Les Dieux ne sont
décidément plus ce qu'ils étaient. Avec le temps, leurs pouvoirs
se sont sensiblement amoindris. À tel point même qu'ils ont été
obligés de se couper du monde des vivants, les Somnifrères, se
cachant d'eux à l'aide de sorts qu'ils ont su préserver et
transmettre à leur descendance. La faute en incombe à Loki qui, en
632, a fermé l'ensemble des portes reliant le monde magique de
Westil, celui dont ils sont issus, et Mittlegard, la Terre. Sa volonté était alors d'éviter que le chaos ne se déchaîne car chaque fois qu'un Dieu transitait
entre ces mondes, ses pouvoirs gagnaient en puissance. Certains,
dont Loki, voyaient là l'ouverture à une escalade dans les conflits
opposant les différentes familles divines.
Les North, descendants
d'Odin, vivent au cœur d'une petite vallée, en Virginie. Danny,
treize ans, est l'un d'eux. Plus exactement, il porte leur nom. Car
pour le reste, disons qu'il a une certaine tendance à subir le
courroux de ses pairs quand ils ne manifestent pas un profond
désintérêt à son égard. Danny est en effet considéré comme un drekkar,
un être dont les pouvoirs ne se sont pas révélés, s'il en possède
seulement. Ce que les siens n'imaginent pas, c'est qu'en réalité sa
puissance est telle qu'elle pourrait remettre en question l'équilibre
du monde dans lequel ils se sont fondus : Danny est un
portemage, un créateur de portes. Et aux yeux des familles il n'y a
qu'un sort possible à l'égard de ceux qui sont doté d'un tel
pouvoir : la mort...
Voilà le moment le plus
périlleux, parler du dernier livre d'Orson Scott Card paru en
France. Si je n'ai pas été un lecteur de la première heure de cet
auteur, je me suis néanmoins bien rattrapé par la suite en me
procurant chacun de ses livres... jusqu'aux Marionnettes de l'ombre,
roman issu du cycle parallèle à la Stratégie Ender. De cette
série, je le dis avec le recul, j'aurais mieux fait de m'arrêter au
premier tome, les autres n'étant pour ma part qu'une transposition,
une restitution de sa documentation sur la géopolitique et de ses
incidences sur l'Art de la guerre. Je ne parle même pas du nouveau
deuxième tome d'Ender, L'Exil, qui m'est littéralement tombé des
mains tant il me semblait qu'Orson Scott Card retombait dans un
travers déjà rencontré dans Les Enfants de l'Esprit, et dans
d'autres ouvrages ensuite, à savoir que le propos du livre prenait
toute la place et ce, au détriment de l'histoire elle-même. Je ne
voudrais pas avoir l'air de tirer sur l'ambulance. Seulement, après
avoir vibré avec Ender dans le premier ouvrage qui lui était
consacré, puis dans La Voix des morts, sans parler des Chroniquesd'Alvin le Faiseur, des Maîtres Chanteurs, des nouvelles aussi, je dois
dire que c'était un peu navrant de voir les cycles se clore - ou
se prolonger a posteriori (vous me suivez là?), voire même se
réécrire(1) - de la sorte (l'image du soufflé, voyez...), laissant
la place à une réelle déception. Une déception que je redoutais
en entamant La Porte perdue.
Et c'est là qu'il faut
sortir trompettes et clairons, lâcher les colombes dans le ciel,
libérer les ballons prisonniers des pognes des marmots, laisser
enfler la musique en même temps que se hissent les drapeaux !
- Hum... t'en fais pas un
peu trop là ?
- Ah ? Tu trouves ?
- Ben chais pas, mais c'est
juste un livre, quoi...
- C'était pour
illustrer, tu vois.
- Mouais... chais pas, tu
devrais peut-être effacer.
Car La Porte perdue signe
d'une certaine manière le retour d'un grand Conteur (même si, à en
croire la postface, lui-même n'a jamais douté avoir cessé de
l'être... mais ça c'est une autre histoire...). Et pour ce faire,
il revient à nouveau – cela ne surprendra personne – avec un
roman initiatique où l'on trouve un jeune garçon devant prendre son
envol face à des forces qui le dépassent. Forces avec lesquelles il
va devoir se familiariser avant de trouver sa voie. Si la recette est
connue, c'est bien dans l'univers campé par l'auteur que réside
toute l'intensité et toute la portée du livre. Card situe en effet
la majorité de son action dans notre monde, à notre époque, mais
il intercale dans son récit une trame parallèle se situant sur
Westil, dans un environnement médiéval vraiment fascinant. Et il le
fait d'ailleurs de manière si subtile que le lecteur s'interroge sur
les relations qui unissent les personnages évoluant dans ces deux
sphères narratives, ainsi que sur la manière dont ils vont
indéniablement se télescoper. C'est sans conteste ce questionnement
associé à la découverte des facultés magiques des uns et des
autres et, plus globalement, à l'univers suggéré par Orson Scott
Card qui donnent sans cesse envie de poursuivre son exploration.
Qui plus est, il y a des
airs d'Oliver Twist dans cette histoire de gamin, orphelin dans
l'âme, obligé de quitter les siens pour survivre, et dont le
parcours est jalonné de rencontres hasardeuses avant qu'il ne trouve
enfin refuge auprès de personnes attachantes. Celles-là même qui
sauront faire en sorte de lui faire prendre la pleine mesure de qui
il est et de ce qu'il est réellement, au-delà de la simple
manifestation de son pouvoir.
Il serait je crois
malvenu d'en dire plus. Un conseil toutefois : laissez juste
s'ouvrir à vous les portes de Westil et, surtout, surtout, ne les
laissez pas se refermer...
(1): Orson Scott Card a en effet procédé à une réécriture de La Stratégie Ender afin de coller aux événements qu'il avait intégrés dans L'Exil...
Les Mages de Westil - 1 - La Porte perdue, Orson Scott Card, traduit de l'américain par Jean-Daniel Brèque, L'Atalante (La Dentelle du Cygne), 413 p.