25/03/2011

Faux raccords - 3 -

La folie ou la perte de mémoire comme seules explications possibles. Il fallait bien s'y résoudre. Certes, quelqu'un aurait très bien pu s'amuser à apposer son nom au bas du dessin sur la brique en béton. Pour quelle raison ? Une blague idiote dans la perspective d'une célébration ou d'une vengeance quelconques ? Une machination afin de le faire passer pour fou, en récolter les preuves et faire main basse sur sa fortune ? Tout ceci aurait pu être envisageable, oui, si le dessin n'avait pas été de lui. Or, il l'était. Le doute n'était pas permis. La marque, infime, qu'il glissait dans chacune de ses toiles était là, incrustée à la base de l'un des arbres :une fourche à l'envers. Personne, absolument personne, ne savait qu'il possédait cette manie. Ce n'était certes pas très original. Pas mal d'artistes procédaient de la sorte pour authentifier leurs œuvres.

Fou ou amnésique. Voilà pourquoi la chambre lui paraissait aussi insolite. Il n'avait jamais mis les pieds dans un asile pour riches, alors... Cette idée lui arracha un rire.

Quoi de plus normal pour un fou de s'esclaffer tout seul, hein mon ptit gars ? Te voilà rassuré. Tu connais une phase de rémission et avec un peu de bonne volonté tu sortiras bientôt d'ici. Si ça se trouve t'as juste traversé un gros coup de déprime, on t'a bourré de cachetons et tu viens à peine de rejoindre le plancher des vaches. Maintenant, il ne te reste plus qu'à attendre que quel...

Gaël chercha un bouton d'appel. Sans succès. Il s'avança vers la porte sans se préoccuper cette fois-ci de savoir si elle était verrouillée. La poignée céda sous la pression. Gaël déboucha dans un petit salon rectangulaire ne dépassant pas les 15 m2 et où, là encore, la décoration était réduite à sa plus simple expression. Une table basse - blanche comme apparemment l'ensemble du mobilier ici -, un canapé en cuir assorti de ses deux fauteuils, une télévision à écran plat accrochée au mur, et du carrelage pour habiller le sol.

Gaël s'avança dans la pièce, laissa traîner un doigt sur le haut de la télé pour déceler des traces de poussière. Rien. Tout ici était clean. Trop peut-être. Impersonnel, en tout cas. C'était ce qui gênait le plus Gaël, cette absence d'étincelle de vie.

Il trouva sur sa gauche une nouvelle porte qui donnait sur une salle de bains. Il y pénétra et son premier réflexe fut de se regarder dans le miroir au dessus du lavabo. Une connexion retranchée de son cerveau l'avertit qu'il ferait bien de se méfier. Qui sait si on ne s'était pas amusé à lui modifier son apparence ? Le mot complot allait et refluait dans son cerveau au rythme de sa pulsation sanguine.

Il s'observa, se palpa, s'étira la peau sans déceler quoi que ce soit d'anormal.

Tu vas arrêter ta parano deux secondes, oui, et te ressaisir une bonne fois pour toutes. Tout va bien, tu vas trouver quelqu'un et tout rentrera dans l'ordre, tu verras. Allez vire-moi cette sale tronche du miroir.

Gaël s'adressa un large sourire et, pour la deuxième fois depuis son réveil, il se surprit à rire. C'était mieux qu'une crise de panique, après tout.

Son hilarité éteinte, il distingua une armoire derrière lui dans le miroir. Ce qu'il y trouva fit sensiblement retomber son semblant de bonne humeur : des serviettes, normal, du savon, normal, des cotons-tige, normal, de la mousse à raser, pourquoi pas, un rasoir, là, ça commençait à se gâter, et pour finir, sur une étagère, toute une pile de pyjamas. Tous strictement identiques à celui qu'il portait actuellement. Or, il en était certain, il n'en possédait qu'un de la sorte et non pas, 1,2,3,4,5,6,7...8, 8 pyjamas de chez... Gaël voulut vérifier l'étiquette sur le premier de la pile mais il ne la trouva pas. Il porta alors la main à sa nuque, à la recherche de celle accrochée au sien. Elle n'y était pas non plus. Et, à tout bien considérer, le tissu n'était pas aussi soyeux que d'habitude. Ce n'était qu'une copie de son pyjama.

Gaël n'eut pas le temps de s'appesantir sur la question ni d'ailleurs de réfléchir sur la présence d'un rasoir dans les quartiers d'un patient interné dans un asile, fut-il riche ou pas. Une alarme retentit dans l'appartement, emplit tout l'espace de sa stridulence. Elle le fit sursauter, mais pas autant que la femme à l'allure décharnée qui venait d'apparaître sur le seuil de la salle de bains. Elle aussi était vêtue d'un pyjama. Sa tête lui rappelait vaguement quelque chose, mais il ne sut lui rattacher un nom ni même les circonstances d'une rencontre.

― Je suis la voisine du dessous, cria-t-elle d'emblée pour se faire entendre. Je vous ai entendu vous lever. Je pensais venir me présenter mais...Elle tendit ses mains en l'air pour incriminer l'alarme. Puis elle reprit :

― Vous devriez aller vous coucher. Ils vont envoyer les gaz pour nous endormir. C'est l'heure de la bouffe.

― Mais qui...

― Faites-vite, ils ne vous attendront pas. Vous risquez de vous faire mal en tombant. On parlera à notre réveil.

Puis elle s'éclipsa, aussi rapidement qu'elle était apparue.

A suivre...

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