Richard Segal est commercial. Il vient
de changer de boîte pour un salaire plus avantageux. Pour peu qu'il ramène des contrats signés en bonne et due forme, il touchera bientôt une prime conséquente. Le problème est là, en
fait. A l'instant où commence cette histoire, il n'est pas parvenu à
en dégoter un seul et sa hiérarchie, bien sûr, commence à lui
mettre la pression. Richard est marié à Paula. Celle-ci l'a trompé
il y a quelque temps et malgré cette légère entrave sur la voie de
leur harmonie, ils ont tout de même décidé de continuer ensemble
en suivant les préceptes de la plan-plan attitude. Ils se disputent
de temps en temps et Richard s'excuse toujours pour arrondir les
angles. Cerise sur le gâteau, ils ont un chien, un emmerdeur de chien
qui aboie sans cesse et qu'il faut bien évidemment sortir, ce qui
permet à Richard de décompresser ou de se recentrer sur des
priorités de vie... A chacun sa méthode.
Il
aurait pu surmonter la pression générée par son nouveau poste, il
aurait pu redonner un nouvel et bel élan à son couple. Oui, il
aurait pu. Seulement tout part en vrille au moment où il croise une
vieille connaissance dans le quartier d'affaires de Manhattan. En
guise de connaissance, un homme qui, à l'âge de 17 printemps avait
violé Richard 12 ans d'âge. Richard ne parvient alors plus à
refouler cet épisode comme il était pourtant parvenu à le faire
jusque-là. De bien drôles d'idées le submergent alors et un air de
vengeance s'infiltre dans les vapeurs d'alcool qu'il laisse à
nouveau échapper.
On a
tout dans ce bouquin d'à peine plus de 300 pages : le noir, le
grinçant, la critique sociale - parce que sinon ce ne serait
pas marrant - et une chute qui vaut à elle toute seule tout le
plaisir de la lecture. Jason Starr est épatant dans sa description
de l'univers impitoyable du travail en entreprise et de la course au
fric. Pour vous donner une idée : pas de contrat(s), pas
d'ami(s) ; des contrats et c'est tout le personnel qui vient vous
manger dans la main, qui vous porte aux nues et ne jure que par
vous ! De l'individualisme, de l'opportunisme, du faux-cuisme à
la solde d'une société de consommation pas du tout, mais alors pas
du tout repliée sur elle-même.
Jason
Starr excelle aussi dans les émotions qu'il parvient à susciter,
grâce à son style, à son humour dévastateur et à un sens du
dialogue qui fait mouche à tous les coups. Tout ceci s'affiche à
travers le prisme de Richard, narrateur de l'histoire, pour lequel on
éprouve une sorte de pitié à double sens. On devient révolté
lorsque le souvenir du viol se rappelle à lui, on est sensible à sa
fragilité devant son incapacité à trouver des prises pour éviter
de sombrer et, d'un autre côté, on le trouve pathétique dans son
recours à l'autoappitoiement permanent ainsi que dans son aspiration
au bonheur, aspiration travestie par le système pourri dans lequel il végète. Autant vous le dire, se glisser dans sa tête
revient à pénétrer dans une antre de complexité renversante.
N'ayez
crainte, on en ressort indemne.
Enfin, normalement...
Mauvais Karma, de Jason Starr, traduit de l'anglais (Etats-unis) par Marie Ollivier-Caudray, Rivages (Rivages/noir), 2005, 304 p.
4 commentaires:
J'ai découvert Jason Starr l'année dernière, j'ai enchaîné plusieurs romans de lui tellement j'ai accroché. Mauvais karma est excellent !!!
Je viens de finir il y a peu le "Frères de Brooklyn", pas mal du tout non plus ! En tout cas, le côté pathétique des personnages est là une fois de plus, c'est délicieux à souhait !
oui tout à fait personnage pathétique que l'on retrouve aussi dans "Loser" que j'ai lu : http://fromtheavenue.blogspot.fr/2012/09/loser-de-jason-starr.html ;-)
Oui, j'avais lu ta chronique mais j'invite tous ceux qui lisent ce commentaire à le faire aussi. De belles heures de lecture en perspective en tout cas !
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