23/03/2011

Faux raccords - 1 -

En attendant les chroniques qui tardent à venir, je vous propose, pour les cinq jours à venir, de découvrir cette nouvelle intitulée Faux raccords... J'ai toujours aimé lire des histoires à épisodes, de connaître l'attente avant le dénouement. Et comme je suis sûr de ne pas être le seul... place à l'histoire :


Bien plus que l'odeur qui lui était étrangère, bien plus encore que le contact un peu rêche de la taie d'oreiller sur sa joue, plus rêche qu'à l'habitude en tout cas, ce fut le silence qui tira Gaël Jameno de son sommeil. Une telle absence de bruit n'était pas normale. Pas normale du tout. Pas chez lui, pas dans la rue où il habitait.

Il n'osait pas ouvrir les yeux. En plus de cette anomalie, de ce silence obsédant qui sonnait à son oreille comme un avertissement, il éprouvait une sensation étrange, dérangeante. En d'autres circonstances, il ne lui aurait peut-être pas attaché d'importance. Mais là... Là, c'était comme si quelque chose avait irrémédiablement changé en lui... Comme si... Non, il ne devait pas laisser la peur se nicher en lui et se propager. Il devait laisser ses vieilles craintes au placard. Respirer calmement. Compartimenter. 1,2,3... 1,2,3,4. Il avait l'impression d'avoir dormi trop longtemps, que son réveil aurait dû sonner depuis un moment déjà. Et alors ? La fatigue des derniers jours l'avait sans doute rattrapé, voilà tout. Quant au silence, eh bien ? Quel jour étions-nous ? Dimanche, sans doute, ce qui expliquerait la... non, jusqu'à présent la ville ne s'était jamais tue. Jamais ainsi. 1,2... 1,2,3... 1,2,3,4. Compartimenter.

Gaël ne faisait pas partie de ces personnes qui aspirent à tout prix au calme ou au silence. Il aurait très bien pu se permettre de se retrancher à la campagne, de se faire construire une immense baraque, loin de tout et de tous. Il en avait les moyens. Au lieu de quoi, il avait acheté un appartement en plein centre ville. Là où se nichaient restaurants, pubs et autres commerces de nuit et où ne manquaient pas de se retrouver les noctambules de tous poils.

Gaël avait besoin du bruit, besoin de sentir la clameur de la ville en dessous de lui. C'était comme un équilibre salutaire, aussi bizarre que ça puisse paraître, et peu importait ou non qu'il participe à cette liesse de l'existence bourdonnante, balancée par ses turpitudes incessantes et répétitives. Il lui suffisait de sentir ses vibrations, de l'entendre se manifester par les soubresauts du quotidien pour avoir l'impression de vivre et, par extension, de conjurer l'approche de la mort.

Aussi le silence qui le cueillit à un moment où il aurait été bien en peine de dire s'il s'agissait du matin, de l'après-midi ou du soir, le renvoya à ses vieux démons. Ceux là même qui , tout compte fait, le poussèrent à ouvrir les yeux. Seul le retour à la réalité, pensait-il, lui permettrait de les refouler.

Il ne pouvait pas plus se tromper. Lorsque ses paupières se levèrent sur l'élan de l'espoir, force lui fut de constater que ses vieux démons venaient de se trouver de la compagnie.

Gaël se leva d'un bond. Dans une pièce qui lui était totalement inconnue. Et ce silence... toujours ce silence.

1... 1... 1... 1

A suivre...

15/03/2011

220 volts / Joseph Incardona

Il y a deux bonnes semaines, j'ai assisté à une formation dont l'intitulé était «le roman policier», assurée par un libraire à la passion communicative. Rien de tel pour s'ouvrir à de nouveaux horizons, découvrir des auteurs ou des titres sur lesquels, pour des raisons purement subjectives on n'aurait même pas songé à se pencher. Le résultat ne s'est pas fait attendre, à la fin de la formation, j'étais en librairie pour me procurer plusieurs livres, en ayant la farouche et récurrente envie de tous les lire en même temps. Dans le lot, il n'y avait pas 220 volts de Joseph Incardona. Le livre n'était pas encore paru mais nous avions tout de même évoqué l'auteur pour ses précédents livres, notamment Lonely Betty.

Non, si je parle de ceci, c'est parce qu'à cette occasion j'ai réalisé à quel point parler bouquins de vive voix, plutôt parfois que de lire tel ou tel article en presse ou sur internet, pouvait avoir de capotant (je ne vois que l'expression québécoise pour toucher du doigt de la plus juste façon cette animation et cette passion qui nous habite quand on parle de livres nous ayant mis dans la plus réjouissante des ébullitions). Une gestuelle, l'évocation d'une histoire dont on laisse entre-apercevoir tout le potentiel en nous laissant avec l'envie de connaître la suite, des « waoouuu » et autres onomatopées qui fusent sans prévenir et qui en disent long sur l'impact laissé par un livre.

Aussi, j'ai bien pensé à réaliser une petite vidéo pour vous parler du 220 volts de Joseph Incardona, son cinquième roman. Seulement, j'ai dû y renoncer. Rhume et extinction de voix obligent. Et puis je ne savais pas quel masque choisir. Par conséquent, j'espère rendre au mieux par les mots la nouvelle claque littéraire de l'auteur. J'avais en effet déjà eu l'occasion de faire part de mon engouement pour Remington, notamment en disant ceci :

Il y a des signes qui ne trompent pas : quand, une fois entamée une lecture, la seule perspective de faire la queue à la préfecture ou à la sécu aurait plutôt tendance à vous enchanter ; quand vous prenez rendez-vous chez un médecin réputé pour son retard légendaire ; quand les personnages du livre en question se rappellent régulièrement à vous plusieurs fois par jours ; quand dans ces occasions vous vous surprenez à élaborer des hypothèses sur leur sort à venir ; quand, enfin, vous ne cessez de parler de cette lecture autour de vous, on peut penser que vous tenez là un bon, un très bon bouquin. De ceux qui comptent indéniablement.
Je pourrai presque me répéter mot pour mot. Presque. Parce qu'il y a néanmoins une différence. Car si vous vous êtes calé dans un endroit pour commencer 220 volts, c'est que vous avez du temps devant vous. Pas forcément beaucoup mais un peu. Et qu'il y a de fortes chances pour que vous fassiez en sorte que ce un peu prenne des airs de longueur, le temps pour vous d'en venir à bout. Alors oui, je sais ça fait toujours effet de manche ces «si prenant qu'on ne peut pas le lâcher». Mais là, en l'occurrence, le livre est relativement court pour que cela soit humainement possible, mais surtout le style et l'écriture sont si fluides, l'histoire si prenante que les pages tournent, tournent tandis que l'on passe par toute une palette de sentiments et de sensations, les uns et les unes se superposant aux autres pour, au final, nous laisser le souffle coupé, un goût amer dans la bouche.

Tout comme dans Remington, Joseph Incardona nous plonge dans l'histoire d'un dérapage humain, dans ce qu'on appelle communément un fait divers. Ce qui ne veut pas dire qu'il écrit encore et encore le même livre selon des déclinaisons différentes. Rien de ça ici. L'approche n'est pas la même, la mécanique non plus, même si celle qui nous est proposée dans 220 volts est toujours aussi efficace, redoutable et implacable.

Ramon Hill a connu le succès grâce à deux best-sellers. Le succès et l'amour, car c'est à l'occasion d'une signature qu'il a connu sa femme, Margot, avec qui il a eu deux enfants. Une belle histoire, en somme, qui aurait pu avoir des allures de Happy end si on avait été dans un film. Sauf que dans la vie, le temps va au-delà d'un générique de fin et accomplit sans relâche son travail de sape. Car arrive le moment où Ramon est confronté au syndrôme de la page blanche, où les hauts dans son couple ont joué aux vases communicants de façon presque irrémédiable avec les bas. Puis Margot propose un jour à Ramon de partir à la montagne, juste tous les deux, dans le chalet familial de ses parents. L'occasion pour eux de recharger les batteries, de repartir du bon pied. Ou du mauvais...

Dans ce huis-clos oppressant, roman d'ambiance indéniable, j'ai retrouvé des impressions laissées par d'autres œuvres cinématographiques ou littéraires. J'ai en effet pensé par moments à Hitchcock ou à Boileau et Narcejac, dans la façon de suggérer le doute, de susciter le trouble et l'interrogation, de doser le suspense et de le rendre latent. Avec l'écriture ciselée de Joseph Incardona, ces sensations ont néanmoins leur saveur propre. 220 volts s'inscrivant à notre époque, décortiquant les vicissitudes de la vie de couple et du quotidien, leur impact n'en est que plus effroyable. En onomatopées cela donne : Waouuu ... brrrrr. Et à mon avis, il y a des dents qui vont grincer...

220 volts, Joseph Incardona, Fayard (Fayard noir), 195 p.

04/03/2011

Les Leçons du mal / Thomas H. Cook

En inuagurant la nouvelle maquette de leur collection policière avec Les Leçons du mal de Thomas H. Cook, les éditions du Seuil ont frappé fort, très fort. De cet auteur, j'avais lu uniquement quelques titres parus à la Série Noire. Deux d'entre eux m'avaient laissé une impression en demi-teinte. Si j'y avais trouvé un style et une écriture fluide, une musicalité évidente laissant à penser que Thomas H. Cook était un véritable représentant du roman noir américain, qu'il en était l'une des voix indéniable, j'avais néanmoins été déçu par certaines ficelles qu'il utilisait ou bien même par les fins qu'il donnait à ses ouvrages. Le mystère qu'il laissait planer était si palpable que j'en étais venu à trouver les révélations finales un peu fades, même si bien sûr, l'intérêt d'un polar ne se résume pas à ces uniques considérations. D'où une légère déception.

Mais avec Les Leçons du mal, la donne n'est pas la même.

Jack Branch est professeur au lycée de Lakeland, petite ville du Mississipi où il a grandi, vécu et où, certainement, il mourra. Ses souvenirs l'emmènent en 1954 où se sont déroulés les tragiques événements dont il se sent responsable. A l'époque, l'idée lui était venu de mettre en place un cours de rattrapage consacré au Mal sous toutes ses coutures, envisagé selon ses différentes déclinaisons, toutes époques confondues. Jack, non sans une certaine pédanterie, se sentait investi d'une mission consistant à éveiller les consciences de ses élèves.
J'espérais que cela les ferait réfléchir, frapperait leur conscience, au moins quelques secondes , et j'avais décidé depuis longtemps déjà que, même si je devais me servir d'un outil rudimentaire pour ouvrir un peu leur esprit provincial farci de religion, je n'hésiterais pas.

Et pour donner corps à ses pensées, il avait pris sous son aile l'étudiant le plus effacé, celui en qui personne ne croyait : Eddie, Miller, le fils du « Tueur de l'étudiante ». Mieux, il lui avait proposé d'établir son devoir de fin d'année sur son père et les circonstances de son acte. En l'incitant de la sorte à soigner le mal par le Mal, il allait en fin de compte devenir le grain de sable faisant voler en éclats les rouages d''une petite ville du Sud des Etats-Unis reposant encore sur des oppositions de classes et de couleurs de peau avec, en arrière-plan, les cicatrices engendrées par la Guerre de Sécession.

Avec ce livre là, Thomas H. Cook réussit un véritable tour de force. Jusqu'à la fin, le lecteur ne sait rien du drame qui s'est joué en 1954 et se trouve très vite enferré par la chape de mystère mise en place dans le roman. Jack Branch, le narrateur donc, émaille son récit de comptes-rendus d'un procès sans que l'on sache jamais rien de la nature de celui-ci. Quel crime a été commis ? Qui est inculpé ? Pourquoi ? Toutes les hypothèses sont possibles. Présent et passé s'entremêlent, parfois de façon volontairement abrupte, de sorte à nous décontenancer un peu plus, sans jamais nous perdre en route pour autant. Des pistes s'ouvrent, se referment, le drame toujours en ligne de mire. Et ce sont les personnages, tous magnifiques, vivants, obsédants, faillibles qui lui donnent corps, entretiennent les doutes et donnent envie d'aller jusqu'au bout, de démêler l'écheveau de cette histoire pourtant simple et humaine, et qui démontre de façon magistrale combien le mal, lui, est difficile à rationaliser et à appréhender ; qu'on a beau l'analyser, le quantifier et vouloir le faire rentrer dans des cases, il trouve toujours les voies les plus insoupçonnées pour se manifester et induire la souffrance.

Un roman bouleversant et beau. Voilà.

Les Leçons du mal, Thomas H. Cook, Seuil (Seuil Policiers), 356 p.









23/02/2011

C'était demain / Karl Alexander

Il y a peut-être deux ans de ça, après avoir rempli mon adhésion à la FSHW, la Fédération des Super-Héros du Web, j'ai reçu dans ma boîte aux lettres leur guide énonçant les conseils à suivre et ne pas suivre. Et dedans il y a l'article 4. de la rubrique « identité et partage ». Article qui stipule : « évitez autant que faire se peut de vous raconter, de donner des éléments constitutifs de votre vie civile, surtout si vous n'avez pas de super pouvoirs, cela pourrait s'avérer fâcheux. Se dévoiler, c'est prendre le risque d'attaques malveillantes ou d'intrusions répétées dans votre cercle familial ou privé. » Jusqu'à présent, à une ou deux petites exceptions près sans grandes conséquences, j'ai toujours suivi à la lettre ces prérogatives. Mais là... là, comment passer outre ? Comment parler de C'était demain sans remonter en arrière – après tout c'est une histoire de voyage dans le temps, non?

Pour autant, ce n'est pas la peine que vous preniez des notes, ni que vous me réclamiez par la suite quelques euros d'honoraires, je ne vais pas non plus m'allonger sur un canapé binaire. Disons que je vais juste m'y asseoir, hein, ce sera plus près de la vérité.

Octobre 1985. Retour vers le futur sort sur les écrans français. C'est une claque pour l'adolescent que je suis et qui découvre peut-être pour la première fois une histoire de voyage dans le temps. L'éventail des possibles paraît proprement hallucinant.

Août 1986. En vacances, je tombe sur un vieil Historia (le n°414 pour être précis, datant de mai 1981) consacré à Jack L'éventreur. Un dossier constitué par Alain Decaux qui revient sur les faits et sur le mystère entourant l'identité du célèbre serial killer. Il laisse supposer que les scellées concernant ce dossier devant permettre d'y voir plus clair seraient enlevées vers 1999. C'est raconté d'une telle manière que la curiosité ne peut être que piquée.

Et puis vient juillet 1988. Je vois le film C'était demain. Une nouvelle claque, au point d'utiliser l'histoire pour une rédaction au collège quand nous travaillions sur la science-fiction et le fantastique. Mon seul et unique plagiat. Raté, pour ceux que ça intéresse. En tout cas, la réception de la note me valut une belle montée d'angoisse et la mise en branle de l'imagination quant à l'annonce qu'il faudrait en faire.A l'époque je ne savais pas que le livre existait, je ne savais donc pas non plus que l'auteur, Karl Alexander avait lui-même scénarisé le film. A l'époque, il ne fallait pas me parler de livres.

Fin de l'épisode revival.

Maintenant, la donne n'est plus la même, mais ce n'est pas sans une certaine appréhension non plus que j'ai ouvert ce livre. Est-ce que je n'avais pas trop magnifié cette histoire à l'époque ? Est-ce que mon regard à moi n'aura pas trop changé ? Est-ce que le bouquin n'aura pas trop vieilli ? Après tout il date de 1979...

Non. Oui forcément. Un peu mais qu'importe. Voilà, dans l'ordre les réponses à ces questions.

Première constatation : Karl Alexander a fidèlement, très fidèlement, retranscrit son histoire. à l'écran. Celle d'un Herbert George Wells ayant mis au point une machine à voyager dans le temps qu'il est contraint d'utiliser, non pas pour convaincre un auditoire de l'étendue de sa science, mais pour poursuivre Leslie John Stephenson, alias Jack l'Eventreur. Wells a en effet invité plusieurs personnes de sa connaissance pour leur révéler son invention quand la police frappe à sa porte. Elle a remonté la trace de l'assassin qui, pour lui échapper, n'a pas d'autre choix que de se propulser en 1979... à San Francisco.

A n'en pas douter Karl Alexander s'amuse beaucoup. S'il n'a pas le souci de la vraisemblance – il ne s'embarrasse pas d'explications scientifiques quant au fonctionnement de la machine à voyager dans le temps – il a néanmoins celui de divertir le lecteur, sans pour autant céder à la facilité. Tout juste emprunte-t-il à une ou deux reprises des raccourcis un peu abrupts dont je ne peux dévoiler la nature ici. Ce qui l'intéresse, c'est plutôt de projeter un homme dans le futur, de le soumettre à une observation puis de dresser le constat d'une évolution comportementale. Au début du roman, H.G. Wells est en effet convaincu que la science, la technologie et le savoir, pourvoiront à la plénitude sociale, au meilleur des mondes. Son voyage va se charger de lui remettre les pendules à l'heure.

Là d'où je viens, je suis un monstre, ici je suis un amateur, affirme Jack l'Eventreur.

On ne peut être plus clair.

Karl Alexander n'investit pas le champ des paradoxes temporels. A peine les effleure-t-il pour les besoins de son récit dont le déroulement s'avère sans temps mort. A aucun moment, je ne me suis lassé des découvertes du Wells pétri de naïveté, ni des prises de conscience qui en ont découlé, toutes auréolées du sourire du lecteur du XXIème siècle tant les situations ont pu s'avérer cocasses...

Comme lorsque j'ai vu le film pour la première fois, comme dans toute bonne histoire de voyage dans le temps qui se respecte, l'envie était là de donner des directives aux personnages – quoique ce ne soit pas la peine pour ce qui est de subjuguer les femmes, pour ça, les manières désuètes opèrent à merveille. L'envie était là de leur dicter la voie à suivre plutôt que de s'empêtrer dans des complications dont ils pourraient se défaire sans aucune diff... enfin, en faisant un peu attention. Bizarre quand même quand on y pense, cette envie de vouloir toucher à tout parce que là, en ce qui concerne C'était demain, la place du lecteur est on ne peut plus confortable et enthousiasmante.

Tiens d'ailleurs, ça me fait penser qu'à l'automne 1993, en octobre si je ne me trompe pas, à moins que ce ne soit en novembre, enfin bref, ce n'est pas vraiment important parce que de toute façon, j'avais bien pris soin de [suite de la chronique supprimée en raison d'une modération de secours de la FSHW, conforme à l'article 6 de la rubrique « identité et partage »]

A voir aussi en ligne l'avis des Habitants de l'avenue...
CITRIQ
C'était demain, Karl Alexander, traduction de Jean-Pierre Carasso, révisée par Julien Bétan, Mnémos (Dédales), 248 p.

19/02/2011

Hypothermie / Arnaldur Indridason, texte lu par Jean-Marc Delhausse

Maria, la cinquantaine, est retrouvée pendue dans son chalet d'été au bord du lac de Thingvellir. Il s'agirait d'un suicide. C'est en tout cas ce à quoi conclut la police après une autopsie ne laissant aucune place au doute. D'après les premiers éléments de l'enquête, Maria était dépressive. Elle avait très mal vécu la mort accidentelle de son père alors qu'elle était enfant, puis celle plus récente de sa mère, emportée par la maladie. Une mère qui dans ses derniers instants, lui avait promis de lui adresser un signe une fois qu'elle serait passée... de l'autre côté. Car Maria était de nature angoissée, redoutait la mort, s'interrogeait beaucoup sur l'au-delà. Personne, pas même son mari ne fut réellement surpris par son décès. Personne hormis Karen, sa meilleure amie, persuadée que Maria ne se serait jamais suicidée. Karen, qui dispose d'une cassette susceptible d'intéresser le commissaire Erlendur : une conversation de Maria avec son médium.

A la lecture d'Hiver Arctique, j'avais été impressionné par la maîtrise du récit dont faisait preuve Arnaldur Indridason, épaté par sa manière de combiner la forme et le fond, de révéler les problèmes identitaires de la société islandaise. Avec Hypothermie, maîtrise et efficacité sont toujours là, et j'ai pour ma part été une nouvelle fois impressionné par ce travail d'orfèvre. D'autant que l'auteur part de rien, d'une situation dont on se demande bien comment il va tenir sur la longueur: il n'y a pas de meurtre et le suicide de Maria est évident. La perplexité est de mise. Est-il seulement possible d'écrire un polar quand une enquête paraît aussitôt étouffée dans l'oeuf ?

Mais voilà, c'est plus fort que lui, le commissaire Erlendur, avec l'empathie qui le caractérise, se demande ce qui a pu pousser Maria à se suicider, quel profond désespoir a pu l'y contraindre. La période étant assez calme en terme d'enquêtes, il replonge aussi dans d'anciennes affaires de disparition avant que les dossiers ne soient définitivement clos. A mesure qu'il progresse, qu'il interroge, que les pièces des différents puzzles s'assemblent, Erlendur trouve comme un écho à la disparition de son frère et donc, à sa douleur personnelle. Et au lecteur d'être pris !

Cette immersion est remarquablement restituée dans la version sonore d'Hypothermie. Jean-Marc Delhausse a su trouver une voix clairement identifiable pour chacun des personnages qui ponctuent ce roman, en jouant seulement de légères inflexions. Mais ceci, je ne l'ai analysé qu'après. Pendant, je baignais dans les eaux sombres, glaçantes et inquiétantes de l'imagination d'Arnaldur Indridason.

Hypothermie, Arnaldur Indridason, traduit de l'islandais par Eric Boury, Audiolib, 9 h

16/02/2011

Le Projet Bleiberg / David S. Khara

Le Deuxième livre* de David S. Khara, Le Projet Bleiberg, est l'exemple parfait du livre remportant un franc succès grâce au bouche-à-oreille. Je ne parle pas de buzz, comme on a coutume de dire maintenant - cette opération visant à faire du bruit autour d'un produit ou d'un événement - mais bien de bouche-à-oreille. Là, le livre a été lu, il a plu et a profité, petit à petit, d'un emballement des lecteurs. Une fois qu'on l'a terminé, on se demande d'ailleurs bien comment il aurait pu en être autrement. Car ce Projet Bleiberg est vraiment, mais alors vraiment, réjouissant à lire.

Il y a tout dedans : un thriller, de l'espionnage, l'Histoire, une histoire, de l'humour, de la dérision ainsi qu'un petit côté rétro pas déplaisant pour deux sous, bien au contraire. Oui, il y a tout ceci, des éléments clairement identifiés qui, sous la patte de David S. Khara, vous font toucher à quelque chose de nouveau, goûter à une expérience littéraire d'un autre genre, populaire comme on les aime. De celle, en tout cas, qui nous fait attendre la suite avec impatience même si ce Projet Bleiberg se suffit à lui-même.

Je crois avoir dit l'essentiel, j'ai rendu compte aussi fidèlement que possible de de mon ressenti de lecteur. Hein ? Le résumé, au moins ? Je vous laisse la surprise, elle est de taille. En ce qui me concerne, là, maintenant, après avoir été une oreille, je suis une bouche... avec le sourire, en plus, c'est dire !

*: le premier étant Les Vestiges de l'aube

Le Projet Bleiberg, David S. Khara, éditions critic, 260 p.

14/02/2011

Nager sans se mouiller / Carlos Salem

Juanito Perez Perez, le narrateur ne s'est jamais posé de question ni n'a vraiment ressenti d'états d'âme quant à son métier de tueur à gages. Il est pourtant le n°3 d'une très efficace organisation secrète du crime agissant sur tous les continents. Officiellement il est un employé d'une multinationale qui prend un mois congés avec ses deux enfants dans un camping du sud de l'Espagne.

Arrivé sur place il va retrouver, comme par hasard, son ex-femme et son nouveau compagnon, un juge médiatisé bien connu pour son incorruptibilité, ainsi qu'un ancien camarade d'enfance avec lequel il a, disons, certaines dettes morales...Et la morale, il en sera beaucoup question lorsque Juanito va commencer à s'interroger sur son métier et la façon dont il va pouvoir sauver sa famille du désastre annoncé.

Dans un style très différent de son premier roman publié en français (Aller simple), Carlos Salem, joue ici avec les codes du polar pour nous entraîner sur les chemins parfois sinueux de la morale individuelle ; il pousse loin la réflexion sur la condition humaine et sur la condition de tueur qui, bien entendu ne doit pas être considérée comme une condition ordinaire.

On sent poindre des regrets chez le narrateur, certes tardifs, mais tout de même des regrets, même s'ils ne sont pas forcément formulés en tant que tel, sur un choix de vie dont la motivation première était d'échapper à la banalité.

Toute vie étant préférable à une vie ordinaire, Carlos Salem ne nous rend pas pour autant son tueur sympathique – un tueur reste tout de même un tueur –, mais il nous le rend compréhensible, ce qui n'excuse en rien l'immoralité de sa profession. Un polar mené de main de maître, remarquablement traduit, et qui tient le lecteur en haleine d'un bout à l'autre.

Gilles Moraton

Nager sans se mouiller, Carlos Salem, traduit de l'espagnol par Danielle Schramm, Actes Sud (actes noirs), 230 p.

09/02/2011

Verdict / Justin Peacock

Je crois que, dorénavant, je vais arrêter d'évoquer les mentions spéciales faites sur les livres. J'ai déjà eu l'occasion de le faire ici et bon, c'est devenu tellement agaçant et tellement courant aussi qu'il vaut mieux passer, se préoccuper de l'œuvre, même si elle est aux antipodes de ce qu'on a bien voulu nous faire croire. Quand je dis on, je parle bien sûr des éditeurs. Il paraît que c'est pas facile en ce moment, alors tout est bon apparemment pour sortir du lot. Heureusement, il arrive qu'on ait du bol et que le livre ne soit vraiment pas mauvais du tout. Comme je le répète régulièrement ici, c'est pas mal d'être surpris. C'est plutôt la pratique qui me dérange, en fait. Tenez, dernièrement dans Livres Hebdo on a eu droit à une pub : « par l'éditeur de... » à laquelle il vous suffit de rajouter le titre d'un blockbuster de la mort pour que l'affaire soit dans le sac. Pour que vous soyez déjà prêt à taper à la porte de votre libraire ou à le contacter par mail pour qu'il vous le mette de côté dès sa sortie. Tsss...

Promis, bientôt, j'arrête d'en parler de ces apâte-lecteurs. Je m'octroie juste une dernière fois avec ce Verdict de Justin Peacock où sur la première page, vous trouvez un beau : « élu thriller de l'année par le Washington post ». C'est beau, hein ? Sauf que j'ai encore beau chercher le thriller, ben je le vois toujours pas. Y'a peut-être une petite sueur froide à un moment donné quand il y a une voiture qui se fait emboutir par derrière et que... non, je ne vais tout de même pas vous dévoiler l'unique scène d'action du livre qui découle de cet accident, non ? Alors du coup, quand même je me dis, ben mon BiblioMan(u), t'es plus à la page, tu dois te gourer dans la définition du thriller, ça a peut-être évolué depuis quelque temps. Les étiquettes, c'est bien connu, tout le monde s'amuse à les déplacer dans les magasins, alors dans l'univers des livres, tu imagines. Mais avant ça, je vais voir sur le site des éditions Sonatine et je vois une toute autre mention sur la page de ce Verdict : « Elu meilleur livre de l'année par le Washington Post et le Los Angeles Times ». Ma part naïve me fait penser que ce doit être un problème de traduction à couches multiples. Parce qu'après tout, voici ce qu'ils disaient dans le Washington Post : "When the prizes are awarded for this year's best first novel, 'A Cure for Night' will be competing for the gold. » En gros, si différents chroniqueurs de ce prestigieux journal disent la même chose pour les livres qu'ils ont aimé, il ne faudra pas s'étonner si on trouve plusieurs bouquins sacrés « meilleur livre de l'année par le Washington Post »...

J'arrête... j'arrête.

Avec cette entrée en matière, vous pourriez penser que je n'ai pas apprécié Verdict de Justin Peacock. Eh bien si. A plus d'un titre. Depuis que j'ai découvert Gianrico Carofiglio et ses romans judiciaires j'ai régulièrement des bouffées d'envie de lire des histoires se déroulant dans un tribunal. J'ai bien lu un ou deux Grisham il y a bien longtemps sans être vraiment séduit . Aussi quand un nouveau nom apparaît, j'essaie de le lire. Pour voir.

Et là, c'est quand même assez bien fait. Parce qu'avec cette histoire d'avocat déchu, contraint de devenir avocat d'office après une sordide histoire de drogue qui a coûté la vie à une de ses collègues avec qui il entretenait une relation, Justin Peacock dresse un portrait assez crédible de la justice américaine dans son mode de fonctionnement. J'ai hésité à dire réaliste, mais je ne suis pas spécialiste, alors...

En tout cas l'opposition très marquée qu'il dresse entre un avocat commis d'office et de cabinet est assez intéressante. L'argent et l'ambition sont bien sûr au centre de celle-ci et Justin Peacock ne manque pas de souligner que le travail, lui reste identique. Qu'il ne s'envisage pas uniquement en terme de carriérisme. (Un petit retour sur le Coupable idéal de Jean-Xavier de Lestrade pour illustrer ceci ne peut d'ailleurs pas faire de mal). Mais l'auteur ne s'arrête pas non plus à cette seule vision. Il revient aussi à plusieurs reprises sur la notion de vérité, précisant que celle-ci n'est pas forcément capitale dans l'instruction d'un dossier, l'objectif étant parfois de lui substituer une version convaincante à même d'innocenter un prévenu. Avec ce que cela implique de problème de conscience.

Verdict se lit avec un plaisir certain, on y trouve son comptant d'objections rejetées ou retenues, les apartés avec le juge, les ajournements... des éléments attendus, connus, et qui ont l'avantage d'être mis en scène autour d'un narrateur avocat, dont les préoccupations, qu'elles soient d'ordre professionnelles ou personnelles, toutes empreintes de doutes et d'une certaine forme de fragilité, ne laissent jamais indifférent ni insensible.

Verdict, Justin Peacock, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Johan-Frederik Hel Guedj, Sonatine, 450 p.

05/02/2011

Vert Palatino / Gilda Piersanti, texte lu par Hélène Lausseur

Avec Vert Palatino s'ouvre le deuxième ouvrage consacré aux saisons meurtrières de Gilda Piersanti. En cette période de Pâques, les premiers signes du printemps se font toujours attendre. Pas de floraison, pas de soleil ni de fraîcheur mais une pluie persistante, harassante. Et des crimes aussi, qui eux n'obéissent à aucune règle préétablie. Implacables, ils drainent toujours leur lot de victimes.

En dehors de ce déluge, comme toile de fond au décor de cette deuxième enquête de Mariella De Luca, il y a Rome, encore, et puis ce championnat de football de première division pour lequel la ville entière s'oppose et vibre à l'unisson.

Fidèle à elle-même, Mariella s'investit toujours autant dans ses enquêtes, quitte parfois à marcher sur les plate-bandes des autres services de police. C'est le cas notamment pour cette affaire de disparition d'une petite fille dans le Corviale, longue barre de logements dans la périphérie de Rome. Pas de témoins directs d'un éventuel enlèvement, pas d'indice non plus. Il y a bien le meurtre récent d'un homme dont on a retrouvé des traces de trafic de pédophilie dans son ordinateur. Peut-on raisonnablement penser que les deux affaires ont un lien ?

J'ai entamé la lecture de Vert Palatino avec le plaisir de retrouver Mariella De Luca et les autres personnages qui gravitent autour d'elle. Avec le plaisir aussi d'entendre la voix d'Hélène Lausseur me raconter cette histoire. Une histoire prenante où Gilda Piersanti monte encore en puissance dans la construction de ses intrigues, dans sa manière de mettre en scène ses personnages. Et de nous confondre. Il ne s'agit plus alors seulement de plaisir car elle parvient aussi à nous remuer, à faire en sorte que le cœur cogne dans la poitrine lorsque la vérité s'esquisse, petit à petit.

Et puis tout à coup, c'est le sang qui se met à battre plus fort dans les veines lorsque cette vérité, justement, nous éclate à la figure. On peine à la croire possible, on voudrait revenir en arrière, tout effacer comme si c'était encore possible. Il faut voir là-dessous toute la force gracieuse de Gilda Piersanti : en ayant pris les tempêtes de 2001 et le championnat italien de football de l'époque, en étant très précise sur ces sujets, elle ne fait rien d'autre que resserrer de façon très étroite les liens de la fiction et de la réalité. Manière de signifier que le crime est réel, que l'abject et l'effroyable sont aussi de la partie, toujours, autour de nous.

Vert Palatino, Gilda Piersanti, Sixtrid, 1 CD MP3 (6 h 50)

26/01/2011

Terre sans mal / Martin Lessard

Il n'aura sans doute pas échappé aux amateurs de science-fiction que les éditions Denoël ont créé il y a peu une nouvelle collection - baptisée Grand Public - dédiée elle aussi aux littératures de L'Imaginaire, et jouant même sur la frontière des genres. Si on avait encore ne serait-ce qu'une raison de s'interroger sur l'orientation de tel ou tel titre dans cette collection (Les Démons de Paris, Le Vaisseau ardent, Terre sans mal et d'autres à venir...), et pour peu qu'on s'intéresse seulement à la question, il faudrait vous rendre sur le blog de la mythique collection Lunes d'Encre où Gilles dumay, son directeur, n'hésite pas à réagir aux commentaires, à argumenter sur ses choix ou à nous faire vivre de l'intérieur les remous de l'édition française en général, et de la science-fiction en particulier.

Quoi qu'il en soit, ces interrogations de chapelle n'ont vraiment pas lieu d'être. Il m'aura suffi de lire Terre sans mal pour m'en convaincre. Ça ressemble à de la science-fiction, on dirait de la science-fiction, mais ce n'est pas de la science-fiction. Pas vraiment en tout cas. Ou, pour être exact, pas seulement. Afin de n'induire personne en erreur, disons que la science-fiction sert plus ici de socle à un discours philosophique et politique qu'à une rencontre du troisième type au sens où on l'entend habituellement en ce qui concerne ce genre.

Cette approche constitue d'ailleurs le seul écueil du livre. Non pas que le propos soit incompréhensible – loin de moi l'idée de me plaindre lorsqu'un livre invite à une telle réflexion. A vrai dire, il est même plutôt accessible et pertinent. Mais à l'image de ce que j'avais déjà évoqué concernant le Peindre au noir de Russell James, le fond et la forme ont évolué en parallèle sans jamais se confondre totalement. Pour être tout à fait honnête, je n'ai pas accroché aux personnages, sauf peut-être à U'Tal, ce jeune Guarani du XIV siècle ayant fui sa tribu pour marquer son désaccord avec celle-ci. Emmené – enlevé ? - par des extra-terrestres, il a pour mission, sept siècle plus tard sur notre échelle de temps à nous, un an sur la sienne, de servir d'intermédiaire concernant le marché qu'ils ont à proposer aux Terriens. Quant aux autres, qu'il s'agisse des résidents de la base sur Mars, les premiers à établir un contact avec le vaisseau extra-terrestre, du président des Etats-Unis, figure par trop caricaturée du mal, ou bien de ses opposants, je ne les ai pas sentis incarnés. Ils me sont plutôt apparus comme les souffleurs dans les théâtres à l'ancienne : des voix dont le seul but est de faire transiter une parole. Une belle parole, certes, mais qui n'a pas contribué à magnifier l'histoire pour autant.

Et c'est bien dommage parce qu'au final, toutes les réflexions, toutes les interrogations qu'il suscite sont du plus grand intérêt. Qu'il s'agisse de notre place en ce bas-monde, en tant qu'homme ou que citoyen, de notre implication nécessaire dans les décisions qui relèvent du droit commun, du respect des gouvernements envers la population, de la notion de choix, de libre arbitre... les pistes sont multiples, toujours riches, captivantes, utiles.

Impression en demi-teinte, donc, mais qu'on ne s'y trompe pas, Martin Lessard est un auteur à surveiller. Je ne dis pas cela juste pour lui faire plaisir – il vient sur le blog régulièrement – mais parce qu'à la lecture de Terre sans mal, cela ne fait aucun doute qu'il y en a sous le capot. Je guette...

Terre sans mal, Martin Lessard, Denoël, 409 p.
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21/01/2011

World War Z / Max Brooks

World War Z n'est pas le rapport officiel retenu par la Commission post-traumatique des Nations unies. C'est en réalité la partie jugée trop sentimentale, trop axée sur l'humain, rédigée par l'un de ses membres. Celui-ci s'est vu obligé de garder pour lui, pour nous, les témoignages des survivants, de ceux qui ont été confronté de trop près à cette guerre sans précédent ayant opposé humains et morts-vivants.

Des hommes, des femmes aux parcours et aux horizons très différents reviennent sur les moments clés du conflit. De l'apparition du fléau à son dénouement en passant par les actes manqués qui auraient pu l'endiguer, par la Grande Panique ou bien encore par le cœur des batailles, tous, avec leur voix, forment la mosaïque d'un traumatisme ineffable. Médecins, militaires, hommes politiques, civils, la liste est longue de ceux qui, à travers le monde, se souviennent.

World War Z est original au point d'être déroutant. Déroutant au point de s'avérer magistral. Incontournable. On en ressort avec l'envie de le conseiller à un maximum de personnes.

C'est pas facile.

Les a priori ont la peau bien plus impénétrable que celle des zombies. J'en ai fait l'expérience auprès de lecteurs de la médiathèque ou d'amis, pas plus tard que la semaine dernière, après avoir refermé le livre sur ses derniers mots, quand l'écho de cette polyphonie résonnait encore à mes oreilles. Le mot zombie a des effets répulsifs. Ça peut se comprendre. C'est alors qu'entre en jeu la force de persuasion. Non pas que je veuille faire preuve ici d'une assurance outrecuidante car en réalité, il suffit d'énoncer les qualités de World War Z et voici l'affaire rondement menée. Les qualités, justement, quelles sont-elles?

Dès les premières pages, Max Brooks s'efface, laisse sa place, en guise de présentation, à l'employé de la Commission post-traumatique des Nations Unies, qui lui-même se retranche ensuite derrière les témoignages proprement dits. Il n'intervient que sporadiquement lors de ces interviews, pour demander des éclaircissements sur certaines décisions ou événements. L'immersion est là. A l'image des différents personnages, on ne s'attache plus à douter de l'existence même des Zack ou des G (G pour goules). On s'imprègne des éléments qui nous sont rapportés, on se met dans la position des destinataires initiaux de ce rapport, ceux qui pourraient faire face à une nouvelle épidémie...

Attention, arrivée de la petite voix...

- Hé, Bibliotruc, tu veux nous faire croire à la téléportation dans les livres ou quoi ? Nous faire gober que tu as perdu ta conscience de lecteur à ce moment là, c'est ça ?
- Non, rien à voir à ce qui se passe pour les personnages de Roman fleuve d'Antoine Piazza ou de la série de Jasper Fforde consacrée à Thursday Next. Mais pour un peu qu'on joue le jeu, l'illusion est bien amenée.

-Mouais...
- Non ?

- Mouais, faut voir...


Sous couvert d'une histoire de zombies, c'est bel et bien l'humain qui est au centre de ce récit. D'une manière très habile, ce sont les facettes pas toutes reluisantes de notre civilisation que les morts-vivants nous renvoient. Quand le danger est là, quand la mort s'invite sur toute la surface du globe, quelles sont nos réactions, nos comportements ? Comment faire fi du poids de son histoire personnelle, de l'Histoire elle-même ? Est-ce seulement possible ? A cet égard, World War Z sinue sur les fragilités de notre époque, s'arrête un temps sur notre société cde consommation, matérialiste – il ne faudrait pas oublier de prendre son lecteur DVD lors de l'exode, on ne sait jamais, hein –, repart, s'attarde sur une ère de communication prompte à s'auto-détruire, puis finit par s'asseoir de guingois sur l'espoir, histoire de ne pas nous laisser complètement essoufflés et anéantis.

Dis-moi quel zombie vient te mordre, je te dirai qui tu es.

-Et la peur dans tout ça ? Parce que c'est bien beau, mais on les voit les zombies ?

-Oh, oui, pour ça ne t'inquiète pas...


World War Z, Max Brooks, traduit de l'américain par Patrick Imbert, Le Livre de Poche, 544 p.
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19/01/2011

Jour J - 1- Les Russes sur la lune ! / Jean-Pierre Pécau, Fred Duval (scénario) et Philippe Buchet (dessin)

Et si...

Et si les Américains, à cause d'une minuscule météorite qui aurait transpercé la coque de leur module d'alunissage, n'avaient pas été le premiers à poser le pied sur la lune ? Si les russes, au contraire, y étaient parvenus, quelle aurait été la donne sur la scène internationale ?

Si l'idée de départ est passionnante, le traitement qui en est fait ici est loin d'être à la hauteur des attentes. Là où la curiosité et l'envie d'emprunter une route alternative de notre Histoire auraient dû être prépondérantes, c'est l'ennui qui s'est imposé. Lentement mais sûrement. La faute, d'abord – un d'abord qui, vous l'aurez remarqué, appelle un ensuite... - , à un scénario plat, vite expédié, et un poil trop simpliste par moments.

Suite au succès des russes, Nixon ne voit qu'un seul moyen de sauver la face et donner encore de bien belles années à la guerre froide : construire la première base lunaire. Quitte pour cela à revenir sur certains principes et ouvrir les vannes budgétaires. Dix ans plus tard, russes et américains se sont implantés sur le sattelite de la Terre et l'animosité qui oppose les deux peuples semble toujours aussi vive. En apparence seulement car sur la lune, justement, l'heure est plutôt à la réconciliation, et plus si affinités...

Même si les auteurs proposent un aperçu des dérives de l'Histoire en fin d'ouvrage sur des événements marquants qui se seraient produits plus tôt que dans notre « temps » à nous, la focalisation de ce Jour J : Les russes sur la Lune ! s'effectue principalement autour d'un épisode lunaire qui a de quoi laisser perplexe. En quelques mots, c'est lent, mou quand bien même il y a des scènes d'action, mais c'est surtout inintéressant au possible. Difficile d'y croire une seule seconde d'autant que l'espèce de message – nous sommes tous frères, nous humains, faites l'amour pas la guerre –, à défaut d'être traité avec subtilité, éclabousse comme un pavé dans la mare du convenu et revêt un aspect bien naïf.

Le dessin, comme cela arrive parfois, n'a jamais relevé le tout. Dans le cas présent, il a même enfoncé le clou. C'est vite devenu exaspérant de voir les humeurs des personnages entourer systématiquement leurs visages. Qui des éclairs pour exprimer la colère, qui des gouttes d'eau pour signifier l'étonnement ou la surprise. Je ne dis pas que le procédé n'a pas sa place en bande dessinée mais là, en plus de la surabondance, il ne me paraît pas approprié. D'autant moins si, comme cela semble être le cas ici, on veut inscrire son récit dans une réalité, fût-elle alternative. On pourrait ne voir en ceci que des détails. Le problème c'est que l'illustration dans sa globalité m'a paru bien pauvre, me donnant le sentiment qu'il a fallu aller à l'essentiel, faire vite, quitte pour cela à céder à la simplicité. Faut-il y voir là le résultat d'une commande, d'une pression relative au projet Jour J ? Peut-être, je n'ai pas les réponses à ces questions.

Je ne suis pas tendre avec cette Bande dessinée alors que, c'est vrai, l'uchronie a tout de l'exercice casse-gueule puisqu'il implique de prendre en compte un nombre incroyablement important de paramètres, et de les combiner ensuite pour leur donner et de la cohérence, et du souffle. Mais là, j'ai bien vite compris que ce ne serait pas le cas, que ces éléments seraient irrémédiablement absents. J'ai été apâté par un super scénario en quatrième de couverture, une superbe illustration en première (ah vous pouvez y aller, toutes celles de la série sont réussies), pour finalement me retrouver avec un truc bébête, écrit et dessiné à la va que j'te pousse, comme s'il était encore besoin de me prouver que ça existe.



Jour J - 1- Les Russes sur la lune / Jean-Pierre Pécau et Fred Duval (scénario) ; Philippe Buchet (dessin), Delcourt, 55 p.

14/01/2011

Les Montagnes hallucinées / Howard Philips Lovecraft, texte lu par Philippe Bertin

Ne reste pas sur ces impressions. Prend un peu de distance pour le moment. Un jour viendra ou tu ressentiras toi aussi le souffle crépusculaire de Nyarlathotep posé sur ta nuque. Ce jour là alors tu sauras...

Suivant donc les conseils de El JC après ma déconvenue à l'écoute du Cauchemar d'Innsmouth, je me suis une nouvelle fois aventuré en territoire Lovecraftien avec, cette fois-ci, Les Montagnes hallucinées, toujours en version sonore.

Un petit coup d'oeil dans le rétro et force m'est de constater que mes réticences vis à vis de l'auteur et de ses écrits sont pratiquement toujours les mêmes : impression de lire toujours la même histoire, celle où un homme témoigne de l'horreur absolue dont il a été le témoin – horreur symbolisée par la réapparition des Grands Anciens -, style plombé d'adverbes et d'adjectifs censés se faire l'écho de l'innommable et de l'indescriptible, descriptions incessantes... Malgré l'implication du narrateur dans les événements qu'il relate, malgré sa volonté d'empêcher une nouvelle expédition scientifique en Antarctique, là où se trouvent ces montagnes hallucinées dont les dimensions défient les lois de l'entendement - mais bien moins encore que ce qu'elles recèlent - malgré tout ceci, j'ai une nouvelle fois été totalement imperméable à cette narration, trop impersonnelle à mon goût.

Et pourtant la qualité du livre sonore est là sur tous les niveaux. J'écoute des livres lus depuis quelque temps maintenant et jamais encore je n'ai vu un tel soin accordé à la réalisation d'un ouvrage, hormis peut-être pour Les Chroniques des ombres de Pierre Bordage, mais le concept n'était pas tout à fait le même non plus. Le livret fourni avec le CD donne à lui seul un aperçu du travail entrepris par les éditions Libellus avec notamment une présentation de tous les acteurs impliqués dans cette édition : l'auteur, les traducteurs Thomas Bauduret et Christophe Thill, le lecteur Philippe Bertin, l'illustrateur François Baranger (avec son esquisse au crayon du projet de couverture dans le rabat du digipack) et le compositeur Benoït Seyral. En dehors de la musique de présentation de l'ouvrage, le texte lui même est parfois accompagné de mélodies ou même émaillé d'ambiances sonores qui collent au récit et lui donnent du relief. Crépitements de radio lors des liaisons entre les différents intervenants de l'expédition ou bruits intrigants et inquiétants à mesure que le narrateur s'enfonce dans les montagnes, s'engouffre dans la Cité et se trouve confronté à...

Si le texte n'a pour sa part pas répondu à mes attentes, j'imagine que les passionnés de Lovecraft sauront, eux, être séduits, histoire d'attendre aussi une de ses nouvelles déclinaison, prévue et orchestrée par Guillermo Del Toro. Si l'aventure vous tente, n'hésitez pas non plus à faire une petite visite sur le site des éditions Libellus. Elle proposent d'autres incursions sonores en science-fiction. Reste à espérer que le catalogue s'étoffera pour ce mauvais genre, encore bien peu représenté sur support CD.

12/01/2011

Masque de sang / Lauren Kelly

Avril 2003. Drew Hildebrand a disparu après avoir été kidnappée dans d'étranges conditions. Ceux qui la côtoyaient auront tôt fait de penser cela n'a rien de surprenant. Dans l'univers de l'Art Contemporain, cette galeriste pour le moins emblématique semblait ne rien pouvoir accomplir dans la simplicité. Sans compter que sa dernière exposition en date dédiée au bio-art, si elle avait suscité l'admiration des uns, n'en avait pas moins provoqué la colère des autres pour sa nette tendance à exposer corps humains et foetus selon des mises en scène scabreuses. De là cependant à s'en prendre physiquement à son instigatrice ? De là aussi à enlever aussi sa nièce, à la bourrer de « crystal meth », cette drogue synthétique redoutable, et de l'abandonner ensuite au cœur de la Shale River Mountain ?

Les choses sont-elles seulement aussi simples ?

Les réponses à ces questions, c'est justement Annemarie qui les possède. Un père en prison, une mère en proie à la dépression et à l'alcool, elle n'avait eu d'autre choix que d'aller vivre chez sa tante. Elle en était heureuse d'ailleurs et, malgré les excentricités de cette dernière, comme par exemple de lui faire changer de prénom, elle lui vouait en toutes circonstances une forme d'admiration, de fascination. De son côté, Drew la portait tantôt aux nues, lui accordait une importance au delà du raisonnable, puis feignait l'indifférence, lui témoignait sa déception en lui laissant entendre qu'elle n'était pas à la hauteur de ses attentes.

Tout ceci, c'est Annemarie qui l'apprend au lecteur. Très vite, celui-ci comprend qu'il n'a pas affaire à une enquête classique. A tout bien considérer, il n'y a pas même vraiment d'enquête. Car l'enjeu de ce roman ne se situe pas en premier lieu sur la résolution planant autour de la disparition de Drew mais plutôt sur la complexité des rapports de la tante avec sa nièce. Sur l'art aussi, mais dans une moindre mesure.

On est là loin, très loin des romans policiers tendance, dont j'ai déjà eu l'occasion de parler sur ce blog. Avec un titre pareil et une telle couverture - réussie au demeurant - on aurait été en droit de penser que l'on allait avoir droit à tout un panel de meurtres, ou hémoglobine et autres viscères auraient servis de principaux catalyseur à l'histoire. Ici c'est la tension psychologique qui est maintenue de bout en bout. En revenant sur leur relation, Annemarie / Marta tisse méticuleusement la trame du drame en devenir, inocule le malaise à petites doses, le rend palpable à un point tel qu'outre le fait de l'éprouver, on ne peut qu'être admiratif d'une telle maîtrise sur le long terme.

Il faut dire que Lauren Kelly n'en est pas à son coup d'essai. Elle a déjà signé deux autres suspenses, Coeur volé et Emmène-moi Emmène-moi mais elle a aussi au bas chiffre plus de soixante-dix bouquins à son actif, et pas des moindres puisque l'un d'entre eux, Les Chutes, a reçu le prix Femina Etranger en 2005. Vous le savez peut-être déjà ou bien vous l'aurez deviné, Joyce Carol Oates est effectivement derrière ce Masque de Sang. Avec une écriture si glaçante, si fine, et une histoire si diablement efficaces, on ne peut que s'en réjouir.

A voir aussi l'avis de Jean-Marc sur son blog.

04/01/2011

La Guerre tranquille / Paul J. McAuley

Lorsque survient la mort malencontreuse de Maximilien Peixoto, le doute n'est plus permis. La guerre contre les Extros aura bien lieu. Ce n'est qu'une question de temps. Car Maximilien Peixoto n'était pas seulement le commandant en chef des forces aériennes de Grand Brésil ni le mari de la présidente de cette même nation, la plus puissante de la Terre, ni même encore le membre d'une famille les plus influentes de la planète. Il était aussi l'un des farouches défenseur de la réconciliation et de la paix avec les Extros, ces humains partis en toute autonomie coloniser les lunes des principales planètes du système solaire il y a plus d'un siècle, départ suscité par les dérèglements climatiques ayant conduit à la Renverse, catastrophe écologique sans précédent dont la particularité avait été d'éradiquer une bonne partie de la population mondiale.

Pour autant, même si la guerre est imminente, si Terriens et Extros en sont tout à fait conscients, les différents accords et autres coopérations en cours sont toutefois maintenus. A l'image de la construction d'un biome sur l'une des lunes de Jupiter, censée jusqu'alors représenter de manière plus que symbolique le rapprochement des Nations, divergentes dans leur manière d'appréhender l'écologie ainsi que leurs percées technologiques et scientifiques. Des disparités que les instances terriennes voudraient étouffer dans l'œuf, avant qu'il ne soit trop tard, avant que les Extros ne soient réellement en mesure de se défendre, voire même de s'en prendre à la planète mère. D'où la nécessité d'une guerre. A titre préventif. Le tout consistant à y aller en douceur, créer les incidents nécessaires à une escalade sans pour autant perdre la face.

« Un roman complexe et à couches multiples débordant de personnages extraordinaires, de scènes stupéfiantes et d'idées fascinantes. » SFX

C'est ça. C'est exactement ça. Cependant, La Guerre tranquille malgré ses indéniables qualités, n'est pas aussi parfait que cette citation le laisse entendre. Quoique à bien y regarder, elle n'est pas que laudative. Ce « complexe », ces « couches multiples » et ce « débordant » pourraient aussi sonner comme un air d'avertissement. Attention les gars, c'est pas simple, va falloir s'accrocher. Certains risquent d'être perdus en cours de route. En quelque sorte, ceux qui tiendront seront récompensés de leur pugnacité. Alors bien sûr, cette interprétation ne tient qu'à moi. Peut-être m'est-elle venue aussi parce que j'ai bien failli abandonner cette Guerre tranquille à deux ou trois reprises et que je ne regrette en aucune façon d'avoir persévéré. Ce livre est une véritable montagne russe à lui tout seul. Les montées: des passages lents, bavards, pas toujours nécessaires mais qui permettent au moins d'apprécier le paysage à mesure que l'on monte. Entendre par là que ces descriptions ou ces scènes de présentation vont d'une façon ou d'une autre contribuer à la cohésion de l'ensemble, même si le livre aurait gagné à être un peu plus court. Ensuite, les descentes : de l'exaltation, de l'émerveillement, du suspense, générés par des scènes saisissantes variant aussi en fonction des quatre personnages principaux que Paul J. McAuley nous invite à suivre ; des images qu'on imaginerait sans mal s'épanouir sur grand écran, bien que dans la tête ce soit déjà grandiose. L'écriture, et sans doute aussi la traduction, contribuent en tout cas à l'amortissement à très brève échéance de votre Home Imagirama garanti sans son pour ce qui est des scènes extérieures dans l'espace – contemplation et splendeur assurées !

« Le retour triomphal de Paul McAuley au space opera de grande envergure. » Locus.

Pour ce qui est du retour triomphal j'aurais bien du mal à me prononcer, découvrant l'auteur avec cette histoire. En revanche, concernant le "space opera de grande envergure", je ne peux qu'être d'accord. Paul J. McAuley bâtit son histoire petit à petit, prend le soin de la cohérence, notamment en dressant le portrait de personnages parfois ambivalents et toujours complexes. Mais par dessus tout, il pose les bases d'une réflexion autour de l'acte de guerre lui-même, sur ses mécanismes et sa complexité. Une complexité qu'il aura tôt fait de répercuter sur l'Homme lui-même et sa condition de vivant qui, sous couvert de survie et de préservation de ses acquis, sous couvert de méfiance et d'incompréhension aussi, a tendance à reproduire d'anciens schémas où l'usage de la force est toujours dans la balance. Le titre de ce roman ainsi que son traitement ne laissent en tout cas la place à aucun doute. Ils portent en eux l'écho et l'aversion des mensonges et des manipulations qui ont conduit à une certaine guerre en Irak, dont l'onde de choc n'a pas fini de se faire sentir.

Tranquille, la guerre, vraiment ?

A voir aussi les avis de Val et de Marc, Guillaume et Mes Ailleurs.
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