Sans rien enlever à la
qualité des ouvrages précédents consacrés au garde-chasse Joe
Pickett, Sanglants trophées apparaît cependant comme le plus abouti
et le plus haletant d'entre eux. De quoi confirmer en tout cas que
C.J. Box ne fléchit pas dans la qualité de ses intrigues, que le
soin qu'il leur apporte ne s'altère en rien, bien au contraire.
Après une partie de
pêche avec sa fille Sheridan, Joe tombe sur un orignal mutilé au
niveau du visage et des parties génitales. Le fait est d'autant plus
étrange que les blessures infligées à l'animal sont propres, trop
propres en tout cas pour être d'origine animale. Peu de temps après
cette découverte, ce sont des vaches que leur propriétaire
cherchait en vain depuis plusieurs semaines, que l'on retrouve
mutilées selon le même modus operandi. Mais le phénomène, aussi
bizarre et inexplicable soit-il ne s'arrête pas là. Deux hommes
subissent encore le même sort à quelques heures d'intervalles sur
une distance de quatre vingt kilomètres seulement. Aussitôt dans le
Comté, les rumeurs les plus folles commencent à circuler : grizzly
– mais comment un grizzly pourrait-il être si précis dans ses
incisions ? -, terroristes... extra-terrestres. Les animaux ne se
comportent-ils pas d'ailleurs d'une étrange façon, ne semblent-ils
pas par moments tenaillés par la peur?
Sous la pression, une
cellule de crise est aussitôt mise en place. Joe y est naturellement
convié même s'il ne voit pas cette participation d'un très bon
œil. Le shérif Barnum, rival de la première heure, est en effet
aussi de la partie, ainsi que l'agent du FBI Portensen, avec qui il a
déjà eu maille à partir dans Winterkill.
Si vous avez suivi les
trois premières enquêtes du garde-chasse, vous serez ici en terrain
connu. Pour un peu vous vous imagineriez presque vous installer à
table avec la famille Pickett, boire le café, et prendre des
nouvelles des petites, Sheridan et Lucy, du boulot de Joe, vous lui
demanderiez si Marybeth et lui arrivent à joindre les deux bouts et
si depuis la dernière fois il s'est entraîné au tir – parce que
franchement, la précision, c'était pas trop ça, hein ?
En terrain connu aussi en
ce qui concerne les thèmes chers à l'auteur, relatifs notamment à
l'écologie dont il va ici se servir à merveille pour brouiller les
cartes de son intrigue. C.J. Box est de ce point de vue plus roublard
que son héros (c'est vrai il est parfois un peu trop intègre le
Joe, trop honnête, et un brin naïf, au point que cela peut s'avérer
agaçant par moments). Il pose les bases de son histoire, distribue
les cartes une par une au lecteur, lui laisse la main. Un semblant de
main, en fin de compte. Car le jeu n'emprunte pas le cours qu'on
imagine. Et, tout fin limier que l'on soit, habitués à être
balancés de ci de là par des auteurs heureusement retors, on ne
voit rien venir. On est comme empêtrés dans la brume poisseuse des
rêves récurrents de Sheridan. On avance à tâtons jusqu'à ce que
le brouillard se dissipe enfin, laissant la place nette à une
vérité surprenante.
Le tour est habile.
Si je disais en début de
cette chronique que Sanglants trophées apparaissait comme le plus
haletant des titres, il n'en demeure pas moins que c'est aussi l'un
des plus étranges, ne serait-ce que dans son évocation pour le
moins énigmatique des événements liés aux mutilations mais aussi
à la crainte latente que manifestent les animaux à l'approche de
certaines zones du Comté de Saddelspring. Je me suis sans cesse
interrogé sur le sens à donner à ces comportements, sur la manière
dont l'auteur allait les expliciter. Et pour tout dire, il ne le fait
pas vraiment. Ses explications, qui ne détériorent en rien la
qualité de l'intrigue ni le déroulement de celle-ci, relèvent plus
d'une pirouette un peu étrange, là aussi, qui fleure bon
l'inexplicable. Un autre plan de réalité... le côté un peu
mystique de la chose n'est pas franchement à mon goût.
Pourtant, mis à part cet
infime bémol, Sanglants trophées a tous les atouts des polars
s'inscrivant dans les Grands Espaces, où Evasion et suspense font
décidément bon ménage.
Une chose est sûre, je
reviendrai à Saddelspring, cette fois-ci à la rencontre d'un Homme délaissé.
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