Franck Thillliez a abandonné Lucie Hennebelle et Frank Sharko le temps d'un nouveau roman. Si le premier tiers est intrigant, plutôt bien mené, dès que l'on pénètre dans le huis-clos d'un hôpital psychiatrique à l'abandon, l'attention se relâche. C'est là en effet que se retrouvent les participants d'un jeu grandeur nature, Paranoïa, dont on sait peu de choses sinon qu'il les confrontera à leurs peurs les plus viscérales et que le vainqueur remportera 300 000 euros. La machine semble vouloir s'emballer, monter en puissance dès que les joueurs s'approprient les lieux. Pour moi, le moteur a calé. Puzzle s'est révélé lent, brouillon, répétitif et, tout compte fait, peu intéressant. Loin de moi pourtant l'envie d'être trop sévère : quand était paru La Chambre des morts, je travaillais en librairie et j'avais participé à la liesse générale autour du livre ; pour ce qui est de Puzzle, j'aurais eu du mal à le « vendre » aujourd'hui... 

Puzzle, de Franck Thilliez, Fleuve noir, 2013, 432 p.
CITRIQ

22/06/2013

Qui ? / Jacques Expert

Qui ? La question est posée. J'allais dire qu'elle ne quitterait pas le lecteur de la première à la dernière ligne mais en réalité ça peut ne pas être le cas. Car personnellement, cette interrogation m'a assez vite parue superflue. Pourquoi ? On va se pencher sur cette autre question.

Qui ? C'est l'histoire d'un meurtre survenu en 1994 à Carpentras, dans le lotissement du Grand Chêne. Le meurtre d'une enfant, assassinée et violée. Jamais résolue, l'affaire a beaucoup fait parler d'elle. Dix-neuf ans plus tard, une émission télévisée revient sur les faits, remet en perspective le déroulement de l'enquête, ses rebondissements. Le soir de sa diffusion, quatre hommes la regardent, en compagnie de leur épouse. Quatre hommes parmi lesquels figure l'assassin.

Ceux d'entre vous qui auront déjà lu Jacques Expert savent l'attention toute particulière qu'il apporte à la construction de ses histoires. Il les peaufine, les soigne dans le seul but de surprendre le lecteur, de déjouer les certitudes qu'il peut avoir. Adieu en est sans doute l'exemple le plus révélateur. Le problème avec Qui ? vient paradoxalement de cette attention portée à la construction du récit. En invitant ouvertement le lecteur à devenir l'enquêteur de l'histoire, Jacques Expert a trop verrouillé son récit. Derrière chaque indice disséminé à travers la voix d'un des suspects, on devine sa volonté d'ouvrir des pistes, lesquelles se referment presque aussitôt lorsque la focalisation se fait sur un autre assassin potentiel.

La faute en incombe peut-être à l'approche du récit. On prend en effet connaissance de l'environnement de l'assassin dès sa prise de parole dès le prologue : marié, père de deux enfants, fille et garçon, il trouve une certaines quiétude dans le jardinage. Les quatre hommes auront les mêmes caractéristiques. Au fil des pages, le profil du tueur va s'étoffer et chaque fois, chaque fois, les éléments qui le constituent pourront s'appliquer à chacun des suspects. Ceux-ci semblent tous identiques, presque indissociables. Si bien qu'au final, l'identité du meurtrier enfin révélée ne surprend guère, quand bien même toute la construction du récit s'articulait autour de sa divulgation. L'intérêt s'est émoussé au fil de la lecture. Dommage, mais que ça ne vous empêche pas pour autant de lire les autres livres de l'auteur.

Qui ?, de Jacques Expert, Sonatine, 2013, 350 p.

11/06/2013

Tir groupé


Beaucoup de lectures en ce moment sans pourvoir trouver un moment pour en parler. On répare tout ça dans la minute. Vous verrez il y en aura pour tous les goûts, du récent au moins récent – le mot d'ordre dans ce petit coin de web étant toujours de suivre les envies de lecture, et si celles-ci s'avèrent fluctuantes, tant mieux ! Dans tous les cas, j'espère que cela donnera un éclairage suffisant pour vous donner envie de les lire.

On commence avec Gurvan, de Paul-Jean Hérault. Ma lecture de Cal de Ter, du même auteur n'est certainement pas étrangère au fait que je me suis plongé dans ce livre. Le Space Opera reste l'un de mes genres de prédilection de la Science-Fiction – avec les histoires de voyage dans le temps, comme je le soulignais il y a peu et avec Gurvan, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'en matière de batailles spatiales et de réflexion subséquente aux guerres, on est servi.

Dans un conflit dont tous les protagonistes ont semble-t-il oublié l'origine, Gurvan officie comme pilote de vaisseau. Issu d'un Matérédu, sorte de centre d'élevage d'humains destinés à servir de chair à laser, il n'a rien connu d'autre que la guerre. Il sait ses jours comptés et il accepte docilement le sort inéluctable qui lui est réservé. Les statistiques parlent d'elles-mêmes : la durée moyenne de survie d'un soldat est de 61 missions.

Dans cette intégrale regroupant trois titres parus en 1987 et 1988 dans la célèbre collection « Anticipation » au Fleuve noir (Sergent-pilote Gurvan ; Gurvan : les premières victoires ; Officier-pilote Gurvan), j'ai donc effectivement retrouvé toutes les qualités – et quelques menus défauts - déjà soulevés dans Cal de Ter. On passe donc très vite sur l'historiette d'amour un tantinet mièvre ainsi que sur l'aspect un peu daté qui affleure parfois au détour d'une expression... pour nous attarder sur ce qui finalement, rend ce livre vraiment prenant, au point même qu'il sera bon de continuer l'aventure avec d'autres protagonistes évoluant dans le même univers dans le Bricolo. Le style de Paul-Jean Hérault est efficace, limpide, ça coule tout seul aurait-on envie de dire, et en bon amateur de Galactica, voire même Battlestar Galactica, on se plaît à suivre les scènes de batailles spatiales habilement décrites, à faire corps avec l'escadre de Gurvan. Et au-delà de cet aspect purement esthétique, on ne peut que reconnaître l'efficacité de l'approche de l'auteur vis à vis du conflit opposant les Terriens à... à qui d'abord ? Très longtemps, le lecteur ne sait effectivement rien de l'origine de la guerre et, hormis les vaisseaux ennemis, ne sait rien non plus de la nature des adversaires de Gurvan. La guerre apparaît alors dans toute son absurdité, quand l'escalade a fait son travail de sape, que méconnaissance de l'autre et aveuglement amènent à tuer pour ne pas être tué. Encore une fois, Paul-Jean Hérault signe du Space Op' comme on aimerait en lire plus souvent...


Autre temps, autre univers, autre bonne surprise (mais en est-ce réellement une ?) avec Bombe X de Ludo Sterman. Je savais que l'auteur travaillait sur un deuxième roman après le remarquable Dernier shoot pour l'enfer. En revanche, je ne savais pas que Julian Milner, son personnage, allait reprendre du service. Grand bien lui fasse même s'il en bave pas mal dans cette affaire baignant une fois de plus dans le sport et ses magouilles...des magouilles que Julian n'a de cesse de dévoiler.

A croire que l'investigation, les Milner ont ça dans le sang, dans les gênes. Le père d'abord, dont Julian sait pourtant si peu, puis son frère, retrouvé comateux sur une aire d'autoroute suite à une agression dont tout porterait à croire qu'elle était préméditée. Julian au fond du trou, pas encore remis du tumulte suscité par l'affaire Novella, en proie au doute, esseulé, décèle assez rapidement que son frère a dû toucher à quelque chose de gros, de très gros, pour qu'on cherche ainsi à le réduire au silence. Il ne se trompe pas. Il va en effet entrer de plein fouet dans les arcanes du dopage dans le cyclisme. Au péril de sa vie, il va dénouer un à un les fils de cet écheveau où petits et grands voyous, mafieux de tous poils, travestissent la beauté d'un sport et les espoirs de jeunes coureurs...

Plus sombre, plus noir que Dernier shoot pour l'enfer, plus incisif aussi, Bombe X fascine. Par l'éclairage apporté sur le dopage – la course ne se jouant plus sur une route mais dans des labos -, sur la complaisance d'un journalisme qui n'hésite pas à fermer les yeux, intérêts communs en jeu, par la tension qui s'en dégage irrémédiablement, mais aussi par l'attention toute particulière faite aux personnages de cette histoire, touchants et exaspérants à la fois, femmes et hommes, seconds rôles ou pas. Le background est là, laisse présager que Julian Milner n'a pas fini sa quête, que la tempête qui couve en lui n'a pas fini de s'exprimer. Je la suivrai de près...

On terminera, assez rapidement il faut dire, avec le dernier Philippe Djian, « Oh... ». Pourquoi rapidement ? Parce que tout a été dit à son propos, ou presque.

« Oh... mon Dieu » ? « Oh...putain » ? On laissera au lecteur le soin de découvrir ce qui se cache derrière ce titre énigmatique que Philippe Djian dévoile – mais le fait-il vraiment ? - en toute fin d'ouvrage. On retrouve ici tout ce qui fait la qualité de ses livres : la finesse de l'écriture et des personnages, faisant preuve une nouvelle fois d'une ambivalence avérée, ni tout blancs, ni tout noirs, pervers, sincères et faillibles. A la différence cette fois-ci que Philippe Djian abandonne le « je » masculin pour un « je » féminin. Il fallait oser s'immiscer ainsi dans la peau d'une femme, d'autant que celle-ci a été victime d'un viol dont elle gère l'impact avec un certain... détachement. Je n'en dirai pas plus, si ce n'est que Djian ne finit pas de surprendre... dans le bon sens du terme.


Gurvan, de Paul-Jean Hérault, Critic, 2012, 455 p.
Bombe X, de Ludo Sterman, Fayard (Fayard noir), 2013, 416 p.
"Oh...", Philippe Djian, Gallimard (Blanche), 2012, 240 p.


21/05/2013

La Quatrième théorie / Thierry Crouzet


Fichtre ! Quel livre !

En entamant la Quatrième Théorie de Thierry Crouzet, l'image d'un bâton de dynamite s'est imposée à moi. L'auteur allume la mèche dès les premières lignes. Très vite, c'est l'explosion. La déflagration est telle que les personnages sont propulsés, malgré eux, dans le maelström d'une réalité sidérante à laquelle ils doivent faire face. Il en va de leur survie, de celle de leurs proches aussi. Puis, au fil de la lecture, une autre image m'est venue. Celle d'un Big Bang.

Pleins phares, au son des Slash

Eclosion de la Quatrième théorie.

Idé revient de Paris. Il regagne sa maison de campagne dans le Lot-et-Garonne où l'attendent sa femme, Mitch, et ses deux enfants, Tom et Ana. Ce soir, il doit aussi revoir son ami Jos, perdu de vue depuis vingt ans. A l'époque, ils jouaient ensemble les pirates du Net. Mais les retrouvailles sont tout à coup compromises. La route est bloquée. Accident de voiture. Sur les lieux, Idé trouve un téléphone. Celui de Jos, qui sonne. Idé doit fuir. Lui et les siens doivent fuir. Ils sont en danger. Trois jours durant, ils seront tous au cœur de la guerre opposant les Croisés et le Freemen, se découvriront sous un jour insoupçonné, sans connaître de répit.

Avant d'être publiée en support papier, La Quatrième théorie a entièrement été écrite sur twitter, avec la contrainte de 140 caractères par phrase. Au début, celle-ci aura surtout permis à Thierry Crouzet de suivre l'impact de son histoire auprès de ses lecteurs, l'amenant parfois à la moduler en fonction de leurs réactions, de leurs retours. Bien plus que l'exercice en lui-même, c'est l'aspect expérimental de l'écriture qu'il semble important de souligner, pour la dynamique qu'il a engendré, que ce soit pour l'auteur lui-même ou pour ses followers : de l'état embryonnaire au tweet, du tweet au livre.

Le résultat est là, dans une alliance parfaite du fond et de la forme. Le style mitraillé, le staccato des mots restitue de manière immersive la frénésie du monde dans lequel Idé, Mitch, les Croisés, les Freemen, la société, évoluent. Notre monde. Derrière l'action, derrière cet emballement généralisé, dynamité par les nouvelles technologies, dont chacun essaie de se dépêtrer, se dévoile le territoire des idées. Croisés contre Fremmen. Les premiers accrochés au pouvoir, à la vision pyramidale, hiérarchisée de la société. Les seconds totalement démarqués de cette approche et prônant la mise en place d'un réseau décentralisé, par lequel l'individu n'aurait pas à subir la pression impulsée par les Croisés. Dire les choses ainsi pourrait laisser croire que Thierry Crouzet impose une vision très manichéenne. Or à la lecture de la Quatrième théorie, on voit très bien, très vite, qu'il n'en est rien.

-Les Freemen ne sont-ils pas ceux qui n'appartiennent à aucun parti ?
-Ils s'opposent à des partis. En conséquence, ils sont dans le parti d'en dehors, dans un non-parti.
-Est-ce possible de n'être ni dedans ni dehors, ni contre ni avec ? Demanda Idé.
-Je n'en suis pas sûr, j'essaie.

L'auteur ne se place jamais en position de donneur de leçon, de chantre de la révolution. Il ne cède pas non plus au renoncement. Son credo serait, une fois de plus, celui de l'expérimentation. Dans le sens où il serait possible de s'affranchir des codes sociétaux tels que nous les connaissons. En proposant, en testant de nouvelles voies, sans que ce soit au détriment de l'individu. Bien au contraire celui-ci devrait avoir toute latitude à s'exprimer, à devenir acteur de sa vie et responsable de sa place dans la société.

Joseph m'a souvent parlé de toi. De ton aspiration à une existence ordinaire. C'est tout à ton honneur. Mais arrive un moment où même l'ermite ne peut plus se tenir à l'écart des égarements de hommes.

On perçoit très clairement la portée humaniste d'une telle perspective, celle-ci se révélant jusque dans l'expression de la Liberté et de l'importance du lien social, de notre rapport au monde.

Roman d'action et roman d'idées, on ressort de la Quatrième théorie avec 1) l'impression d'avoir lu un livre insolite qui vaut sacrément le détour - voyez-y l'image un peu éculée de l'OLNI si vous voulez, 2) l'envie de le faire lire à pas mal de monde – faudra que je le file à mon banquier tiens... 3) les cellules en ébullition... d'autant que pas mal de faits relatés sont issus de notre réalité et laissent plus que perplexe... stupéfait.

Ne jamais interdire, toujours comprendre.

CITRIQ  

La Quatrième théorie, de Thierry Crouzet, Fayard (Fayard noir), 2013, 541 p.

11/05/2013

Le Projet Morgenstern / David S. Khara

Lorsque je m'étais fait l'écho du Projet Bleiberg, le livre avait pris son envol depuis un moment déjà, relayé par la presse, les libraires, les bibliothécaires mais surtout, par les lecteurs eux-mêmes. Le phénomène était à peu de choses près similaire à celui rencontré avec La Chambre des morts de Frank Thilliez. Un éditeur qui gagnait à être découvert, un auteur qui le méritait tout autant. Le genre d'histoire qui plaît encore, celle de ces écrivains qui sortent d'un peloton compact, resserré, pour faire une belle échappée inattendue et surprenante. On ne sait pas s'ils tiendront sur le même rythme tout le long de la course mais après tout, peu importe : ce qu'ils ont entrepris est déjà remarquable. Et quand un bouche-à-oreille fonctionne ainsi, rien ne coûte d'aller voir de plus près de quoi il retourne ni de céder à une saine curiosité. Une curiosité pouvant finalement mener jusqu'au Projet Morgenstern qui clôt la trilogie impulsée – et bien impulsée – par David S. Khara.

Jacqueline Walls et Jérémy Corbin sont parvenus à se poser, à mener ce qui ressemble de loin à une vie relativement paisible après les événements auxquels ils ont été confrontés avec Eytan Morgenstern depuis le Projet Bleiberg. Jacqueline est devenue flic dans la ville du New Jersey qu'ils habitent. Jérémy a rejeté son ancienne vie de trader pour devenir libraire. Ils ont eu une petite fille. Rien a priori ne devrait bousculer cet équilibre acquis de haute lutte mais d'autres personnes en ont décidé autrement. De sorte qu'Eytan, qui ne veut s'attacher à personne, va tout mettre en œuvre pour les protéger, quitte pour cela à renouer une fois de plus avec son passé. Car ce qui se trame aujourd'hui possède de sombres résonances avec l'objet de sa lutte et la racine de ses propres souffrances...

Pas facile, sans doute de continuer sur la lancée d'un Projet Bleiberg. Est-il possible de tenir ainsi sur la longueur, faire en sorte que l'intérêt ne s'émousse jamais ? Le Projet Shiro, deuxième volet des aventures d'Eytan Morgenstern avait à lui seul levé le doute, et si tant est qu'il soit réapparu, ce dernier tome le renvoie définitivement dans les limbes. Certes, la mécanique est identique, l'auteur alternant éléments du passé et temps présent. Certes, les personnages et leurs particularités nous sont connus. Mais cela n'enlève jamais, n'enlève en rien la faculté qu'a David S. Khara de raconter l'Aventure, de la poser, la décomposer, de l'étirer, de la rendre malléable au point d'en faire ce qu'il veut.

Cela tient parfois à peu de choses. Certains vous parleront de style cinématographique, de scènes très visuelles. Personnellement, je perçois dans cette série de livres – et je peux me tromper naturellement - la somme des influences que peut avoir l'auteur, que ce soit en matière de livres ou même de films, et qui sonnent comme un écho incroyable aux références que je colporte dans ma propre caboche. Cela s'avère saisissant dans les scènes se passant pendant la seconde guerre mondiale, en Pologne, lorsque Eytan rejoint les rangs d'un groupe de résistants, qu'il lutte avec eux pour déjouer les plans des occupants. Et pourtant il ne s'agit pas non plus d'un simple copier / coller de références, car l'auteur a son style propre, un style efficace, vif et... oui, imagé. Il a sa manière bien à lui de poser son histoire, de dépeindre actions et situations. Mais surtout, il connaît ses personnages, aime - cela se voit, se sent - les faire évoluer selon des caractéristiques qui leur sont propres sans pour autant les faire réagir de façon trop systématique à tel ou tel événement donné. Ce sont à la fois des personnages de fiction répondant aux codes du roman d'Aventure, avec ce qu'il faut d'humour, de sérieux, de réfléchi et de faculté à réagir aux embûches semées sur leur parcours, mais ce sont avant tout des personnes en questionnement sur le monde qui les entoure.

Côté questionnements, justement, on n'est pas en reste avec le Projet Morgenstern. De ce point de vue, l'alternance passé / présent, revêt toute son importance. Parallèle miroir, elle renvoie la quête de l'Übermensch, dont Eytan a été l'une des victimes, au transhumanisme, mouvement qui tendrait à améliorer les capacités humaines grâce à la science. Pas question en l'occurrence de jeter le progrès ou les innovations à la trappe mais de mettre en garde contre les dérives qu'elles ne manquent pas d'engendrer...

Vous l'aurez donc compris, si vous manquez de Projets en ce moment, vous savez vers où vous tourner... ils sont disponibles dans toute bonne librairie indépendante... ou en bibliothèque... enfin j'espère.


Le Projet Morgenstern, de David S. Khara, éditions Critic, 2013, 361 p.

19/03/2013

La Mort n'a pas d'amis / Gilles Schlesser

Les histoires de tueurs en série ne manquent pas à l'appel. Certains pourraient même penser qu'on en mange à la pelle. D'ailleurs, en ce moment - vous l'aurez peut-être remarqué- la mode est aux serial-killers sympathiques et drôles, ceux avec qui, pour un peu, on irait manger le bout de gras. 

Bien loin de toute surenchère thrilleristique, Gilles Schlesser, dans La Mort n'a pas d'amis, a choisi une toute autre approche, sans doute parce que son propos n'est pas de s'inscrire dans une veine spécifique de la littérature policière. On sent plutôt à travers les 237 pages de ce roman tout le plaisir – communicatif - qu'il a eu à l'écrire, à partager avec nous sa passion des quartiers parisiens et du courant surréaliste, sans jamais se révéler pontifiant.

1925. Camille Baulay, plus connue sous le pseudonyme de Oxy B pour ses lecteurs, reporter spécialisée dans les faits divers et autres affaires de mœurs, est contactée par le commissaire Gardel. Ce dernier, qui semble éprouver une réelle affection pour la jeune femme, lui offre sur un plateau la primeur d'une scène de crime pour le moins inhabituelle et énigmatique. Un homme a été poignardé et la mise en scène entourant ce meurtre laisse perplexe. L'assassin a cousu une cape rouge sur la veste de sa victime, laissé une pomme dans sa main et peint son sexe à la peinture noire. Un meurtre plus tard, Camille réalise que les cadavres semés selon un ordre et des endroits bien précis dans Paris auraient un lien avec un tableau de Max Ernst, le Rendez-vous des amis, et par extension, avec les surréalistes. Elle aura tôt fait d'aller à la rencontre d'André Breton, de Robert Desnos et autres acteurs de ce mouvement pour tenter de comprendre l'origine des meurtres.

Les pages de La Mort n'a pas d'amis filent, filent, filent. Gilles Schlesser, en s'accommodant des codes du polar et en livrant une enquête s'avérant finalement assez classique, parvient à capter le lecteur de bout en bout. Par l'époque qu'il a choisie d'abord, un 1925 où l'on devine les stigmates d'une guerre mondiale sans encore sentir les prémices d'une autre à venir, par ses personnages d'une vitalité, d'une hardiesse ou d'une folie irrésistibles et, sans aucun doute, par cette immersion en terre surréaliste. Avec Camille, frondeuse épatante et enthousiasmante, on se fond dans le décor et la mécanique souvent entropique impulsée par André Breton. Qu'il s'agisse des jeux et exercices littéraires mais aussi des rivalités qui opposèrent les surréalistes entre eux ou envers ceux qui, à travers le temps, s'étaient inscrits dans une vision de la réalité incompatible avec la leur, on suit tout cela avec un vif intérêt.

Au final, on ressort même de cette lecture avec l'envie d'en savoir plus, la curiosité vissée au cerveau, et enchanté d'avoir côtoyé un temps les personnages qui jalonnent ce récit, dans lequel Gilles Schlesser a su combiner à merveille érudition, humour et enquête. Loin des modes, donc, tout à la passion de son histoire, de l'Histoire et de ceux qui l'ont écrite... à leur façon.

La Mort n'a pas d'amis, de Gilles Schlesser, Parigramme, 2013, 237 p.

07/11/2012

Avant de partir !

Je ne pouvais pas m'envol... prendre le train pour les Utopiales, Festival incontournable de science-fiction, sans prendre le temps de vous parler de deux livres qui ont tous deux eu un effet certain sur ma personne. J'ai pris une gifle avec le premier, et j'ai comme qui dirait tendu l'autre joue pour le second. A la réflexion, cette image là ne sied pas à un super-héros, aussi vous dirais-je donc plus exactement que, de ces lectures, j'en suis resté sur les fesses comme après avoir reçu une rafale ectoplasmique à ondes réfractalement hostiles. Dans les deux cas, l'équilibre est rétabli, merci.

On commence avec le premier dans l'ordre d'apparition derrière le masque  : Rendez-vous au 10 avril, signé Benoît Séverac. Vous pouvez toujours aller chercher ce livre sur les étagères de votre librairie préférée, je doute que vous le trouviez (hormis peut-être si vous habitez Toulouse, mais il s'agira là d'un cas particulier sur lequel je vais revenir). On connaît la rotation infernale des livres sur les présentoirs, on ne va pas refaire l'histoire. Si Benoît Séverac est connu du monde du polar, il ne l'est pas encore complètement du grand public, et c'est regrettable. Quant à la maison d'édition, tme, basée à Toulouse où se situe l'action du livre (j'y suis revenu plus vite que prévu tout compte fait), elle ne l'est pas du tout.

J'ai fait l'acquisition de Rendez-vous au 10 avril au Festival de polar de Villeneuve lesAvignon, en 2011, où l'auteur était présent. Près d'un an plus tard, je me décide enfin à le lire. L'envie était là de me frotter à un roman noir situant son action au lendemain de la première guerre mondiale. Et trouver un passage du Témoin oculaire de Ernst Weiss en préambule du livre, a été une passerelle plus qu'encourageante (à lire, lire, et relire !).

Un inspecteur de police, vétéran de la guerre, est confronté à deux décès aux apparences trompeuses survenus dans la nuit : le suicide d'un professeur de l'école vétérinaire de Toulouse et la mort d'un notable de la ville. Si l'enquête se révèle assez classique dans son traitement et bénéficie de quelques heureuses coïncidences, la part belle est ici donnée au narrateur de l'histoire, lequel porte en lui les stigmates de la guerre mais aussi le poids d'un secret qu'il a bien pris soin d'enfouir à fortes doses d'alcools et de morphine. Son état n'est pas sans embarrasser sa hiérarchie, sans gêner non plus certaines personnes qu'il est amené à rencontrer au cours de ses enquêtes. Tous les soirs, au lieu de rentrer chez lui, il trouve un semblant de réconfort dans une maison close, où la tenancière l'autorise à dormir. Ses seuls moments de répit sont là, dans ces maigres heures volées aux images qui l'assaillent : souvenirs de guerre ou passants dans la rue le renvoyant à un passé révolu à jamais. Cet homme, dans son désespoir, sa ruine, sa douleur, Benoït Séverac a su le rendre authentique jusqu'au final sidérant de cette histoire. Le tout servi par une belle écriture.

L'écriture. On ne peut pas ne pas l'évoquer en ce qui concerne Un petit jouet mécanique de Marie Neuser. C'est en tout cas un des aspects du livre qui retient immédiatement l'attention. Elle est là, comme cette petite musique à laquelle fait référence l'auteur dans le livre : « Quoi que tu aies envie d'écrire, tu dois trouver ta petite musique. Trouve-la et suis-la. Et elle te fera aller au plus près de la vérité. ». Elle est là, donc, et emporte irrémédiablement le lecteur dans les filets de son histoire, dont, désolé pour le cliché, on ne ressort pas indemne (mince, je viens de me rendre compte que ce sont les termes exacts de la quatrième de couverture... mais comme c'est exactement ça, on ne va rien changer aux mots !)

Après bien des années, Anna revient en Corse, à Acquargento, demeure où ses parents passaient leurs vacances avec elle. Elle se rappelle son dernier été passé là-bas, lorsqu'elle avait seize ans. L'été où sa sœur, Hélène, est tout à coup réapparue sur leur lieu de villégiature, bébé au bras. Étrangères de cœur, étrangères en tous points, les deux filles ne s'apprécient guère. Les douze années qui les séparent n'ont sans doute rien arrangé. Et si l'arrivée de la jeune femme et de son enfant chamboulent au début le quotidien des uns et des autres, les jours filent pourtant, semblables, chacun vaquant à ses occupations. Anna écoute de la musique, peint, écrit, se rend à la plage, se nourrit de son ras-le bol d'être ici et pas ailleurs, se nourrit aussi de sa solitude quand elle ne joue pas avec le bébé. Pourtant à mesure que les jours passent, Anna en vient à s'interroger sur le comportement de sa sœur à l'égard de son enfant.

L'été, le quotidien transfiguré petit à petit, le malaise prégnant sans qu'on puisse clairement en identifier la nature, ou même l'apaiser. C'est en cela, dans sa faculté à générer cette impression que l'écriture de Marie Neuser est redoutable. Les mots, leur sens et ce qu'ils génèrent deviennent purement indissociables. La « petite distillation progressive », évoquée dans le roman, est en marche. Que ce soit le glissement d'Anna dans son approche de l'âge adulte ou dans les événements qui se nouent. Les phrases effleurent, s'inscrivent dans le cerveau comme un sillon qui passe et repasse, gravent sournoisement mais implacablement la monstruosité d'un instant, d'une période de la vie où la normalité n'a plus sa place. A moins bien sûr qu'elle ne soit constitutive d'un tout, drame compris. 

Et ces mots là - on en revient à eux - vous touchent d'autant plus, vous lecteur, lorsqu'Anna raconte son histoire à la deuxième personne du pluriel. Une manière de prendre de la distance face aux événements, dont le temps n'a en rien altéré la douleur.

Tout est à sa place dans ce roman. Il n'y a rien à enlever, rien à rajouter. Juste à se laisser prendre, se laisser aller au doute, à l'amertume et à l'espoir aussi.

J'ai du mal à lâcher le clavier parce que je voudrais dire encore bien des choses pour vous inciter à le lire ce bouquin, mais il faut quand même vous laisser le "plaisir" de la découverte.

Enfin, si vous ne savez pas quoi lire en ce moment, hein...

Moi, ce que j'en dis...

Ah si, tout de même, il est utile de le préciser : Un petit jouet mécanique est apparemment le deuxième livre de Marie Neuser, je vais donc m'empresser de me procurer le premier, Je tue les enfants français dans les jardins.

Bon allez. Je vous laisse, j'ai mes valises à préparer. Direction le futur. Suis pas sûr que ce soit moins noir...

Rendez-vous au 10 avril, de Benoît Séverac, éditions tme (noire d'Histoire), 316 p.
Un petit jouet mécanique, de Marie Neuser, L'écailler (Polar & Noir), 157 p.

31/10/2012

Haka / Caryl Férey

Les personnages torturés, rongés, écorchés par l'existence, violents, alcooliques, morts avant de l'être, ne manquent pas dans le polar. Impossible de les compter sur les doigts d'... de bien des mains. Si les clichés ont la peau dure, à l'image de ces héros accablés par le sort, bon nombre d'auteurs ont pourtant su les déjouer ou se les approprier pour mieux les contourner. Ils arrivent à emporter le lecteur sur des sentiers non balisés à la seule force de l'histoire, de l'intrigue, du style, de cet univers, aussi noir soit-il, dans lequel évoluent les personnages. Et, avec Haka, Caryl Férey a démontré combien il savait y faire pour déjouer les pièges de la clich'attitude.

Le pari n'était pourtant pas gagné si l'on en juge l'état dans lequel l'auteur balance son personnage dans les cordes dès les premières pages, avant de le blackbouler sur le ring de l'histoire, avec le lecteur en guise de caméra embarquée.

Nouvelle-Zélande. Jack Fitzgerald est un flic métisse. Désabusé, violent, dépressif, alcoolique. Depuis 25 ans, depuis la disparition de sa femme et de sa fille, il voit dans chaque affaire la possibilité de remonter à la source de ce drame personnel. Il met donc du cœur à l'ouvrage dans chacune d'entre elles quitte, parfois, à dépasser les bornes, franchir la ligne jaune. Jack nourrit des certitudes contradictoires quant au sort réservé à ses chères disparues : vivantes, mortes, vivantes, mortes... L'absence de corps et du moindre indice l'ont toujours fait vaciller entre l'assurance de leur trépas et l'espoir, même si le temps a eu la fâcheuse tendance à y aller de son travail de sape.
Lorsqu'on découvre sur une plage le corps d'une jeune fille le sexe scalpé, Jack s'investit une fois de plus dans cette enquête avec la conviction qu'il connaîtra le fin mot de son histoire après toutes ces années. Seule ombre au tableau, ses supérieurs, peut-être pour le canaliser, lui ont adjoint une jeune criminologue diablement efficace...

Par bien des aspects, Haka n'est pas sans rappeler Les Soldats de l'aube d'un certain Deon Meyer. Il faut sans doute imputer cette impression à la nature du personnage à sa propension à la violence, à sa déchéance morale, ainsi qu'au dépaysement suscité par le lieu, la Nouvelle-Zélande pour l'un, l'Afrique du Sud pour l'autre, chacun identifiable par sa culture et son milieu sociétal respectifs.

La comparaison s'arrête là car Haka possède son identité propre, servie par une belle galerie de personnages évoluant en parallèle de la ligne narrative dévolue à Jack et à son enquête. Ceux-ci ne sont pas uniquement des faire-valoir, ne sont pas seulement des éléments constitutifs de la mécanique d'un récit servant – peut-être – à brouiller les pistes, ils s'avèrent aussi des êtres à part entière qui, dans leur marge émotionnelle, intérieure, se révèlent d'une fulgurance redoutable (entendez par là qu'ils sont foutrement beaux !).

Sombre, noir, glauque, oppressant - ne rayez aucune mention inutile - Haka ne manque pas de l'être. Le lyrisme dont fait preuve l'auteur dans l'utilisation de ses métaphores n'atténue en rien la sensation de fuite  en avant, de déliquescence généralisée.

Et si la quatrième de couverture promet que « Jack Fitzgerald  mènera l'enquête jusqu'au chaos final », on ne peut que se réjouir, d'une certaine façon, qu'elle dise vrai. Ça dézingue à tous les étages. Caryl Férey tranche dans le vif et laisse la caméra embarquée dont je parlais plus haut, dans... dans un triste état. Forcément. 

Haka de Caryl Férey, Baleine (Instantanés de polar), 1998, 448 p. / Folio policier, 448 p., 2003

26/10/2012

Dans l'oeil du Gabian / Françoise Laurent

Si Gérard, dit Gégé pour les intimes, comptait couler des jours paisibles pour sa retraite, c'est... disons... plutôt raté. Ça ne s'annonçait déjà pas forcément évident avec les triplées que son fils Arthur et sa belle-fille Capucine ont eu l'immense bonheur d'accueillir en ce bas-monde. Non pas que ça l'impressionne les batteries de couches, les batteries de cuisine ni même les batteries de pleurs. Tout ça, après tout, n'est qu'une question d'organisation. Et puis en ce week-end pascal au Grau Roi, on se laisserait facilement aller à l'indolence : beau temps, barbecue en marche, petit vin frais, la famille, l'ami Jean-Baptiste qui accueille tout ce beau monde chez lui.

Bon, il est pas en grande forme l'ami Jean-Bapt. L'Education Nationale vient de le mettre à pied parce qu'il aurait giflé un marmot tout disposé à le faire sortir de ses gonds, histoire que les copains immortalisent l'instant avec leur téléphone portable. Mais qu'à cela ne tienne, tout ce beau monde est prêt à passer un bon petit moment, loin des remous du quotidien.

Et cela aurait pu être le cas si... si les gabians évoluant à proximité n'y étaient pas allé eux aussi de leurs concerts de cris, des cris motivés par un morceau de viande qu'ils se disputent. Tant et si bien que la pitance en question tombe dans le plat comme un cheveu sur la soupe. Mais voilà, en guise de cheveu, c'est d'une oreille humaine qu'il s'agit, ornée d'un anneau. Arthur le reconnaît aussitôt. Il appartient à Denis qu'il a, en médecin qu'il est, ausculté pas plus tard que la semaine dernière. L'appétit n'est plus de mise, sauf peut-être pour Gégé, prompt à écouter son estomac en toutes circonstances...

Quelle belle surprise que cet œil du Gabian Dès les premières pages, le ton est donné, on est clairement dans le registre de la comédie policière. Le lecteur pénètre dans la tête de Gégé, suit l'évolution de ses tracas, des ses embarras, de ses envies, de ses doutes. Ça part dans un sens, ça s'arrête brusquement à l'amont d'une pensée, emprunte d'autres directions. Et quelles directions, serait-on tenté de dire... C'est drôle, enlevé, nourri de personnages hauts en couleur dont on savoure le verbe et la gouaille.

Cependant on aurait tort de penser que la tonalité du récit et la légèreté apparente de celui-ci lui enlèvent toute cohérence, toute profondeur. La comédie, est-il encore besoin de le prouver, fait partie de ces ressorts à même de révéler les multiples facettes de l'humanité, des plus cruelles aux plus futiles, des plus émouvantes aux plus déstabilisantes. Françoise Laurent s'inscrit dans cette optique. Ses personnages sont entiers, mais révèlent aussi des failles insoupçonnées au regard de l'Histoire et de leur(s) histoire(s). Celles-ci, imbriquées les unes aux autres, portées par les mensonges, les trahisons, mais aussi par le regard tronqué de nos semblables ainsi que par le jugement qui en découle, démontrent combien nos existences peuvent s'avérer tumultueuses, au point d'amener aux actes les plus absurdes ou les plus tragiques.

A Gégé, cette fois-ci d'en être l'un des témoins. A nous, l'envie de le retrouver en espérant qu'il ne prenne pas trop de... plomb dans l'aile.

Ils l'ont aussi apprécié : Passion Polar, Actu du noir

Dans l'oeil du gabian, de Françoise Laurent, Krakoën, 2012; 284 p.

06/03/2012

Le Poulpe - Aztèque freaks / Stéphane Pajot


Voilà bien longtemps que je n'avais pas lu un petit Poulpe. Enfin, petit, c'est vite dit. Dans celui-ci, plus long que de coutume, vous aurez du petit, certes, mais aussi du minuscule, du grand, du très grand, des excroissances et... de l'insolite. Car Stéphane Pajot embraque le Poulpe dans une virée chez des freaks dont le cirque a fait une escale à Nantes.

Alors que les fragrances de l'affaire DSK soufflent même jusqu'au bar à la Sainte-Scolasse, attisent les discussions de comptoir, le Poulpe tombe sur un article mentionnant le suicide d'un lilliputien, retrouvé pendu au cœur de Nantes. Ni une, ni deux, comme à son habitude, le voici embarqué dans le premier train venu pour y voir plus clair dans cette singulière affaire, laquelle se complique avec la disparition de l'avaleur de grenouilles de la troupe. En octopode aguerri, il ne lui faudra pas bien longtemps pour pénétrer dans les arcanes du cirque freak, rencontrer les principaux protagonistes qui le font vivre (ah Wanda, la charmeuse de serpents !)... et même devenir le figurant d'une reconstitution du vingt mille lieux sous les mers de Jules Verne.

La matière est là, on le voit, et Stéphane Pajot l'explore à merveille. Il le fait peut-être au détriment de l'intrigue que l'on pourra trouver mince et un peu lente à démarrer, mais qu'importe. Qu'importe, car il ne noie jamais le poiss... le poulpe, même s'il l'emmène en os troubles. De cafés en bistrots, de bistrots en librairies, de librairies en musées, le lecteur part à la découverte de Nantes mais surtout à la rencontre d'hommes et femmes de foire, géants, homme-caoutchouc, liliputiens, femme à barbe, homme-tronc... auxquels on associe sans mal de vieilles photographies, de vieux souvenirs de spectacles de cirque, de films... à la différence que cela se passe ici et maintenant. Qui plus est, cette incursion en Poulpitude ne serait rien non plus sans l'écriture de Stéphane Pajot qui donne plaisir à retrouver le personnage dont on dit ici ou là qu'il pourrait revenir bientôt sur le grand écran. Sa langue est savoureuse, se joue des mots sans tomber dans l'excès (et il en est même d'ailleurs qui ravissent -  jugez plutôt de cet « Empailleur State Building »

On a pu reprocher au Poulpe de se suivre et de se ressembler. Celui-là n'a pas son pareil : il est freak style !

18/12/2011

Adieu / Jacques Expert


24 mars 2011. Le Commissaire Hervé Langelier fête son départ à la retraite. Il s'en serait bien passé. En homme solitaire, il aurait en effet préféré partir dans la discrétion la plus totale. Sans éclats, à l'image de sa carrière, entachée par une affaire, une seule, dont il n'a pu se défaire. Les faits remontent à dix ans. Février 2001, une femme est retrouvée égorgée au domaine familial, ses enfants gisant dans leurs lits, étouffés, un oreiller déposé à leurs pieds. Aucune trace du père. Un mois jour pour jour après ces premiers meurtres, rebelote. Une autre famille est retrouvée dans les mêmes circonstances, selon le même mode opératoire. Le père est, là aussi, porté disparu. Et ce n'est pas fini. Langelier possède sa propre hypothèse mais elle n'est pas au goût de tout le monde. Malgré l'appui de son ami et néanmoins supérieur direct, le commissaire Ferracci, l'enquête finit par lui être retirée. Qu'à cela ne tienne, il la mènera seul, à l'insu de tous. Quitte à en payer le prix fort.

Le flic obnubilé par une affaire au point de tout lâcher pour elle ou d'attendre d'avoir enfin du temps pour s'y consacrer entièrement - tout tenter pour ne pas finir perclus de remords, savoir - c'est comme qui dirait monnaie courante en matière de polars. C'est comme un socle à une histoire dont il revient ensuite à l'auteur d'en révéler l'essence. Tout en subtilité, en finesse, grâce un mariage subtil du fond et de la forme, et sans doute aussi pas mal de savoir-faire, Jacques Expert y parvient sans aucune difficulté.

Toute la première partie exposant les bases de l'histoire est rapportée dans un style très factuel. Dates, heures, personnages, procès-verbaux, qui a fait quoi, où, quand, comment, dans quelle intention... les faits, rien que les faits. On entendrait presque la voix off d'un commentateur dans une de ces émissions consacrées aux affaires criminelles ayant défrayés les chroniques. Pourtant, là où un Donald Harstad balance les codes radios de ses unités de police en intervention pour faire plus vrai, on palpe ici quelque chose de plus dense, de plus élaboré dans la constitution du récit. Cette impression se confirme dans une deuxième partie où, cette fois-ci, le récit bascule à la première personne. C'est en effet Hervé Langelier lui-même qui livre la nature de ces dix dernières années consacrées à une enquête qu'on lui a ôtée et qu'il s'est réapropriée sans l'aval de sa hiérarchie. Là encore, les faits sont là, avec une précision confondante, témoins de l'obsession du flic. Son appartement n'est plus qu'un champ de données sur les murs : photos, rapports, notes, réflexions. Langelier est capable de les citer toutes, de les localiser de mémoire. Ce retour sur l'affaire est entrecoupé de ses réflexions intérieures tandis qu'il observe tous ceux qui sont venus lui rendre un dernier adieu avant sa retraite. Dont Ferracci, son ami devenu rival. L'heure des explications est venue. Elles sonnent comme un règlement de compte en bonne et due forme.

Au-delà des faits et de leur dualité – aux mêmes événements, de multiples interprétations et réalités possibles – amenée avec beaucoup de maîtrise, il y a aussi une réelle gradation dans l'exploration de la psychologie des personnages, et de celle du commissaire Langelier en particulier. Au gré du récit, la perception que s'en fait le lecteur change subtilement, par petites touches et ce n'est qu'avec un certain recul que l'on en prend l'exacte mesure.

Qu'on ne s'y méprenne donc pas, Adieu n'est pas un livre de plus sur les étals des librairies, ce n'est pas une énième resucée d'histoire de tueur en série, c'est un roman à l'impact certain, de ceux qui laissent des traces, ne serait-ce que dans son évocation de la solitude. Adieu mérite bien son triple B : bluffant, balèze brillant !

Adieu, Jacques Expert, éditions Sonatine, 327 pages.