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28/06/2014

Le Sonneur / Ed McBain

Allez, on reste encore un peu aux Etats-Unis mais cette fois-ci on quitte New-York pour sa jumelle, Isola, ville fictive où Ed McBain situe les enquêtes des flics du 87e district. Je m'étais promis de lire régulièrement des œuvres de cette série après la bonne découverte entamée avec Du balai !, mais il faut croire que j'ai préféré me laisser happer par d'autres lectures. Mal m'en a pris car ce fut un réel plaisir de retrouver l'ambiance de cette unité de police, même si ce n'est clairement pas l'intrigue qui est à l'origine de cet intérêt manifeste.

Toutes les affaires ne se ressemblent pas, n'ont pas la même portée. Tandis qu'au 33e district, les agents doivent faire face à un voleur de chats, au 87e la traque s'organise autour d'un homme, baptisé le sonneur, qui agresse des femmes la nuit venue, leur vole leur sac puis les quitte sur une courbette en usant de sa signature, juste quelques mots  : « Clifford vous remercie ». Dans le même temps, Bert Kling, simple agent, se remet d'une blessure par balle reçue à la sortie d'un bar. Pas question pour lui de reprendre du service tout de suite. Un vieil ami se rappelle à lui après avoir entendu parler de ses déboires pour lui demander un petit service. Il voudrait qu'il s'entretienne avec sa belle-sœur, une jeune fille de dix-sept ans bien mystérieuse quant à ses fréquentations. Bert pourrait tâter le terrain, voir de quoi il retourne, histoire de rassurer tout le monde. La requête met le jeune homme mal à l'aise. Il s'interroge sur la pertinence de son intervention mais après tout comme il n'a rien d'autre à faire, pourquoi pas ? Seulement, ce qui paraît simple sur le papier ne l'est pas toujours au regard de la réalité. Bert va très vite s'en rendre compte.

Jean-Marc m'avait prévenu, les titres de la série consacrée au 87e district peuvent s'avérer inégaux. Certains seraient incontournables, d'autres agréables à lire, sans plus. Cela se confirme ici. Comme je le disais, ce n'est pas sur le terrain de l'intrigue que le sonneur retire son intérêt, mais bien de l'attention toute particulière portée à la vie de l'unité de police, et en particulier au personnage de Bert Kling, qui sera amené à revenir dans les prochains romans. Ce deuxième ouvrage ressemble donc plus à une mise en place supplémentaire de l'univers créé par Ed McBain, avec une réelle dimension humaine servie par des dialogues savoureux, et où la ville s'inscrit plus comme entité à part entière que comme objet de décor. Pas étonnant d'ailleurs que le Brant, des Robert & Brant signé Ken Bruen, lui rende un hommage aussi criant dans sa propre série où sont exposés aussi les boire et déboires d'une unité de police pour le moins insolite...

Voilà pour les grandes lignes, à vous de voir maintenant si vous allez toquer ou pas à la porte du 87e. En ce qui me concerne, je n'attendrai pas aussi longtemps que la dernière fois. Me plaisent bien ces gars !

87e district. Volume 1, Le Sonneur de Ed McBain, traduit de l'américain par Jean Rosenthal, Omnibus, 1999

25/03/2014

Date limite / Duane Swierczynski

"Vous voyez ce corps étendu sur le plancher, marinant dans une flaque de son propre sang ? C'est moi".

 A écouter cette phrase par laquelle débute Date Limite, on croirait presque entendre la voix off d'un film. Mieux, on croirait presque voir un grand écran en entendant cette voix. Mais qu'on ne s'y méprenne pas, c'est bien de mots qu'est faite cette histoire singulière.

Mickey Wade s'est vu congédier de son travail de journaliste. Aussi, comme il se retrouve presque du jour au lendemain sans ressources, sa mère lui propose d'emménager chez son grand-père lequel est à l'hôpital, en proie à un coma depuis près de deux mois. Mickey retourne donc vivre à Frankford, un quartier mal famé où violence et trafics règnent en maître, un lieu où a également sévi un tueur en série à la fin des années 80, Le Tailladeur de Frankford. Épuisé et quelque part abruti par ce retour en arrière, Mickey veut sombrer dans le sommeil. Il trouve des somnifères dans l'armoire à pharmacie de son grand-père, sombre... et se réveille en 1972, dans le même studio. Les personnes qu'il croise alors ne le voient pas, ne l'entendent même pas, à l'exception apparemment d'un jeune garçon. Revenir en arrière. L'opportunité est trop belle d'investir le passé et qui sait, d'éclairer les zones d'ombre de l'histoire familiale, de l'assassinat de son père... 

Il n'est jamais facile de décliner ensemble les couleurs du polar et de la science-fiction. Certains s'y sont même cassé les dents. Duane Swierczynski quant à lui, s'en sort haut la main. L'aisance avec laquelle il déroule son histoire est étonnante. Sans doute parce qu'il invite dès les premières lignes à avancer de concert avec son héros, loser fragile et sympathique qui subit les événements plus qu'il ne les provoque. Ou, quand il les provoque, ne mesure pas toujours les incidences ni les répercussions de ses actes.

Mais s'il est une autre grande qualité à ce livre, outre le soin apporté à la construction des personnages qui gravitent avec bienveillance ou non autour de lui, s'il est une autre grande qualité, c'est la solidité de l'intrigue, diablement ficelée. Régulièrement je me suis surpris à échafauder des hypothèses sur la réelle nature des événements passés, sur les motivations des uns et des autres, sur leurs degrés d'implication. Et toutes ces hypothèses, toutes, se révèlent possibles avant que le doute ne s'instille à nouveau, laisse la place à une autre tout aussi probable. Il ne reste plus ensuite qu'à continuer de s'inscrire dans les pas de Mickey, jusqu'à ce que la vérité prenne définitivement le pas sur le reste, sans qu'on l'ait pour autant vue venir dans sa renversante globalité.

Aucun doute en tout cas que les amateurs de polars trouveront leur compte dans ce Date limite, qu'ils ne seront pas rebutés par l'aspect « science-fiction », et que ceux aimant les histoires de voyage dans le temps se laisseront facilement prendre dans les filets du roman noir... et qu'ils iront même lire les autres livres de l'auteur : The Blonde et A toute allure.

Date limite, de Duane Swierczynski, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Sophie Aslanides, Rivages (Rivages noir) 2014, 272 p.


25/02/2014

La Rivière de sang / Jim Tenuto

Si je vous parle tout à coup d'une combi Waders, de monter une Adams en 16, d'une Olive Soft Hackle ou d'une Serendipity, il est fort probable que des points d'interrogation vont éclore au dessus de vos têtes. Ou bien vous aurez tout simplement compris qu'il va sans doute être question de pêche dans La Rivière de sang.

Parce qu'il n'y a pas que Joe Pickett dans la vie, ni le très regretté Stoney Calhoun, on va cette fois-ci s'offrir une petite virée avec Dahlgren Wallace, ancienne star du football américain, vétéran de la guerre du Golfe et actuel guide de pêche pour le compte de Fred Lather, le propriétaire, dit-il, de la « plus grosse chaîne d'info du monde ». Ce dernier s'est fait un petit plaisir en achetant un ranch dans les terres très étendues du Montana, dont les terres très étendues suscitent bien des convoitises. Les fonctions de Dahlgren sont simples. Il doit amener les invités de marques de Lather à la pêche, les guider, leur montrer les plus beaux coins et leur sortir le «satané putain de grand jeu » dans le but de les éblouir. Au moment où commence cette histoire il emmène justement un couple de mormons californiens richissimes. Manque de bol, Dahlgren déteste les mormons et les californiens. Manque de bol bis, l'homme qu'il est chargé d'accompagner est assassiné dans le bras d'une rivière reculée. Je vous laisse deviner qui va être suspecté en premier.

Alors, alors, alors... J'aurais bien du mal à vous dire ce que j'ai préféré dans ce roman. La Rivière de sang tire toute sa force et son impact de l'ensemble des éléments qui le constituent. A savoir les grands espaces, cette nature dévoilée, cet appel au calme et au silence cependant brisé par des hommes trouvant toujours le moyen de tout ramener à des considérations mercantiles.

Il y a aussi tous les ingrédients d'un polar efficace dont le rythme est loin d'être indolent. Quand on parle de pêche on aurait tendance à croire que tout se passe dans une lente contemplation. C'est loin d'être le cas. Les personnages brillent de leur présence, révélés tous autant qu'ils sont par un sens du dialogue aussi vif que percutant. Et puis il y a l'humour, aussi, qui finit de faire de La Rivière de sang un bon et grand polar. Il faut voir toute la dérision dont fait preuve Jim Tenuto à l'égard des miliciens néo-nazis, des éco-terroristes protecteurs d'animaux, des ranchers avides, tous prêts à suggérer sans trop se mouiller non plus, attention, qu'ils sont à l'origine du meurtre. Il faut voir cette relation particulière que noue Dahlgren avec un agent du FBI faisant office d'ange gardien, comme il faut entendre, enfin, les répliques cinglantes et dévastatrices fusant de la bouche de notre héros lors de réunions de ranchers.

Alors ce sont des mots tout prêts, tout mâchés, bon à utliliser pour n'importe quel chroniqueur emballé par un ouvrage mais puisqu'ils sont là et qu'ils reflètent une réalité, j'aurais bien tort de m'en priver : en ce qui concerne La Rivière de sang, le cocktail est explosif et dépasse toutes les attentes. Aussi, avant que Jim Tenuto ne nous livre une nouvelle aventure de Dahlgren Wallace, n'hésitez pas à piocher dans le catalogue Gallmeister. On n'est pas loin de toucher à du « à tous les coups on gagne »...

La Rivière de sang, de Jim Tenuto, traduit de l'américain par Jacques Mailhos, Gallmeister (Totem), 2010, 336 p.

30/12/2013

Mauvais karma / Jason Starr

Richard Segal est commercial. Il vient de changer de boîte pour un salaire plus avantageux. Pour peu qu'il ramène des contrats signés en bonne et due forme, il touchera bientôt une prime conséquente. Le problème est là, en fait. A l'instant où commence cette histoire, il n'est pas parvenu à en dégoter un seul et sa hiérarchie, bien sûr, commence à lui mettre la pression. Richard est marié à Paula. Celle-ci l'a trompé il y a quelque temps et malgré cette légère entrave sur la voie de leur harmonie, ils ont tout de même décidé de continuer ensemble en suivant les préceptes de la plan-plan attitude. Ils se disputent de temps en temps et Richard s'excuse toujours pour arrondir les angles. Cerise sur le gâteau, ils ont un chien, un emmerdeur de chien qui aboie sans cesse et qu'il faut bien évidemment sortir, ce qui permet à Richard de décompresser ou de se recentrer sur des priorités de vie... A chacun sa méthode.

Il aurait pu surmonter la pression générée par son nouveau poste, il aurait pu redonner un nouvel et bel élan à son couple. Oui, il aurait pu. Seulement tout part en vrille au moment où il croise une vieille connaissance dans le quartier d'affaires de Manhattan. En guise de connaissance, un homme qui, à l'âge de 17 printemps avait violé Richard 12 ans d'âge. Richard ne parvient alors plus à refouler cet épisode comme il était pourtant parvenu à le faire jusque-là. De bien drôles d'idées le submergent alors et un air de vengeance s'infiltre dans les vapeurs d'alcool qu'il laisse à nouveau échapper.

On a tout dans ce bouquin d'à peine plus de 300 pages : le noir, le grinçant, la critique sociale - parce que sinon ce ne serait pas marrant - et une chute qui vaut à elle toute seule tout le plaisir de la lecture. Jason Starr est épatant dans sa description de l'univers impitoyable du travail en entreprise et de la course au fric. Pour vous donner une idée : pas de contrat(s), pas d'ami(s) ; des contrats et c'est tout le personnel qui vient vous manger dans la main, qui vous porte aux nues et ne jure que par vous ! De l'individualisme, de l'opportunisme, du faux-cuisme à la solde d'une société de consommation pas du tout, mais alors pas du tout repliée sur elle-même.

Jason Starr excelle aussi dans les émotions qu'il parvient à susciter, grâce à son style, à son humour dévastateur et à un sens du dialogue qui fait mouche à tous les coups. Tout ceci s'affiche à travers le prisme de Richard, narrateur de l'histoire, pour lequel on éprouve une sorte de pitié à double sens. On devient révolté lorsque le souvenir du viol se rappelle à lui, on est sensible à sa fragilité devant son incapacité à trouver des prises pour éviter de sombrer et, d'un autre côté, on le trouve pathétique dans son recours à l'autoappitoiement permanent ainsi que dans son aspiration au bonheur, aspiration travestie par le système pourri dans lequel il végète. Autant vous le dire, se glisser dans sa tête revient à pénétrer dans une antre de complexité renversante.

N'ayez crainte, on en ressort indemne.

Enfin, normalement...

Mauvais Karma, de Jason Starr, traduit de l'anglais (Etats-unis) par Marie Ollivier-Caudray, Rivages (Rivages/noir), 2005, 304 p.

20/09/2013

Polarama / David Gordon

Si d'aventure vous n'étiez pas d'humeur à lire, vous pouvez écouter  la chronique qui suit juste ici...

Harry Bloch, à ne pas cofondre avec le Harry Bosch de Michael Connelly est un écrivain protéiforme. Ou disons qu'il possède plusieurs cordes à son arc  : il sévit dans tous les genres, sous divers pseudonymes. Ça l'aide à ne pas tirer le diable par la queue et à assurer ses fins de mois, qu'il complète d'ailleurs en donnant des cours – entendez par là en faisant les devoirs – de Claire, une jeune lycéenne de quinze ans richissime. Parmi son panel de compétences, ce sont ses histoires de vampires écrits sous le nom de Mme Sybilline Lorindo Gold qui remportent un relatif succès auprès d'un lectorat ciblé. Cependant, c'est bien suite à L'Homme qui murmurait à l'oreille des salopes, sa chronique régulière assurée dans un magazine porno, que Darian Clay, tueur en série ouvrez les guillemets « artistique » lui propose un marché. Devant être exécuté dans moins de trois mois, l'homme compte bien mettre ses derniers jours à profit : il demande à Bloch d'écrire des histoires plus que suggestives après avoir rencontré les femmes avec lesquelles il entretient une correspondance très, comment dire, très explicite... En échange, il consent à ce qu'Harry écrive un livre sur lui et à lui donner des éléments clés sur les meurtres qu'il a commis, dont peut-être l'emplacement des têtes de ses victimes qui n'ont jamais été retrouvées.

Un petit conseil : méfiez-vous de David Gordon. Difficile de croire en effet que Polarama est son premier roman, comme l'indique la quatrième de couverture, tant il fait preuve de maîtrise, nous amène sur des sentiers insoupçonnés et insoupçonnables, usant de faux-semblants on ne peut plus savoureux. J'ai bien pensé un moment qu'un autre auteur se cachait derrière son nom, David Gordon ne manque d'ailleurs pas d'instiller le doute ici ou là. Mais bon ce serait passer après un certain Robert Galbraith, alias J.K. Rowling, et son appel du coucou qui va passer d'une impression de 1500 exemplaires à plusieurs centaines de milliers, le temps d'une heureuse ou malencontreuse fuite, on ne sait pas vraiment et à vrai dire, on s'en fout un peu....

Revenons donc à notre excellentissime Polarama dans lequel Gordonouquelquesoitsonnom joue délicieusement avec les codes du polar, invite à des séquences attendues par le lecteur pour finalement s'amuser de bout en bout à les décliner. Après avoir pris connaissance du résumé, on est prêt à subir une tension toute Hannibal Lecteurienne, à assister à un choc des personnalités, à éprouver une empathie toute Dexterrienne pour Dorian Gray – pardon, Darian Clay -, empathie très à la mode en matière de tueurs en série - de fiction, est-il besoin de le préciser ?

Au lieu de quoi, Gordon nous propose tout à fait autre chose avec son trio d'enquêteur hautement improbable (un anti-héros écrivain presque raté et désabusé, une stripteaseuse énigmatique, sœur d'une des victimes de Clay, une lycéenne malicieuse au culot réjouissant), un trio, donc, qui subit plus qu'il ne résout l'énigme entourant les meurtres perpétrés par le tueur en série, puis ceux commis successivement sur les femmes interrogées par Harry dans le but d'écrire ses histoires cochonnes.

Improbables personnages, improbable enquête, improbable (s?) coupable(s?) (ne pas trop en dire...).mais réussite totale que ce Polarama, lequel fourmille de clins d'oeil au cinéma et à la littérature de genre, tout en faisant preuve d'un humour ravageur. Gordonouquelquesoitsonnom démontre de façon magistrale qu'on peut faire du neuf avec du vieux, du vieux avec du neuf, avec ou sans rebondissements tirés du chapeau. Chapeau, donc, monsieur... ou madame...

Polarama, de David Gordon, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Laures Manceau, Actes Sud (actes noirs), 2013, 416 p.

 

15/09/2013

En attendant la vague et l'Arbre à bouteilles

J'ai mis le temps mais voilà, chose promise (cf, les deux derniers billets)... chose à moitié due.

Vous allez comprendre.

En attendant la vague, livre magnifique signé Gianrico Carofiglio est sans doute le plus beau livre que j'aie lu cette année. C'est aussi celui à ce jour dont j'ai le plus de mal à parler. Peut-être parce que je suis tombé sur le compte-rendu qu'en a fait Bad Chili et qu'il exprime mieux que je ne pourrais le faire tout ce qu'il y a à dire sur ce livre. Qui plus est, j'aurais l'impression de m'adonner à du plagiat si je m'y aventurais. Aussi, je vous renvoie tout naturellement vers l'article concerné, juste là. Mais vraiment, lisez, lisez ce livre !

Et je passe donc maintenant à L'Arbre à bouteilles de Joe R. Lansdale.

Léonard vient de perdre son oncle Chester. Il ne le voyait plus depuis qu'il avait annoncé son homosexualité au vieil homme. Malgré cette distance et leurs désaccords, le vieil homme lui a légué pas moins de cent mille dollars et une vieille bicoque à retaper, à Laborde, Texas. Sans compter un tableau et des bons de réduction... Pour l'aider dans sa tâche, Léonard demande à son vieil ami Hap de lui filer un coup de main. Ils ne seront pas trop de deux pour remettre la maison d'aplomb. Si la tâche est ardue, elle se complique de manière tout à fait déconcertante lorsqu'ils découvrent le squelette d'un enfant dans une malle, laquelle contient aussi des revues pédophiles et des bons de réduction identiques à ceux que l'Oncle Chester a légué à Léonard...

L'Arbre à bouteilles est le second volume des aventures consacrées à Hap Collins, narrateur de cette histoire, et Léonard Pine. Il est étonnant que le premier volet – Savage seasons – n'ait pas été traduit en français, mais rassurez-vous, ça ne gêne en rien la lecture de celui-ci tant il captive de bout en bout. Grâce à l'évocation " du quartier noir de La Borde, pour les uns, la 'ville nègre' pour d'autres et la 'banlieue est' pour le reste ", et de ce qu'elle implique dans les rapports entre les différents protagonistes de cette histoire : problèmes d'identité et de place dans la société américaine, voire dans un état qui, rappelons-le, n'est pas exempt de dérapages racistes. Et encore, le mot est faible... Ces aspects fondus dans le récit lui servent de toile de fond. Ils apparaissent dans la relation qu'entretient Hap avec la jeune femme chargée d'assurer la succession des biens de l'oncle Chester, à travers le cas de conscience qui s'impose à elle en fréquentant un homme blanc, en n'osant pas sortir avec lui en ville au regard de tous. Mais ils se révèlent aussi dans l'amitié on ne peut plus forte et complice que nourrissent Hap et Léonard, tendrement vacharde par moments, et qui prend aussi ses racines dans leurs différences.

Cependant, Joe. R. Lansdale va aussi au-delà de ces considérations. Dans le contexte de misère et de chômage du quartier de Laborde où la drogue se vend au vu et au su de tous, y compris de la police sans que celle-ci ne puisse ou ne veuille rien y faire, il livre aussi une charge bien sentie contre les prédicateurs de tous poils. De ceux si farouchement enferrés dans leur croyance et leur doctrine, qu'ils deviennent aveugles au bon sens, hermétiques à l'ouverture, à la différence, pourvoyeurs d'une Pensée unique. Dangereux.

L'arbre à bouteilles, je vous le dis, est un polar enthousiasmant, riche, rythmé, drôle, délicat et qui ne manque pas de... de punch. Le genre de polar qui vous fait aimer le polar, rien que ça.

En attendant la vague, de Gianrico Carofiglio, traduit de l'italien par Nathalie Bauer, Seuil, 2013, 276 p.
L'Arbre à bouteilles de Joe R. Lansdale, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Bernard Blanc, Gallimard (Folio policier), 2004, 352 p.

03/08/2013

Ciels de foudre / C.J. Box


Oui je sais. Dans la dernière chronique, je vous avais fait miroiter un billet sur L'Arbre à bouteilles et En attendant la vague. J'avais juste oublié que C.J. Box était passé avant et je voulais en parler avant que ma mémoire ne l'égare complètement. Parce que, à mon humble avis, ce Ciels de foudre ne fera pas date.
  
Tandis qu'il ramène chez elle l'amie de sa fille Sheridan, Joe Pickett, garde-chasse du Wyoming, est témoin d'une violente rixe impliquant le père de la jeune fille et ses deux frères. Leur mère Opal Scarlett à peine disparue dans la rivière, les voilà qui se déchirent pour la succession du ranch dont l'étendue et le potentiel en font l'un des plus prestigieux de la région. Alors que la rivalité qui oppose les trois hommes bouleverse l'équilibre de Saddlestring et de ses environs, un homme, John Wayne Keeley, prépare sa vengeance à l'encontre de Joe. Il ne compte faire aucun quartier...

Il fallait bien que ça arrive à un moment ou à un autre. A force de dire là, et là que C.J.Box montait à chaque fois d'un cran dans ses enquêtes consacrées à l'inspecteur Joe Pickett, je me doutais bien que ça ne pouvait pas durer. Je n'espérais pas un essoufflement, j'avais juste dans un coin de la tête l'idée qu'il pourrait survenir à un moment ou à un autre. C'est parfois le cas avec les héros récurrents. Ils nous deviennnent tellement familiers qu'ils ont parfois du mal à nous surprendre. Les schémas se répètent, de même, semble-t-il, que les scènes de leur vie quotidienne, par lesquelles nous sommes aussi venus à les apprécier. C'est le cas ici, que ce soit dans l'opposition entre Joe et sa hiérarchie ou dans les déboires familiaux qu'il rencontre, notamment avec sa belle-mère, revêche parmi les revêches.


Esoufflement aussi, peut-être, parce que C.J. Box, avec l'apparition de John Wayne Keeley, va puiser dans une précédente enquête pour en constituer une nouvelle. Comme s'il n'avait pas pu trouver le moyen de se renouveler autrement, le temps de ce roman. Une petite facilité bien utile en tout cas pour relever une intrigue peu enthousiasmante. L'opposition des frères Scarlett et le mystère planant autour de leur mère, de ce qu'elle est devenue, ne sont en effet pas des plus palpitants. Si C.J. Box maîtrise son cadre, le Wyoming et ses grands espaces, s'il maîtrise aussi ses personnages clés, il ne parvient pour autant jamais à surprendre. Ciels de foudre, malgré son titre est un livre qui ronronne, d'une absence évidente de nuances. Et c'est d'autant plus surprenant que C.J. Box, j'ai déjà eu l'occasion de le dire, ne nous avait pas habitué à ça. Qu'à cela ne tienne, ça ne m'empêchera pas de juger sur pièces avec le prochain...

Ciels de foudre, C.J.Box, traduit de l'américain par Etienne Menanteau, Seuil (Points), 2010, 340 p.

05/01/2013

Jusqu'à la folie / Jesse Kellerman

Certains pitchs vous font parfois aller au-delà d'une déception rencontrée à l'égard d'un auteur. Je n'avais pas du tout adhéré au si encensé Les Visages et je ne pensais donc pas forcément revenir vers Jesse Kellerman un jour. Cependant l'histoire de Jusqu'à la folie a eu ce qu'il fallait d'intrigant pour passer outre cette décision.

Après une journée harassante à l'hôpital où il est stagiaire, Jonas Stehm entend une femme crier à l'aide. Ni une ni deux, sans même réfléchir, il vole à son secours et tue l'agresseur qui a eu le temps d'infliger deux coups de couteau à sa victime. Celle-ci en sortira indemne mais ce n'est pas le cas de Jonas qui, en héros d'un jour, va vite voir sa vie devenir un véritable enfer...

« L'écrit ne peut jamais vous sauter au visage comme un film. »

Arriver à la fin du livre et trouver une telle phrase, ça laisse pantois. On aurait envie de dire à l'auteur qu'il aurait pu s'épargner bien du labeur, ou bien qu'il aurait gagné à passer directement à l'écriture du scénario. Au moins le lecteur se serait épargné l'attente d'une angoisse qui ne vient jamais vraiment. L'ensemble du bouquin est convenu, possède un goût prononcé de déjà-vu en matière cinématographique, ficelles comprises. C'est même stupéfiant par moments. On croirait voir un patchwork de scène de films sans que cela confine pour autant à l'hommage : un parfum de Coup de foudre à Nothing Hill avec le co-locataire complètement barré de Jonas, un bon morceau de Liaison fatale où le harcèlement sur lequel repose l'intrigue ne fait jamais tressaillir, malgré les vains efforts de Jesse Kellerman, un brin de La Main sur le berceau pour quelques ficelles, et enfin un soupçon de série télé, Urgences en tête ou, au choix, Grey's anatomy pour ce qui est des petites guerres intestines en milieu hospitalier.

Vous l'aurez compris, rien de bien terrible à se mettre sous la dent avec ce livre là si ce n'est, peut-être, de quoi se donner envie de revoir certains films ou séries. Rien n'est moins sûr.

Jusqu'à la folie, de Jesse Kellerman, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Julie Sibony, J'ai Lu, 2012, 343 p.

18/10/2012

L'Homme délaissé / C.J. Box

En ce moment, je fais dans les héros récurrents. Que voulez-vous, quand on se prend d'affection pour un personnage, on aspire toujours à le retrouver à un moment ou à un autre... Même si, pour cela, il est parfois possible d'éprouver une sorte de lassitude à son égard. Cela n'a pas encore été le cas avec Joe Pickett, garde-chasse du Wyoming. Et, à peu de choses près, je pourrais répéter ce que j'ai déjà dit en guise d'introduction à la lecture de l'ouvrage précédent, Sanglants trophées. Oui, l'engouement est toujours là, bien là et rien ne laisse supposer qu'il va s'arrêter à cet épisode. Quelques indics m'ont assuré que ce ne serait pas le cas. Si leurs informations venaient à être fausses, j'ai les moyens de leur en faire voir de toutes les couleurs, en leur faisant lire mes premiers romans d'amour.... et même les derniers. La punition suprême aura lieu en cas de récidive, avec mes polars. Ils le savent. Alors je leur fais un peu confiance.

Cette fois-ci, point de phénomènes étranges ou mystiques. L'Office des forêts demande à Joe de remplacer au pied-levé le garde chasse du Comté de Jackson. Will Jensen, son collègue et ami, s'y est en effet donné la mort. Trop de pression professionnelle, un divorce récent, l'attitude de l'homme avait changé du tout au tout ces derniers temps. De nature calme et raisonnable, attentif aux autres, l'homme ne se contrôlait plus. Il buvait, troublait l'ordre public, cédait à la paranoïa. Son suicide est survenu à un moment où les autorités n'auraient plus été en mesure de dissimuler ses frasques. Naturellement, Joe accepte sa nouvelle mission, il y voit peut-être là l'occasion de quitter à terme son propre Comté, où sa situation est de plus en plus précaire. Il sait cependant que le contexte à Jackson est particulier, qu'il sera attendu au tournant par pas mal de monde. Il le sait mais il est bien déterminé, comme d'habitude, à accomplir sa mission et à tenter de comprendre ce qui a pu pousser Will à se donner la mort.

On prend les mêmes et on... ne recommence pas. C'est sans doute là l'une des clés de la réussite de cette série. Il y a bien sûr des constantes, comme cette représentation presque systématique de lutte de David contre Goliath que C.J. Box met en place. Joe Pickett doit sans cesse faire ses preuves face à une hiérarchie récalcitrante et à des hommes d'affaires puissants, prêts à l'écraser à la moindre occasion, n'hésitant pas non plus à tenter de l'amadouer ni à s'efforcer de briser la carapace de son intégrité. La restitution de cette lutte est telle que personnellement je ne peux qu'y adhérer, et j'avoue qu'il y a bien des fois où j'aimerais me glisser dans sa peau à Joe, me planter devant la tête de buse en face de lui [moi] et y aller de mon impressionnante carrure – ne vous méprenez pas, je faisais ça gamin en sortant des westerns [ou du film Starfighter ; ou Indiana Jones; ou... liste non exhaustive], je revivais les scènes à renfort de bruitage ; quant à la carrure, je repasserai, cela va de soi.

Ceci dit, il est pénible le Joe, il a des valeurs qu'on voudrait bien voir un peu moins tranchées parfois, qu'il se laisse un peu aller, qu'il lâche un peu du lest mais, comment dire, on ne peut pas le changer comme ça non plus, d'une simple volonté de lecteur. Et puis si Joe n'était pas Joe, peut-être cette série n'aurait-elle pas le même attrait ? Allez savoir... Au fil des tomes pourtant, le garde-chasse prend quand même du poil de la bête... sans vouloir faire de jeu de mots. Sa naïveté semble s'étioler au fur et à mesure, et il n'hésite pas à faire front lorsque cela s'avère nécessaire. Au regard des aventures qu'il a traversées, on comprend aisément qu'il rechigne encore à se laisser marcher sur les pieds.

Les grands espaces sont encore une fois au cœur de l'intrigue, au cœur des luttes qu'ils suscitent inévitablement : préservation de la nature, prospection immobilière, enjeux politiques, rancoeurs... quand ces éléments se croisent, il y a fort à parier que les remous ne manqueront pas. Et à C.J. Box de nous surprendre une fois de plus quand tout laisserait supposer une fois encore qu'on avance en terrain connu. Oui, on prend vraiment les mêmes et... on ne recommence pas !

Les enquêtes de Joe Pickett à ce jour (parus en France) :
 

L'Homme délaissé, de C.J. Box, traduit de l'américain par Anick Hausman, Points Seuil (Policier), 350 p. 

31/01/2012

Sanglants trophées / C.J. Box

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Sans rien enlever à la qualité des ouvrages précédents consacrés au garde-chasse Joe Pickett, Sanglants trophées apparaît cependant comme le plus abouti et le plus haletant d'entre eux. De quoi confirmer en tout cas que C.J. Box ne fléchit pas dans la qualité de ses intrigues, que le soin qu'il leur apporte ne s'altère en rien, bien au contraire.

Après une partie de pêche avec sa fille Sheridan, Joe tombe sur un orignal mutilé au niveau du visage et des parties génitales. Le fait est d'autant plus étrange que les blessures infligées à l'animal sont propres, trop propres en tout cas pour être d'origine animale. Peu de temps après cette découverte, ce sont des vaches que leur propriétaire cherchait en vain depuis plusieurs semaines, que l'on retrouve mutilées selon le même modus operandi. Mais le phénomène, aussi bizarre et inexplicable soit-il ne s'arrête pas là. Deux hommes subissent encore le même sort à quelques heures d'intervalles sur une distance de quatre vingt kilomètres seulement. Aussitôt dans le Comté, les rumeurs les plus folles commencent à circuler : grizzly – mais comment un grizzly pourrait-il être si précis dans ses incisions ? -, terroristes... extra-terrestres. Les animaux ne se comportent-ils pas d'ailleurs d'une étrange façon, ne semblent-ils pas par moments tenaillés par la peur?

Sous la pression, une cellule de crise est aussitôt mise en place. Joe y est naturellement convié même s'il ne voit pas cette participation d'un très bon œil. Le shérif Barnum, rival de la première heure, est en effet aussi de la partie, ainsi que l'agent du FBI Portensen, avec qui il a déjà eu maille à partir dans Winterkill.

Si vous avez suivi les trois premières enquêtes du garde-chasse, vous serez ici en terrain connu. Pour un peu vous vous imagineriez presque vous installer à table avec la famille Pickett, boire le café, et prendre des nouvelles des petites, Sheridan et Lucy, du boulot de Joe, vous lui demanderiez si Marybeth et lui arrivent à joindre les deux bouts et si depuis la dernière fois il s'est entraîné au tir – parce que franchement, la précision, c'était pas trop ça, hein ?

En terrain connu aussi en ce qui concerne les thèmes chers à l'auteur, relatifs notamment à l'écologie dont il va ici se servir à merveille pour brouiller les cartes de son intrigue. C.J. Box est de ce point de vue plus roublard que son héros (c'est vrai il est parfois un peu trop intègre le Joe, trop honnête, et un brin naïf, au point que cela peut s'avérer agaçant par moments). Il pose les bases de son histoire, distribue les cartes une par une au lecteur, lui laisse la main. Un semblant de main, en fin de compte. Car le jeu n'emprunte pas le cours qu'on imagine. Et, tout fin limier que l'on soit, habitués à être balancés de ci de là par des auteurs heureusement retors, on ne voit rien venir. On est comme empêtrés dans la brume poisseuse des rêves récurrents de Sheridan. On avance à tâtons jusqu'à ce que le brouillard se dissipe enfin, laissant la place nette à une vérité surprenante.

Le tour est habile.

Si je disais en début de cette chronique que Sanglants trophées apparaissait comme le plus haletant des titres, il n'en demeure pas moins que c'est aussi l'un des plus étranges, ne serait-ce que dans son évocation pour le moins énigmatique des événements liés aux mutilations mais aussi à la crainte latente que manifestent les animaux à l'approche de certaines zones du Comté de Saddelspring. Je me suis sans cesse interrogé sur le sens à donner à ces comportements, sur la manière dont l'auteur allait les expliciter. Et pour tout dire, il ne le fait pas vraiment. Ses explications, qui ne détériorent en rien la qualité de l'intrigue ni le déroulement de celle-ci, relèvent plus d'une pirouette un peu étrange, là aussi, qui fleure bon l'inexplicable. Un autre plan de réalité... le côté un peu mystique de la chose n'est pas franchement à mon goût.

Pourtant, mis à part cet infime bémol, Sanglants trophées a tous les atouts des polars s'inscrivant dans les Grands Espaces, où Evasion et suspense font décidément bon ménage.

Une chose est sûre, je reviendrai à Saddelspring, cette fois-ci à la rencontre d'un Homme délaissé.

11/01/2012

Bienvenue à Oakland / Eric Miles Williamson

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Le noir est une vision « anti-angélique » du monde, une vision engagée ou désespérée qui explore les profondeurs de la souffrance sociale ou psychologique, en prise directe sur notre temps et sur la marche de l'Histoire. Le noir n'hésite pas à dénoncer, à mettre le doigt où ça fait mal.

 
Ainsi parle Romain Slocombe pour définir le roman noir dans ce qui le différencie du roman policier. Il n'est pas le premier à qualifier de la sorte le genre et je trouve cette approche assez juste. Appropriée en tout cas, notamment parce que cette définition colle à merveille au dernier livre de Eric Miles Williamson, Bienvenue à Oakland. N'allez pas chercher une intrigue policière dans ce livre, vous ne la trouverez pas. Vous plongerez en revanche, à travers le récit de T-Bird, dans un monde de misère, dans les bas-fonds d'un ghetto où la violence le dispute à l'indifférence. Mais pas seulement.

C'est beau des dobermans et des pit-bulls en train de réduire en charpie des mômes qui ont sauté le mur d'une propriété privée ; c'est beau, le sang répandu sur le trottoir, les mares de vomi et les bouts de chair dans les ruelles, à l'arrière des bars. La beauté des merdes de chien qu'on dirait vivantes tant elles grouillent d'asticots, je la vois, ces paquets de merde couvent comme des gros tas d'intentions insondables qui se tortillent en quête d'une improbable raison primale. Je la vois, la beauté de ces adolescents lubriques dans la rue, qui se passent la langue sur les lèvres en jetant des regards perçants aux jeunes appelés du Midwest, ces pervers qui débarquent de leurs petites villes de merde, et la beauté des vieilles qui relèvent leur jupe pour pisser dans le caniveau, elles font ça avec le sourire, comme il faut. Y'a rien de plus beau que la volonté de vivre lorsqu'on baigne dans le désespoir absolu. L'espoir, c'est pour les connards. Il n'y a que les grandes âmes pour comprendre la beauté du désespoir.

L'épreuve suprême que tout homme digne de ce nom doit surmonter ne consiste pas à prouver combien il a réussi dans la vie, mais à quel point il assume de s'être fait baiser la tronche.

Je n'avais pas été sensible à Noir béton, le précédent ouvrage de Eric Miles Williamson paru en France. Je redoutais de ressentir cette même imperméabilité face au texte. Aussi, j'ai repoussé cette lecture jusqu'à par succomber aux sirènes d'autres blogueurs puis d'un détenu du centre pénitentiaire où j'ai eu l'occasion d'intervenir pour le travail.

Succomber aussi à la langue d'Eric Miles Williamson. T-Bird, son narrateur, percute, assène les coups pour, au final, nous raconter sa vérité : celle d'un monde de reclus où l'humanité n'en est pas moins présente. La force de Eric Miles Williamson réside dans sa manière de nous ouvrir les portes de son univers, dont il nous fait littéralement toucher du doigt les bas-fonds dans lesquels évoluent ses personnages. Que ce soit la puanteur de la décharge, la suie, le cambouis, la crasse d'une voiture/poubelle, la merde, la sueur, la fumée des clopes dans les bars, la brume, Williamson rend tous ces éléments extrêmement prégnants. Avec des accents de rage et de désespoir, oui, comme j'ai pu lire ici ou là, il a chargé son écriture avec les accus d'une poésie bouleversante que l'on retrouve même jusque dans le tempo des phrases, jusque dans leur rythme. Ce qui n'est d'ailleurs pas, comme le dit T-Bird lui même, sans rappeler la musique, évoquée avec une réelle beauté dans les lignes du livre. D'ordinaire, je ne suis pas sensible à de telles comparaisons et descriptions tirant sur de longues pages. Mais là, là, mes amis, c'est à vous démanger de prendre une trompette entre les mains, de jouer les virtuoses sur ses pistons. Sublime.

A mesure que les insultes fusent à la deuxième personne, comme pour prendre le lecteur à la gorge et ne plus le lâcher – opération réussie – T-Bird, de sa voix aux relents d'alcool vous crache toute sa détresse à la figure, dévoilant au final une chaleur humaine et une solidarité sidérante. Au passage aussi, il vomit sa ville, Oakland, autant qu'il la vénère.


On connaît chaque fissure des trottoirs. On sait qui vit où. On sait tout de nos sens […] ce que ressent le bitume quand on l'écrase. 

Il faut lire ce livre pour la magie de ses mots percutants, pour la beauté qui en émane indéniablement.

P.S : mention spéciale pour la couverture du livre. La photographie en noir et blanc de ce chien courbant l'échine et qui continue à avancer sur du sable, sans jamais rompre, imagine-t-on, illustre à merveille l'attitude de T-Bird dans le monde qui est le sien.

Ils en ont aussi parlé : Jean-MarcYan, Claude

Bienvenue à Oakland, Eric Miles Williamson, traduit de l'anglais par Alexandre Thiltges, Fayard, (Fayard noir), 414 p.

21/11/2011

Une heure de silence / Michael Koryta

Rien de neuf sous les tropiques. L'histoire d'un ancien flic devenu privé. Pour autant, il aurait été dommage de ne pas s'y intéresser sous ce simple prétexte. Vous connaissez l'adage, c'est avec les vieilles recettes qu'on fait les meilleures soupes. Qui plus est, ce n'est pas en recherchant l'originalité à tout prix qu'on obtient les meilleures bouquins non plus.

Lincoln Perry, c'est le nom de ce détective, reçoit un jour la visite d'un ancien détenu, Parker Harrison. Celui-ci voudrait retrouver Joshua et Alexandra Cantrell, le couple qui l'avait accueilli chez eux dans le cadre d'un programme de réinsertion. Ils ont disparu du jour au ledemain voici douze ans. Fait étrange, les impôts relatifs au domaine qu'ils habitaient, « La Crête aux murmures » continuent d'être honorés. Si ce n'était que ça. Lincoln découvre en effet peu de temps après la visite de Harrison que le corps de Joshua a été retrouvé il y a peu et qu'Alexandra n'est autre que la sœur d'un gros bonnet de la mafia de Cleveland. L'affaire semble donc bien plus complexe qu'il n'y paraît, et Lincoln est tout disposé à refuser de s'y engouffrer. Seulement voilà, il n'est pas totalement maître de ses choix...

Rien de neuf sous les tropiques. Ça se confirme. Qui plus est, c'est assez plat. L'histoire en elle-même n'est pas trépidante et dans les actes, Michael Koryta ne parvient jamais à faire en sorte qu'elle le devienne. Il y a dans ce livre un manque évident de rythme. Ça mouline, ça palabre, ça tourne et ça vire et même quand Lincoln reçoit la visite du ponte de la mafia, on devine qu'il devrait y avoir de la tension mais voilà, on ne la ressent jamais. Un exemple parmi d'autres, du même acabit.

Autre point gênant, et presque systématique – j'ai bien dit presque – il suffit qu'un personnage soit évoqué par l'un des protagonistes de l'histoire pour qu'il entre en scène quelques pages plus tard seulement. Cette avancée à rebonds dans l'enquête lui donne au final un côté poussif qui donne bien vite envie de passer à autre chose...

 






Une Heure de silence, Michael Koryta, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Frédéric Grellier, Seuil (Policiers), 365p.

22/06/2011

Les Visages / Jesse Kellerman

Ethan Muller dirige une galerie d'art. Entre l'installation des expositions, les catalogues à réaliser, les artistes à gérer, le temps libre est une denrée rare. Aussi, quand Tony, le bras droit et ami de son père avec lequel il n'entretient plus aucune relation, lui demande de le rejoindre d'urgence pour évaluer des œuvres dont il est entré en possession, Ethan est tout disposé à refuser. Mais la curiosité finit par l'emporter. Qui plus est, le résultat va bien au-delà de ses attentes. L'œuvre est magistrale, colossale, unique : des milliers de dessins et croquis qui, mis bout à bout sur leurs quatre faces - si tant est qu'il soit possible de les exposer en un même lieu - se combinent au point de révéler leur essence, tourmentée et exaltée. Sur certains d'entre eux figurent des visages d'enfants, enlevés et tués des années auparavant. Et Ethan ne peut même pas compter sur l'auteur de ces dessins pour en savoir plus à ce sujet. Il s'est tout simplement évaporé dans la nature et personne, pas même ses voisins, ne semble à même d'en donner une description concordante.

Il faut croire que le phénomène se répand. Une fois n'est donc plus coutume, on nous sert du thriller là où il n'y en a pas. Ce n'est même pas moi qui le dit mais Ethan Muller, le narrateur de cette histoire. Il a au moins le mérite d'être clair. Alors que s'annonce la fin du livre, il avertit même le lecteur de ne pas s'attendre à un énorme rebondissement ni à une quelconque scène d'action époustouflante. Par là même, il s'affranchit des codes, les détourne à souhait. On peut y voir là une volonté d'ancrer son personnage et son histoire dans une réalité, de rendre l'un et l'autre aussi crédibles et véridique que possible. Après tout, dans la vie, la vraie vie, les choses ne se passent jamais tout à fait comme dans un roman.
Ce genre de démarche est loin de me déplaire d'autant que le formatage thrilleristique sur les scènes de fin – action, parlotte, action, fin, voire double fin avec retournement de situation de derrière les fagots – a de plus en plus tendance à m'éloigner du genre.
Seulement un tel parti pris n'est pas non plus synonyme de réussite. Il n'a en tout cas pas été un élément déterminant à mon adhésion au roman. Ou à mon manque d'adhésion, en l'occurrence. Car cette volonté de raconter, de nous raconter une histoire comme si elle s'était réellement passée, souffre d'une construction pour le moins hasardeuse. La narration est en effet coupée d'interludes, visant à retracer les origines des Muller sur le territoire des Etats-Unis, au 19ème siècle. C'est d'abord intrigant, prenant aussi, même si on se demande ce que ça vient faire ici. A chacune de ces coupures on avance dans le temps. Puis les liens qui unissent tous ces personnages les uns aux autres s'éclairent.
Le problème en fait, c'est que dans ces évocations, Jesse Kellerman procède là encore à des flashbacks, certains n'étant d'ailleurs d'aucun intérêt et s'avérant du même coup assez poussifs. Lors des derniers interludes, il va même jusqu'à remonter à nouveau le cours du temps pour se consacrer à un personnage central de l'histoire. Ça ressemble un peu à du je m'arrange comme je peux pour tout dire et tant pis si c'est un peu cahin caha. Ça l'est.
On le devine, sans que l'on sache trop comment, l'ensemble des éléments qui sont rapportés dans ce contexte narratif sont connus de Ethan Muller. Aussi on s'étonne que les révélations qu'ils véhiculent ne transpirent pas dans ses réflexions ni ne sèment jamais vraiment le trouble en lui. Ce garçon là est insipide, les autres personnages aussi. La description de l'art contemporain qui est faite dans le roman l'est tout autant. Quant aux relations conflictuelles entre le père et son fils, peu explicitées, elles ont un arrière-goût d'artifice. Comme si elles n'existaient que pour les besoins d'un histoire, où tout arrive plus ou moins comme un cheveu sur la soupe. Alors je n'ai rien contre les cheveux, je n'ai rien contre la soupe mais quand ils entravent mes lectures, ça me navre.
Les Visages, Jesse Kellerman, traduit de l'anglais par Julie Sibony, Sonatine, 471 p.

09/05/2011

Les Neuf dragons / Michael Connelly

Les auteurs ressentent parfois le besoin ou l'envie de confronter leur héros récurrent à un nouvel environnement géographique. Outre le dépaysement, qu'ils quittent leur campagne, leur ville ou leur pays pour aller ainsi à la rencontre d'autres cultures, d'autres codes, peut susciter un regain d'intérêt pour le lecteur qui a plaisir à suivre les aventures des personnages auxquels il s'est attaché. A titre d'exemple et pour bien illustrer que le phénomène est loin d'être isolé, on peut par exemple citer Donald Harstad avec 6 heures plus tard (Carl Houseman quitte sa petite ville des Etats-Unis pour Londres, rien que ça), Henning Mankell avec Les Chiens de Riga (Kurt Wallander s'en va pour un voyage des moins réjouissants pour la Lettonie ; ambiance à couper au couteau), Charles Exbrayat avec Chewing-gum et Spaghetti (l’inénarrable inspecteur Tarchinini s'en va aux States), Craig Johnson avec L'indien Blanc (Walt Longmire quitte momentanément le Wyoming et ses grands espaces pour Philadelphie), sans oublier Jo Nesbo qui, avec L'Homme Chauve-souris, a fait voyager Harry Hole de la Norvège à l'Australie dès sa première enquête. La liste n'est bien sûr pas exhaustive, sans compter qu'on peut donc dès aujourd'hui lui rajouter la dernière enquête en date de Harry Bosch, intitulée Les Neuf dragons, dont une partie de l'action se déroule à Hong-Kong.

Pour être très franc, le célèbre personnage inventé par Michael Connelly, ne fait pas partie de ceux que j'ai toujours plaisir à retrouver. Je n'attends pas ses apparitions avec une fébrile impatience comme c'est par exemple le cas pour les romans de Jonathan Coe ou Dennis Lehane (cette année a décidément été très bonne!). Je crois d'ailleurs savoir pourquoi. Si l'auteur américain m'a souvent ébloui par sa force narrative, par la manière dont il trousse ses intrigues et nous les sert sur un plateau avec un art consommé de la surprise et du rebondissement, Harry Bosch, lui, m'a plus d'une fois agacé ou énervé par son attitude systématique de chien blessé, par son aspect désabusé quelque peu stéréotypé. Vous me direz, avec son histoire personnelle, il y a de quoi... mais bon, si j'ai frémi avec lui, il me semble que c'est surtout en raison des situations auxquelles il a été confronté que pour une quelconque histoire d'empathie à son égard.

Et voilà qu'au moment où dans les Neuf dragons, je me mets à le considérer d'un autre œil, c'est cette fois-ci l'intrigue qui fait cruellement défaut. J'ai régulièrement eu le mot « remplissage » à l'esprit à mesure que j'avançais dans la lecture. Peut-être n'aurais-je pas dû lire la quatrième de couverture, je ne sais pas. Quoiqu'il en soit, il faut un peu plus d'une centaine de pages pour arriver au début de l'intrigue présentée par le résumé. On y trouve des scènes sans grand intérêt et des perspectives très à la mode relatives aux expertises en laboratoire, du type qu'on ne présente même plus et dont la télévision se fait la plus navrante représentante avec ses séries consacrées aux brigades scientifiques. Ici aussi, on a droit aux toutes dernières trouvailles en balistique et à leur présentation dans le détail pour les besoins de l'enquête. Une enquête qui s'enlise dans les descriptions et les invraisemblances. C'est d'ailleurs le plus gros reproche que l'on puisse faire à ces Neuf dragons, où le voyage de Bosch à Hong-Kong relève plus du prétexte que d'une réelle nécessité. Ce constat saute d'autant plus aux yeux une fois l'affaire complètement éclaircie. Difficile alors de ne pas la trouver complètement tirée par les cheveux.

Pour tout dire, j'ai nettement eu l'impression que Michael Connelly, le temps d'un roman, avait troqué les ficelles qu'il utilisait jusqu'à présent avec une réelle virtuosité contre celles, plus grosses, qui empêchent la magie d'opérer.

N.B. : C'est assez rare pour que ça me saute autant aux yeux mais du coup je n'ai pas pu m'empêcher non plus de m'interroger sur la traduction. Des phrases à la structure étrange et des répétitions qui, pour la peine, m'ont semblé bien malvenues et parfaitement évitables.









Les Neuf dragons, Michael Connelly,traduit de l'américain par Robert Pépin, Se
uil (Seuil Policiers)

04/03/2011

Les Leçons du mal / Thomas H. Cook

En inuagurant la nouvelle maquette de leur collection policière avec Les Leçons du mal de Thomas H. Cook, les éditions du Seuil ont frappé fort, très fort. De cet auteur, j'avais lu uniquement quelques titres parus à la Série Noire. Deux d'entre eux m'avaient laissé une impression en demi-teinte. Si j'y avais trouvé un style et une écriture fluide, une musicalité évidente laissant à penser que Thomas H. Cook était un véritable représentant du roman noir américain, qu'il en était l'une des voix indéniable, j'avais néanmoins été déçu par certaines ficelles qu'il utilisait ou bien même par les fins qu'il donnait à ses ouvrages. Le mystère qu'il laissait planer était si palpable que j'en étais venu à trouver les révélations finales un peu fades, même si bien sûr, l'intérêt d'un polar ne se résume pas à ces uniques considérations. D'où une légère déception.

Mais avec Les Leçons du mal, la donne n'est pas la même.

Jack Branch est professeur au lycée de Lakeland, petite ville du Mississipi où il a grandi, vécu et où, certainement, il mourra. Ses souvenirs l'emmènent en 1954 où se sont déroulés les tragiques événements dont il se sent responsable. A l'époque, l'idée lui était venu de mettre en place un cours de rattrapage consacré au Mal sous toutes ses coutures, envisagé selon ses différentes déclinaisons, toutes époques confondues. Jack, non sans une certaine pédanterie, se sentait investi d'une mission consistant à éveiller les consciences de ses élèves.
J'espérais que cela les ferait réfléchir, frapperait leur conscience, au moins quelques secondes , et j'avais décidé depuis longtemps déjà que, même si je devais me servir d'un outil rudimentaire pour ouvrir un peu leur esprit provincial farci de religion, je n'hésiterais pas.

Et pour donner corps à ses pensées, il avait pris sous son aile l'étudiant le plus effacé, celui en qui personne ne croyait : Eddie, Miller, le fils du « Tueur de l'étudiante ». Mieux, il lui avait proposé d'établir son devoir de fin d'année sur son père et les circonstances de son acte. En l'incitant de la sorte à soigner le mal par le Mal, il allait en fin de compte devenir le grain de sable faisant voler en éclats les rouages d''une petite ville du Sud des Etats-Unis reposant encore sur des oppositions de classes et de couleurs de peau avec, en arrière-plan, les cicatrices engendrées par la Guerre de Sécession.

Avec ce livre là, Thomas H. Cook réussit un véritable tour de force. Jusqu'à la fin, le lecteur ne sait rien du drame qui s'est joué en 1954 et se trouve très vite enferré par la chape de mystère mise en place dans le roman. Jack Branch, le narrateur donc, émaille son récit de comptes-rendus d'un procès sans que l'on sache jamais rien de la nature de celui-ci. Quel crime a été commis ? Qui est inculpé ? Pourquoi ? Toutes les hypothèses sont possibles. Présent et passé s'entremêlent, parfois de façon volontairement abrupte, de sorte à nous décontenancer un peu plus, sans jamais nous perdre en route pour autant. Des pistes s'ouvrent, se referment, le drame toujours en ligne de mire. Et ce sont les personnages, tous magnifiques, vivants, obsédants, faillibles qui lui donnent corps, entretiennent les doutes et donnent envie d'aller jusqu'au bout, de démêler l'écheveau de cette histoire pourtant simple et humaine, et qui démontre de façon magistrale combien le mal, lui, est difficile à rationaliser et à appréhender ; qu'on a beau l'analyser, le quantifier et vouloir le faire rentrer dans des cases, il trouve toujours les voies les plus insoupçonnées pour se manifester et induire la souffrance.

Un roman bouleversant et beau. Voilà.

Les Leçons du mal, Thomas H. Cook, Seuil (Seuil Policiers), 356 p.









09/02/2011

Verdict / Justin Peacock

Je crois que, dorénavant, je vais arrêter d'évoquer les mentions spéciales faites sur les livres. J'ai déjà eu l'occasion de le faire ici et bon, c'est devenu tellement agaçant et tellement courant aussi qu'il vaut mieux passer, se préoccuper de l'œuvre, même si elle est aux antipodes de ce qu'on a bien voulu nous faire croire. Quand je dis on, je parle bien sûr des éditeurs. Il paraît que c'est pas facile en ce moment, alors tout est bon apparemment pour sortir du lot. Heureusement, il arrive qu'on ait du bol et que le livre ne soit vraiment pas mauvais du tout. Comme je le répète régulièrement ici, c'est pas mal d'être surpris. C'est plutôt la pratique qui me dérange, en fait. Tenez, dernièrement dans Livres Hebdo on a eu droit à une pub : « par l'éditeur de... » à laquelle il vous suffit de rajouter le titre d'un blockbuster de la mort pour que l'affaire soit dans le sac. Pour que vous soyez déjà prêt à taper à la porte de votre libraire ou à le contacter par mail pour qu'il vous le mette de côté dès sa sortie. Tsss...

Promis, bientôt, j'arrête d'en parler de ces apâte-lecteurs. Je m'octroie juste une dernière fois avec ce Verdict de Justin Peacock où sur la première page, vous trouvez un beau : « élu thriller de l'année par le Washington post ». C'est beau, hein ? Sauf que j'ai encore beau chercher le thriller, ben je le vois toujours pas. Y'a peut-être une petite sueur froide à un moment donné quand il y a une voiture qui se fait emboutir par derrière et que... non, je ne vais tout de même pas vous dévoiler l'unique scène d'action du livre qui découle de cet accident, non ? Alors du coup, quand même je me dis, ben mon BiblioMan(u), t'es plus à la page, tu dois te gourer dans la définition du thriller, ça a peut-être évolué depuis quelque temps. Les étiquettes, c'est bien connu, tout le monde s'amuse à les déplacer dans les magasins, alors dans l'univers des livres, tu imagines. Mais avant ça, je vais voir sur le site des éditions Sonatine et je vois une toute autre mention sur la page de ce Verdict : « Elu meilleur livre de l'année par le Washington Post et le Los Angeles Times ». Ma part naïve me fait penser que ce doit être un problème de traduction à couches multiples. Parce qu'après tout, voici ce qu'ils disaient dans le Washington Post : "When the prizes are awarded for this year's best first novel, 'A Cure for Night' will be competing for the gold. » En gros, si différents chroniqueurs de ce prestigieux journal disent la même chose pour les livres qu'ils ont aimé, il ne faudra pas s'étonner si on trouve plusieurs bouquins sacrés « meilleur livre de l'année par le Washington Post »...

J'arrête... j'arrête.

Avec cette entrée en matière, vous pourriez penser que je n'ai pas apprécié Verdict de Justin Peacock. Eh bien si. A plus d'un titre. Depuis que j'ai découvert Gianrico Carofiglio et ses romans judiciaires j'ai régulièrement des bouffées d'envie de lire des histoires se déroulant dans un tribunal. J'ai bien lu un ou deux Grisham il y a bien longtemps sans être vraiment séduit . Aussi quand un nouveau nom apparaît, j'essaie de le lire. Pour voir.

Et là, c'est quand même assez bien fait. Parce qu'avec cette histoire d'avocat déchu, contraint de devenir avocat d'office après une sordide histoire de drogue qui a coûté la vie à une de ses collègues avec qui il entretenait une relation, Justin Peacock dresse un portrait assez crédible de la justice américaine dans son mode de fonctionnement. J'ai hésité à dire réaliste, mais je ne suis pas spécialiste, alors...

En tout cas l'opposition très marquée qu'il dresse entre un avocat commis d'office et de cabinet est assez intéressante. L'argent et l'ambition sont bien sûr au centre de celle-ci et Justin Peacock ne manque pas de souligner que le travail, lui reste identique. Qu'il ne s'envisage pas uniquement en terme de carriérisme. (Un petit retour sur le Coupable idéal de Jean-Xavier de Lestrade pour illustrer ceci ne peut d'ailleurs pas faire de mal). Mais l'auteur ne s'arrête pas non plus à cette seule vision. Il revient aussi à plusieurs reprises sur la notion de vérité, précisant que celle-ci n'est pas forcément capitale dans l'instruction d'un dossier, l'objectif étant parfois de lui substituer une version convaincante à même d'innocenter un prévenu. Avec ce que cela implique de problème de conscience.

Verdict se lit avec un plaisir certain, on y trouve son comptant d'objections rejetées ou retenues, les apartés avec le juge, les ajournements... des éléments attendus, connus, et qui ont l'avantage d'être mis en scène autour d'un narrateur avocat, dont les préoccupations, qu'elles soient d'ordre professionnelles ou personnelles, toutes empreintes de doutes et d'une certaine forme de fragilité, ne laissent jamais indifférent ni insensible.

Verdict, Justin Peacock, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Johan-Frederik Hel Guedj, Sonatine, 450 p.