Si d'aventure vous n'étiez pas d'humeur à lire, vous pouvez écouter la chronique qui suit juste ici...
Harry
Bloch, à ne pas cofondre avec le Harry Bosch de Michael Connelly est
un écrivain protéiforme. Ou disons qu'il possède plusieurs cordes
à son arc : il sévit dans tous les genres, sous divers
pseudonymes. Ça l'aide à ne pas tirer le diable par la queue et à
assurer ses fins de mois, qu'il complète d'ailleurs en donnant des
cours – entendez par là en faisant les devoirs – de Claire, une
jeune lycéenne de quinze ans richissime. Parmi son panel de
compétences, ce sont ses histoires de vampires écrits sous le nom
de Mme Sybilline Lorindo Gold qui remportent un relatif succès
auprès d'un lectorat ciblé. Cependant, c'est bien suite à L'Homme
qui murmurait à l'oreille des salopes, sa
chronique régulière assurée dans un magazine porno, que Darian
Clay, tueur en série ouvrez les guillemets « artistique »
lui propose un marché. Devant être exécuté dans moins de trois
mois, l'homme compte bien mettre ses derniers jours à profit :
il demande à Bloch d'écrire des histoires plus que suggestives
après avoir rencontré les femmes avec lesquelles il entretient une
correspondance très, comment dire, très explicite... En échange,
il consent à ce qu'Harry écrive un livre sur lui et à lui donner
des éléments clés sur les meurtres qu'il a commis, dont peut-être
l'emplacement des têtes de ses victimes qui n'ont jamais été
retrouvées.
Un petit conseil : méfiez-vous de David Gordon. Difficile de
croire en effet que Polarama est son premier roman, comme
l'indique la quatrième de couverture, tant il fait preuve de
maîtrise, nous amène sur des sentiers insoupçonnés et
insoupçonnables, usant de faux-semblants on ne peut plus savoureux.
J'ai bien pensé un moment qu'un autre auteur se cachait derrière
son nom, David Gordon ne manque d'ailleurs pas d'instiller le doute
ici ou là. Mais bon ce serait passer après un certain Robert Galbraith, alias J.K. Rowling, et son appel du coucou qui va passer
d'une impression de 1500 exemplaires à plusieurs centaines de
milliers, le temps d'une heureuse ou malencontreuse fuite, on ne sait
pas vraiment et à vrai dire, on s'en fout un peu....
Revenons donc à notre excellentissime Polarama dans lequel
Gordonouquelquesoitsonnom joue délicieusement avec les codes
du polar, invite à des séquences attendues par le lecteur pour
finalement s'amuser de bout en bout à les décliner. Après avoir
pris connaissance du résumé, on est prêt à subir une tension
toute Hannibal Lecteurienne, à assister à un choc des
personnalités, à éprouver une empathie toute Dexterrienne pour
Dorian Gray – pardon, Darian Clay -, empathie très à la mode en
matière de tueurs en série - de fiction, est-il besoin de le
préciser ?
Au lieu de quoi, Gordon nous propose tout à fait autre chose avec
son trio d'enquêteur hautement improbable (un anti-héros écrivain
presque raté et désabusé, une stripteaseuse énigmatique, sœur
d'une des victimes de Clay, une lycéenne malicieuse au culot
réjouissant), un trio, donc, qui subit plus qu'il ne résout
l'énigme entourant les meurtres perpétrés par le tueur en série,
puis ceux commis successivement sur les femmes interrogées par Harry
dans le but d'écrire ses histoires cochonnes.
Improbables personnages, improbable enquête, improbable (s?)
coupable(s?) (ne pas trop en dire...).mais réussite totale que ce
Polarama, lequel fourmille de clins d'oeil au cinéma et à la
littérature de genre, tout en faisant preuve d'un humour ravageur.
Gordonouquelquesoitsonnom démontre de façon magistrale qu'on
peut faire du neuf avec du vieux, du vieux avec du neuf, avec ou sans
rebondissements tirés du chapeau. Chapeau, donc, monsieur... ou
madame...
Polarama, de David Gordon, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Laures
Manceau, Actes Sud (actes noirs), 2013, 416 p.
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