Ian Minot aspire à devenir écrivain.
A être publié. La mince affaire... Ian essuie refus sur refus pour
des nouvelles qu'on lui reproche d'être sans surprises, sans saveur,
désincarnées. Anya, sa petite amie roumaine dont il doute qu'elle
restera longtemps avec lui, écrit aussi. Remarquablement. Au point
de se faire repérer par un agent lors d'une soirée-lecture réputée
pour dénicher les talents de la littérature contemporaine.
Chaque jour qui passe renvoie Ian à
son échec, à la vacuité de son existence, alors que partout
s'affiche la nouvelle coqueluche très tendance de la littérature
nord-américaine, Blade Markham. L'homme s'invite partout : des
plateaux télé aux affiches dans le métro jusqu'au Morningside
Coffee, lieu de travail de Ian. C'est là, que Jed Roth, un homme au
pourboire généreux, lui met tous les jours l'ouvrage de Markham
l'usurpateur sous le nez. Car il ne fait aucun doute pour Ian que le
bonhomme n'est pas un vrai écrivain, qu'on ne peut qualifier ainsi
une personne mettant des «yo » en début et en fin de chaque
phrase. Ce sentiment, Jed Roth le partage. Et la venue de cet ancien
éditeur au Morningside Coffee, avec le livre tant plébiscité
toujours en évidence, n'est pas innocente.
Il a un marché à proposer à Ian :
s'approprier un roman que Jed a rédigé des années auparavant, le
réécrire, faire croire qu'il s'agit de mémoires pour ensuite
annoncer la supercherie. Ian pourrait faire ainsi une entrée
fracassante dans le monde de l'édition et vendre alors ses nouvelles
comme jamais il n'aurait osé l'imaginer. Sur le papier, l'affaire
paraît simple. Dans la réalité, les choses seront un tantinet plus
compliquées. Reste à savoir sur quel pan de la réalité Ian se
situe, de quelle vérité il se fait l'intermédiaire.
Les Voleurs de Manhattan est une œuvre
dans l'œuvre d'une œuvre. Adam Langer fait dans la mise en abyme et
celle-ci lui réussit, comme elle réussit à son lecteur. Première
petite touche, la page de titre avec la mention « mémoires »
biffée à la main, remplacée par « roman ». Lui succède
une dédicace un peu obscure qui ne prendra sa signification qu'après
la page 191, aussi bien pour la personne initialement nommée que,
une fois encore, pour le lecteur. Si ces éléments surprennent et
intriguent à l'entame du roman, ils contribuent néanmoins à donner
une dimension réellement surprenante, vertigineusement fascinante,
une fois le livre refermé. Chaque chapitre correspond à un titre ou
à la référence d'une œuvre ayant défrayé la chronique pour la
supercherie dont elle a fait l'objet. La liste n'est pas
exhaustive...
La mise en abyme se révèle aussi dans
le format du livre. Les Voleurs de Mahnattan fait près de 260 pages.
Tout comme le roman de Jed Roth, au titre similaire, dont Ian Minot
sera finalement l'auteur. Adam Langer sème faussement le trouble.
Personne n'est dupe mais cela se révèle bien habile pour aborder le
mensonge, la supercherie, qu'elle soit littéraire ou humaine. Et de
remettre en cause la sincérité, l'authenticité d'un certain milieu
éditorial américain où le succès importe plus que la qualité
d'un ouvrage, d'une société où il devient primordial d'être
connu, reconnu pour avoir la sensation d'exister vraiment. A l'image
d'un Ian Minot, personnage ô combien attachant, ou de ses comparses
du Morningside Cofee, l'une exerçant la peinture, l'autre la
comédie. Créer pour exister. Mentir, parfois, omettre, pour créer.
Adam Langer conclut son livre en beauté
dans un pastiche de polar où les rebondissements savamment
orchestrées se succèdent, où l'humour transpire de chaque
paragraphe, où les personnages éclatent dans leur transgression à
exister entre les lignes et bien plus encore, dénués de toute
superficialité. Des êtres qui ne sonnent pas faux au service d'un
roman authentique !
Les Voleurs de Manhattan, de Adam
Langer, traduit de l'américain par Laura Derajinsky, Gallmeister
(Americana), 264 p.
2 commentaires:
Aaaaaaaah celui-ci je veux absolument le lire !
Contente de te relire depuis quelques temps ;-)
C'est un véritable petit bijou aux faces multiples et polies ! Tu vas te régaler... et content de te voir ici, bien sûr ;-)
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