27/03/2011

Faux raccords - 5 -

Attention, ceci n'est pas un manga mais ne commence tout de même pas par le texte qui suit (vous pourrez bientôt retrouver l'intégralité de cette histoire dans la page Nouvelles / Créations dans la barre de navigation du blog.). Pour en connaître le début, descendez un peu plus bas sur cette page jusqu'à trouver Faux raccords - 1 -. Sur ce, bonne lecture...

Un regard émergeant sur l'inconnu n'a pas que la frayeur ou l'effroi comme seules forces de loi. Un rire accompagnant des mains dévoilant un paysage de rêve sur des yeux crispés par l'attente, le désir, des bandeaux qui tombent devant une assemblée réunie pour vous, rien que pour vous, des immersions en territoires inexplorés où les saveurs affleurent en guise de première fois, ceci et tant d'autres occasions au devant desquelles mystères et nouveautés ne demandent qu'à être explorés, tout cela existe.

Existait.

Au moment où Gaël émergea d'un nouveau sommeil artificiel, il sut que rien ne serait jamais plus comme avant. Que le monde avait changé à un point qu'il n'osait pas imaginer.

Il cria, gueula, rugit, hurla jusqu'à épuiser l'air qu'il avait dans sa poitrine. Il tendit ses muscles jusqu'à faire saillir les terminaisons nerveuses sous sa peau, tenta de ruer en avant, de fuir. Sans résultat. Il était maintenu par des liens invisibles au niveau du crâne, de la taille, des poignets, des cuisses et des chevilles, sur une table en métal, inclinée de sorte qu'il était presque debout.

Il était nu. Sous l'assaut de ses ruades désespérées, il laissa échapper de la morve de ses narines, de la salive de sa bouche. Le liquide chaud de sa pisse s'écoula le long de ses cuisses mais il ne s'en rendit pas compte. Seul le refus emplissait son esprit, qui avait trouvé dans la rage ses seuls arguments de défense.

Devant lui, des robots faisant penser à des mini-ptérodactyls, avec des aiguilles à la place des ailes et des pattes, gravitaient autour de son corps comme des satellites. Certains étaient immobiles et émettaient de petites lumières à travers une tête mécanique. D'autres tournaient selon des ellipses connues d'eux-mêmes, ne percutant jamais ceux qui allaient et venaient aussi, de haut en bas et de bas en haut, en émettant des cliquètements feutrés.

La soudaine agitation de Gaël au moment de son réveil n'ébranla en rien leur mécanique interne.

Dans cette pièce, immaculée elle aussi, il n'y avait que lui et ces machines avec, en arrière-plan, une baie vitrée derrière laquelle Gaël aperçut un visage aux contours difformes. Une tête sans pilosité, pâle, parsemée de tâches brunâtres ou verdâtres – difficile à juger avec le reflet –, un œil plus gros que l'autre et une bouche inexistante ou bien camouflée par un appareil.

Sans transition apparente, le corps de l'homme passa à travers la vitre, qui s'estompa sur son passage jusqu'à s'effacer complètement et prendre l'apparence des autres murs.

La Chose/l'Homme s'approcha de Gaël. D'autres difformités, des bosses mouvantes, se devinaient sous sa tunique écarlate. Il avait effectivement une machine devant sa bouche, une sorte d'harmonica dont Gaël aurait pu deviner la fonction s'il n'avait pas été dans un tel état de fureur et de désespoir.

La Chose/l'Homme, esquissa un cercle rapide de la main. L'effet fut immédiat. Un robot immobile en orbite autour de Gaël déploya l'une de ses aiguilles et vint la planter dans l'une de ses veines saillantes. A l'instar du gaz inoculé un temps indéfini plus tôt, le résultat ne se fit pas attendre. Gaël se calma. Il lui sembla alors être réceptif à son nouvel environnement. Toute trace de crainte l'avait quitté. Ne restait que l'incompréhension.

Tous les robots s'étaient immobilisés. Ils restaient suspendus en l'air tels des mobiles soutenus par des fils invisibles.

― Je suis heureux de vous retrouver, Gaël, fit une voix métallique après que la Chose/l'Homme, eût bougé ses lèvres. Savez-vous qu'il n'y a qu'avec vous que je continue à tout répéter à chaque fois ? Ne me demandez pas pourquoi, je ne me l'explique pas. Vos réactions sont toujours si... surprenantes d'une fois sur l'autre. Tout compte fait, soyons clairs, je crois que j'ai fini par m'attacher à vous. J'en viendrais presque à regretter de devoir vous infliger ce supplice à chaque fois. Mais que voulez-vous... nous n'avons pas le choix. Il en va de notre survie à tous.

― Qui êtes-vous ? Qu'est-ce que je fais ici ?

La Chose/l'Homme ne prit pas la peine de répondre à ses questions qui, de son point de vue, s'inscrivaient dans un rituel superflu.

― Récemment, nous avons commis des erreurs. Enfin, quand je dis nous, il convient d'incriminer les dissidents, les traîtres, ceux qui ne croient plus dans le bien fondé de notre Quête.

Gaël dodelina de la tête. Il était comme ivre, ne comprenait rien à rien.

― Oh, je crois que j'ai été un peu fort dans les doses. Tant pis, je profiterai de votre traits d'esprit une prochaine fois. Regardez plutôt, il vous faut bien prendre en compte les objectifs de votre mission avant de partir.

La Chose/l'Homme décrit une nouvelle fois un cercle dans le vide, aussitôt suivi par le déplacement de l'un des ptérodactyls métalliques et d'une autre infiltration.

Comme sur un grand écran, des volées d'images défilèrent devant les yeux de Gaël : un champignon nucléaire d'une taille ne laissant aucun doute quant à la portée de la bombe , une lumière aveuglante entraînant toute chose dans son sillage de radiations, dévastant tout sur son passage ; des nuages de cendres empêchant l'infiltration des rayons du soleil ; l'éclosion d'une ère glaciaire ; une surface plane, sans relief.

― Bon, on ne va pas faire dans le larmoyant, c'est inutile, tout ceci remonte à tellement longtemps que ça n'a plus vraiment d'importance. On ne va pas sans cesse revenir sur le passé, n'est-ce pas ? Non, ce qui importe, c'est notre futur. Vous m'entendez Gaël ? Figurez-vous que vous êtes l'une des pierres angulaire de ce futur, l'une des pièces maîtresses de son accomplissement.

― C'est... c'est impossible, voyons, parvint à dire Gaël, comme si la vision des images l'avait tout à coup ragaillardi. Tout ceci n'est pas arrivé. Je suis né en 2014 et je suis touj...

― Qui oserait prétendre le contraire ? Bien sûr que vous êtes né en 2014. Et vous êtes mort, ou plutôt, vous vous êtes donné la mort en 2058 quand vous avez vu que ça commençait sérieusement à sentir le roussi. Vous avez bien fait. Un peu plus tard et vous ne seriez pas ici à discuter avec moi.

― Je ne me serais jamais tué. J'avais trop peur de la...

― De la mort, oui. Ah là, là. Je sais tout cela. Vous me l'avez déjà dit. C'est le problème avec ces raccords successifs. Tout s'embrouille dans votre cerveau. C'est malheureusement inévitable. En fait, vous vous êtes fait cryogéniser dans le but de revenir une fois que les conditions le permettraient. Vous en aviez les moyens alors... Vous avez contacté les bonnes personnes, celles qui avaient prévu la catastrophe à venir et qui avaient agi en conséquence en bâtissant des villes sous terre.

― Je ne vous crois pas. C'est... c'est impossible, voyons !

― Vraiment ?

De nouvelles images s'imposèrent à Gaël. Des complexes de béton érigés dans la roche, des kilomètres de parois lumineuses, des chambres, des couloirs, des laboratoires, des bureaux, des caissons où reposaient des corps dans l'attente de leur réveil. Des corps cryogénisés.

La Chose/l'Homme, commentait chacune de ces images. L'avantage de la cryogénisation telle qu'elle a enfin réussi à émerger est qu'elle assure le maintien de l'activité des cellules sans qu'elles ne subissent une quelconque altération. Ce sont mes ancêtres qui vous ont maintenu dans ces caissons jusqu'à ce que nous ayons besoin de vous.

― Besoin de nous ?

― Il est venu un moment où le désespoir a gagné nos rangs. Le Conseil des Ultimes a donc décidé d'inventer une légende où il est dit, en gros, qu'un jour les Cryo découvriront la Terre Nouvelle, une ville sous Dôme ayant échappée à la catastrophe nucléaire. Nous n'avions pas le choix. Il fallait tempérer les ardeurs des nôtres, leur apporter l'espoir afin d'attendre que toute trace de radiations ait disparu et que nous puissions enfin regagner la surface. Parce que voyez-vous, nous avons beau être habitués à vivre ici, rien ne nous apparaît plus merveilleux que la vie sur Terre telle que nous l'ont laissé deviner nos ancêtres.

― Alors vous nous avez réveillés ? Mais pourquoi ne pas l'avoir fait avant ?

La Chose/l'Homme, releva une arcade dénuée de poils.

― Parce que vous croyez que nous n'avions que ça à faire, vous nourrir ? Vous savez combien de personnalités vous étiez dans ce cas ? Le savez-vous seulement ?

Des images, encore, pour illustrer ses propos : des immeubles alignés les uns à côté des autres. Aux fenêtres, des briques de béton. Au-dessus de chaque porte d'entrée, obturées par des sas métalliques, des chiffres, figurant une année.

― Une fois réveillés, il y a une quinzaine d'années...

― Vous voulez dire que vous répétez ce rituel depuis quinze ans ? Mais c'est...

― ...une fois réveillés il fallait bien vous entretenir dans une illusion de réalité. Et pour éviter tout risque de choc temporel, nous vous avons réunis en fonction de votre année de cryogénisation. C'était plus facile à gérer. Et nous vous envoyions ensuite à la surface, à la recherche de la ville sous dôme.

― Je ne comprends rien ! Nous devons mourir à la surface, alors pourquoi...

― Vous avez une combinaison qui vous indique une direction. Vous n'avez qu'à la suivre jusqu'à ce que vous succombiez à l'épuisement. Dès les premiers symptômes de mort imminente, le processus de cryogénisation de la combinaison se met en marche. Nous revenons ensuite vous récupérer et procédons à l'effacement de votre mémoire. Et ainsi de suite....

La Chose / l'Homme s'autorisa un rire discret. Gaël, quant à lui, ne voulait pas croire ce qu'il entendait.

― Mais c'est ridicule ! Si vous êtes à même de nous récupérer, cela veut dire que vous pouvez effectuer ces recherches vous-même !

― Voilà ce que j'adore chez vous, Gaël, ce besoin de tout rationaliser, de tout rendre vérifiable aux yeux de tous. N'oubliez pas ce que je vous ai dit. Il s'agit d'une légende. De La Légende. Il nous suffit de lui obéir à la lettre et d'envoyer les Cryos sur la route, tout simplement.

Gaël fut incapble de répondre. Quoi qu'il dise, il savait que la Chose/l'Homme qui abritait des organismes vivants et mouvants aurait réponse à tout.

― Vous n'imaginez pas ce que l'espérance engendre de crédulité. Enfin, dites vous que si c'était aussi évident que vous le pensez, vous ne seriez pas là. Oh, bien sûr, comme je vous l'ai dit, nous avons récemment connu quelques petits désagréments avec un groupe de dissidents, ceux-là même qui vous avaient remis dans l'un de vos plateaux-repas de quoi peindre votre fenêtre. Ceux-là même qui ont perturbé le rythme de départ des Cryos. En général, nous envoyons tous ceux d'un bâtiment en même temps. En avez-vous reconnu certains d'ailleurs ? Ils étaient très connus à votre époque... quoi ? Vous ne voulez plus me répondre... vous me décevez beaucoup. Vous n'en avez peut-être rien à faire, mais il se pourrait que je ne vous dévoile rien la prochaine fois. C'est ça que tu veux ? Pour ton prochain toi-même ? Alors ? Bon, très bien...

La Chose/l'Homme dessina cette fois-ci deux cercles dans les airs. Tous les robots se redéployèrent autour de lui en actionnant leurs aiguilles. Au bout d'un instant, Gaël vit une armure de métal se dessiner tout autour de son corps. Sa combinaison.

Avant de s'en aller, la Chose/l'Homme, eut une leur de plaisir sadique dans le regard.

― Et vous avez payé pour ça. Vous avez payé une fortune...

La Chose/l'Homme se retourna et s'en alla, ses épaules emportés par les soubresauts d'un rire.

Cette image fut altérée par la buée apparue sur la visière de la combinaison fabriquée par des robots insensibles à la plus fulgurante des douleurs.

Fin

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