09/06/2008

Le Livre de Joe / Jonathan Tropper

Joe Goffman se serait bien passé de revenir à Bush Falls. Et là-bas, dans cette petite bourgade du Connecticut qui l'a vu grandir, nombreux sont ceux qui auraient préféré qu'il s'en abstienne. Difficile en effet d'oublier que l'on s'est vu ridiculisé et diffamé, par le biais d'un livre ayant rencontré un succès retentissant avant d'être en plus adapté au cinéma. Mais voilà, le père de Joe est mourant et il est temps pour le jeune écrivain d'affronter ses vieux démons, de renouer avec un passé qui lui colle encore à la peau.
Le Livre de Joe fait partie de ces livres à l'écriture très visuelle et au style fluide, dont on ne voit pas passer les pages mais qui n'est pas pour autant dénué d'intérêts, ce qui évitera de le classer trop vite dans la rubrique des livres écrasés, aussitôt lus et effacés de la mémoire.
Non, ici, le lecteur, pour peu qu'il soit sensible à ce type de situations, adhère à la description qui est faite de Bush Falls, de ses habitants, de cette quasi autarcie qui les lie les uns aux autres et qui les rend presque pitoyables. Malheur à celui qui quitte le ville, il est déjà devenu un étranger. A moins qu'il n'ait fait partie de l'équipe de basket locale, auquel cas, tout lui est pardonné. Vous voyez le genre...

Et si le narrateur apparaît comme un type pompeux, égocentrique, pénible, qui s'écoute parler autant qu'écrire (!), cet aspect de sa personnalité se voit progressivement nuancé par la construction du récit. Celui-ci est en effet entrecoupé de scènes situant l'action dis-sept ans plus tôt, en 1986, et apporte un éclairage nouveau, plus complet, sur Joe Goffman. Sur lui, mais aussi sur les rancoeurs et les cicatrices de tous ce personnages qui se sont vus basculer de la réalité du narrateur-écrivain à sa fiction.

Il s'agit donc là d'un très bon livre, sensible et touchant dans lequel flotte un air de nostalgie qui sonne juste. Seule la fin est à déplorer. Jonathan Tropper aurait voulu faire des appels du pied aux producteurs de cinéma Hollywoodiens qu' il ne s'y serait pas pris autrement. Pas facile de finir en beauté. Pour la peine, je m'en suis imaginée une autre.

29/05/2008

Vague à l'âme au Botswana / Alexander McCall Smith

Ouvrir les aventures de la première femme détective du Botswana, à savoir la fameuse Mma Ramotswe, cela revient à s'immerger dans un conte merveilleux. On ne réfléchit pas, on se laisse emporter dans ce pays africain qui recèle de coutumes et de traditions fascinantes, où l'attachement de l'homme à la nature est indéniable. Spectateur privilégié, on veut tout voir, tout entendre, tout toucher, tout sentir, participer à cette comédie sensible et juste à la fois.
Quand Mma Ramotswe sillonne le pays dans sa camionnette blanche, on est avec elle, sur le siège du passager ; quand elle s'en prend à un membre du gouvernement discourtois, on est là, derrière son épaule, sur la pointe des pieds (parce qu'elle en impose la bonne dame!), à lui chuchoter "ouais, vas-y!" tandis qu'on tape du poing dans la paume avant de rajouter: "Bien envoyé, Mma!" ; quand elle sonde le coeur des gens, assise sur une pierre, on se glisse entre les deux personnages, on se fait tout petit, on balance la tête d'un côté puis de l'autre, à l'affût des réactions.

Cette troisième aventure, vous l'aurez compris, est une nouvelle réussite. Le plaisir est là et bien là de retrouver l'assistante de Mma Ramotswe, Mma Makutsi et ses lunettes disproportionnées, Mr. J.L.B. Matekoni, le garagiste, ainsi que ses deux apprentis plus doués à la séduction et à la glandouille qu'à la réparation des voitures.

On s'émeut, on sourit et l'on rit sans forcer. Les enquêtes, légères et revigorantes, sont des prétextes à raconter l'amour d'un pays. Un amour malheureusement entâché de préoccupations bien réelles qui touchent aux traditions en fuite, aux conditions climatiques, à la perte du lien social et aux sirènes de la mondialisation... D'où le titre en français, sans doute.

Conformément à mes autres lectures des aventures de Mma Ramotswe, je vais attendre avant de me plonger dans les suivantes. Pour le moment, je garde ce vague à l'âme au Botswana en mémoire, je me délecte de son souvenir comme on entrepose des photos sur un album. Jusqu'à la prochaine bouffée de dépaysement, jusqu'au prochain voyage...

23/05/2008

Le Croque-mort a la vie dure / Tim Cockey

Lors d'une veillée funèbre, Hitchcock Sewell, croque-mort à Baltimore, reçoit la visite d'une jeune femme intrigante du nom de Carolyn James. Un peu farouche et déboussolée, elle s'enquiert des dispositions à prendre pour organiser... ses propres funérailles. Après tout, pourquoi pas? La prévoyance ne fait pas de mal. Et quelque temps plus tard, le corps de Carolyn James arrive à l'entreprise de pompes funèbres. Soit. Hormis que cette fille là, prête à manger les pissenlits par la racine, Hitchcock ne l'a strictement jamais vue. Et ce cher croque-mort semble bien décidé à en savoir un peu plus sur cette étrange affaire.
Avec un personnage exerçant une telle profession, on aurait pu s'attendre à une histoire trempée dans le formol, macabre, noire et dents de scie ; avec en toile de fond une société américaine rongée de l'intérieur et tout le toutim. Mais au terrain du morbide, du sombre et du sanglant induits par le genre, Tim Cockey a préféré sévir sur celui de l'humour sans rien ôter à l'intérêt de l'intrigue. Et franchement, ça fait du bien !

Certes au début, on se demande où est-ce qu'on a posé les yeux. Avec le prénom du personnage, la femme ressemblant à Grace Kelly, le chien Alcatraz et un professeur de tennis tombeur de ces dames prompt à faire chanter les maris, on se croirait propulsé dans une affaire à l'ancienne, au milieu des années 50. Adultère, chantage, corruption...l'affaire a des goûts de déjà vu. Heureusement, tout n'est pas aussi simple qu'il y paraît. L'intrigue ne révolutionne certainement pas le genre mais on se plaît à tenter de la dénouer. Et puis...

Et puis Hitchcock Sewell vaut bien le détour à lui tout seul, vraiment. Il faut le voir interrompre les discussions les plus sérieuses qui soient quand son interlocuteur utilise les termes " par contre" au lieu du "en revanche" de circonstance, ou bien encore braver les autorités avec une gouaille déconcertante. Le bougre s'en sort à l'aide de pirouettes verbales sans jamais être lourd, et ses sarcasmes ne l'empêchent pas d'être profondément humain. Bref, on tient là un personnage à la psychologie rondement dépeinte et finement ciselée, évoluant parmi une foule de personnages tout aussi truculents que drôles. Re-bref, on se régale.

Si vous voulez avoir un aperçu des autres aventures de Hitchcock Sewell, suivez le croque-mort, c'est par .

20/05/2008

Le Dernier souffle. Tome 2, Le Sang / Fiona McIntosh

Je serai bref. Le Sang a fait les frais de ma lecture précédente. D'entrée de jeu, par une comparaison fortuite, le style m'a paru fade et insipide. Sans compter cet aspect mièvre et stéréotypé des considérations sentimentales que j'avais évoqué pour le premier volume. L'envie de connaître le sort de Wyl et ses comparses s'est envolé et étiolé au dessus de ma tête. Pour tout dire, sans réel regret.
Nota bene : le bavardage et l'artillerie descriptive en Fantasy me portent à croire que cette littérature n'est décidément plus pour moi. Je dis ça, je dis ça... ça m'exaspère de ne plus y trouver de réel plaisir, de ne pas être emporté par un souffle original et prenant de bout en bout. Mais je sais aussi qu'il suffira d'une belle couverture (quand ce ne sera pas la quatrième) ou que je succombe au discours passionné d'un lecteur persuasif pour que j'y remette un coup d'oeil, pour commencer. Mais pour le moment, niet, je fais mon overdose.

19/05/2008

La peau froide / Albert Sanchez Pinol

précisions syntaxiques (pour les puristes, dont je fais partie (mais en tant que moineau sans cervelle et bien élevé, je me suis retenue de démonter le clavier de mon ordinateur pour récupérer ces petits signes diacritiques qui font toute la saveur de la langue espagnole)) : il y un accent aigu sur le a de sanchez et une tilde sur le n de pinol...
en règle général, j'ai du mal avec les prescriptions, peu importe d'où elles émanent (les seuls écarts sont en faveur des romans offerts ; c'est comme ça que je me suis retrouvée plongée dans l'histoire de pi de yann martel, cadeau d'un ami bibliothécaire, grand prescripteur, sur le web et ailleurs ; mais cessons là cette parenthèse...). donc, je n'aime pas les prescriptions, conseils, injonctions à lire. d'autre part, je n'aime pas non plus les romans fantastiques, de science-fiction, d'anticipation, etc. (mais j'aime beaucoup les parenthèses, au contraire de l'ami biblioman(u) qui doit se ronger les ongles d'irritation à la vue de tous ces petits sourires verticaux) la peau froide est tout à la fois une prescription et un roman fantastique. deux handicaps d'avance ! mais j'ai fait ma bonne fille. et j'en suis bien aise. mêlant aventure, suspense et fantastique, monsieur sanchez pinol nous emmène sur un îlot perdu de l'atlantique sud, là où le narrateur est censé passer un an tranquille-pépère à lire, écrire, réfléchir et, accessoirement, faire des relevés météo. sauf que.... ça va pas le faire. et je ne vous dirais pas pourquoi. et je vous enjoindrais à ne pas lire la quat' de couv' (très bien faite, néanmoins, pour les amateurs de quat' de couv') qui révèle ce qui est plus ou moins à l'origine de la frousse. la frousse. la trouille. le flip total. la peur bleue. ici, dans l'île, les ténèbres sont parfaites, les protagonistes bien seuls, les armes trop ou pas assez efficaces ; aussi, l'ennemi est mal défini, le temps si étiré, la vérité tellement ailleurs... et , dans tout cet inconfort, noyé dans des vagues d'angoisse, l'on se prend à appeler la délivrance de la fin. que l'on regrette de voir arriver si vite.
mais le sieur sanchez pinol a d'autres atouts en manche puisque la peau froide est le premier mouvement d'une trilogie (les trois ouvrages restant néanmoins autonomes) et que le deuxième, pandore au congo, est déjà disponible. sur ce.

13/05/2008

Oscar Wilde et le meurtre aux chandelles / Gyles Brandreth

Charme n.m. 1. Ce qui est supposé exercer une action magique. Enchantement, ensorcellement, envoûtement, illusion, magnétisme. 2. Qualité de ce qui attire, plaît. 3. Manières séductrices.
Qu'on se le dise, Oscar Wilde et le meurtre aux chandelles décline le charme sous toutes ses facettes. Difficile, donc d'y entrer et d'en sortir sans y être sensible.

Pour autant, la cause n'était pas acquise. Je l'ai déjà évoqué, mettre une personne ayant réellement existé, célèbre de surcroît, au coeur de la fiction me gêne d'emblée. Je perçois cette liberté romanesque comme une déviance de la réalité, et par conséquent comme une voie ouverte à des interprétations tronquées. Alors Oscar Wilde détective, imaginez ! Exercice périlleux, vous en conviendrez...

...Mais ô combien réjouissant ! Mes réticences ont très vite volé en éclats. Le charme opérant, je me suis laissé séduire. Par Oscar Wilde, bien sûr, que Gyles Brandreth a su dépeindre avec finesse et humour. On le découvre ou le redécouvre avec un plaisir extrême, à tel point que l'on se surprend à imaginer combien il aurait été délicieux de le côtoyer. Ce personnage aux multiples facettes, tour à tour extravagant, égoïste, généreux, loufoque, volubile, amoureux des gens, de la vie fascine tant et plus. Alors quoi de plus naturel que de le suivre lorsqu'il endosse sa casquette de détective, extrêmement doué pour la peine.

Accompagné de son ami et biographe en devenir Robert Sherard, romantique de la deuxième heure lui aussi très attachant, le voici confronté au meurtre d'un jeune homme de sa connaissance, perpétré dans des circonstances pour le moins étranges.

L'hommage rendu à Conan Doyle (il apparaît dans le roman et possède son importance propre) et à son héros Sherlock Holmes est évident. Wilde le dit ouvertement, et à travers lui Gyles Brandreth : "Sherlock Holmes est mon modèle!" Sherard, quant à lui, endosse à merveille l'habit du célèbre docteur Watson. Hommage, donc, jusqu'au "jeu décisif", où toute la lumière sur l'affaire sera faite dans un bouquet final retentissant.

Charme de l'époque victorienne, aussi, au goût délicieusement suranné. Big Ben sonne et assiste à ce ballet de costumeset d'accessoires indispensables à toute dame ou gentleman,

"Un long manteau de velours noir, au col et aux poignets d'hermine, la couvrait jusqu'aux chevilles. Ses mains étaient enfouies dans un manchon de fourrure argentée et son éclatante chevelure rousse disparaissait sous une toque assortie."

"Il me toisa en me tapotant la poitrine avec le pommeau de sa canne."

aux discussions de nos personnages ballotés dans des cabs, aux repas dans les hôtels, aux réunions dans les clubs privés, le tout obéissant à un protocole de rigueur (pour boire le thé avec une demoiselle, il convenait de l'inviter par courrier et d'attendre sa réponse en retour) et aux moeurs de l'époque.

De fait, et comme de bien entendu, l'homosexualité est ici abordée, dans le contexte historique et social de la période victorienne qui, si elle n'était pas condamnée était pour le moins occultée. Gyles Brandreth retranscrit tant et si bien ce phénomène qu'il ne cite jamais le terme d'homosexualité. On parle plutôt de sodomites, de musiciens ou d'inclinations charnelles déviantes... Preuve encore de l'ostracisme de l'époque sur le sujet, Wilde fut condamné à deux ans d'emprisonnement et de travaux forcés pour "grave indécence". Un demi-siècle plus tard, on le vit avec Alan Turing, il n'y eut que la peine qui se modula, pas forcément en mieux...

Charme encore, charme des mots. On se délecte de la verve, des maximes et des traits d'esprits de Wilde sur des considérations diverses, toujours piquantes, percutantes et drôles.
Quand il converse de la couleur de ses cheveux avec Robert : "Qui se soucie de l'argent, marmonna-t-il, il n'y a que l'or qui compte."
Quand il aborde les rapports hommes/femmes: "Avec le temps Robert, vous finirez par trouver qu'on peut bien plus se fier à une poignée de mains qu'à un baiser."
Quand il entre dans des considérations religieuses: "Il ne faut jamais attendre de réponses à vos prières, Robert ! Si vous en recevez, elles cessent d'être des prières pour devenir des correspondances."
Et tant d'autres...

A l'instar de Sherlock Holmes, Wilde raisonne et observe. Mais cela ne l'empêche pas d'exister, ni d'écrire. L'enquête se déroule sur une période de cinq mois, s'inscrit dans sa vie et celle des autres protagonistes. Elle évolue en toute logique au gré des événements qui viennent la compléter ou la perturber. Elle est vraisemblable, donc appréciable.

Les convaincus seront heureux d'apprendre que le deuxième épisode est d'ores et déjà écrit. Ne reste plus qu'à attendre son édition. Patience, quand tu nous tiens !



Nouvelles du Wyoming / Annie Proulx

bon. il y a eu brokeback mountain (prononcez brokeback mountain). il y a eu moi dénichant la nouvelle " source " dans le recueil les pieds dans la boue. il y a eu big bang, feu d'artifice, impossibilité de me détacher de ces cow-boys complètement branques, de ces ploucs rêveurs, bêtes à manger du foin ou tordus comme les blés sous le vent... alors, j'ai continué, annie proulx, ses éléveurs, ses déserts et leur caillasse, ses fermes, ses tempêtes bleues et blanches, ses pauvres types, ses perdants magnifiques... jusqu'à nouvelles du wyoming, l'opus 2007 du (de la) chantre des temps qui changent... il y a le vieux qui prend son bain dans un tub supendu au-dessus d'un feu, mirage anthropophage. il y a ce garde-chasse qui ne supporte pas, mais vraiment pas, les braconniers à qui le hasard donne un moyen, je dirais maléfique, de s'en débarrasser. il y a de fieffés soiffards et une poignée de chiens galeux... et toujours cette écriture brute. du grand art (et quelques cochons).


07/05/2008

Les Déferlantes / Claudie Gallay

C'est l'histoire d'une femme qui s'exile à la Hague, le bout du monde, pour porter seule et en marge de tout, un deuil, son amour fou, mort.

C'est l'histoire d'un homme, qui cherche de manière obsessionnelle, la vérité sur le drame de sa famille, disparue en mer, à la Hague – le bout du monde-, et dont le corps de son très jeune frère n'a jamais été retrouvé.

C'est l'histoire de leur attirance, qu'il leur serait si simple de ne pas vivre.

C'est l'histoire de Théo, le gardien de phare, et de Nan, sa maîtresse; son grand amour qui a perdu son espoir dans les déferlantes.

C'est l'histoire de La Mère, la femme de Théo, et de Lili, leur fille délaissée par Théo.

C'est l'histoire de Raphaël le sculpteur, en exil à la hague – le bout du monde- pour ne vivre que de son art, et de Morgane, sa soeur.

C'est l'histoire de Max, à l'esprit léger et l'espoir sans faille, amoureux transi de Morgane.

C'est l'histoire des vivants et des morts, qui se croisent et s'empêchent de vivre, ou qui se croisent pour commencer à vivre.

Décor : La Hague, où la nature et les hommes semblent déteindre les uns sur les autres, à moins qu'il ne s'agisse d'une ivresse, draînée par les vagues et le vent.

La grande réussite de ce roman fleuve, qui compte pas loin de 600 pages, c'est de restituer dans un étau si petit, toute la beauté et la vilénie de l'Homme.Ici donc, les vivants portent des secrets, qui empêchent les morts de se reposer, et les morts, répandent des manques, qui oppriment les vivants.

Les vagues et les hommes mentent. A moins que ce ne soit là, que l'affaire des Hommes.
Claudie Gallay utilise de phrases courtes. Courtes et fortes. Comme le ressac des vagues. En fait, elle imprime un rythme, une musique, qui perdure bien au-delà de l'ouverture et de la fermeture du livre.

Elle restitue, avec une force incroyable, la difficulté du deuil, la difficulté de vivre sans savoir, sans comprendre, plus en général.

Mais elle sait aussi donner des instants jubilatoires de chaleur humaine, en faisant se regrouper tous ces hagards vivant à la Hague, sur un minuscule territoire, dont on ne sait plus s'il appartient à la terre ou à la mer.

Sans dévoiler la fin, ce que je peux dire, c'est que la force de ces hommes et de ces femmes, confrontés aux failles de chacun, à leurs propres bassesses ou à celles des autres, est de -quoi qu'il arrive- parvenir à un moment ou un autre, à regarder les choses en face, à se positionner et savoir avancer, en faisant exactement ce qui est bon pour eux, sans pour autant que ce soit le plus facile.

Je mettrais un léger bémol pour la toute fin du roman, où un quasi mysticisme religieux vient se poser là, moi qui suis une allergique pathologique à ce genre de chose. Pourtant, cela ne m'a pas déçue au point que j'aurais pu penser.

Peut être qu'en fait, ces vagues, et ce bout du monde dur et aride, ces hommes et ces femmes avançant péniblement dans leurs vies, c'est cela le divin, pour moi. Et quand vient la question de Dieu, (ce dieu créé par les hommes et pour le pouvoir), parce que c'est particulièrement bien emmené, cela devient plus acceptable.

Les Déferlantes est un roman beau, dur et beau. Tendre mais sans concession, sans tiédeur, un roman que j'ai refermé presque solennellement, et qui quelque part, à l'intérieur, ne se refermera jamais plus, justement.

Et mon coeur transparent / Véronique Ovaldé

Le roman d’Ovaldé est vraiment bien, vraiment très très bien. Un peu fâchée avec la littérature ces derniers temps, c’est vraiment (encore !) le genre de bouquin qui vous réconcilie d’un coup, qui donne envie de manger du livre… bref, c’est un véritable bonbon, savamment dosé, aux multiples saveurs, à découvrir et à dévorer d'urgence.

D’abord, le récit est très accrocheur : Lancelot vient de perdre sa femme, Irina, dans un accident de voiture et depuis ce drame, il découvre qu’il ne la connaissait pas… ben oui, il l'a déposée à l'aéroport et une heure plus tard, elle est retrouvée morte au volant d'une voiture au fin fond d'une rivière. Alors, que faisait-elle à cette heure-là, sur cette route-là, dans cette voiture-là ? C’est l’énigme que tente de résoudre Lancelot, anti-héros fantomatique, dont le cœur est transparent, qui n’a du chevalier que le prénom, et qui au fil des chapitres n’a pas d’autres choix que de VOIR et donc de grandir. Son parcours initiatique sur les traces de sa défunte femme est mené comme une énigme policière… et nous mène à un dénouement inattendu dont je tairai la chute... chut !

Ce que j'en retiens, c’est que bien trop souvent, on tente d’expliquer les faits par des causes faciles, simples, visibles. Il nous manque la petite étincelle de curiosité et d'originalité qui va nous conduire à VOIR les évènements sous un autre angle, un point de vue très éloigné de ce que l'on imaginait. Et c’est ça que Ovaldé nous fait comprendre : notre pensée est étriquée, prisonnière d'une logique qui s’autosuffit à elle-même, parasitée par nos lâchetés… et en pensant ainsi, on ne peut pas toujours VOIR et trouver de solution adéquate. C'est le cas de Lancelot qui vit en dinosaure solitaire et qui apprend peu à peu à s'ouvrir au monde et à ses habitants. Son cheminement s'accompagne de la disparition d'objets – d'ailleurs d'objets très volumineux – au profit des idées qui n'est pas sans rappeler l’allégorie de la caverne de Platon dans laquelle il est nécessaire de s’affranchir des objets, des biens matériels pour voir les « choses invisibles ».

Et justement, c’est le deuxième effet du roman d’Ovaldé : telle une magicienne, elle emporte le lecteur où elle veut. Dans son style totalement incroyable et inédit, à mi-chemin entre récit et conte, merveilleux et réel, gravité et malice, elle mène le jeu telle une fée clochette, de manière espiègle mais déterminée. Sur un ton joueur, ludique mais aussi dramatique, son écriture inédite m'a totalement séduite. Et j'ai apprécié de trouver des mots que j'affectionne tout particulièrement en langue française, juste pour le plaisir des sons : volubile, volubilis, pusillanime...

Ce style ambivalent est un savant travail d'équilibriste qui dépeint bien l'état de Lancelot, complètement perdu et sonné par la mort de sa femme et la prise des petites pilules bleues du docteur Epstein, qui évolue lentement sur le fil ténu qui sépare la réalité de l'irréalité. La longueur des phrases comme la densité des paragraphes, véritables blocs de textes contenant successivement narration, introspections enchâssées entre parenthèses, et dialogues minimalement marqués par des majuscules, sont autant d'ingrédients qui visent à jouer avec le lecteur comme avec le héros. Les phrases d'Ovaldé, on les lit trois fois quitte à perdre encore le fil du récit et s’embourber encore plus dans les méandres de l’esprit perdu et anesthésié de douleur de Lancelot. Bref, merci Véronique Ovaldé pour ce délicieux bonbon dont les multiples parfums restent en bouche bien après l'avoir terminé !

06/05/2008

Le Dernier souffle. Tome 1, Le Don / Fiona McIntosh


A la mort de son père, c'est la tradition dans la contrée de Morgravia, l'héritier de la famille Thirsk doit assumer le rôle de commandant en chef des armées. Le jeune Wyl s'en affranchit de manière honorable mais ses relations avec le Prince Celimus, roi cruel en devenir, sont des plus conflictuelles. La volonté de ce dernier d'humilier Wyl le pousse à l'emmener assister à la torture d'une sorcière avant qu'on ne l'achève au bûcher. C'est à cette occasion, suite à un geste de bonté envers la condamnée que Wyl se verra octroyer un don à double tranchant.

La lecture du Don achevée, une question se pose d'emblée : que s'est-il passé ? Pourquoi du chapitre 29 au chapitre 37 (environ 80 pages, à un quart de la fin) se retrouve-t-on tout à coup dans une baignoire de clichés sirupeux et d'incohérences notoires ? Cette dichotomie est si flagrante que l'on en vient à croire que deux écrivains se sont succédés temporairement à l'occasion de la rédaction de l'ouvrage. Une chose est sûre, Fiona McIntosh n'est pas à l'aise avec les scènes sentimentales. Vous voulez du mièvre meringué, en voici ! :

"Une brise légère apportait l'odeur de la menthe et du basilic, emplissant l'air doux du soir d'une subtile fragrance. Wyl adorait cette lumière incomparable produite par la rencontre du rideau sombre de la nuit et des derniers feux du couchant. Wyl savait qu'il associerait désormais à jamais la reine de Briavel au parfum des herbes et de la lavande."

"Son corsage était très décolleté. Elle était magnifique."

"Leurs lèvres restèrent unies de longs moments. Les criquets se turent et le crépuscule devint nuit noire. L'amour lui avait parlé cette nuit-là. La flèche de l'amour m'a touchée, songea-t-elle en se rappelant les mots qu'il avait eus plus tôt. Valentyna savait en cet instant qu'il n'y aurait jamais dans sa vie d'autre homme que celui qu'elle tenait dans ses bras."

Autre aspect plus gênant, les grosses ficelles. Lors d'une fuite, Wyl informe ses compagnons d'infortune qu'il sait, qu'on ne lui demande pas comment, que l'un de ses proches est mort. La magie a opéré. On y croit aussi, forcément. Mais non, quelques pages plus loin, cette certitude viscérale est contrebalancée par Wyl lui-même. Hé oui, le proche en question n'a pas rendu le dernier soupir. Très vite, on réalise que cet effet d'annonce maladroit n'avait que pour objet de permettre au héros d'avouer la nature de son don.

En un temps de pages record, Wyl et ses amis subissent l'attaque de créatures aux dents aussi longues que des couteaux. A leur approche, ils ne trouvent rien de mieux que de discuter des relations de l'un avec son souverain. Invraisemblable.

Effectivement, vu sous cet angle unique, cela ne donne pas très envie de lire le Don. Ce serait une erreur. Car hormis ces quelques écarts, ô combien irritants, le bouquin est vraiment de bonne tenue et les particularités du don ouvrent des possibilités narratives vraiment intéressantes que l'on n'a pas fini d'explorer.Car l'autre écrivain captive, tient le lecteur en haleine en nous offrant des personnages attachants (si,si!), tout en nuances, loin d'être aussi manichéens que ce qu'on a l'habitude de voir en Fantasy.

L'ouverture à la fin du tome invite véritablement à la lecture de la suite, en espérant que les travers évoqués ci-dessus ne soient pas de la partie cette fois-ci. On n'est pas loin de croire cette accroche de Robin Hobb en 4ème de couverture qui dit : "Ne commencez pas à lire Le Don le soir, surtout si vous devez vous lever tôt le lendemain matin!" Ce n'est pas loin d'être vrai, il faut le reconnaître...

28/04/2008

Les Mille et une vies de Billy Milligan / Daniel Keyes VS La Proie des âmes / Matt Ruff




A ma gauche, mesdames et messieurs, un véritable poids lourd de la littérature de l'imaginaire, l'incrrrrro-ya-ble conteur du maintenant classique Des fleurs pour Algernon. J'ai nommé : Daniel Keyes ! A ma droite, le non moins prrrrrr-es-ti-gieux Matt Ruff, qui en l'espace de trois romans a su imposer une griffe originale et déjantée dans le paysage de la littérature étrangère.


S'ils sont réunis aujourd'hui sur cette modeste page, c'est parce qu'ils ont en commun d'avoir chacun écrit un livre sur le phénomène des personnalités multiples, et qu'ils l'ont fait de manière fort différentes. Comme son nom l'indique, ce syndrôme se manifeste par l'apparition d'une palette de personnalités, de sexes et de caractères parfois opposés, se succédant aux commandes d'un seul corps, sans que chacune n'ait connaissance de l'existence des autres. On imagine alors sans mal les désordres qu'une telle pathologie peut occasionner, aussi bien pour le sujet lui-même que pour son entourage. Les cas répertoriés jusqu'à présent prouvent que les personnes atteintes de ce mal ont toutes été confrontées à un choc traumatique vraiment important.


Rédigé à partir de ses entretiens avec Billy Milligan dont le cas avait défrayé la chronique à la fin des années 70, Daniel Keyes relate la découverte et le cheminement de ce cas en particulier. Pour ce faire, il s'inscrit malheureusement dans le registre du docu/fiction, ce qui donne au récit une lourdeur certaine. L'approche est trop clinique (la succession des dates y contribue allègrement), trop mécanique et l'histoire ne suscite pas l'empathie à laquelle on aurait pu s'attendre avec un tel sujet. Même si le phénomène intrigue et passionne, Keyes ne parvient qu'à faire bouger les cordes de la curiosité et de l'emballement quand il aurait pu les faire vibrer. Il est vrai que je suis pour ma part toujours réfractaire à ces récits qui prêtent des intentions et des paroles à des personnes ayant réellement existées. Quelle est la part du réel ? Celle de l'invention ? A faire ainsi osciller la balance du documentaire et de la fiction, ne risque-t-on pas de dénaturer la réalité des faits ? Autant de choses qui m'empêchent d'adhérer complètement à ce type d'ouvrages.


Matt Ruff, lui, a choisi le traitement romanesque pour aborder le problème des personnalités multiples. Clair, passionnant, instructif, aussi, le résultat est là : jubilation assurée. (je ne sais pas si vous avez remarqué mais la mention de jubilation est plus qu'à son tour utilisé dans les chroniques ou les critiques de tous poils. Mais il est vrai qu'il est difficile de rendre autrement cette fièvre qui nous étreint dans ces moments de lecture et qui se caractérise bien souvent par un "Oh, mon dieu, Oh mon Dieu !", accessoirement un "C'est pas vrai ! C'est pas vrai!" ou en québécois "C'est capotant ! C'est capotant!, surtout quand on se trouve obligé d'interrompre sa lecture parce que le voisin du dessous vient vous signaler un dégât des eaux, ou que votre belle-mère a eu la bonne idée de venir faire visiter votre maison à son amie d'enfance... En gros, là, le terme est véritablement adapté. Jubilatoire, donc!)


Les personnages (multiples à plus d'un titre, cela va de soi) en décalage complet avec le monde qui les entoure, sont au service d'une histoire remarquable, pleine de surprises et de rebondissements. La révélation au milieu du livre est stupéfiante. J'ai déjà eu l'occasion de l'évoquer dans ces pages, j'ai tellement eu l'impression de m'être fait avoir que j'ai failli lâcher le bouquin. Heureusement, je n'ai pas cédé à cette fugace impulsion, pour mon plus grand plaisir, qui j'espère sera votre.


Vous l'aurez compris, si vous vous intéressez aux personnalités multiples et que vous voulez lire une histoire captivante, je ne saurais trop vous conseiller la lecture de la Proie des âmes. Une fois de plus, je sais, je sais. Mais on ne se refait pas...

20/04/2008

Un Scanner à la morgue / Claude Broussouloux


Par une matinée du mois de novembre identique à bien d'autres, il a suffi que le transporteur frappe trois fois au rideau des livraisons pour raviver une certitude jusque là en sommeil : j'allais faire plusieurs rencontres et j'éprouvais l'amère frustration de ne pouvoir les apprécier toutes dans l'instant. C'est ainsi à chaque fois que je reçois des livres. Il y a ceux que j'attends, dont les auteurs me sont connus et...les autres. Ceux qui promettent et dont je ne sais au final que peu de choses.

C'était le cas de Un scanner à la morgue. Je ne connaissais ni l'auteur ni l'éditeur. On le sait, avec aussi peu d'éléments, la surprise peut-être totale, dans le pire comme dans le meilleur.

Quand, au moment du pointage, je tombai sur ce livre, je procédai comme à mon habitude. Je parcourus les premières lignes. Et sans même que je m'en rende compte, la première page défila, puis le premier chapitre. J'étais conquis. Par l'ambiance, l'histoire. Etant donné que j'étais au boulot, je ne me suis quand même pas étendu. Je notai les références et continuai de traiter les livres, me disant : "mon coco, la prochaine fois, je te louperai pas. Au retour de l'équipement, tu seras mien."

Il aura fallu plus de temps que prévu mais à son retour, quelques mois plus tard, je lui remis en effet le grappin dessus et ne le lâchai plus. La première ligne, la première page, le premier chapitre, c'était comme si je les avais lus la veille.

Je retrouvai Jacques, jeune médecin loin d'être passionné par son boulot. Le genre de gars égoïste, pas franchement sympathique. Pour ne pas avoir à supporter les jérémiades de patients plaintifs, il s'est spécialisé en radiographie. Pas besoin de s'épandre. On se positionne, clic, clac, merci bien, au revoir, emballé c'est pesé.

Puis Jacques est contacté par un de ses anciens profs pour un boulot complémentaire qui consiste à effectuer des radios aux cadavres de la morgue, occasionnellement. Louche mais Jacques accepte.

De ce roman assez court, je restai surpris par son côté mystérieux, intrigant. Cela ne tenait pas spécialement à la morgue et à son lot de cadavres que l'on cotoyait assez peu mais à cette incertitude qui planait sur les personnages et leurs intentions respectives. Oh, il y eut bien des moments où je me serais volontairement imposé écrivain pour secouer ce bougre de Jacques, faire en sorte qu'il se décide à ruer dans les brancards au lieu de subir la pression de ses mystérieux commanditaires, de se terrer chez lui, d'attendre.

Une fois le livre fini, je le refermai, un peu déçu par un dénouement suscitant le doute sur la crédibilité d'une telle histoire. Mais le temps passait et je gardai en moi son atmosphère si particulière et si prenante, alors... Déjà, j'étais sur une nouvelle piste de lecture et je me promis de garder un oeil et sur l'auteur, et sur l'éditeur.

14/04/2008

Le Vieil homme et la guerre / John Scalzi


Effectivement, à la lecture du Vieil homme et la guerre, on ne peut que penser à Etoiles gardes à vous ! (Starship troopers) de Robert A. Heinlein et à la guerre éternelle de Joe Haldeman. Cela tient essentiellement à son appartenance à une veine spécifique du space opéra que l'on qualifie, à tort ou à raison, de militariste.

Le canevas en est le suivant : les humains sont lancés dans une guerre universelle contre une ou plusieurs civilisations extra-terrestres. Enjeux économiques, planétaires, méconnaissance de l'autre (donc crainte), les raisons ne manquent pas pour envoyer des unités de combat se faire charcuter menu, selon les us et coutumes d'aliens contrariés. Cette trame est justement l'occasion de suivre le parcours d'un héros et de son groupe, de son enrôlement à la situation de combat, en passant par l'entraînement. Après, libre à l'auteur d'exprimer ses points de vue...

Alors ? Militariste ou pas militariste, le Vieil homme et la guerre ? Aborder ainsi l'ouvrage de John Scalzi est certes un peu réducteur mais c'est typiquement le genre de question que l'on se pose avec ce genre de bouquin, sans parler de ce que cela implique.

A ce propos, et quels que soient les sons de cloche que j'ai pu rassembler où l'on s'amuse à trouver du deuxième, voire du troisième degré là où il n'y en a aucun (mais ça rassure, c'est vrai...), le Etoiles, garde à vous ! de Heinlein est un must en matière de militarisme et de patriotisme dangereux. C'est dégoulinant, non pas de bave arachnide, mais de propos fallacieux pas très jolis jolis, pour rester poli.

En ce qui concerne le Vieil Homme et la guerre, car c'est de lui qu'il s'agit après tout, on ne se situe pas sur le même plan. L'ensemble est d'ailleurs assez rondement mené.

A soixante quinze ans, John Perry rejoint les Forces de Défense Coloniale (hum...) et quitte la Terre à jamais. Il n'a que deux certitudes sur ce qui l'attend : la guerre et le rajeunissement. Sur le déroulement de l'un et de l'autre, il ne sait absolument rien.

En plus du ton, de la voix du personnage, héros presque malgré lui et en proie au doute, Scalzi distille des trouvailles savoureuses qui donnent un intérêt certain à l'action et au récit. Qu'il s'agisse du processus de rajeunissement en lui-même, des brigades fantômes ou du bestiaire extra-terrestre, le lecteur y trouve son compte.

Tout juste peut-on regretter un certain flou autour des relations humains/aliens. Le contexte des guerres exposées et l'implication des forces en action et des institutions manquent de contours structurants. Mais j'ai cru comprendre que tout ceci allait s'étoffer au cours du deuxième ouvrage (il y en a trois en tout) : les Brigades fantômes. Rendez-vous est pris !

07/04/2008

Onze jours / Donald Harstad


Une nuit du mois d’avril, alors que le dégel n’a pas encore eu lieu, un patelin du cœur de l’Iowa va perdre de sa tranquillité. Il aura suffi pour cela d’un seul appel anonyme. Mais pas des moindres.
Une voix féminine, paniquée, affirme qu’il y a eu un meurtre dans une ferme des environs. Le shérif Carl Houseman et les membres de son unité se rendent sur les lieux. Un mort, étendu derrière la porte, la main coupée. De la personne qui a appelé, aucune trace. L’horreur ne s’arrête pourtant pas là. Quelques heures plus tard, on découvre trois autres corps atrocement mutilés dans une ferme voisine. Vengeance ? Folie ? Secrets enfouis ? Crimes satanistes ? L’investigation commence…
…sur un rythme endiablé. Il est vrai, le début est quelque peu déroutant. Le lecteur assiste aux communications des forces de police ponctuées de leurs codes de transmissions. Des chiffres, des chiffres, et encore des chiffres qui correspondent à la nature d’un délit, ou qui servent à confirmer ou infirmer les échanges, ect… Les agents eux-mêmes ne s’appellent pas par leurs prénoms mais par des nombres que l’on suppose hiérarchiques. Etonnant quand on sait qu’ils se connaissent tous, qu’ils n’évoluent après tout que dans un village où les inconnus ne sont pas monnaie courante. Application des procédures oblige, bien sûr, les communications étant toutes enregistrées à des fins d’exploitation potentielles. Harstad décrit une scène d’intervention sur une scène de crime telle qu’elle se déroule dans la réalité, le monsieur ayant appartenu lui-même aux forces de l’ordre.
Déjà, pourtant, le lecteur sent qu’il ne lit pas une intrigue policière classique ; que l’auteur n’a pas pour seule ambition d’apporter un coupable à un crime donné tout en maniant avec habileté l’art du rebondissement. Tout cela il le fait effectivement. Mais il ne s’en tient pas là. Il associe habilement à son histoire une description de la vie d’une unité de police rurale, de ses difficultés humaines et financières, des luttes de pouvoir et des jalousies qu’elle implique. La dimension du récit devient alors tout à fait saisissante.
Harstad ne s’embarrasse pas de descriptions superflues et on lui en sait gré. Il va à l’essentiel et, autant le dire tout de go, l’essentiel vaut vraiment le détour.

03/04/2008

Le Jeu de Cuse / Wolfgang Jeschke


Nous sommes en 2052. L'Europe peine à se relever d'une guerre nucléaire qui l'a en partie ravagée. Les problèmes écologiques ont gagné en puissance. Selon les zones, les hommes survivent tant bien que mal dans des immeubles quasiment abandonnés, soumis à l'assaut de bandes barbares à qui il ne reste que la violence pour s'exprimer.

Mais le cataclysme n'est pas total et la reconstruction s'amorce. C'est dans ce contexte périlleux que Domenica Ligrina termine ses études de botanique. Très vite, elle reçoit une réponse favorable au poste un peu obscur auquel elle avait postulé quelques mois plus tôt. Elle rejoint alors le projet "Renaissance de la Création" mis au point par le Vatican. Son but: sauver le monde traversant le temps, rien que ça.

Pour ceux qui apprécient les histoires d'exploration temporelle, cette histoire est des plus attrayantes. Le livre lui-même l'est malheureusement moins.

Je dis malheureusement parce que ça commençait plutôt bien, même très bien. La description que fait Wolfgang Jeschke de l'Europe dévastée est on ne peut plus réussie. Le décor et les personnages y sont bien campés et l'on se plaît à imaginer la suite, quand le voyage dans le temps va peu à peu s'annoncer, puis se concrétiser.

C'est là que le bât blesse. La transition n'est à mon sens pas bien amenée. A partir du moment où Domenica rejoint les rangs des scientifiques du Vatican avec quelques uns de ses collègues étudiants, on se perd dans des longueurs inutiles et l'on voit trop vite et trop bien les paradoxes qu'impliquent ce genre de récits. Ici, les ficelles sont trop grosses. J'en veux pour exemple sa première rencontre avec Frans. Celui-ci l'aborde avec une familiarité troublante, comme s'il la connaissait déjà. Eh bien oui, c'est le cas et l'on devine vite pourquoi. Ensuite, il y a cette histoire de femme qui la reconnaît lorsqu'elle était petite dans une galerie de peinture, ou de cette femme sur le bûcher. Non, nous ne sommes pas dans la galerie des surprises, bien au contraire.

Car, je vous fiche mon billet, là, maintenant, que si l'on vous annonçait que demain, oui, demain, ou la semaine prochaine si vous préférez (le temps de vous faire à l'idée...), vous alliez voyager dans le temps, vous seriez pour le moins surpris ! Domenica, elle, ne l'est pas, ou si peu. Elle ne s'attache qu'à la manière dont le transfert temporel s'éxécute. Et là encore, ce n'est pas très bien amené ni vraiment convaincant. Pour le dire simplement, c'est plutôt compliqué. Le soliton, moi, je n'ai compris qu'en surface.

Dès lors, j'ai quand même assisté au premier voyage qui ne survient qu'à la moitié du bouquin, à peu près.Ensuite, je me suis lassé, de la longueur du récit, sans surprise, donc.

Dommage, car j'aurais aimé me délecter d'une telle histoire, d'autant plus que j'apprécie particulièrement la qualité des livres et des choix de la maison dédition l'Atalante, découvreuse et partageuse d'auteurs de qualité, français ou étrangers.

Tout compte fait, dans le même genre (l'héroïne est aussi une botaniste), je vous recommanderais plutôt le Jardin d'Iden de Kage Baker. Un livre...surprenant !