Permettez-moi de vous
présenter, Frédéric Haltier, l'un des personnages de roman que
j'ai sans doute le plus détesté mais avec lequel, néanmoins, j'ai
accepté de partager la proximité quelques heures durant. Et quelle
proximité !
« Derrière la baie
vitrée, je vois cette fille qui est un paquet de frime (maquillage
excessif, cheveux blonds lissés au Rowenta, lèvres botoxées). Si
jeune et déjà entamée. J'imagine aisément le reste : épilation
définitive, seins refaits (éventuellement), l'empreinte étudiées
du string sur son cul bronzé aux ultraviolets, Dim Up et tout le
bordel des sous-vêtements en dentelle. Ils peuvent rabâcher, les
défenseurs de l'authentique, mais l'artifice poussé à son extrême
vaut largement la beauté naturelle. »
Frédéric Haltier
travaille pour une émission de télé-réalité, Destins croisés,
dont le concept est de réunir sur un même plateau de télévision
les victimes et les bourreaux d'une tragédie. Le voyeurisme dans ce
qu'il a de plus ignoble. Frédéric Haltier a deux filles dont il ne
s'occupe guère. Depuis la mort de leur mère, il s'est empressé de
les placer dans un internat prestigieux. Elles ne représentent rien
pour lui. A leur égard, il ne témoigne que de l'indifférence. Pour
Frédéric seul semble compter le nombre de nanas qu'il pourra
s'envoyer, quitte pour cela à jouer de son statut, dévoiler
le nom d'Auriol, le présentateur de l'émission à même d'ouvrir
les portes de la célébrité. A la source de son plaisir : la
violence. C'est d'ailleurs à travers l'expression de celle-ci, en
participant aux rassemblements musclés des hooligans lors des matchs
de football du PSG, qu'il pense favoriser le déclin de la société.
Sans jamais se douter que lui-même pourrait flancher...
« Je ne me suffis
pas à moi-même, de toute façon, incapable de rester seul trop
longtemps, déficit pérenne de l'attention au-delà de quinze
minutes, malédiction de l'hyperactif, au final, je suis le fruit de
mon époque. Je sais trop bien que tout est déjà parti en couilles.
Je suis là pour accélérer la chute. »
Il n'aura sans doute
échappé à personne qu'il existe une mode (ne rien voir de négatif
dans ce terme) dans le roman policier actuel : celle de nous faire
entrer dans la peau de tueurs abjects lesquels nous livrent sans
fards leurs pensées et leurs actes. Et, sous couvert d'un certain
humour ou de leur parcours, leur histoire, leurs créateurs
parviennent à susciter une certaine empathie, plus ou moins assumée,
à leur égard. En tant que lecteur, j'ai eu l'occasion de renconter
certains d'entre eux : Dexter de Jeff Lindsay, Joe Middleton de Paul
Cleave, Kurtz de Jérôme Camut et Nathalie Hug, Ernesto Perez de
Roger Jon Ellory... Tous ces personnages dont certains sont vraiment
bien conçus, obéissent aux codes du genre, s'inscrivent dans une
sorte de pacte passé avec le lecteur : vous voulez des sensations
fortes, du divertissement, vous allez en avoir... De ce fait, il y a
de part et d'autre, de l'auteur et du lecteur, une acceptation de
l'artificialité mise en place.
« Eléonore mourra
et tout ça, notamment ces parties fines que l'opinion généralement
condamne, n'aura aucune espèce d'importance à l'échelle de
l'univers. Comme les crimes, comme les horreurs les plus absolues qui
peuvent être commises. »
En terme de sensations
fortes, et comme son titre l'indique, vous ne serez pas en reste avec
Trash Circus. En revanche, pas d'empathie et pour le côté
artificiel, pas la peine de le chercher non plus, il n'y est pratiquement pas.
Joseph Incardona a pris soin de le gommer le plus possible, de le
réduire à sa plus simple expression pour coller au plus près à
notre réalité. Le récit tire donc ses racines dans notre époque,
dans la puanteur ambiante qui gangrène notre société. Pour ce
faire, il passe par le prisme de la télé et du foot. Le malaise est
là. Prégnant, intense, permanent.
J'ai bien été tenté
de laisser tomber le livre en rapport à l'aversion que le personnage
m'inspirait, à l'univers pétri de superficialité dans lequel il
évoluait. Tout psychanalyste s'en donnerait à cœur joie avec le
cas Frédéric Haltier, un homme guidé par son individualisme, par
l'exercice et l'emprise du pouvoir sur les autres, par
l'indifférence, par un sentiment d'invulnérabilité que rien ne
semble jamais devoir remettre en cause, et pour finir, par le sexe –
il n'y a presque pas de pages où les émotions de Frédéric Haltier
ne soient pas décodées puis restituées par le biais du sexe.
Cependant, pas besoin d'être psychanalyste pour apprécier l'œuvre
malgré l'aversion qu'elle peut susciter. Et c'est bien cela qui m'a
empêché d'abandonner le livre car le dégoût ne porte justement pas
sur l'œuvre elle-même mais sur ce qu'elle révèle et dénonce à
la fois, la décadence d'une société empêtrée dans ses
contradictions. Et ça il fallait, il faut, le lire jusqu'au bout.
« Elle aurait pu
demander à son tour comment se porte ma conscience. Bof, c'est le
grand vide. Il y a un petit quelque chose qui me froisse, mais c'est
une voix d'enfant perdue au milieu d'une conversation bruyante,
télescopage des voix et, par instants, au hasard des moments de
flottement où se manifeste le silence, les mots dépourvus de sens
car isolés évoquent pour moi une formule mystérieuse oubliée dans
mon pupitre d'écolier. Quelqu'un l'a jetée depuis longtemps,
d'autres enfants se sont assis derrière ce bureau, les générations
se succèdent. La petite voix m'emmerde, elle continuera à sa
faufiler, parce que l'enfant est obstiné, mais elle ne fait plus
écho. C'est trop tard. »
Faire vivre un tel
personnage que Frédéric Haltier n'a pas dû être qu'une partie de
plaisir, loin s'en faut, mais en se l'appropriant de la sorte, Joseph
Incardona confirme la maîtrise dont il fait preuve et la place
essentielle qu'il tient dans le roman noir actuel. Si le coeur vous
en dit, allez faire un petit tour chez Claude, il a lui aussi
beaucoup aimé le livre..
Trash Circus, Joseph Incardon, Parigramme (Polar noir 7.5), 220 p.
Trash Circus, Joseph Incardon, Parigramme (Polar noir 7.5), 220 p.
2 commentaires:
Je ne saurais mieux dire, cher Manu... Si ce n'est que Haltier a déjà dépassé un niveau extrême, et que la psychanalise ne peut plus rien pour lui.
Amitiés.
@Claude: Bienvenue Claude ! Oui, tu as raison, et d'une certaine façon, il l'annonce pour lui même aussi quand il dit : "il est trop tard".
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