Tenir Le Monde par les couilles est désormais à portée de tout le monde. Le seul
problème, ou pas, c'est que cette mainmise est de courte durée. Le
temps de côtoyer, Kris, Manu, Aziz et le narrateur, cerveau de la
bande, dans la carlingue d'une bagnole à l'approche du braquage
d'une banque qu'ils sont sur le point de commettre. Enfin, si tout se
passe bien... car les choses ne s'annoncent pas sous les meilleures
auspices. Car ces braqueurs ont tout de véritables branques.
Tenir Le Monde par les
couilles est désormais à portée de tout le monde, disais-je...
mais il se pourrait aussi que le rire, qui ne manquera pas de se
manifester à sa lecture, vous amène à le laisser tomber avant,
bien sûr, de le reprendre et savourer les pépites langagières
qu'il recèle.
Aussi, plutôt que de
rentrer dans les détails de cette chronique d'une débâcle
annoncée, je vous propose de suivre une courte interview de
l'auteur, Gilles Moraton, que j'ai sous la main (ouais, je me sens
tout puissant ces temps-ci !...)
BiblioMan(u) : Dans
Le Monde par les couilles, tu mets en scène l'histoire d'un
braquage... atypique, où l'humour est omniprésent, comme dans tes
autres livres. Néanmoins cette fois, tu joues aussi d'un ressort où
le comique prend parfois le pas sur l'humour...
Gilles Moraton : Il
faut dire que la frontière est subtile, disons que parfois le
comique de situation prend le pas sur l'humour induit par le langage.
B:
Est-ce que tu n'as pas eu peur à un instant de basculer dans la
farce ?
G. M. : Non,
jamais, ce n'est pas mon genre, je n'aime pas le comique grossier (si
c'est bien le sens commun qu'on donne aujourd'hui au mot farce), on
tombe facilement dans la vulgarité, et je ne pense pas être allé
jusque là.
B : Le
narrateur de l'histoire, le pilote, le chef, le cerveau du groupe
porte en lui un caractère désabusé. Il est d'emblée en proie au
doute quant à l'issue du casse – et on comprend aisément pourquoi
au regard du comportement de ses acolytes, mais aussi de sa propre
histoire. L'occasion rêvée d'aborder la spirale de l'échec, non ?
G. M. : Oui,
c'était un des objectifs du roman, essayer de comprendre ce qui
pousse parfois des individus, (presque tous les individus à vrai
dire), à se voir comme incompétents, ou inaptes à réaliser tel ou
tel projet. J'ai essayé de décomposer le mécanisme mental qui
amène à cette déconsidération de soi. C'est un élément clé du
livre : pourquoi lorsqu'on a toutes les clés en main et un plan pour
réussir une entreprise, pourquoi va-t-on créer les conditions qui
conduisent à l'échec ?
B : A
l'inverse, les autres membres du groupe paraissent insouciants et
même inconscients des dangers qu'ils courent. Qu'est-ce qu'ils
représentent eux, dans ce schéma de l'échec ?
G. M. : Ils
en sont la pierre angulaire, c'est d'ailleurs le texte de la 4e de
couverture, le narrateur se demande ce qu'il a fait au bon dieu pour
se trimbaler des mecs pareils. Son problème, c'est qu'il est lié
d'amitié avec eux et qu'ils s'entraînent les uns les autres dans la
spirale descendante.
Eux ne se posent pas les
questions du narrateur, ils sont dans l'action, ce sont des êtres
instinctifs qui réagissent directement en fonction de leurs
pulsions.
B : Cette
« folie » qu'ils ont en eux s'en ressent jusque dans la
forme – pas de tirets pour des dialogues syncopés... Pourquoi ce
choix ?
G. M.: En
dehors du narrateur, les autres personnages sont fondus en une sorte
de nébuleuse, on ne sait jamais trop lequel parle, c'est voulu pour
entretenir la confusion, une confusion qui se traduit ensuite jusque
dans l'action. Et donc, effectivement il n'y a pas de tirets de
dialogue pour renforcer cet effet.
B: Tu
évoques aussi une entité dans ton livre, à savoir la Banque qui,
elle, ne semble jamais vraiment connaître l'échec. Des envies de
braquage ?
G. M. : [Rires].
Non, je suis plutôt du genre à gagner mon argent par des moyens
honnêtes. Enfin, supposés tels. Cela dit je ne vais pas faire un
dessin ni prendre de gants, les banques aujourd'hui ont pris le pas
sur les politiques des états, elles écrasent et asphyxient les
peuples pour des profits toujours plus grands ; le combat politique
de ce siècle devra se faire contre les tenants de la finance.
B :
Derrière les mots, la fulgurance des dialogues et l'évocation de
grands noms du banditisme, on devine l'influence de films dans ton
livre. On pense à Audiard, Woody Allen, à des scènes entre Gabin
et Delon... un hommage ?
G. M. : Oui
et non. Je reprends à mon compte les gens que tu cites, mais plus
comme une nourriture de ce que je suis. Je suis nourri de Audiard et
Allen, oui, de Melville, du cinéma italien des années soixante,
mais tout autant de Duras, Dostoëvsky ou Perec. Je réfute le mot
d'influence, ou alors tout est influence, je n'ai pas cherché à
copier qui que ce soit, c'est la situation de départ qui induit les
dialogues et le niveau de langage populaire.
B :
SemiPrivatejokequestion : Le Monde par les couilles, ça ferait une
belle pièce de théâtre, non ? A quand une adaptation ?
G.
M. : Difficile, une adaptation, difficile, j'y pense pour
les alentours de 2024, le temps de bien peaufiner.
Le Monde par les couilles, de Gilles Moraton, Elytis, 2013, 208 p.
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