"En me rendant au boulot, je m'arrête pour regarder un pigeon se battre contre un rat dans la neige, et c'est là qu'un connard essaie de me braquer. Bien évidemment, ce crétin a un flingue qu'il me colle derrière le crâne. C'est froid mais pas désagréable, comme un massage shiatsu."
Ainsi débute Docteur à tuer, roman surprenant et bizarre, mais pas dans le bon sens des termes. Peter Brown est un ancien tueur à gages ayant loué ses services à la mafia et plus particulièrement aux Locano, la famille qui l'avait pris sous son aile dès son adolescence. Après avoir voulu quitter le milieu, après avoir bénéficié d'une nouvelle identité grâce au programme fédéral de protection des témoins, et après avoir repris ses études, Brown est devenu médecin dans un hôpital minable. Il coule des jours paisibles. Hormis bien sûr quand un petit malin s'amuse à le masser avec son flingue dès le matin. Mais ceci n'est après tout que de la roupie de sansonnet en comparaison de ce qui l'attend un jour à son travail : une vieille connaissance atteinte d'un cancer à qui on donne peu de chances d'en réchapper mais cependant assez valide pour contacter et informer qui de droit qu'il a remis la main sur Peter Brown, plus connu dans le milieu sous le nom de Griffe d'Ours.
Si l'on prend en compte cette présentation du livre, sa couverture, la bande-annonce et ne serait-ce que le premier paragraphe cité plus haut, on est en droit de se dire que Docteur à tuer relève de la comédie policière. Passé les premières pages, cela se confirme. On serait même dans une comédie policière relevant des codes de l'absurde. C'est original, un peu déstabilisant, mais pourquoi pas. Certaines situations sont franchement drôles, tout comme les notes de bas de page du narrateur, qui n'hésite pas au passage à égratigner allègrement le milieu hospitalier. Josh Bazell, lui-même docteur, s'en donne à cœur joie.
Seulement ça se complique très vite - et j'en reviens par là au "surprenant" et "étrange" du début de chronique - avec la construction et le découpage de l'intrigue. Bazell alterne en effet les épisodes à l'hôpital, le présent de Brown, avec la narration des faits qui l'ont amené à changer d'identité. Et là, on est tout à fait dans un autre livre. Le registre n'est plus le même, le ton est plus grave et l'humour réduit à l'état de peau de chagrin. Cette partie est intéressante en soi mais elle est en tel décalage avec le reste qu'au final, on se retrouve avec un polar hybride, pas franchement déplaisant mais pas franchement concluant non plus. Il faut dire qu'après Vendetta de Roger Jon Ellory, les atermoiements de ce Griffe d'Ours paraissent légers et bien fades. Je peux très bien me tromper mais je doute que son empreinte laisse des traces dans la durée... et ce, quelles que soient les bandes-annonces qu'on pourra toujours nous pondre pour allécher le lecteur.
Docteur à tuer / Josh Bazell, traduit de l'américain par Denise Beaulieu, JC Lattès, 305 p.
La Planète SF est toujours en pleine expansion et après le millième article posté il y a quelques jours à peine, tout porte à croire qu'elle n' est pas prête de s'arrêter de tourner en si bon chemin. Les moussaillons de l'imaginaire s'en donnent à coeur joie d'explorer encore et encore les territoires de la Science-fiction, de la Fantasy, du Steampunk, des univers parallèles, du Cyberpunk et que sais-je encore...
Pour les rejoindre, participer au forum, il suffit de cliquer ici. L'équipage de ce navire flottant sera toujours prêt à vous accueillir. N'ayez crainte. A aucun moment vous ne serez ligoté au bout d'une planche, prêt à tomber dans un espace abyssal et insondable fourmillant de créatures... inquiétantes.
Il y a des auteurs que l'on connaît juste de nom, dont on serait même capable de citer les titres sans pour autant les avoir lus. Sans pour autant les lire un jour. C'est un peu comme s'ils faisaient partie des meubles. On sait qu'ils sont là et puis on ne leur prête aucune attention. A tort.
Fort heureusement, on croise parfois des personnes qui favorisent les découvertes. Grâce à Lhisbei (un grand merci à elle), j'ai en effet comblé un manque. J'ai enfin lu Ursula Le Guin ! Avec une nouvelle très courte certes, mais une bien belle, tout en finesse, où il est question de pierres comme le titre l'indique, de mosaïques de pierres qui délivrent des messages, d'individus qui doivent faire face à l'obscurantisme pour exprimer leur soif de liberté.
L'ouvrage est complété par une postface de l'auteur qui situe dans quel contexte elle a été écrite.
Ce fut là la découverte d'un auteur sur lequel je reviendrai certainement (j'ai depuis fait l'acquisition de Dons aux éditions de l'Atalante) mais aussi celle d'un petit éditeur, Le Souffle du Rêve. A suivre, en tout cas.
La Première pierre, Ursula Le Guin, nouvelle traduite de l'américain par Anne-Judith Descombey, éditions Souffle de rêve (Exoterre), 27 p.
Il est enfin fini le temps où l'on ne trouvait que des classiques et des romans du terroir en livre audio. Fini aussi celui des boîtiers de huit, neuf, dix CD pour un bouquin avoisinant les 350/400 pages dans sa version papier. La dématérialisation des supports est passée par là, le MP3 aussi. Aujourd'hui, l'offre s'est considérablement étoffée, s'est ouverte à tous les genres, et rencontre même un certain succès. J'ai d'ailleurs été surpris de voir l'espace et le nombre de titres qui lui était dédiée dans des librairies. En me procurant Juste avant le crépuscule, le dernier recueil de nouvelles de Stephen King, j'ai même été étonné que le lecteur, Michel Raimbault, ait rempilé après avoir déjà assuré le boulot pour Duma Key, livre audio paru dans la même collection. Le succès serait tel que, comme au cinéma ou à la télévision, les auteurs se voient attribués une voix ? Je me suis renseigné, j'ai fureté de droite à gauche. Le cas est encore isolé, hormis pour certaines maisons d'édition audio qui procèdent de la sorte, plus par nécessité en raison de la taille de leur structure et sans doute aussi de leur portefeuille, qui ne leur permet pas forcément d' acheter des voix.
Quoi qu'il en soit, il m'a fallu un certain temps pour me défaire d'une sorte de gêne en entamant Juste avant le crépuscule et ce, pour deux raisons. La première étant que j'ai immédiatement rattaché la voix à celle du narrateur de Duma Key. Le livre était assez long, j'avais eu le temps de m'y habituer. Ensuite, s'agissant de nouvelles, il m'a semblé que la tonalité grave et rocailleuse de Michel Raimbault ne correspondait pas toujours à l'âge ou au sexe des personnages, surtout lorsque les textes étaient à la première personne. Puis j'ai passé outre et me suis laissé emporter par les histoires... quand je n'ai pas littéralement décroché.
Le credo de Stephen King en matière de création, c'est de dire que "la vérité est dans les détails". On ne peut effectivement pas lui enlever de s'appuyer sur les petits riens du quotidien ou même d'évoquer un objet de façon si particulière pour aussitôt susciter une ambiance, voire même donner une authenticité à son récit. C'est dans l'équilibre des détails que ses histoires me semblent plus ou moins réussies.
Dans Juste avant le crépuscule, certaines nouvelles sont longues, trop longues et ne m'ont présenté du coup que peu d'intérêt. Dans le cas de celles-ci, ça n'a pas fait un pli, à chaque fois, j'ai perdu le fil de ma concentration, je n'écoutais plus.
En revanche, ce sont les nouvelles les plus courtes que j'ai trouvées particulièrement percutantes, à l'image de Fête de diplôme, récit de fin du monde, ou bien encore Le Rêve d'Harvey que je vous invite chaudement à découvrir. Il y a trois autres très bons textes dans le lot et où ne s'applique pas systématiquement le sceau de l'angoisse ou de la terreur. Petites mentions personnelles spéciales à Laissés pour compte, sa manière à lui d'évoquer le 11 septembre, Muet, où un représentant profite d'avoir pris un auto-stoppeur sourd et muet pour lui raconter les frasques de sa femme, et enfin, Ayana, histoire dans laquelle le narrateur est confronté à des miracles. Je n'en dis pas trop volontairement afin de ne pas gâcher votre plaisir à la lecture, si vous décidez de vous y plonger.
Sur douze nouvelles, seulement cinq sortent vraiment du lot. C'est, je crois, le problème avec ce genre de recueils, où l'on croise du bon et du moins bon.
Juste avant le crépuscule, Stephen King, traduit de l'américain par William Olivier Desmond, lu par Michel Raimbault, audiolib, 2 CD MP3, 18 h 35 mn
26 janvier 1948. Tokyo vit sous l'occupation américaine. Dans un établissement bancaire de la ville, un homme fait son entrée, un brassard du ministère de la santé au bras. Prétextant une possible épidémie de dysenterie, l'homme enjoint aux membres du personnel d'ingérer le contenu de flacons qu'il a en sa possession. Les seize employés présents le croient et s'exécutent. Douze d'entre eux décèdent. Les quatre autres seront évacués et hospitalisés.
Pour le deuxième ouvrage de sa trilogie consacrée à Tokyo, David Peace a une nouvelle fois tissé la toile de son récit autour d'un fait divers ancré dans l'histoire du Japon. Il aurait très bien pu le faire de manière tout à fait linéaire, rapporter les faits les uns après les autres en les nourrissant de son souffle romanesque. Tokyo ville occupée n'aurait pas été la première ni sûrement la dernière transposition d'une affaire criminelle à être traitée de la sorte. La recette a déjà fait ses preuves. Les exemples ne manquent pas.
Mais David Peace a tenu quant à lui à rendre état de la complexité de ce massacre jusque dans la forme du roman, jusque dans le style. Tokyo ville occupée s'articule en effet autour de douze voix : celle des victimes, des policiers, d'une rescapée, d'un journaliste, d'un scientifique américain... toutes étant liées de près ou de loin à l'affaire. Et quand je parle de voix, c'est pour aller au plus simple car il s'agit en fait de pensées, d'articles, de carnets ou de lettres. Et c'est là tout le noeud du problème en ce qui me concerne. Non pas que je ne reconnaisse pas la prouesse stylistique de David Peace - c'est diablement écrit - ni l'envergure qu'elle apporte à Tokyo ville occupée. Seulement la dimension réelle du bouquin n'est à mon avis pas accessible si on ne se laisse pas prendre par le ryhtme, par la virevolte des mots ou des groupes de phrase parfois répétés, scandés, rabâchés et qui sont déversés sur les pages, dans la tête.
Je ne me suis pas laissé prendre par la mélopée.
Au regard de toutes les éloges que j'ai lues sur ce livre, de toutes les pistes de lecture qu'il induit, j'ai plutôt l'impression d'avoir été abandonné sur le bord d'une route... pas très fréquentée. De n'avoir jamais non plus été en mesure de déceler toutes les subtilités qu'il porte en lui. Je suis allé au bout parce que je sais que certains bouquins révèlent leur essence quelque temps après les avoir refermés. Cela n'a pas été le cas. Il a bien fallu me résoudre.
Tokyo ville occupée est un roman exigeant, qui demande des efforts. Ceux-là même que je n'ai pas été capable de fournir. David Peace a placé la barre très haut. Trop haut pour moi en tout cas qui, je le rappelle, suis un super-héros qui ne sait pas voler. Sinon...
Tokyo ville occupée, David Peace, traduit de l'anglais par Jean-Paul Gratias, Rivages (Rivages/Thriller), 352 p.
Claudie Gallay signe une nouvelle fois un roman de grande qualité. Je me doute pourtant qu’elle était attendu après le succès des Déferlantes, d’ailleurs, moi, je l’attendais le roman suivant.
Et je ne suis pas déçue.
Contrairement à Carlos Ruiz Zafon qui après l’énorme buzz créé par l’Ombre du vent, nous avait resservi de l’Ombre du vent dans le Jeu de l’ange, Claudie Gallay, elle, a su s’extraire totalement de ses déferlantes, voire même de l’intégralité de son œuvre, pour nous convaincre encore du fait qu’elle est une grande, une très grande écrivain.
Avignon, l’été de la grève des intermittents du spectacle. Avignon caniculaire, Avignon qui saigne. Notez tout de suite qu’il s’agit là, de la première fois, que l’auteur intègre aussi concrètement son texte dans une époque.
Odon Schnadel possède un théâtre, le Chien fou, dans lequel cette année, il présente la Nuit rouge, pièce écrite par Paul Selliès, jeune auteur mort sans avoir été reconnu par le public. Sans même savoir que son texte serait publié. Marie, Marie l’écorchée vive, l’enfant de la trainée, la fille de Marie-Madeleine, la sœur de Paul Selliès, vient à la rencontre d’Odon, pour essayer de comprendre son frère, mort.
Et puis il y a Mathilde, dite, la jogar. La comédienne avignonaise reconnue internationalement qui revient au pays, après des années d’absence, alors qu’elle est au sommet de sa beauté, de son succès et de sa carrière. Mathilde l’ancienne maîtresse d’Odon. Mathilde est revenue....
Autour du texte de Paul Selliès va s’ouvrir une pièce, un lien, une intrigue entre Odon, Marie et Mathilde, dont l’issue retentit encore sous mes cellules mais dont je ne peux absolument rien vous dévoiler.
Une fois de plus, Claudie Gallay a réussi à m’extraire totalement de la surface de la terre pour quelques heures... et je n’aurai pas les mots pour la reconnaissance, m’entendez vous.
Bien au delà d’un simple roman, elle déroule sous nos yeux et entre nos mains, une tragédie contemporaine au cœur de son texte. Tout y est.
Le Choeur, porté par les intermittents en grève, qui hurle à la trahison, les héroïnes, la jalousie, les rapports frère/sœurs (récurrents dans toute l’ œuvre de l’auteur), la religion, le sacrifice, la vengeance, l’amour, la filiation, l’amitié, le théâtre.
Le tout dans une ambiance caniculaire, dans cette ville dont je reconnais au fil des pages les moindres recoins, qui n’est autre d’ailleurs que la ville de l’auteur elle-même. Avec jusqu’au bord des narines, les odeurs de cuisine, les lumières, le fleuve, la péniche.
Et puis, et puis il y a aussi, les personnages secondaires, capitaux. Ceux là même qui avaient contribué à la force ravageuse des Déferlantes, qui avaient aidé l’auteur a tout balayer sous le passage de sa plume.
Il y a Odile, la sœur de Jeff, enfermée avec ses 4 fils solaires et nus, il y a Jeff, l’homme à tout faire, du théâtre et de la péniche d’Odon, Julie la fille de Nathalie et d’Odon, les acteurs de la troupe d’Odon, et Isabelle. Isabelle reine magnifique à la peau usée par les ans, pilier du festival, amoureuse transie de la vie et de la jeunesse, des arts, ayant côtoyé chez elle les plus grands de Gérard Philippe à Calder en passant par Willy Ronis. Isabelle la reine, dont l’appartement servira de refuge à Marie loin de chez elle.
Et on retrouve toute la force physique de l’écriture de Claudie Gallay. Le rythme du roman est guidé par la mise en page. Une page et demie grand format de chez actes sud, jusqu’à trois maximum, et on reprend son souffle, on plisse les yeux, et on repart. Sous le soleil de plomb au cœur de cette tragédie aux symptômes modernes de l’auto mutilation par exemple ou de l’anorexie.
Et on tremble avec Marie qui porte sa fragilité avec une grâce vulgaire, on tombe amoureuse de la force et de la générosité d’Odon, on irait bien manger avec Odile et se faire raconter des histoires du temps d’avant chez Isabelle. Et on observe de loin, la beauté arrogante de Mathilde, on lorgne du côté de son succès et on ressent pour quelques secondes, ce pouvoir immense donné par un public, celui de la reconnaissance.
Et on comprend avec une force qui a à voir avec nos intimités que chaque chose porte en elle son contraire, que de l’amour naît la mort, et que nous n’y pourrons jamais rien. Que rêver et faire naitre la poésie reste une arme, puissante et si belle contre les fragilités de nos vies qui ne tiennent qu’à un souffle.
Gallay râpe nos peaux avec des phrases sans verbes. Courtes pour la plupart. Elle fait siffler à nos oreilles des phrases qui tombent comme des couperets. Elle invoque aussi pour nos esprits et contre leurs formatages à la chaîne, les contes et légendes, ou l’ancien testament, le requiem de Mozart, la poésie de Pessoa, les photos de Nan Goldin, et celle de la misère qui naît partout, même au fond des bouges.
Claudie Gallay réécrit pour nous, pour nos mémoires et nos épidermes, pour nos souffles et nos vies, une Antigone à faire pâlir Anouilh, et moi, je retiens mon souffle, jusqu’au jour où je pourrai à nouveau l’interviewer pour vous.
Parmi les lecteurs de Fantasy ou de Science-Fiction, genres où les cycles à rallonge ont pignon sur étagères ou sur présentoirs, il y a principalement deux écoles dans lesquelles vous trouverez:
* ceux qui lisent les préquelles ou les nouvelles se situant dans l'univers d'un cycle pour se donner une idée avant de tenter le grand plongeon. Ceux là sont plutôt rares : bien souvent la parution de tels volumes s'effectue une fois que la série a connu un certain succès, ce qui suppose un nombre déjà important de titres.
* ceux qui lisent les tomes au fur et à mesure de leur parution, quitte à relire le ou les volumes précédents pour chacune d'entre elles, histoire de tout se remettre en tête.
* ceux qui attendent qu'un cycle soit terminé pour entamer sa lecture tout en ayant conscience qu'on n'est jamais à l'abri d'un phénomène de lassitude en cours de route ou de la parution post-mortem d'un manuscrit oublié au fond d'un tiroir et miraculeusement retrouvé.
Je fais pour ma part partie de la dernière catégorie, tout en ayant pratiqué la deuxième pendant un certain temps. Après tout, avec une intégrale, on est en droit de se dire que l'histoire est terminée, que l'on aura son début, son milieu, sa fin, et point barre. Quoique je dis ça, je dis ça, et le dernier volume du Trône de Fer de George R.R. Martin n'est toujours pas paru en langue originale tandis que les premiers tomes de son intégrale sont déjà sortis. Mais peut-être faut-il y voir là le signe de l'exception qui confirme la règle...
Enfin bref, quand est enfin venue l'heure de réunir l'ensemble des œuvres de Mathieu Gaborit gravitant autour des Royaumes crépusculaires, j'ai été plutôt enthousiaste. De cet auteur, je n'avais lu que les [réussies] Confessions d'un automate mangeur d'opium, écrites conjointement avec Fabrice Colin. Avec cette intégrale, c'était donc pour moi l'occasion de découvrir un univers dont je ne savais rien, sinon qu'il avait déjà rencontré un succès certain lors de ses premières éditions.
Seulement, je n'ai pas été emporté aussi loin que ce que j'aurais pu imaginer de prime abord même si le début était plus que prometteur. Le père d'Agone vient de mourir. A cette occasion, le jeune homme revient à la baronnie de Rochronde où l'accueil qui lui est réservé est à la hauteur de ses attentes : glacial. Agone avait depuis longtemps signifié sa volonté de ne jamais succéder à son père. Il avait préféré rejoindre la fraternité de Préceptorale, devenir itinérant et enseigner la lecture et l'écriture dans les campagnes. Autrement dit, il avait choisi la voie diamétralement opposée à celle que son père lui destinait. Cependant, en guise de testament, aux allures de dernière volonté, ce dernier l'enjoint de rejoindre le collège de Souffre-jour. Au bout de six journées d'enseignement, Agone sera libre de choisir entre la baronie ou Préceptorale, sans que personne ne puisse revenir sur sa décision.
Les Royaumes crépusculaires est un ouvrage original par bien des aspects. Mathieu Gaborit est parvenu à créer un univers à part entière, à la fois fouillé et intrigant. Malheureusement, je n'ai pas été transporté. Ce n'est pas ce monde si particulier et si riche qui m'a rebuté mais bien le style de l'auteur que j'ai trouvé trop descriptif, trop chargé. A tel point que j'ai eu l'impression de ne jamais vraiment avancer dans ma lecture, comme si chaque action était par trop décomposée et, paradoxalement, empêchait mon cerveau de générer des images précises, celles que cet univers méritait sans doute et que d'autres ont par ailleurs su puiser. De même, je n'ai pas été sensible à la psychologie d'Agone, tantôt très maître de lui, tantôt d'une naïveté désarmante, ce qui lui a fait perdre de la crédibilité à mes yeux. Certes un personnage n'a pas à être trop tranché, mais quand sa psychologie est à ce point si disparate, cela a tout de même de quoi décontenancer.
Néanmoins, ne lisez ici qu'un avis de lecteur rencontrant en général bien des difficultés avec la Fantasy. Je suis sûr que les Royaumes crépusculaires trouveront un lectorat bien plus... éclairé ?
Petit rajout de dernière minute suite au commentaire d'Efelle. L'intégrale des Royaumes crépusculaires est composé des ouvrages suivants :
Les Chroniques crépusculaires : Souffre-Jour ; Les Danseurs de Lorgol ; Agone. Abyme : Aux ombres d'Abyme ; Renaissances ; La Romance du démiurge.
Les Royaumes crépusculaires, l'intégrale, Mathieu Gaborit, Mnémos (Icares), 484 p.
Puisqu’on vous dit que le genre (effet de manche culturel plus ou moins durable et proportionnellement pénible) n’est pas le sexe (donnée fixe purement biologique, et encore, on peut en changer… si si, le perdre, le gagner etc.). Je me souviens d’un sondage rapporté (et moqué) par Philippe Sollers. On demande à des gens s’ils avaient la possibilité de changer de sexe, qui ils aimeraient devenir ; les réponses fusent : un homme ! une femme ! etc. Personne ne met la question en question. Un chat est un chat. Les sondés répondent rarement aux sondages en réfléchissant – plongée immédiate dans le lourd ronron scolaire – ce qu’ils désirent avant tout, c’est prouver par leur réponse qu’ils ont bien compris la question. Examen permanent. J’ignore si Virginie Despentes a été une bonne élève ou non mais j’adore ses propositions de réponses. Je les trouve particulièrement viriles – elle possède une vertu parlante.
J’avais déjà acheté Apocalypse bébé avant de lire l’article – très engageant – d’Hubert Artus : « Avec Apocalypse bébé, Virginie Despentes s’est assagie ». Puis j’ai oublié. J’ai lu le livre. Après quoi m’est revenu le titre de l’article et ce bizarre verbe : s’assagir. Rémanence mémorielle. Quelque chose clochait. Je n’étais pas d’accord. J’ai relu l’article. Positivement positif, à n’en pas douter. Cependant… L’intérêt des puces aux oreilles est que ça démange. Y’a pu qu’à gratter. Merci à Hubert Arthus.
Je cherche dans mon Dictionnaire Historique de la Langue Française, version rouge, à assagir : cf. sage. Bon. J’y suis, page 3354. Je cite : « Le composé préfixé assagir v. a d’abord eu le sens d’ « instruire (quelqu’un) de quelque chose. » (1188, assagir qqn de qqch.). » Je dirais en français d’aujourd’hui comme je le comprends : affranchir (rendre sa liberté ?), déniaiser sans doute (vous entendez bien ce que j’entends aussi, là ?), mettre au parfum (le nez, l’existence concrète olfactive de qqch., faire connaître à qqn qui ou quoi il ne pouvait pas sentir auparavant…), (dé)briefer, pourquoi pas, entre autres… Je continue mon petit voyage dans le temps expressif : « Depuis le moyen français, il signifie « rendre (qqn) sage » (1340-1370) et ne s’emploie qu’au pronominal pour « devenir sage » (1530), alors qu’on disait assagir intransitivement (fin XIVe s.) » Autrement dit, à partir de là : débrouille toi tout seul, aides-toi et le ciel… Enfin : « Une valeur extensive s’applique aux choses pour « rendre moins vif, moins rapide ou incontrôlé ». Oh là ! Comme vous y allez ! Mes yeux suivent les lignes un instant de plus : « Le dérivé assagissement n.m. a désigné (1440-1475) l’action de donner des renseignements ; il ne se dit plus que de l’action d’assagir (1580, Montaigne). »
Loin de moi l’idée que le passé a forcément fait mieux que le présent ; ce n’est pas mon histoire. Toutefois il me semble qu’entendre un mot, ce n’est pas seulement le comprendre étymologiquement (en saisir la racine, qui, comme toutes les racines, n’est pas la partie la plus mobile, et notamment parce qu’un grand vent frais peine à y souffler) mais le percevoir dans ses mouvements balayés par l’histoire, sa vie propre, son balancement via les corps. Je vous renvoie, logiquement, à l’article ibidem portant sur le mot sage. J’ai lu le livre de Virginie Despentes et je m’interroge sur son assagissement, le mien, le nôtre et plus prudemment sur celui d’Hubert Artus.
C’est peu dire que je ne suis pas critique (littéraire). Je suis un lecteur. Je ne parle, au final, que de moi. J’arrête pas. Si par cette pratique de lecture je m’assagis ou pas, l’avenir paraît-il le dira, aux autres, pas à moi, puisqu’alors le voyage en ce qui me concerne aura trouvé son terme. J’avais lu, à sa sortie, King kong théorie. J’en garde le souvenir d’une grande clarté d’esprit, celle d’un esprit agissant, actif, oui, un livre d’écrivain. Je me souviens aussi d’avoir ri par moments, mais moins qu’à la lecture d’Apocalypse bébé, dont j’ai apprécié de bout en bout le caractère vif et rapide. J’étais si content alors que je l’ai prêté à une connaissance, C., chargée de mission pour la promotion de l’égalité homme-femme (si tu me lis, C., d’ailleurs, ce serait bien que tu me le rendes… Oh é bé non, té, garde-le, relis-le à l’occasion, je vais le racheter : je fumerai moins, ou je mangerai moins – le plaisir n’en sera que meilleur). Je ne me souvenais pas, en revanche, que figurait dans le livre le récit de la conversion d’objet sexuel (pour le dire comme ça) de Virginie Despentes. Je suis un piètre lecteur, je l’ai déjà dit. Il semble que le quoi de la sexualité m’interpelle moins que le qui…
J’ai ri à gorge déployée à l’intérieur d’Apocalypse bébé. Despentes est la fille la sœur la mère l’amant secret de Balzac, de la Bruyère et de bien d’autres, sa sexualité la plus évidente est celle du texte. Elle a grand appétit et bon goût. Magnifique Yacine (un personnage de l’Apocalypse selon Virginie, cessez de lire ce petit mot et suivez Despentes, la vôtre, c’est toujours la meilleure !), humanité de la Hyène, vérité de Lucie-Virginie (un chat est un arbre comme un autre, vous me suivez ?) - une Vierge éclairée ? - sensibilité des personnages et de leur Créatrice, truculence des dialogues, pertinence du regard (Virginie Despentes est un rapace sociologique, elle repère, elle fond en piqué, elle vous apporte sa proie, à vous de la dépecer ou pas, vous n’êtes pas innocent, seule l’écrivain l’est), tour à tour femme-la Fontaine et ton poqueliné, beauté précise de certaines descriptions, traversante, son style est percutant, ni contrôlé ni in-, pudique, impudique, délicat, attendri, cynique, enchanté/ désenchanté, vrai, vécu, mesuré, palpé, carné. Un régal ! Intégrés à son écriture les grands tournois sonores d’une foule de gabians sur la cité à fouailler les poubelles. Inquiétude de l’œil et envergure des ailes. Le bec. Les serres. Le plumage. Des individus de sexe féminin, genre bon ou mauvais, baisent-pensent-perçoivent le monde alentour, tout-en-un – je suis personnellement pour que le prix Goncourt soit attribué à Virginie Despentes, non pour le prestige mais pour le mode de diffusion, en douce, à l’étal des supermarchés, pour la pénétration des foyers, le retournement des us et coutumes culturels, cette vaste foutade… Bon, je m’emporte, je ne suis pas sage. Me reste ceci : j’apprécie hautement d’être renseigné-instruit-déniaisé-affranchi par Virginie Despentes. Qui qu’elle soit, elle n’est pas une image.
A garder le genre sollersien de ce petit billet (doux) - eu égard à son élan, hein, pas à sa qualité, bien sûr – je décide de titrer ma contribution : Classique Virginie. Voilà.
Ah, au fait, Torcol est un homme. J’ai la preuve de ce que j’avance. C’est indéniable. Pour autant souvent dénié, il faut bien dire. Drôle d’oiseau, ce Torcol?
Apocalypse bébé, Virginie Despentes, Grasset, 342 p.
Décidément, rien n'est simple pour Mickie Katz. Il faut dire qu'avec le boulot pour le moins insolite qu'elle exerce, ça ne doit pas être facile tous les jours. Bosser pour un cabinet immobilier en tant que décoratrice, c'est une chose, mais exercer ses talents pour l'agence 13 c'est une autre paire de manches. Surtout quand on sait que cette dernière est spécialisée dans la restauration de sites où se sont déroulés des crimes. Des contrats juteux sont bien sûr à la clé mais à bien y regarder, pas mal de déconvenues aussi, car ces lieux, outre leur caractère particulier, peuvent aussi se révéler le terreau de bien des excentricités. Mickie en a fait les frais lors de sa première mission, relatée dans Dortoir interdit.
Cette fois-ci, les choses ne s'annoncent guère mieux. Envoyée dans un village paumé du Montana, Mickie est chargée de concevoir les plans d'un futur parc de loisirs à l'endroit même où avait été perpétré un génocide sur la population indienne locale. La tâche aurait pu être aisée, enfin, plus facile disons, si les habitants n'avaient pas vécu dans une quasi-autarcie où, sous le masque de la prévenance, de la courtoisie et d'une certaine ouverture d'esprit s'exprimait en fait la peur, la colère, la déraison. Car ce n'est pas rien après tout, si chaque citoyen de cette petite bourgade accepte d'être la cible potentielle d'un archer caché dans la forêt avoisinante, et si shérif et maire ne semblent pas remettre en cause cette tradition, voire même de la cautionner au nom d'une expiation quelconque.
Je n'en dis pas plus. J'en ai peut-être déjà trop dit mais au moins le décor est planté. Juste planté car ce n'est rien en comparaison de l'ampleur que l'histoire va lui octroyer. Sous la plume de Serge Brussolo, on ne sait pas à quoi s'attendre, et s'il y a effectivement chez lui des constantes d'une histoire à l'autre, cela n'enlève en rien à l'originalité de Ceux d'en bas. Car ce décor, cette succession de décors même, qui ponctue le livre, représente à lui seul un personnage, lequel suscite tour à tour la peur, l'angoisse, l'appréhension mais aussi la curiosité et l'émerveillement.
Et les êtres de chair et de sang dans cette histoire ? Ils sont toujours aussi énigmatiques et humains chez Brussolo. C'est à dire qu'ils ne sont jamais ni tout à fait lisses ni tout à fait propres mais en proie à leurs tourments, assujettis à leurs zones d'ombres et à leurs pulsions, qu'elles soient bonnes ou mauvaises. La particularité dans Ceux d'en bas, c'est qu'ils sont aussi soumis au bon vouloir de l'auteur qui les balade en bateau, de faux-semblant en trompe l'œil, et cela contribue grandement au plaisir de lecture.
L'idée des Dortoirs inhabitables n'est pas jeune. Une première édition aurait déjà pu avoir lieu il y a plusieurs années mais, tractations contractuelles obligent entre les éditions Fleuve noir et Serge Brussolo, celle-ci n'avait pu se concrétiser. Mais plutôt que de partir dans d'obscures comparaisons entre ce qui aurait pu être et ce qui est, je me dis que le fruit de mes lectures du premier et deuxième volume de cette série ne laisse en tout cas la place à aucun regret.
Les Dortoirs inhabitables 2, Ceux d'en bas / Serge Brussolo, Fleuve noir, 288 p.
Imaginez un monde où le bonheur est partout, total, plus qu'à portée de mains : dans vos mains. Un monde où le bonheur affleure sans cesse de vos lèvres. Bonheur à toi, ma belle. Un monde merveilleux où les Parhumains, ces organismes issus de la génétique vous exemptent de toutes ces tâches ingrates et avilissantes qui brident encore et toujours la voie de votre épanouissement personnel. Un monde, enfin, où l'on est prêt à vous contenter jusqu'à instituer deux, voire trois, fêtes de Noël par an afin que vous puissiez consommer jusqu'à plus soif. Oui parce qu'acheter, encore et encore, encore et toujours, mes chers amis, c'est se faire plaisir et quand on se fait plaisir c'est... le Bonheur ! N'est-il pas merveilleux ce monde, hein, dites ? Vous l'imaginez ? Non ? Pas assez ? Attendez. Je précise un peu les choses. Sur Terre, il n'existe plus que trois grands Etats-Continents : Les Etats-Unis d'Australamérique, La Chinasie, et la Grande Europe. Dans chacun d'entre eux, vous trouverez un Président à vie. C'est tellement plus simple. Une seule ligne politique s'inscrivant dans la durée, il faut bien se le mettre en tête, cela évite bien des désagréments. N'ayez crainte toutefois, ces bouleversements ne se sont opérés que pour votre bien. Ce n'est pas pour rien, après tout si un ministère du Bonheur obligatoire a vu le jour.
L'Etat est le garant du Bonheur individuel. Il peut avoir recours à tous les moyens, y compris les plus définitifs, pour en faire bénéficier les citoyens. Article 3 de la Constitution
Pour la plupart des analystes, le sentiment amoureux pour un parhumain est à placer sur le même plan que les pratiques fétichistes. On l'interprète généralement comme un signe d'immaturité. Le sujet, inapte; à diriger son désir sur un être réel, le projette sur un objet qui imite et contrefait l'humain et dont la charge fantasmatique est, à ce titre, considérable. Cette confusion – éminemment pathologique – entre l'original et sa copie doit être l'objet de toute l'attention du praticien et suppose une thérapie adaptée. Traité de psychiatrie clinique, Dr Alain Cardon, Editions des GMR
Alors, quand je vous disais que ce monde là avait tout pour plaire ! Seulement, cet avis ne fait pas l'unanimité : un scientifique s'est amusé à jouer à Dieu le Père en trafiquant la dernière génération de parhumain, les Delta 5. La fonction de ces derniers était à la base de se transformer en Père Noël et de faire une surprise de choc à nos chères têtes blondes en passant par la cheminée ou tout autre passage un peu... étroit. Dorénavant, libérés de leurs mouchards, dotés de capacités physiques incroyables et à même de se transformer en ce que bon leur semble, l'équilibre des Grandes Nations est mis en péril. Heureusement, le ministère de la Sûreté intérieure qui a pour charge de veiller par tous les moyens à la préservation du Bonheur, dispose d'un agent redoutable, Alexis Decked. Ses états de service parlent pour lui. Il ne faut donc pas s'inquiéter.
Faites tourner, faites passer. C'est l'envie que l'on a en refermant ce livre qui mériterait une bonne tartine de superlatifs. Il me faudra pourtant résister à les utiliser car ils risqueraient alors de perdre de leur impact. Aussi je ne vais m'attarder que sur la mécanique de Felicidad, l'un des romans inaugurant la nouvelle collection poche pour ados des éditions Gallimard jeunesse, Pôle fiction (le livre étant initialement paru ici).
Il n'y a aucune difficulté à immerger dans la société dépeinte par Jean Molla. Le saut dans le futur qu'il exécute n'est pas vertigineux et les éléments qu'il apporte pour familiariser le lecteur avec celui-ci évoluent de concert avec l'histoire elle-même. De fait, je n'ai jamais eu l'impression d'avoir à subir une construction trop hachée, avec un discours descriptif d'un côté et, de l'autre, la fiction. Tous ces éléments s'imbriquent aisément, de manière à vous emporter très vite. Où ? Je ne vous l'ai pas dit ? Dans un monde mervei... effroyable – je reprends mes esprits - qui n'est pas sans rappeler ces dictatures où, pour le bien du Peuple, on a pu l'endormir puis véhiculer, voire appliquer, les idéologies les plus nauséabondes. Ici, les Bonheur à vous, lancés de manière mécanique résonnent comme des saluts d'un autre temps et dans lesquels résonnaient l'omnipotence d'un Pouvoir. Le Pouvoir, la marche du Pouvoir, ses rouages, ses dérives, la place de chacun dans la société, la vision de l'autre et l'accpetation de ses différences, Jean Molla aborde toutes ces thématiques sans céder à la simplicité ou à l'angélisme. Sous couvert de polar science-fictif, qui bien sûr fait penser à Blade runner (mais aussi, en ce qui me concerne à un vieux jeu sur amiga dont je ne parviens plus à me souvenir du nom...), l'auteur décrit un monde sous lequel on devine l'impact du passé, la marche du présent et une interrogation légitime pour un futur en gestation. Qui plus est, il le fait avec une histoire bien ficelée et des personnages aux apparences... trompeuses. Comme quoi, il faut toujours se méfier de tout, non ?
Merci une fois de plus à Brize pour m'avoir fait découvrir ce livre. Sa chronique est par là.
J’ai immédiatement répondu un oui de principe à la proposition de Biblioman(u) d’écrire ici, à l’occasion, quand le cœur m’en dirait. J’y avais pensé de mon côté. Puis, je crains de le dire, j’ai un peu dit non. Je lis beaucoup, ce qui ne signifie pas grand chose quant à la capacité de mes lectures. Particulièrement s’agissant de SF : je suis un dévoreur de mondes. Je crois sincèrement qu’alors je lis pour oublier. Un roman de SF est une branche d’où ululer dans mon coin à la lune. Je ne suis pas un lecteur éclairé de SF, je suis une sorte de taupe, j’y creuse mes obscurités. Entendons-nous : rien de plus facile que l’obscurité ; c’est la lumière qui est complexe. Je lis comme un ogre, un rien me guide vers mes cavernes aveugles – devine et songe. Ce qui à mes yeux me disqualifie complètement en tant qu’exégète. Je ne compte plus les chiteries que j’ai lues, soyons franc, aussi. Il me paraitrait fort peu élégant de commenter ces mésamours passagères ; on se trompe souvent quand on n’aime pas inconditionnellement. J’avais d’abord dit oui puis j’avais reculé. Ce n’est pas rare dans mon cas. Le ventre plus gros que les yeux. Je préférais me taire. J’avais connu certains petits mondo paradisio tout au long de l’été mais j’avais manqué de coup de foudre. On ne le dit pas assez : il arrive souvent que le plus gros travail soit celui du lecteur… Difficile toutefois de résister n’est-ce pas à un super héraut. D’autant qu’il est patient, attentif et toujours prêt à vous faire découvrir un nouveau livre, c’est-à-dire vous-même, cet autre ; sa sélection se fait de plus en plus serrée, il a ajusté ses antennes, il vous empathe pour finir tout entier ; à la fin de l’envoi il touche.
Animé d’une grande gaité de cœur, après que Livre-Homme-(Main), héraut aux supers pouvoirs, me l’a si justement et amicalement proposé à la lecture, je viens donc vous parler, à ma façon (désolé le cas échéant) de may le monde, de Michel Jeury, qui sort aujourd’hui, le zéro six zéro neuf deux zéro un zéro, en France, un peu partout. N’oubliez pas cette combinaison, elle pourrait bien vous ouvrir l’insoupçonné de votre propre monde.
M’est avis qu’existent autant de lectures d’un seul livre qu’il y aurait de mondes parallèles. Non. Qu’il y a de mondes parallèles. A la physique propre, la même une autre. Par exemple l'œuf monde Grandora où s’échangent des rires air-eau, tout gloutants. Où les apprentis-vivants nagent-volent à la rencontre du Mal, la foire aux proies. Les mondes 1 et 2 et celui de la lunatic fringe, marge et théâtre, hors du temps… Ces mondes ont l’air inventé, ce pourrait être ceux des rêves, dont on sait formellement qu’ils sont réels. Je vous les laisse découvrir par vous-même de la façon qu’il vous plaira. La particularité des parallèles est qu’elles ne se croisent pas. On passe de l’une à l’autre en sautant. Sautons à une autre lecture, voulez-vous ?
may le monde à n’en pas douter est un livre de SF. Il est une œuvre d’anticipation. Sa langue est déjà la nôtre, celle de nos enfants, de nos petits enfants, qui sait ? On pourrait la croire décalée, elle est logiquement (et joyeusement) futuriste. C’est dire si elle est attentive, ici et maintenant, à ce qui se dit dans le monde bonobo et alentour. Je ne vais pas vous la faire bonzarchic, voyez par vous-même.
may le monde à n’en pas douter est un livre de SF. Il est une œuvre d’imagination. De toute évidence ses personnages sont tous vrais, ils sont attachants, on les aime aussitôt. Pour autant ils changent d’identité tout le temps, font des sauts de côté, se forment puis se déforment dans un miroitement infini, de monde en monde. Changer/ ne pas est la grande affaire humaine, vous n’êtes pas d’accord ? Nous sommes ici en plein tourbillon. Qui est qui, on ne sait plus qui l’on suit. Filez les personnages, vous comprendrez.
may le monde à n’en pas douter est un livre de SF. Il est une œuvre d’idées. Sur le(s) monde(s), l’humanité, la vie et la mort, les êtres, tous les êtres, homme femme enfant, plantes et bêtes. Il est une œuvre de forêt, de foisonnement, d’ensemencement.
may le monde à n’en pas douter est une œuvre de Science-Fiction. Un auteur, Michel Jeury, y joue de tout son savoir, qui n’est pas mince, pour vous transporter de l’intérieur de votre quotidien vers la fiction. Rien ici n’est bizarre mais tout est étrange. Il tient du Docteur Goldberg autant que de Panthéra la panthère.
Autant de lectures que de mondes parallèles. Il y aurait tant et tant à dire. Lisez, à vous de jouer, à vous de sauter. Dans may le monde, bien sûr, il y a may. Comme joli mois de. Comme peut-être. Peut être, je devrais dire. Une fillette charmante, vivante à un point. C’est une autre lecture ici tout à coup, faite par un homme à une fillette malade, délicatement, chaleureusement, une lecture de chevet, un souffle dans la nuit, un espoir et une élévation, un calme et une rage, une réinvention… Et vice et versa. On nous dit que Michel Jeury, auteur prolixe, fait retour à la Science-Fiction. Il me semble moi bien plutôt qu’il ouvre des perspectives le long desquelles j’espère me laisser changer à nouveau. Le plus tôt sera le mieux.
En ces temps de rentrée littéraire où, comme chacun sait maintenant, il faudra frayer son chemin à travers tables surchargées des libraires et les multitudes d'articles qui vont fleurir ici ou là. On aura l'impression que l'on parle toujours des mêmes livres jusqu'à l'indigestion. On aura notre petite polémique de l'année, les mêmes discussions sans fin à propos des livres qui seront noyés dans la masse, de ceux qui, si ça se trouve, ne seront même pas sortis des cartons dans l'optique des retours chez l'éditeur. En ces temps de remous répétitifs auxquels tous ceux qui attachent de l'importance à cette rentrée littéraire sont habitués, j'ai pour ma part décidé de parler d'un livre épuisé. Il se la raconte, là, le BiblioMan(u) hein ? Quel culot tout de même ! Il est là, bien au chaud derrière son petit écran à tapoter du clavier. Et vas-y que j'emprunte volontairement le Contre-Courant. Et vas-y que je surfe sur la vague snoboboïste !... pfff, franchement, c'est, c'est...
Frein aux ardeurs. Je n'exclus pas dans les jours ou les semaines à venir de parler des livres appartenant à cette rentrée littéraire. A vrai dire, certains me font déjà de l'œil, comme Corpus delicitis de Julie Zeh (qu'on m'a conseillé de lire à tout prix), L'Employé modèle de Paul Cleave ou même Les Artères souterraines de Warren Ellis. On verra. Rien n'est certain, hormis le fait que ce sont toujours les envies du moment, comme pour beaucoup, qui me guident.
Cette année, il aura fallu l'adaptation cinématographique de Ne vous fâchez pas Imogène pour que l'on reparle un peu de Charles Exbrayat, auteur ayant connu son heure de gloire pour ses romans policiers parus entre les années 50 et 80, ainsi que pour avoir dirigé la collection Le Club du Masque. Bien souvent quand on en l'évoque aujourd'hui, c'est par le biais de grands-parents ou de parents ayant conservé ses livres dans leur cave ou dans leur mémoire, livres qui, dans les deux cas, n'ont pas toujours pris la poussière. Cela peut paraître bizarre, mais je vous assure que lancer une discussion sur Chianti et Coca-Cola ou Les Blondes et papa peut engendrer des mines réjouies à leur seul souvenir de lecture.
Aujourd'hui, la plupart des livres d'Exbrayat sont épuisés. Si on veut en trouver il faut se tourner vers les bouquinistes, à moins de leur préférer les vides-greniers, où comme dans certaines attractions de fêtes foraines, à tous les coups on gagne. C'est à l'occasion de l'un d'eux que j'ai dégotté Une brune aux yeux bleus.
Dans les années 60, Deborah est une jeune bergère à qui père et frères ont appris à se défendre en toutes circonstances. La vie dans les Cévennes, entre Alès et Nîmes n'est pas faite pour lui déplaire mais certaines obligations l'obligent à se rendre à Annecy pour officier en tant que femme de chambre auprès des Nantilly, une famille appartenant à la haute-bourgeoisie savoyarde. Très vite mise au parfum par les autres domestiques, Deborah constate que derrière les artifices du prestige et de la bonne éducation se cachent en réalité les pires travers. Tous les membres de la famille convoitent en effet la fortune de l'Oncle Jérôme dont la mort tarde à venir... jusqu'à ce que quelqu'un se décide enfin à la provoquer.
A la lecture d'Une Brune aux yeux bleus, on ne peut que constater combien cette histoire a mal vieillie, combien l'écart entre cette société qui nous est dépeinte est la nôtre s'est irrémédiablement creusée, même si des constantes perdurent forcément. C'est en tout cas ce décalage qui surprend au début de la lecture. Le tout, en fin de compte, est de se laisser aller et de faire abstraction de ce dépaysement temporel. Si on y parvient on ne pourra qu'être enthousiasmé par le personnage de Déborah, la sublime Deborah, qui cogne à tout va en citant les Ecritures dès qu'on l'approche de trop près. On pourra aussi être sensible au comique des situations – bon, certaines scènes sont un peu trop grosses, je m'en voudrais de ne pas vous avoir avertis - et aux dialogues savoureux dans lesquels Exbrayat sait donner la part belle à chacun de ses personnages d'une manière si particulière, si vivante. Qu'importe alors si les noeuds de l'intrigue se dénouent trop facilement – les indices sautent aux pages comme des gyrophares dans la nuit –, on ressort de cette lecture avec un léger sourire aux lèvres, tout en comprenant pourquoi il est épuisé aujourd'hui.
Je ne saurais terminer ce billet sans vous inviter à traquer quelques titres d'Exbrayat dans les vide-greniers que vous rencontrerez sur votre route : Amour et sparadrap (l'art de la castagne entre irlandais et anglais), Tu n'aurais pas dû Marguerite, ainsi que ceux que j'ai cités plus haut, entre autres... La traque est lancée !
Pour finir, comme je n'aime pas partager mes lectures sans que les autres puissent en profiter sous prétexte qu'on ne peut plus les trouver, j'envoie Une Brune aux yeux bleus à la première personne qui me le demande. Et comme on me l'a bien fait remarquer, je ne suis certes pas un super-héros sachant voler dans les airs, mais je connais certaines formes de téléportation qui ne fonctionnent pas trop mal...
Une Brune aux yeux bleux, Charles Exbrayat, Club des Masques, 220 p.
De mémoire, je crois ne jamais avoir lu ou entendu de critiques négatives sur leTrône de Fer. Bien au contraire, cette histoire de fantasy semble faire l'unanimité à tous les niveaux. Aussi, à force de m'entendre dire qu'il fallait absolument que je le lise, à force aussi de faire mienne l'idée que je devais bien avoir de la chance de ne pas l'avoir encore fait, ce n'est pas sans une certaine appréhension que je me suis lancé dans l'aventure. Je redoutais en effet de devenir la victime de ce phénomène courant faisant qu'après avoir entendu tant et tant d'éloges sur une œuvre, toutes les attentes la concernant ne sont finalement pas satisfaites ou comblées et que la déception soit au rendez-vous.
Eh bien, je ne serai pas celui qui fera la fine bouche ni celui qui trouvera à redire sur ce bouquin impressionnant. Pas l'once d'une remarque négative ne figurera dans ces lignes pour la simple et bonne raison que s'il y en avait une, voire même plusieurs, le souffle et la dimension épique qui habitent ce premier tome de l'intégrale du Trône de Fer balayent tout sur leur passage.
J'avais déjà eu l'occasion de parler ici des Préludes consacrés à cet univers médiéval développé (c'est le moins que l'on puisse dire!) par George R.R. Martinet desa priori pas toujours fondés touchant à ce type de manie des éditeurs, consistant à tirer sur la corde et faire paraître tout et n'importe quoi sous prétexte que c'est vendeur... Le Royaume des Sept Couronnes ne m'était donc pas totalement étranger. A vrai dire, la seule difficulté que j'ai rencontrée a été de me familiariser avec les personnages de l'histoire. Ils sont nombreux, appartiennent à des familles qui se sont mélangées et étoffées au gré des jeux du mariages et des manigances de Cour. Je me suis souvent référé à l'utile (!) liste des acteurs principaux du Trône de Fer pour savoir qui était le fils de qui, la soeur ou le frère de qui, quels liens unissaient les uns aux autres. Et une fois passé cette nécessaire difficulté – le foisonnement des personnages et la complexité des enjeux qu'ils suscitent étant essentiels à la marche du récit – je me suis littéralement laissé prendre au jeu. Je n'ai pas eu l'impression de lire une resucée de tous ces ouvrages de Fantasy auxquels je n'adhère plus depuis un moment déjà. Je ne vais pas refaire ici l'historique des griefs que je rencontre à l'égard du genre, je crois l'avoir déjà fait presque à chaque fois que j'ai parlé d'un ouvrage lui appartenant. Dans le Trône de Fer, point ou peu de magie, nul besoin de manichéisme forcené pour parvenir à captiver le lecteur. C'est le cœur des hommes - avec son lot de complots, de traîtrises, de courage, de couardise, d'amour, de veulerie et de complexité - qui fait battre celui de cette histoire où rien n'est jamais simple ni tranché.
L'étendue du Trône de Fer est encore vaste, il me reste pas mal de contrées à visiter, de personnages à rencontrer et d'aventures à suivre mais d'une certaine façon, j'ai déjà l'impression que George R.R. Martin a démontré qu'il est possible d'écrire une longue, très longue série, de Fantasy qui plus est, sans jamais lasser son lecteur. Dans tous les cas, on sera amené à en reparler.
Parce que je commençais à me fondre un peu trop dans l'univers enivrant du Trône de Fer – voilà que je me mettais à donner du Ser à mes collègues de travail, à dégainer une dague imaginaire dès qu'une porte s'ouvrait par surprise, à frissonner, persuadé de me trouver à Winterfell rien qu'en ouvrant le congélateur – et parce qu'il faut bien aussi préparer la rencontre à venir au domaine de Bayssan avec Pascal Dessaint et Gianni Pirozzi en septembre prochain dans le cadre des Chapiteaux du livre, je me suis octroyé deux petites escapades littéraires bien différentes l'une de l'autre.
Pour la première, il s'agit des Derniers jours d'un homme de Pascal Dessaint, un roman bouleversant qui vous prend à la gorge dès les premières pages et qui ne doit jamais desserrer son étreinte jusqu'à son dénouement. Je n'en dirai pas plus pour le moment car ce grand, grand coup de coeur fera assurément l'objet d'un Blabla. A suivre, donc...
Pour ce qui est de la seconde escapade, on passe à un tout autre registre avec Des nouvelles de Mary, avant dernier opus des aventures d'Alex Cross, signé James Patterson. Depuis Le Masque de l'araignée, avec lequel je m'étais régalé voici plusieurs années, je suivais assez régulièrement les enquêtes de ce docteur en psychologie devenu flic, regrettant au final une écriture un peu trop légère et des situations abracadantesques. A la fin du Grand méchant Loup, servi par une traduction horripilante, je m'étais dit, c'est fini on ne m'y reprendra plus, faudrait voir à pas prendre les lecteurs pour des truffes. Mais voilà, c'est l'été, le moment parfois propice où on se plaît à s'adonner à la lecture popcorn et Des nouvelles de Mary s'est retrouvé dans mes mains au moment où se faisait sentir une fulgurante envie de lire un bouquin facile.[voix off : non mais regardez-le se dépatouiller avec sa tentative de justification : « je lis une daube après un livre splendide et j'ose les mettre côte à côte dans un même billet »... pfff, pathétique... tu parles d'une truffe, ouais!]
J'aurais pu craindre de me retrouver avec un popcorn un peu rance, un peu fade mais au final, pour être tout à fait honnête, c'est pas si mal. Il suffit de savoir à quoi s'en tenir. [voix off : il insiste le bougre!] C'est pas de la grande littérature, les chapitres sont courts, voire très très courts, c'est parfois écrit comme on jette du plâtre sur un mur sans le façonner après coup, le bonhomme se répète un peu beaucoup, mais allez comprendre, ça a fonctionné sur moi. Sans doute aussi parce que dans cette histoire de meurtres en série perpétrés sur des actrices de cinéma, on ne se retrouve pas une nouvelle fois avec le serial killer rencontré deux et trois livres auparavant. A lire, donc, tout en sachant qu'il ne restera certainement pas gravé dans la mémoire.
Voilà, alors après ces deux escapades, je m'en vais trouver refuge dans le Donjon Rouge...[voix off : à coup sûr, vous allez voir, il va oublier de prendre une lanterne.]
Parmi tous les aspects abordés par la science-fiction, j'ai un faible pour les récits archéologiques. Vous savez, ces histoires où des vaisseaux atterrissent sur des planètes désolées où l'on a découvert les signes d'une civilisation ancienne, disparue dans d'étranges circonstances et qu'il conviendra naturellement de déterminer. Mais c'est pour les histories où d'énigmatiques et très anciens artefacts sont localisés sur la surface de la terre que mon faible est bien plus prononcé. Dans quel but sont-ils là ? Quels sont leurs fonctions ? Qui les a créés ? Que se passera-t-il si nous jouons aux apprentis sorciers avec eux ? Autant de questions qui ont la faculté de mettre mon imagination en ébullition et de lui faire emprunter des chemins insoupçonnés à mesure que l'histoire progresse. Si tant est que tous les éléments soient réunis pour y contribuer, comme ça a par exemple été le cas avec Anciens Rivages de Jack Mcdevitt. Ceux qui ont la chance de se le procurer – il est malheureusement épuisé – pourront découvrir un ouvrage prenant et facile à lire, auquel il n'aura manqué qu'une suite.
Mais en attendant, si vous partagez ce faible avec moi, si vous voulez découvrir Juan Miguel Aguilera – personnellement, j'ai trouvé ses livres assez inégaux - ou si, tout simplement, vous voulez vous laisser emporter par une histoire de science-fiction digne de ce nom, le Filet d'Indra devrait vous convenir. L'histoire, je vous l'ai presque déjà dévoilée. Cette fois-ci c'est un satellite qui révèle la présence d'un artefact – une géode de deux kilomètres de diamètre - enfoui sous terre dans le nord du Canada. Aussitôt découvert, une équipe de scientifiques est dépêchée sur les lieux pour tenter d'en déterminer l'origine. Les premiers résultats sont pour le moins surprenants : l'objet aurait plus de deux milliards d'années et sa forme n'a rien de naturelle.
Sur la base de cette histoire, Juan Miguel Aguilera embarque le lecteur dans un voyage trépidant où, une fois n'est pas coutume en science-fiction, se pose en toile de fond la question de la place de l'homme dans l'univers. On pourrait en avoir marre d'être une nouvelle fois confronté à cette grande question du Que suis-je ? Que fais-je ?, moi, dans cette immensité vertigineuse et oppressante. Mais là encore, une fois n'est pas coutume bis, tout dépend de la manière dont le sujet est traité et de l'angle d'approche adopté par l'auteur. Dans le filet d'Indra, Juan Miguel Aguilera ne déçoit à aucun moment. Peut-être parce qu'il conjugue habilement action, rebondissements et réflexion, ne provoque jamais de dichotomie trop franche (et trop barbante pour la peine) entre l'histoire elle-même, ses composantes, et la thématique sur laquelle elle s'appuie. Et peut-être aussi parce qu'il s'écarte des poncifs du genre, laisse la part belle à l'imagination en favorisant l'éclosion d'images fortes, dépaysantes, vertigineuses, induites par l'exploration d'un monde où tout est encore mystère et découverte. Où l'Inconnu n'a pas fini de nous surprendre...
Le Filet d'Indra, Juan Miguel Aguilera, traduit de l'espagnol par Christophe Josse, L'Atalante (Dentelle du cygne), 384 p.