24 mars 2011. Le
Commissaire Hervé Langelier fête son départ à la retraite. Il
s'en serait bien passé. En homme solitaire, il aurait en effet
préféré partir dans la discrétion la plus totale. Sans éclats, à
l'image de sa carrière, entachée par une affaire, une seule, dont
il n'a pu se défaire. Les faits remontent à dix ans. Février
2001, une femme est retrouvée égorgée au domaine familial, ses
enfants gisant dans leurs lits, étouffés, un oreiller déposé à
leurs pieds. Aucune trace du père. Un mois jour pour jour après ces
premiers meurtres, rebelote. Une autre famille est retrouvée dans
les mêmes circonstances, selon le même mode opératoire. Le père
est, là aussi, porté disparu. Et ce n'est pas fini. Langelier possède sa
propre hypothèse mais elle n'est pas au goût de tout le monde.
Malgré l'appui de son ami et néanmoins supérieur direct, le
commissaire Ferracci, l'enquête finit par lui être retirée. Qu'à
cela ne tienne, il la mènera seul, à l'insu de tous. Quitte à en
payer le prix fort.
Le flic obnubilé par une
affaire au point de tout lâcher pour elle ou d'attendre d'avoir
enfin du temps pour s'y consacrer entièrement - tout tenter pour ne
pas finir perclus de remords, savoir - c'est comme qui dirait monnaie
courante en matière de polars. C'est comme un socle à une histoire
dont il revient ensuite à l'auteur d'en révéler l'essence.
Tout en subtilité, en finesse, grâce un mariage subtil du fond et
de la forme, et sans doute aussi pas mal de savoir-faire, Jacques
Expert y parvient sans aucune difficulté.
Toute la première partie
exposant les bases de l'histoire est rapportée dans un style très
factuel. Dates, heures, personnages, procès-verbaux, qui a fait
quoi, où, quand, comment, dans quelle intention... les faits, rien
que les faits. On entendrait presque la voix off d'un commentateur
dans une de ces émissions consacrées aux affaires criminelles ayant
défrayés les chroniques. Pourtant, là où un Donald Harstad
balance les codes radios de ses unités de police en intervention
pour faire plus vrai, on palpe ici quelque chose de plus dense, de
plus élaboré dans la constitution du récit. Cette impression se
confirme dans une deuxième partie où, cette fois-ci, le récit
bascule à la première personne. C'est en effet Hervé Langelier
lui-même qui livre la nature de ces dix dernières années consacrées
à une enquête qu'on lui a ôtée et qu'il s'est réapropriée sans
l'aval de sa hiérarchie. Là encore, les faits sont là, avec une
précision confondante, témoins de l'obsession du flic. Son
appartement n'est plus qu'un champ de données sur les murs : photos,
rapports, notes, réflexions. Langelier est capable de les citer
toutes, de les localiser de mémoire. Ce retour sur l'affaire est
entrecoupé de ses réflexions intérieures tandis qu'il observe tous
ceux qui sont venus lui rendre un dernier adieu avant sa retraite.
Dont Ferracci, son ami devenu rival. L'heure des explications est venue. Elles sonnent comme un règlement de compte en bonne et due
forme.
Au-delà des faits et de
leur dualité – aux mêmes événements, de multiples
interprétations et réalités possibles – amenée avec beaucoup de
maîtrise, il y a aussi une réelle gradation dans l'exploration de
la psychologie des personnages, et de celle du commissaire Langelier
en particulier. Au gré du récit, la perception que s'en fait le
lecteur change subtilement, par petites touches et ce n'est qu'avec
un certain recul que l'on en prend l'exacte mesure.
Qu'on ne s'y méprenne
donc pas, Adieu n'est pas un livre de plus sur les étals des
librairies, ce n'est pas une énième resucée d'histoire de tueur en
série, c'est un roman à l'impact certain, de ceux qui laissent des
traces, ne serait-ce que dans son évocation de la solitude. Adieu
mérite bien son triple B : bluffant, balèze brillant !
Adieu, Jacques Expert, éditions Sonatine, 327 pages.
6 commentaires:
Il me semble que c'est le premier roman français publié par Sonatine, non ? On n'en entend pas beaucoup parler en tout cas, il a pourtant l'air bien intéressant.
@Ys: Oui, tu as raison je crois bien. Je n'ai pas fait attention à vrai dire. Je me trompe peut-être mais il me semble que le bouche-à-oreille autour de ce titre commence à porter ses fruits :O)
Je suis bien contente que cela vous ai plus monsieur
@Elo: Et je te remercie pour ce coup de coeur que tu m'as fait partager !
J'en entends beaucoup de bien, je le lirai, c'est sûr.
@manU: à l'occasion, n'hésite pas à me dire ce que tu en as pensé quand tu l'auras lu...
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